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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.

12 mai 2024

Battles. Partie 2. Paul à Marembourg, Suède. Opérer encore pour déconditionner ?

 

2. De nouveau, une opération.

A Marembourg, en Suède, Paul Kavan, qui a été exfiltré de son pays par des partisans, est hospitalisé. Enfermé à la prison Etoile, on l'a rééduqué et il est devenu un fasciste. Il faut lui redonner son identité ancienne : celle d'un partisan et d'un amoureux de la liberté. La tâche est rude pour les médecins car Paul porte dans son corps les marques de son retournement.

Il faudrait lui dire qu'une autre intervention chirurgicale allait avoir lieu et passer sous silence le fait qu'elle aussi serait très délicate. Les semaines avaient filé et, toujours en Suède, Paul allait mieux. Il n'avait toujours rien vu d'autre que l'enceinte de la clinique privée dont il avait découvert la notoriété. On y faisait des opérations de pointe et il y venait de très grands chirurgiens. Autant dire qu'y être admis n'était pas des plus simples et qu'il valait mieux avoir de l'argent. L'argent ? Si Paul, à son arrivée, était dans un état mental et physique des plus confus, il commençait à recouvrer ses esprits sur certains points et il finit par poser une question épineuse : qui payait pour lui ici ? Ce ne fut pas la femme médecin qui continuait de venir converser avec lui qui répondit à sa question mais le directeur. C'était un homme qui approchait la soixantaine et avait un physique un peu lourd.

-Votre libération était un vrai enjeu ainsi que votre transfert ici. Qui paie ? Tout d'abord, vous devez savoir que vous êtes ici légalement. Le gouvernement suédois approuve votre séjour dans notre pays et vous fournit quelque soutien. D'autres viennent des organisations qui vous ont permis de sortir de votre pays. Et enfin, il s'agit de vos fonds propres. En des temps qui peuvent vous paraître lointains, vous avez placé de l'argent en Angleterre et aux États-Unis. Or, vous devez savoir que votre femme, qui réside à Londres, en utilise une partie...

-Ma femme est vivante, vous me l'avez dit mais j'avais oublié ce détail.

-Elle est non seulement vivante mais bien avisée. Elle vit au Royaume Uni.

-Si elle est vivante, lui-aussi l'est.

-Lui ?

-Mon instructeur.

-C'est une réalité difficile à admettre pour vous mais il a vraiment été abattu. Je reviens à votre femme. Pour ne pas vous mettre en difficulté, vous comme elle, elle s'est mise en campagne pour obtenir des aides substantielles, publiques ou privées. Elle a dû être convaincante car votre maintien dans cet établissement a été jugé primordial ! Vous avez deux enfants en Amérique du nord. Ils font de même avec leurs « familles adoptives » qui ne se ménagent pas...

Ces nouvelles réjouirent Paul autant qu'elles l'inquiétèrent. Il avait beaucoup dépendu des autres durant ses années de cavale et en prison, on l'avait pris en charge, d'une drôle de manière certes, mais maintenu en vie tout de même. Certes, on payait pour lui mais il devrait se remettre, se réinsérer, s'assumer...Tout cela paraissait si lourd ! Le directeur tenta de le rassurer.

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12 mai 2024

Battles. Partie 2. Heurts et Malheurs de Paul à Marembourg.

S'il avait survécu à d'étranges manipulations médicales à Étoile et à une opération faite dans des conditions rocambolesques quand il était aux mains des partisans, c'est qu'il était suffisamment fort pour affronter une intervention chirurgicale en Suède.

-Vous êtes tenace et vous survivrez à une nouvelle opération.

-Ce sera de nouveau le docteur Josephon ?

-Non, nous ferons venir le docteur Erland Nikvist dont la réputation n'est pas usurpée. Nous tentons le tout pour le tout pour vous délivrer de toute entrave. Je suis certain que Nikvist réussira. A partir de là, tous les espoirs seront permis.

-Je serai en convalescence.

-C'est certain mais une fois remis sur pied physiquement et intellectuellement, vous pourrez faire ce que vous voulez.

-Je demanderai un droit d'asile à la Grande-Bretagne et je pense que celui-ci me sera accordé.

-Votre femme œuvre déjà pour cela, j'en suis sûr, monsieur Kavan.

-Vous savez, je pourrai les revoir, elle et mes enfants. Ils viendront en Angleterre.

-Et quant à retrouver une profession, tous les espoirs sont permis. Vous parlez bien l’anglais : on vous rendra votre statut de journaliste et vous travaillerez.

-Vous verrez, monsieur Kavan, vous serez un exemple mais pas celui que ces Fascistes voulaient faire de vous !

