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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.

4 décembre 2024

Battles. Partie 4. Emil, le frère loyal.

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Il trouva la trace d'Emil à Dannick où après avoir cessé ses fonctions d'officier d'armée de terre, il coulait une retraite tranquille. Plus âgé que Paul, il avait toujours eu un caractère rigide et une forme d'esprit qui avait dû plaire à l'armée. Avec l'arrivée de Dormann au pouvoir, il avait cessé de fréquenter Paul et Lisbeth car il ne partageait pas leurs idées. Pourtant, malgré ce long silence, quand ce frère renégat le contacta, il n'éluda pas. Il vivait dans une belle villa du quartier huppé de Dannick avec sa femme et menait une vie assez rigide. Quand il le revit, Paul fut frappé de se ressemblance physique avec son père. Emil était plus grand que celui-ci certes mais il avait le même front haut, les mêmes sourcils épais surmontant de grands yeux marrons et la même bouche mince. Sa voix aussi avait la même tonalité que celle du philosophe disparu...Vêtu d'un complet gris, installé dans un beau salon orné de meubles anciens et de belles gravures représentant des paysages exotiques, le général Barne posa sur son frère un regard hautain.

-Retour d'Angleterre...

-Oui. Le pays me manquait.

-On parle de toi dans les journaux. Remarque, on parlait déjà de toi...

Lena, l'épouse d'Emil, se tenait, cramoisie à côté de son époux. On avait servi du thé mais crispant ses mains l'une contre l'autre, elle ne touchait pas à sa tasse. Elle attendait que Paul fasse un esclandre mais celui-ci ne vint pas. Qu'y avait-il à faire contre les idées désuètes de cet homme d'extrême-droite ? Il n'était pas à pour le convaincre de ses erreurs mais pour évoquer le couple de leurs parents, la vie dans la villa patricienne de Marembourg et leurs jeux d'enfants. Il voulait en savoir plus aussi sur les enfants du couple...Quand le message fut clairement passé, Emil et Lena se détendirent. Oui, leurs trois garçons se portaient bien. Oui, ils étaient tous trois mariés et pères de famille. Deux d'entre eux étaient officiers, un autre était médecin militaire. Oui avoir ses enfants auprès de soi était un bonheur. Paul était disert, passant au-dessus du fait ni son frère ni sa belle-sœur n'avait aimé Lisbeth et qu'ils l'avaient désapprouvé de faire partir ses enfants à l'étranger. Rien ne fut dit sur la prison Étoile et encore moins sur les livres de Paul, mais des photos de famille furent échangées. Paul avait toujours regretté que la maison de leur enfance ait été vendue mais il y a avait quatre orphelins et des études à payer...Emil regrettait lui-aussi. La-dessus ils étaient d'accord mais sur tout le reste, ils divergeaient. Pour cette raison, Paul ne s'appesantit pas et prit congé quand il sentit se tarir les sujets de discussion neutres. Cette rencontre n'était pas négative cependant. Emil ne fermait pas la porte...

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4 décembre 2024

Battles. partie 4. Anton et Paul. Deux frères très opposés.

 

Il n'en alla pas de même avec Anton qui était le plus jeune des frères. Enfant, Paul avait beaucoup joué avec lui et plus tard, ils étaient liés malgré le décès brutal des parents et les familles dans lesquelles on les avait placés. Le petit garçon frondeur et malicieux que Paul avait aimé avait été remplacé par un fonctionnaire de l'état faible et borné qui s'était toujours contenté de faire son travail sans jamais se poser de question. Avec Dormann, il était monté en grade, occupant un poste important au ministère des transports. Rétrogradé non pour son travail mais pour sa fâcheuse propension à le délation, Anton qui chez lui rédigeait des lettres anonymes de dénonciation de suspects, avait obtempéré et fait face à sa situation nouvelle. Mince, anguleux, le teint pâle, la silhouette un peu tassée, il aimait l'ordre et la discipline et admirait les chefs d'état autoritaires. Arrestations, jugements hâtifs et emprisonnement de tout contrevenant à l'ordre public lui paraissaient les signes clairs d'un pays bien gouverné...