Dans l'instant, Paul fut galvanisé, puis ses interrogations reprirent. Ce qu'on lui avait fait subir à la prison Étoile le hantait. Les médicaments, les coups de cravache, les gifles, la fouille au corps, l'interdiction de parler, les longues récitations des discours de Dormann, les interrogations surprises sur la vie de ce dernier, les hymnes à chanter, les articles à écrire et cette violence permanente...Il voyait l'horreur de tout cela mais ne parvenait pas à incriminer totalement l'Instructeur Winger. Un agent du système, certes, mais un perfectionniste aussi, un amoureux de la belle ouvrage... Paul pensait avec répulsion à la façon à la gardienne Xest l'avait contraint à faire l'amour avec elle et au gardien Koba plus placide mais tout aussi sournois. Sa colère allait aussi aux gardes subalternes, aux contremaîtres et aux chefs d'atelier, tous prêts à frapper et à dégrader et sa compassion à ces détenus muets qu'il avait croisés ou à ces pauvres femmes qu'on lui avait confiées pour un film de propagande. Et bien sûr, il pensait aux jeunes prostituées. Mais, malgré les soupçons qu'il commençait à avoir, l'Instructeur Winger restait une icône, sans doute à cause de cette union intellectuelle et émotionnelle qu'il avait tissée avec lui. Ils ne s'étaient pas galvaudés, non, tout était resté à sa place. « Il a rêvé de moi et moi de lui et tout ceci sous la coloration du secret. J'ai fantasmé sur son corps ferme sanglé dans ses uniformes noirs, sur ses jambes bottées de cuir et cette façon qu'il avait de me fixer, de me sourire froidement. J'ai fantasmé sur sa virilité. Après tout, je l'ai appelé et il m'aurait répondu. Dans la vie d'un homme fait, ce genre d'accident arrive fréquemment. Rendu à la vie civile, nous n'aurions pas eu de liaison, mais il m'aurait épaulé. Je suis privé de lui et cette épreuve-là est terrible. Eux, ceux qui sont là dans cette clinique, ils ne comprennent pas. »

Effondrer la statue de l'idole lui restait impossible.

12 mai 2024

Battles. Partie 2. Hospitalisation à Marembourg. Paul, Monica et Lynn.

 

Ses deux interlocutrices majeures restaient Monica, la chirurgienne et Lynn, la jeune aide-soignante. Avec Monica, il parlait géographie, histoire et démographie car elle lui présentait la Suède non sans en commenter la gastronomie. Elle lui apprenait aussi un peu de suédois. L'idée était de le divertir en entraînant sa mémoire et en le poussant à la bonne humeur. Lynn, elle, lui faisait chaque jour la lecture, d'abord dans un petit salon réservé aux personnels puis dans une bibliothèque où venaient quelques résidents fortunés qui vivaient là à l'année. Elle lui lisait Selma Lagerlöf qui avait écrit des livres bien moins connus que Le Merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède et il l'écoutait. Elle n'avait aucun accent en allemand parce que sa mère était originaire de Berlin, et elle était jolie, toute blonde et menue, gracieuse même dans sa blouse d'hôpital. Touché qu'on lui fournisse une aussi charmante compagnie que cette jeune fille avec qui il commentait si joyeusement les textes lus, Paul était aussi flatté qu'on permette à celle-ci de déroger à son travail. Après tout, elle était soignante. Et puis, il lui plaisait, s'en rendait compte et en était heureux. S'il la regardait trop longtemps dans les yeux, elle rougissait.

-Vous avez un petit ami ?

-Pas en ce moment.

-Vous êtes jolie.

-Les hommes jeunes sont peu sérieux, ici en tout cas.

-Vous êtes trop catégorique.

Plus jeune et moins meurtri, il aurait déjà commencé à entreprendre cette blonde aux yeux clairs dont les petits seins devaient aussi fermes et frais que des fruits à peine mûrs. Après l'avoir séduite par son bel esprit et ses manières d'homme éduqué, il l'aurait prise, dans un joli lieu pour commencer, un hôtel après le restaurant où ils auraient dîné avant de la conduire dans des lieux plus rustiques. Quoi de plus charmant que coucher avec une femme dans un champ odorant ?  Mais il avait changé.

-C'est à dire que vous...

-Moi ?

-Quand je pense que je suis face à Battles ?

-Vous êtes face à un convalescent qui cherche à se reprendre. J'ai les tempes grises...

-Vous ne comprenez pas.

-Je crois que si, Lynn. Allons, c'est juste un rêve.

Elle avait l'air triste car il ne la désirait pas mais il sut la dérider. De nouveau, elle lui et il se contenta de la regarder froncer les sourcils ou gonfler ses joues pour prendre des tons différents et rendre vivante sa lecture...Elle offrait un joli spectacle !

Lentement mais sûrement, il se reprit et se sentant mieux, voulut savoir ce qui se passait dans le monde : on le lui dit en lui fournissant quelques journaux. Il souhaita aussi qu'on l'informe de l'impact de sa disparition dans son pays et à l'extérieur. On ne lui fournit que certaines informations, celles où on le présentait comme un traître à la patrie. On ne lui dit pas que le récit de son évasion avait été maquillé pour cacher la défaite de son escorte. La presse nationale avait réécrit l'épisode, y ajoutant un saboteur qui, ayant infiltré la masse des gardiens, avait été malencontreusement choisi pour faire partie de l'escorte et avait favorisé la fuite de l'infâme Battles. Rien sur les morts, rien sur l'instructeur. Et surtout rien sur la répression car pour chaque soldat tué, on avait arrêté deux personnes et pour l'instructeur, dix...

La presse étrangère, elle, le portait aux nues. Libre et vivant dans un pays démocratique, celui qu'on appelait Battles allait bientôt sortir de l'ombre et l'on verrait alors ce qu'il dirait de l'état de son pays !

Paul ne fut pas surpris des mensonges d'un régime dont l'existence reposait sur la trahison et il trouva précieux qu'on l'encensât. Bien qu'il ne se trouvât pas en Suède de manière licite, le lieu où il se trouvait faisait l'objet d'un secret plutôt bien gardé. On avait agi au mieux pour lui car il coulait encore des jours tranquilles et n'aurait en aucune façon supporté une exposition médiatique. Mais toujours paradoxal, s'il croyait à l'embuscade et à sa libération, il n'acceptait pas la mort violente de Markus Winger.

12 mai 2024

Battles. Partie 2. Nouvelle opération et nouvelle covalescence.

On l'opéra de nouveau et il resta longtemps sur la table d'opération. Il tint bon et se remit. Quand enfin, il eut recouvré tous ses esprits et que son corps fut redevenu solide, Paul constata avec stupeur que son séjour à la clinique de Marembourg avait duré neuf mois, rééducation comprise. Il eut un sourire amer : c'était moins qu'à la prison Étoile ! Certes en bien meilleure compagnie mais avec toute une série d'apprentissages. Les derniers temps, il avait retrouvé sa clairvoyance.

-C'est cette seconde opération du cerveau ?

-Oui. Cette fois, vous recouvrerez rapidement votre jugement.

Nikvist était formel. A Monica, Paul dit :

-Cet instructeur m'a poussé à trahir.

-Oui, c'était son objectif.

-Il m'a fait signer mes confessions. Il m'a fait avouer ce qu'il a appelé mes crimes.

-Vous avez été battu et drogué. Vous dites vous-même ne pas vous souvenir de la façon dont les choses ont été conduites mais il y a d'autres récits. L'objectif était de vous faire livrer des patriotes et de vous contraindre à décevoir ceux qui avaient misé sur vous. C'est ainsi qu'on rééduque ceux qui sont jugés dignes de l'être. On voulait faire de vous le grand journaliste qui a compris ses erreurs et soutient la dictature. C'est un schéma classique. Et de toute façon, on vous a charcuté...

-Il y a d'autres politiques qui subissaient le même sort mais je ne les ai pas vus. J'ai croisé des travailleurs dont je savais juste qu'ils étaient aussi des détenus et des prostituées. De pauvres jeunes filles qu'on obligeait à faire cela...

-Nous avons là tous les rapports médicaux qui ont été faits sur vous depuis votre admission dans cette clinique. Vous êtes arrivé dans un état psychique invraisemblable...

-J'avais un instructeur...Je le détestais et puis, je suis arrivé à éprouver pour lui des sentiments opposés...Je l'ai admiré, désiré, aimé...

-Vous étiez enfermé et contraint de toutes parts. Il était tout puissant et vous vouliez vivre, sans trop déchoir certes, mais vivre...

-Est-ce que cela suffit ?

Monica fut ferme :

-Oui car vous vous êtes réapproprié votre vie. Maintenant, vous allez parler au monde.

Peu avant son départ, Monica lui remit deux petits dossiers et elle lui demanda de les consulter devant elle.

L'un était un rapport sur Étoile, constitué par Amnesty International. Il était signalé la mort violente de deux Politiques : Louis Dorsthein, un médecin réputé pour ses travaux sur la consanguinité et l'hérédité et Alfred Ernst, un chimiste de renommée internationale, candidat au Nobel. Il connaissait leurs noms pour les avoir entendus lors de ses premiers interrogatoires. Ainsi, comme il l'avait pensé, on les avait mis à Étoile, eux-aussi, si ce n'est qu'ils n'avaient pas, eux, convaincus leurs instructeurs. ! Paul se souvint des propos glaçants de Winger sur les politiques qui n'avaient pas réussi leur transformation dans le temps imparti. Ils étaient tués.

Le second rapport était consacré aux instructeurs de la section des Politiques, ou du moins à ce qu'on savait d'eux...

12 mai 2024

Battles. Partie 2. Reconstituer l'itinéraire d'un tortionnaire. Paul et Markus Winger.

 

Paul trouva celui qui était consacré à Markus Wingler et il était émaillé de photos.

- «Tiens, se dit-il, il est né à Dannick dans une famille bourgeoise plutôt ouverte aux idées socialistes. C'était un élève moyen dans les matières scientifiques et littéraires mais en sport, il était excellent. Fabuleux en course de fond, bon en lutte, bon en natation, bon en gymnastique au sol. Il a intégré l'armée très jeune mais à priori il a suivi un cursus plutôt réservé à des gens bien moins doués que lui. Il s'est fait repérer pour son autorité naturelle, son sens de la discipline et ses talents d'athlète et on l'a changé de cursus. Qui donc ? Un gradé...Tiens...Une unité d'élite pour cadrer les mauvaises têtes, on dirait bien...Il en sort major. Le gradé approche de la cinquantaine, pourtant. Un visage à faire peur. Quelles relations ont-ils ? Il est formé comme instructeur. Méthodes musclées. Pratique des arts martiaux. Bon tireur. Solide, entraîné à briser...Qu'est-ce que c'est que cette photo ? Il n'est plus à côté du même...Il était secrétaire d'état celui-là...A la défense...Comment l'a t'il connu ? Et là, il est invité à une réception avec le ministre de l'intérieur...Il a vingt-quatre ans... »

Paul ne pouvait s'empêcher de lire à mi-voix et de commenter et Monica, fascinée, le regardait.