Au téléphone, il fut méfiant quand Paul l’appela et mit beaucoup de temps à accepter de rencontrer dans un bon restaurant ce frère honni. Quand Paul le vit, il eut un haut le corps. Ce petit personnage jaunâtre était révoltant.  Soucieux de ne pas le faire fuir par une confrontation brutale, il s'enquit de sa famille et parla de l'enfance. Anton ne dit rien de mal sur son père qu'il trouvait autoritaire et ferme mais fut condescendant face aux rêveries de sa mère. Sans l'avouer, il était jaloux de la belle trajectoire d'Emil, trouvait la conduite de Florian, leur frère défunt, parfaitement idiote et avoua à Paul que non content d'avoir plastronné comme journaliste, il avait imposé au reste de la famille le spectacle de ses relations anarchiques avec sa femme et celui plus pathétique encore de l'éducation libérale qu'il avait infligée à ses enfants. Et c'était sans parler de ses clowneries ! Le cirque de ses maîtresses, ses écrits arrogants dans la presse puis ses actes de résistance qui avaient de quoi soulever le cœur. Il ne devait pas s'attendre à une mise en cause de son jugement et de sa condamnation. Quand on est inconséquent, voilà à quoi on s'expose !

Moins grand que Paul, Anton était, et il avait dû en souffrir, le plus laid des quatre frères. Il n'avait pas la prestance physique des deux premiers qui, sans être beaux, avaient de l'allure en uniforme, ni le charme méditerranéen de Paul, son élégance vestimentaire et la rondeur de ses gestes. Disgracieux dès l'adolescence, il était devenu chauve, portait des lunettes à grosses montures noires et arborait un embonpoint gênant. En outre, même sa voix était déplaisante. Voyant que Paul le laissait parler sans mot dire, il crut avoir l'avantage et claironna :

-Tu t'attendais à quoi ?

-Mais à ce qu'on se parle !

-Normalement ? Tu sais quand même ce que tu as fait !

-Et ce que toi, tu as fait, on en parle ?  On t'a donné un document à signature et tu l'as signé, acceptant de me renier...Les temps ont changé. Tu n'es pas songeur ?

-Et ça se met en avant !

-Écoute, Anton ! Il y a longtemps qu'on m'a dit que tu étais un imbécile mais nous avons des liens de sang et une enfance commune. Ayant de bons souvenirs de toi, je n'ai pas cru ce que j'ai entendu. J'ai eu tort : c'est vrai.

Anton devint écarlate et faillit jeter son assiette à la tête de son frère mais il se contint par crainte du scandale. C'est qu'il avait les faveurs du nouveau régime !

-Merci Paul. Tu as autre chose à dire ?

-A Étoile, j'ai eu un instructeur chargé de me rééduquer. Quand je pense que ce genre de personnage s'appuient sur des gens comme toi...

Anton ne répondit rien. Son épouse Flavia l'attendait à la maison. Elle avait très mauvais caractère et il ne voulait pas être trop agité pour l'affronter. Quant à leur fille unique, elle était toujours à leur charge puisque mentalement déséquilibrée, elle séjournait chez eux...Il valait mieux écourter ce déjeuner et fausser compagnie à ce poseur. Comme il partait, Paul le retint par le bras :

-Ne me laisse pas l'addition ! C'était déjà assez pénible.

A contre cœur, Anton paya son écho.

-Je ne veux pas que tu me recontactes.

-Compte sur moi. Par contre ne t'avise pas de me critiquer publiquement. J'ai des appuis importants...

Ils se tournèrent le dos au sortir du restaurant. Paul ne souffrit pas spécialement de l'attitude de son frère. Il regretta simplement que Florian, l'autre officier de la famille, fût mort dans des circonstances douteuses. Autant qu'il s'en souvenait, c'était un guerrier doublé d'un esthète. Il était curieux de penser à ce que cela aurait pu donner...

Restait à Paul à se rendre à Marembourg, la ville de son enfance. Elle l'obsédait depuis quelques temps et il voyait un signe dans la récurrence de ses rêveries. Il avait eu la chance d'être élevé dans une maison pleine d'âmes et c’est dans cette belle petite agglomération qu'elle se trouvait. Quand il s'y rendit et la vit, il fut rempli d'émotions et pleura. Nul lieu ne pouvait ressembler à celui-là. Grâce à lui, il brillait...La brève visite qu'il y fit le conforta. Il avait de la chance en un sens : cette ville, cette maison, cette famille...Il était revenu dans son pays et c'était bien !

3 décembre 2024

Battles. Partie 4. Une mission colossale pour Paul.