«Instructeur à la prison d'état de Dannick après une formation intensive. Veut travailler avec les Politiques qui, selon lui, sont un fléau. S'est fait au préalable remarquer pour son efficacité. Tue à bout portant deux fuyards lors d'une manifestation interdite. Des Rouges...Ah oui, je me souviens de ça...Mais c'était Lui ! Cette photo ? Un autre instructeur, de son âge enfin, aussi brun qu'il est blond. Ils sont l'auteur d'un manifeste sur la suppression de toutes formes d'opposition au régime de Dormann. Ils justifient le fait de tirer à vue, d'éradiquer toute forme de désobéissance. Une balle dans la tête à une femme de soixante ans qui ne respectait pas le couvre-feu pour une raison pathétique : un petit fils malade ! C'est le brun qui se vante de ça. Une femme enceinte bousculée et qui a accouché en prison d'un enfant mort-né...Plein de tracts chez elle. Il l’a tuée, lui, Markus Winger et on l'a félicité. Félicité ! J'ai su ce meurtre horrible et j'en ai parlé dans une émission, oui, je me souviens. Lui, c'était lui ! Il a brigué un poste à la prison Étoile et on le lui a donné. Vingt-cinq ans. Très bien vu, très bien noté. Silence absolu sur ces liaisons bien ciblées avec quelques hommes puissants qui ont fait avancer son dossier. Bénéficie d'une étrange indulgence en un temps où les pratiques sexuelles sont normalisées et contrôlées. Obtient en deux ans des résultats exceptionnels avec les prisonniers qu'on lui confie et à qui il applique des méthodes redoutables. A l'arrivée de Paul Kavan, il demande, car il a suivi chaque étape de son procès, à s'occuper de détruire Battles pour faire naître Vision, celui qui sait se renier pour devenir un être neuf et embraser les foules. Il s'enthousiasme pour ce projet et plaide sa cause. On lui livre un homme de quarante-neuf ans sur lequel il a tout pouvoir. Tout est rondement mené. Winger prévoit déjà le futur de celui qui fut Battles. Continuer un dressage déjà bien maîtrisé et contrôler l'ex-détenu dans tous les aspects de sa vie. Et il a ces trois implants. Avec cela, il est conditionné et prêt à devenir Vision. » 

Paul reposa les feuillets, sidéré. Il tomba ensuite sur un manifeste rédigé par Winger, une sorte de profession de foi qui contenait des poèmes à la mort. Ils n'étaient pas très bons mais avec tout ce qu'il avait en main, Paul tenait son personnage...Il sut alors que tout ce qu'on lui avait dit sur son évasion, le rôle des partisans et la mort violente de son instructeur, était vrai et cette fois, il le crut. 

Vision ? Jamais il ne m'a appelé ainsi. Il l'aurait fait à Dannick, peut-être ? De toute façon, ça ne clôt rien...

Il rédigea sur la prison Étoile un court mémoire où il raconta la façon dont on l'avait traité, en détaillant les étapes de sa rééducation. Ses souvenirs étaient encore frais et sa vulnérabilité quasi intacte, ce qui donnerait à son texte, s'il était publié, des accents de vérité peu soutenables mais convaincants.

Il le fit suivre d'un court article sur Markus Winger et le mélange de répulsion et d'attraction qui l'avait relié à lui, en restant théorique. Il était trop intelligent, cependant, pour ne pas saisir quel effet pourrait avoir sur les lecteurs du magazine dans lequel il paraîtrait, un tel brûlot. S'exprimer en termes mesurés ne masquerait pas l’ambiguïté fondamentale de son propos. Il garda donc ce texte pour lui...

Il prépara pour la presse, une lettre d'excuses et de regrets pour des aveux qu'on l'avait contraints à faire et pour ceux qu'il avait dénoncés.

Rien de tout cela ne serait dévoilé avant son départ pour l'Angleterre mais il avait la conviction qu'il était temps pour lui de s'exprimer ainsi...

Il se promit de dédommager, comme il pouvait, les familles de ceux qu'il avait contribué à faire chuter, si elles existaient encore. Et il demanda à écrire à sa femme et à ses enfants.

Puis, demeuré seul, il pleura brièvement avant de se reprendre. Il ne serait jamais Vision, quoi que sa tête fût mise à prix dans son pays et qu'on offrît une prime à quiconque pouvait le tuer. Il redeviendrait Battles ou tout au moins un être lui ressemblant...

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12 mai 2024

Battles. Partie 2. Transfert à Stockholm

 

 

On lui annonça quelques temps plus tard qu'on le transférait à Stockholm où il serait hébergé par des militants qui avaient œuvré, entre autres, à sa libération et il ressentit un mélange de peine et de joie. Il salua plus particulièrement le directeur de la clinique, le chirurgien, Monica et Lynn. A la première, il promit d'envoyer le texte des articles de journaux qu'il écrirait. Elle y tenait. Elle resta digne, bien qu'émue, et refoula ses larmes. Elle avait vu Paul lutter pour se redresser et se battre contre des fantômes. L'aventure qu'elle avait vécue avec lui était singulière. Il en alla différemment de Lynn, la jolie aide-soignante qui lui avait lu avec cœur Selma Lagerlöf.

-On ne me donnera plus de patient comme vous avec comme mission de lui lire de belles histoires !

-J'en avais vécu de fort tristes. Il m'en fallait de belles. Vous avez su les rendre passionnantes.

Elle se mit à pleurer.

-Vous ne serez plus là !

-Quoi ? Vous me regretterez !

 

Il tentait d'être léger et de contourner le trouble de cette jeune fille si droite et si atteinte par lui. Allons donc, les vieux automatismes avaient dû reprendre leurs droits. Qui sait ce qu'elle avait capté de ses regards, de ses silences, cette petite fille. Il avait su si bien y faire autrefois...

-Lynn, vous avez une grande faculté d'écoute et ici, vous faites le bien.  Vous aiderez d'autres patients.

-Vous me plaisez, je vous aime.

-Non, vous croyez m'aimer.

-Ne parlez pas comme ça !

Elle sanglotait.

-Nous nous sommes charmés l'un l'autre et je me souviendrai de vous.

D'ici quelques mois, vous serez amoureuse...

-Comment savez-vous cela ?

-Mais vous le laissez entendre. Je sais écouter les paroles muettes. Il sera de votre âge et charmant. Et il sera suédois.

-Si vous pouviez rester, je pourrais vous dire comment ça se passe. Vous me conseilleriez. Physiquement, vous n'êtes pas du tout comme mon père, et vous seriez de meilleur conseil !

Pas du tout comme mon père ! Paul ne put que sourire.

-Comment cela ?

-Il a toujours peur qu'un homme me fasse du mal !

-Et votre mère ?

-Aussi je crois, mais elle parle peu.

-Vous avez vingt-quatre ans et je vous sens solide. Tout ira bien. Je l'ai dit, ce sera un très gentil garçon.

-Et vous ?

Il fut touché et amusé.

-J'étais en fuite puis en prison puis hospitalisé. Lynn, quelles perspectives voulez-vous que j’aie ?

-Vous êtes marié ! Vous retrouverez votre femme !

-C'est vrai...

-Il paraît que vous avez une fille.

-Elle est un peu plus jeune que vous. Après des années, je risque de la revoir. Et j'ai un fils aussi...

Elle se lova dans ses bras et il accepta cette étreinte qu'il considéra comme filiale puis il embrassa la jeune fille sur le front.

-Au revoir, Lynn.

-Au revoir, Paul.

12 mai 2024

Battles. Partie 2.

 

A Stockholm, Paul fut reçu par quelques hommes politiques, un ministre et un petit nombre de journalistes à qui il parla. On le logea dans une maison de maître d'un quartier périphérique où ses hôtes furent très déférents. Il visita la ville, sous bonne escorte et on lui adjoignit un chauffeur et un guide. Ce dernier se trouva être d'un blond commun en Suède mais trop évocateur pour Paul qui préféra écourter les visites sous couvert qu'il était encore fatigué suite à sa troisième opération. Personne ne commenta mais on céda.

Peu avant de s'envoler pour Londres, il revit le chirurgien qui l'avait opéré du cerveau. Celui-ci choisit la franchise :

-Vous savez, j'ai paru très sûr de moi mais ce que j'ai fait était si expérimental ! On vous avait déjà enlevé des implants dans le cerveau et les organes génitaux et j'ai été surpris de devoir vous opérer à nouveau. Des analyses nous ont montré que nous n'avions que partiellement réussi. Vous restiez partiellement sous contrôle...

-D'où la nouvelle intervention...

-Oui. Vous savez, je suis à la fois horrifié et admiratif. Comment des chirurgiens opérant dans une prison lointaine peuvent-ils parvenir à un tel degré de sophistication ? Je vous assure que ce qu'ils ont fait demandait un savoir-faire exceptionnel...

-Mais tout est bien désormais, non ?

Nikvist parut gêné.

-Cela peut paraître peu médical, monsieur Kavan, mais je n'en suis pas certain. J'ai pensé à un autre type de marquage...

-Inopérable.

-Oui, monsieur Kavan.

-Psychique ?

-C'est ce que je suppose. Vous seriez désireux d'agir avec droiture et tout d'un coup, vous tiendriez des propos irrecevables ; vous commettriez des actes répréhensibles que, bien sûr, personne ne comprendrait...Et sur le plan sexuel, vous auriez des phases où, disons, vous retrouveriez la sexualité que vous aviez auparavant pour en adopter où vous agiriez très différemment...

Le médecin se racla la gorge et baissa les yeux.

-Je voudrais le bien et ferais le mal alors que je ne le veux pas ?

-Vous savez, c'est une idée qui me taraude. Ça pourrait ressembler à cela, oui.

Paul parla avec sagesse.

-Je comprends. Ne vous inquiétez pas. Le suicide m'est toujours apparu comme le refuge des lâches mais j'ai eu un père philosophe qui ne pensait pas de même et citait des textes à l'appui. Vous me parlez de phases de normalité qui seraient suivies d'autres, totalement incohérentes...

-Par recoupements, oui je vois venir cela.

-J'ai recouvré ma mémoire. Je suis de nouveau doté d'un sens moral. J'aviserai.

-Vous aviserez ?

-Oui, vous m'avez compris !

-Ne pensez-vous qu'à cette seule solution ?

-Non, bien sûr que non car j'espère ne pas être réduit à cette extrémité. N'ai-je pas été Battles ?

-Si ; donc vous combattrez.

-Je combattrai.

-Vous avez mon estime et mon admiration, monsieur Barne.

-Merci. J'en ai besoin ! Et puis n'oubliez pas !

-Quoi ?

-J'aime la liberté.

12 mai 2024

Battles. Partie 2. Londres. Revivre.

 

3. Londres. Une nouvelle vie.

Arriver à Londres, c'est pour Paul Kavan, retrouver une vie professionnelle et affective, ce dont il a été privé avec la vie clandestine, la prison et la maladie. C'est aussi se retrouver face à Lisbeth, sa femme, qui s'est réfugiée avant lui en Angleterre.