 

 

Après son retour en Ambranie, Paul Kavan se voit chargé de hautes fonctions dans le gouvernement nouvellement formé. Soucieux d'effacer bien des injustices commises par la dictature qui s'est effondré, il ne cesse de travailler.

Un an passa et il y vit plus clair. Il avait remis en selle des écrivains, des auteurs de théâtre, des comédiens et des musiciens ainsi que des compositeurs. Remettre ses artistes sur le devant de la scène dans des espaces adéquats lui avait beaucoup demandé mais avec son équipe, il y était parvenu. On l'avait décoré avec faste et il en avait été fier. Depuis, il continuait de beaucoup faire et, bien que vivant seul et étant chaste, il était plein de lui-même.

-En aurais-je donc fini avec les fantômes du passé et leur aura menaçante ? Se disait-il en se remémorant sa période anglaise. On dirait bien que c'est le cas et je suis heureux !

Avec le recul, il en saisissait mal les tenants et les aboutissants de ce qui lui était arrivé mais ce que ressortait de ces sept années d'exil, c'était une délivrance. Le Mal sous la figure du bel Instructeur n'avait plus de prise solide sur lui.

Heureux, Paul l'était donc mais il n'était pas dupe. Il n'avait pas réglé tous ses comptes avec le passé et surtout avec la prison Étoile. Elle avait été vidée de ses prisonniers et attendait une reconversion. Comme elle n'était pas accessible au public, Paul avait écrit au chef de l'état pour obtenir une autorisation de visite. Il ne l’avait pas encore obtenue.

Il continuait de courir partout pour voir des spectacles et voir renaître les arts et de consulter les nouveaux dossiers qu'on lui fournissait quand un de ses collaborateurs lui parla de Magda Egorff et du travail exceptionnel qu'elle a fourni à Estralla pendant toute la période avait été cruelle pour les artistes.

-Egorff ? Une des plus illustres familles de l'Ambrany. J'ai entendu parler de Magda quand elle régnait sur les soirées les plus raffinées. Musique classique, chants...

-C'était il y a longtemps, Paul. Vous devriez la rencontrer. Elle est bien plus qu'une mondaine...

3 décembre 2024

Battles. Partie 4. Magda Egorff. Avant l'héroïsme.

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Bien avant que Paul n'ait eu l'idée de s'occuper de ceux que la dictature de Dormann avait condamné au silence et à l'inaction, puisqu'ils refusaient de collaborer, Magda, elle, avait réagi. Née dans une famille qui n'avait aucun souci d'argent, elle avait grandi dans un milieu très cultivé. Son père était un industriel béni des dieux et sa mère une passionnée de poésie. Ils tenaient salon et la petite fille avait très vite fait connaissance avec des sculpteurs, des peintres, des poètes et des écrivains qui n'étaient pas tous très connus mais avaient de la valeur. On parlait à n'en plus finir lors de ses soirées, on refaisait le monde et on ne s'arrêtait guère que pour écouter tel virtuose ou tel cantatrice qui tout d'un coup faisaient jaillir Mozart ou Chopin, Satie ou Bizet...Magda, des années après, restait ébloui du flair de ses parents car beaucoup de ceux qui avaient été reçus dans la maison familiale, avaient été très admirés, que leur succès soit prompt à venir ou qu'il soit différé. Jeune fille, elle avait bénéficié d'une éducation soignée mais dans laquelle on lui avait laissé toute liberté. Après avoir voulu être religieuse, ce qui n'avait attiré aucun commentaire désobligeant ni ricanement de la part de ses parents, elle avait voulu se tourner vers le chant et avait pris des cours avant d'intégrer le conservatoire où elle avait été formée par les meilleurs. Quelques années durant, elle avait donné des concerts et on avait loué sa voix de soprano. A cause de ses possibilités vocales et d'une présence scénique très figée, elle avait vite rencontré ses limites. Elle ne serait pas une grande cantatrice. Beaucoup l'auraient très mal pris, elle non.  Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elle s'était lancée dans des voyages lointains d'où elle avait tiré des recueils de poèmes un peu sibyllins ainsi que des contes et des carnets de voyage. Magda, qui n'avait aucune prétention littéraire, usait d'un style dépouillé plein d'accents poétiques et avait su trouver son public. Elle aurait donc pu exploiter le filon de l'orientalisme puisque ce qu'elle disait de la Chine ou du Japon plaisait beaucoup ou encore enrichir ses lecteurs d'autres contes car ceux qu'elle avait écrits étaient très singuliers, mais tous ses projets étaient restés en suspens quand son père, qui avait un cœur affaibli, avait décidé de se retirer prématurément en Suisse. Fille unique et héritière, Magda était jolie et courtisée. Elle ne s'était pas fiancée mais le fit, pour pallier sans doute au départ de ses parents. Deux ans plus tard, ayant toujours refusé de se diriger vers le mariage, elle se retrouva seule et en fut réjouie. Elle avait trente ans. Elle se sentait vaillante mais vacilla encore et eut un fils d'un homme qui n'était pas son mari mais souhaitait l'être. Prise dans des histoires d'argent qui lui montrait du père de son enfant un visage bien hostile, elle tergiversa afin qu'il pût les voir l'un et l'autre. Au final, il le lui laissa.