Une délégation l'accompagna à l'aéroport d'où il partit seul pour l'Angleterre où on vint l'accueillir. Des intellectuels anglais le logèrent un temps à Londres dans un petit appartement à Mayfair, qui jouxtait le leur. Habituellement, ils le louaient. Cynthia et Andrew Hawkins étaient l'un et l'autre maîtres de conférences. Il était professeur de littérature anglaise et elle enseignait la psychologie. Pour leurs carrières ou leur agrément, ils voyageaient sans prendre de grands risques, descendant dans de bons hôtels et louant les services d'un guide et ils prenaient beaucoup de photos. Ils approchaient la cinquantaine l'un et l'autre et n'avaient qu'un fils qui était à Oxford. Paul les trouva plaisant tout en devinant assez vite leurs limites. Ils avaient des libertés et de la démocratie, ces belles idées dont se targuent ceux qui se risquent peu hors de leur cadre élitiste dans lequel ils évoluent ; et sur les dictatures, une vision brouillée. Ils savaient, bien sûr, que la répression était sauvage dans un pays à parti unique mais ignoraient quelles formes sournoises et inattendues elle pouvait revêtir. Paul se souvenait de cet édit qui avait imposé aux boulangeries de ne fabriquer et vendre que certains types de pains parce que les autres étaient toxiques. Ils ne l'étaient pas mais ce jour-là Jorge Dormann avait eu envie de rire...Et il y avait ces couleurs qu'une femme pouvait difficilement porter avant qu'un autre édit ne les leur interdise totalement. Ni rouge ni violet. Pourquoi ? Madame Dormann avait-elle incommodé son mari en se dandinant devant lui, dans la chambre conjugale, en sous-vêtements rouges ? Le violet était-il trop semblable aux ornements liturgiques qui paraient les églises à certains moments de l'année ? Ou évoquait-il trop directement le teint de ceux qui sentait la mort venir quand on les étouffait ? Qu'est-ce que Dormann avait derrière la tête en lançant de telles interdictions sinon laisser le mal pur se manifester sous des formes abjectes...

 

Les Hawkins étaient loin de tout cela mais leur hospitalité était sincère et charmante et Paul leur fut gré d'être si attentif.

-Votre femme arrive ?

-Oui, elle sera là bientôt. Nous échangeons au téléphone.

-Bien, fort bien !

Il la vit seul cependant. Après plus près de sept ans, il la trouva changée. Elle était mince, portait un tailleur gris peu seyant et un grand manteau et ne s'était pas maquillée.

-Oh Paul, quelle émotion ! J'ai insisté pour que nous retrouvions dans un restaurant mais j'ai fait erreur !

Elle pleurait et riait en même temps.

-Attends, Paul, je reprends mes esprits.

-Je t'en prie.

-Comme je te l'ai dit, Paul, je préférais attendre un peu pour te voir. 

-Tu as bien fait, Lisbeth, je suis arrivé très troublé. En tout cas, merci de ton aide. Grâce à toi, je suis en Angleterre.

-Je tenais à t'aider. J'ai tellement espéré ta fuite...Bon, tu es là...Les enfants t'ont contacté, je le sais.

-Oui, je les ai eus au téléphone l'un et l'autre à plusieurs reprises. De très bons contacts avec Colin, moins bons avec Lisa...Il faudra du temps...

-Mais c'est que beaucoup de temps a passé ! Tu as dû souffrir beaucoup au milieu de ces chiens !

-C'était très étrange, oui.

12 mai 2024

Battles. Partie 2. Paul et Lisbeth, sa femme. Retrouvailles et affrontement.

 

Ils se souriaient encore mais allaient s'affronter. Leur longue séparation n'avait pas effacé leurs différends. Lisbeth attaqua la première.

-Écoute, Paul, nous sommes restés des années sans nous voir. Je ne te cache pas si je me suis battue pour que tu puisses émigrer en Angleterre, c'est par humanité. Tu es ici maintenant et le cadre dans lequel tu vis est sécurisant. Ces gens -là vont t'aider à t'insérer et plusieurs associations aussi. J'ai beaucoup œuvré. Pour le reste, notre mariage, tu sais, était difficile. On ne se faisait pas que du bien quand on était ensemble !

-Je sais.

-Souviens-toi ! Nous n'étions pas d'accord ! Tu jouais la carte du libéralisme au début refusant de voir ce que Dormann allait faire ! Je t'ai haï pour cela, tu sais et je suis partie de mon côté. Je suis pour l'opposition franche et claire ! J'en ai payé le prix bien sûr mais je ne regrette rien !

-Tu as fait du journalisme avec intransigeance. Tu as pointé les failles du régime bien avant moi.

-Mais oui, tu sais bien !

-Et ensuite ?

-Ils m'ont traquée et on a failli me prendre.

-Tu as été protégée, malgré tout. Tu es très croyante, je le sais.

Elle grimaça et serra violemment ses mains l'une contre l'autre.

-C'est une moquerie ?

-Pas du tout, Lisbeth.

-J'ai toujours été religieuse...

-Non, tu l'es devenue et je ne te juge pas.