3 décembre 2024

Battles. Partie 4. Paul en visite au château d'Estralla.

 

-Il faut venir les voir.

-Au château d'Estrella ?

-Oui, je vous y accueillerai avec bonheur ! Il vous suffirait d'y arriver un vendredi après-midi et d'en repartir le dimanche assez tard...

Paul ne put s'empêcher de rire.

-Madame Egorff, dans les six mois à venir, mon agenda est plein. Je continue même de travailler chez moi le samedi et le dimanche !

-Ils méritent que vous veniez ! C'est important.

Elle argumenta encore et au sortir de leur entretien, il n'était plus si catégorique. Que se passait-il donc là-bas qui méritait qu'il y aille ? Car il n'en doutait plus, il irait...

C'était encore l'hiver quand il l'appela pour fixer une date. Il monta dans une voiture avec chauffeur, accompagné d'un garde du corps. Un premier rendez-vous était fixé sur une zone de chantier où Magda faisait ériger une nouvelle demeure. Personne ne s'y trouvait. Celle qu'il devait rencontrer étant injoignable, Paul, après avoir attendu, reprit sa route. Bientôt, la voiture noire roula dans un froid minéral traversé par un soleil qui annonçait le printemps. On sortait de l'hiver ambranien, saison où tout semble se paralyser. Rien de semblable en Angleterre où il n'arrive jamais qu'on soit à ce point contraints de déblayer la neige...A l'entrée du château, de hautes grilles s'ouvrirent et Paul pensa à ces contes pleins de sortilèges qu'avait écrits Magda des années auparavant. Il fut charmé par la façade du château. Une folie dix-huitième si gracieuse avec ses pierres bicolores ! Il s'attendait à être accueillie par la maîtresse des lieux mais une femme de chambre prit son sac de voyage et l'installa à l'étage dans une chambre somptueuse, tendue de bleu pâle. Quel roi était-il ?

Surprise, la gouvernante des lieux regarda tour à tour le garde du corps, le chauffeur et cet homme important qui arrivait là et s'écria :

-Madame est sortie. Elle ne devrait pas en avoir pour longtemps...

-Mais...

-Elle va vite revenir.

-En ce cas, je préfère attendre en bas.

On guida chauffeur et garde du corps vers les cuisines. Paul demanda du thé qu'on lui apporta très chaud avec des pâtisseries qui lui rappelèrent celles que sa mère lui offrait quand il était tout jeune, à Marembourg. Comme personne ne venait, il regagna sa chambre. Elle était chaude et confortable. Ragaillardi, il voulut redescendre au ré de chaussée car il lui semblait y entendre la voix de son hôtesse mais une fois sorti de sa chambre, il trouva le couloir ombreux plein de mystères et eut envie de le parcourir. Les portes avaient beau être fermées, on vivait là bien qu'il n'entendît aucun bruit. Parvenu au bout du corridor, Paul constata qu'à l'encontre des autres, un appartement était visible. La porte en était ouverte et il découvrit un grand salon tendu de jaune. Derrière un canapé, une porte s'ouvrait sur une pièce tendue de blanc et nantie d'un piano à queue. Des partitions étaient posées çà et là sur des commodes et des consoles en bois précieux, de grande valeur. Il y avait une chambre aussi, précieusement meublée et dans un ordre relatif. Un lit à baldaquin en occupait une partie et un lustre en cristal pendant au plafond. Tout y était exquis des miroirs ciselés aux tableaux de maîtres...N'entendant personne, Paul s'y attarda, curieux de savoir qui pouvait y vivre puis il entendit du bruit dans la salle de bain. Il aurait pu faire machine arrière mais sa curiosité fut la plus forte.