-Je vais te dire une chose : ce sont des religieux qui m'ont protégée et permis de continuer de dénoncer les exactions de ces monstres ! Et je l'ai fait jusqu'au bout ! Et puis, ça été la fin. Un jour, je voulais rejoindre une équipe pour imprimer des tracts et je ne sais pourquoi, j'ai eu un pressentiment. Tu te souviens de l'église Sainte-Marie à Dannick ? Et bien, je me trouvais devant la façade. J'entre pour prier et je tombe sur sœur Geneviève ! On se met à parler à voix basse et elle me glisse une adresse, au cas où. Je la quitte et comprends que je ne dois pas retourner chez moi car on m'y cueillera. Je me rends à l'adresse donnée par la sœur et là, on m'aide. Je suis cachée dans un monastère au fin fond d'une forêt des mois durant alors que j'étais recherchée. Ce sont également des sœurs qui se sont débrouillées pour me faire convoyer vers l'Ambranie et arriver en Angleterre. C'est l’Église qui m'a aidée !

-Je ne te mets pas ton récit en cause !

Elle avait parlé avec exaltation mais se calma brusquement.

-C'est mieux ainsi, Paul. Pour toi, je sais. Tu vas en parler de ton terrible périple dans les journaux ?

Il ne savait encore ce qu'il allait faire : les associations ambraniennes qui s'étaient manifestées à son arrivée ne lui plaisaient guère. C'était des gens qui s'étaient expatriés depuis longtemps et ne pouvaient le comprendre. Il était sollicité par des journaux anglais mais hésitait encore. Ses propos ne seraient-ils pas déformés ? Il pensait à écrire, à faire le récit de ce qu'il avait vécu.

Lisbeth sembla changée. Son visage se détendit soudain. Elle parut contrite. Il lui parlait depuis qu'ils s'étaient retrouvés sur un ton calme, presque humble qui la déstabilisait.

-Je suis désolée, Paul, je suis désolée, pardon...

Elle avait la tête dans les mains pour cacher son émotion et il se pencha vers elle.

-Ne crois pas que je ne t'ai jamais oubliée...J'ai pensé à toi si souvent ! Cette dictature...Il fallait qu'on se sépare pour résister chacun de notre côté. Je sais que pour les enfants, tu espérais que je me sauverais bien plus tôt. J'aurais pu le faire avant mais c'est juste que je voulais qu'on sache, je voulais crier qu'on se réveille, qu'on se révolte ! J'avais un rôle à jouer ! Un rôle différent du tien.

Elle ne parut pas convaincue.

-Ce que tu as fait m'a rendu admirative ; j'ai été jalouse aussi. Ils t'ont écouté encore et encore et tu as pris des risques énormes...Ah et cette voix...Quand ils t'entendaient, je comprends qu'ils aient eu envie de prendre les armes. Ta voix s'enflait, prenait des accents si profonds, devenait déchirante...Un grand comédien !  Tu les as galvanisés !

-Toi-aussi mais d'une autre façon !

-Moi ? C'est toi qui étais « grand ». Si tu savais combien j'en ai bavé avec ça ! Ces compliments sur toi et cette mansuétude feinte ou réelle...

-C'était une autre époque ; la dictature n'était pas établie. En tant que journaliste, j'avais du succès et j'ai été fat. Tu étais plus brillante que moi et bien plus engagée mais je t'ai mal comprise. Ce qui compte, c'est notre transformation. Tu as fait tout ce que tu as pu et moi-aussi. Ces prises de pouvoir, ces arrestations, ces meurtres gratuits...Je suis devenu un orateur. Il le fallait. Toi-aussi tu as parlé. On t'a cachée, on t'a fait sortir du pays. Tu as été courageuse.

-Mais...

Il eut un geste impérieux de la main car une serveuse approchait. Ils commandèrent un verre de vin. De nouveau, elle s'apaisa, sourit et rappela la serveuse pour avoir les menus. Elle fit ses choix très vite. Il fut plus long.

-Ah, tu as raison. Est-ce le moment de vider son sac, comme ça ! Dis-moi, cette prison...Mon Dieu, qu'est-ce qu'ils ont pu te faire ?

-Ce n'est pas si lointain et j'aurais du mal à être clair.

Elle tapa du poing sur la table.

-Ce qui est d'actualité c'est de te dire à quel point, mon cher mari, je suis heureuse de te voir ! Mais nous ne revivrons pas ensemble.

 

Elle était presque effrayante mais il ne recula pas, lui offrant un visage sincère.

-Le jeune homme de vingt ans qui est encore en moi t'aime toujours et en toi, la jeune fille a le même élan. J'étais plus volontaire dans l'amour que j'avais pour toi et tu te laissais regarder, tu aimais que je t'adule. Je ne vois rien à changer à cela.

Il était si limpide qu'elle tressaillit. Il avait raison.

-Je t'ai trompé…C'était souvent très bête car ton amour était très fort. Je me défendais de lui par moments et puis, je n'étais pas une belle femme et j'avais mauvais caractère.

Il lui sourit en guise de réponse.

-Tu as pris des maîtresses. Elles étaient voluptueuses, j'imagine...

-Oui et intéressantes aussi. Mais ne parlons pas de cela. C'était assez futile...

-Tu m'en as voulu des aventures féminines que j'ai eues. Pour un homme, c'est souvent vécu comme une offense, une atteinte à leur virilité...A vrai dire, je te provoquais, je dois bien l'avouer mais ensuite, j'ai compris qu'il y avait bien plus que cela. Avec les femmes, c'était plus simple et ça l'est toujours.

-Pas de guerre ?

-Moins. Pour te dire la vérité, je suis arrivée en Angleterre bien avant toi et j'ai une compagne. Nous nous entendons très bien et je l'aime. Nous vivons en Écosse.

-Bien.

Les plats étaient arrivés, ils mangèrent ; Paul commanda du vin.

-Tu as un travail ?

-Oui, elle s'occupe de chevaux, de très beaux chevaux et je travaille avec elle.

-Tu es philosophe de formation...Mais pourquoi pas...

12 mai 2024

Battles. Partie 2. Discussion houleuse avec Lisbeth.

 

Elle était mal à l'aise, culpabilisée et complexée par ses aveux puisqu'elle les adressait à celui qui était toujours son mari.

-Tu voudrais divorcer ? C'est ton projet, Lisbeth ?

-J'y pense, oui mais pas maintenant. Nous allons bientôt revoir Colin et Lisa, nos enfants. Il faut qu'ils nous sentent liés. Et puis, nos biens nous ont été confisqués en Ambranie et nos comptes bancaires bloqués. Juridiquement parlant, ce serait une mauvaise tactique que de divorcer.

-Eh bien ! Quelle femme de tête ! Lisbeth, je suis un romantique. Je crois que malgré tous nos différends et toutes nos tribulations, je ne me séparerai jamais vraiment de toi.

Elle sourit mais redevins vindicative :

-Beau compliment. Tu es un homme à femmes.

-Pendant toutes ces années, je n'ai fait que croiser des femmes. Certaines étaient très courageuses. Je vivais difficilement et j'ai très peu fait l'amour. La cavale, la prison et l’hôpital.

-Tu es en Angleterre et tu redeviens très séduisant. Les femmes, elles te regardaient tout le temps là-bas ; elles vont recommencer ici.

Il sourit. Elle n'avait pas tort.

-Mais, ce que je veux te dire est autre.

-Eh bien, dis-moi...

-J'ai toujours trouvé que tu plaçais très haut les amitiés masculines. Pour moi, tu es l'homme d'une amitié amoureuse avec un autre homme, voilà tout. Je l'ai pensé très tôt et maintenant que je te retrouve, je le pense de nouveau. Je ne dis pas que vous auriez des relations charnelles car elles te gêneraient mais le fait est.

Elle le vit froncer les sourcils et pâlir. Qu'est-ce qui le tourmentait ?

-Ah, tu penses à l’université, à certains de mes amis...

A vingt ans, il avait beaucoup souffert de la mort brutale de ses parents et l'amitié avait beaucoup de sens pour lui. Qu'il ait eu des attachements excessifs pour des camarades d'étude ou quelques professeurs présumait-il de son orientation future ? Mais de là à parler d'amour...

-Cette période est lointaine.

-Il y a eu tes années cavale et la prison.

Cette fois, il blêmit.

-Je t'interdis ! On m'a arrêté, on m'a fait une parodie de procès et on m'a envoyé à Étoile où j'ai été brutalisé, drogué, mentalement torturé ! On m'a trafiqué le cerveau ! J'ai signé des aveux ! Je me suis renié moi-même ! Tu n'as pas la moindre idée de ce que j'ai enduré quand on m'a libéré ! Neuf mois en Suède. Deux opérations. Et l'Angleterre...Ce n'est pas mon éventuelle ambiguïté sexuelle qui occupe mes journées crois-moi, c'est ce qu'on a tenté de faire : me vider de moi-même, m'apprendre à dénoncer, à punir...

Lisbeth se mit à pleurer silencieusement.

-Je suis si désolée.

Il s'adoucit :

-Tu t'es éloigné d'un mari volage puis prisonnier je ne sais où et tu as trouvé l'amour avec une femme ? Si tu es heureuse avec elle, pourquoi pas ! Mais laissons les souvenirs abrupts, les rancœurs, les souffrances mal digérées car on va devenir fous avec ça !

Elle s'apaisa.

-Je suis heureuse que tu sois vivant, Paul. J'espère que ta vie sera belle ici.

-Je ferai mon possible.

Ils parlèrent encore et commandèrent des desserts. Puis, ils sortirent dans la rue et se saluèrent. Comme il marchait d'un pas vif dans la rue, elle le héla et il se retourna pour la voir. Elle n'était pas belle, trop maigre, trop pâle et il la trouva mal habillée mais il fut content. Elle s'approcha :

-C'était peut-être comme ça quand on s'est aimés.

-Je le crois.

-Et puis, on a eu si peur ! Je t'ai cru mort.

-Moi aussi, j'ai pensé que tu avais disparu.

Ils s'étaient retrouvés. Ils s'étreignirent.

Dans les semaines qui suivirent, ils s'écrivirent.  Ils n'avaient plus le cœur à se réprimander et cherchaient à se rassurer l'un l'autre.

Paul resta encore chez ses hôtes. Il connaissait Londres et le Kent pour avoir fait des années auparavant des séjours en Angleterre pour ses études. Sillonner une capitale transformée, aller au spectacle avec eux, dîner dans des restaurants huppés étaient après tout très agréables comme évoquer les grands écrivains anglais qu'ils avaient lus au cours de leur vie. Quant à l'excursion à Oxford pour faire connaissance de Matthew, elle fut délicieuse. Mais Paul ne pouvait rester à charge d'hôtes aisés, si charmants fussent-ils...Il devait travailler. On lui fit signer un contrat pour une école de journalisme à Londres et il se mit aussitôt à préparer ses cours. Elle se situait à Kensington où on lui trouva un petit appartement à louer. Pour la première fois depuis des années, il allait vivre libre dans un espace certes réduit mais qui lui permettrait de vivre et de penser comme il l'entendait.

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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
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