 

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3 décembre 2024

Battles. Partie 4. Portrait de Magda Egorff.

 

 

 

A la quarantaine, elle eut l'intuition qu'elle n'avait pas fait ce qu'il fallait pour être en paix avec elle-même ou plutôt pas encore. Sur ce, Jorge Dormann prit les rênes du pouvoir. Magda qui continuait de mener grand train et de recevoir des artistes dont elle était à même de mesurer la valeur, prit lentement mais sûrement la mesure du changement. On interdisait à ceux qu'elle estimait et admirait de se produire, de créer et on leur rendait la vie impossible. Elle tenta d'abord de leur passer commande et connaissant sa richesse, on la laissa faire. Elle en hébergea certains, ce qui fit hausser les sourcils sans lui attirer d'ennui puis elle tenta d'aller plaider leur cause au ministère de la culture où elle pensait avoir quelques appuis. Elle n'en avait pas et on lui montra les dents. Passer commande à des dégénérés ennemis du pouvoir ? Ce n'était pas sérieux. En guise d'honneurs, ils auraient droit à la prison pour les plus récalcitrants et à la résidence surveillée pour les moins belliqueux. Et encore ne fallait-il pas qu'on ait témoigné contre eux...Déviance politique et sexuelle n'allait-il pas de pair ? Cette Magda comprit. Elle plia bagage et alla, à Estralla, réanimer de sa présence un petit château de dix-huitième siècle que son père avait un temps adoré. Et là, elle trouva quoi faire, créant une sorte de communauté d'artistes qui étaient tous là non pour composer, peindre, chanter ou sculpter mais pour jardiner, aménager, cultiver, récolter...Ne valait-il pas mieux se transformer en artisan ou ouvrier agricole quitte à créer dans le secret ? Persuasive sans être autoritaire, terre à terre et clairvoyante, Magda se révéla une châtelaine avisée suffisamment rouée pour protéger une trentaine de personnes qui dépendaient d'elle et suffisamment ferme pour que chacun travaillât. Ce fut elle et elle seule qui réussit à faire traverser à tout ce monde-là les années Dormann alors que partout ailleurs, les artistes étaient malmenés...Maintenant que le calme était revenu, elle refusait de quitter le château d'Estralla où elle avait institué des résidences d'artistes. Elle n'imaginait pas vivre ailleurs.

Paul, puisque on l'y invitait avec insistance, la rencontra. Elle vint au centre culturel et il fut impressionné par son allure. En tailleur bordeaux, très couture, elle portait un manteau sombre et un chapeau cloche qui embellissait son visage de patricienne.

-J'ai eu connaissance de votre initiative, madame. Vous avez été très courageuse...

-Que voulez-vous, monsieur Kavan, vous battiez la campagne, échappant sans cesse à vos poursuivants et nous livrant ses magnifiques appels au courage ! On traitait certains artistes très mal ! Il fallait bien réagir. On ne s'est pas méfié de moi : une femme, pensez-donc !

Paul sourit. Elle utilisait une langue soignée et elle était belle. Avant de la recevoir, il avait lu une communication d'un de ses collaborateurs. Ils savaient qui elle avait aidé et quelle couverture elle leur avait fourni...

-Et vous en avez fait des électriciens, des peintres, des carreleurs, des cuisiniers...

-Il fallait qu'ils aient un travail de ce type. J'ai créé une sorte de coopérative, de ...phalanstère...On mettait tout en commun. Il y a des fermes sur le domaine. Nous sommes arrivés à une forme d'autarcie...

-Oui, c'est très étonnant !

Elle était d'une absolue humilité et ne tirait aucun orgueil de sa bravoure.

-Vous savez, ce n'est pas pour eux que je viens. Ceux qui sont restés longtemps là-bas avec moi cherchent à se réinsérer dans une vie artistique qui leur est profitable. Et là, c'est votre rayon...Ce qui m'occupe c'est l'institut de jeunes talents que je mets en place.

-De quoi s'agit-il ?

-De jeunes artistes dont les parents ont été persécutés ou ont disparu...

-Mais s'ils se produisent déjà, nous avons déjà dû les aider...

-Non ! Oh pardonnez-moi, je ne sais pas m'expliquer. Ils ont été très malmenés, ils sont jeunes...Ils n'entrent pas dans les cadres que vous avez définis et je...

-Poursuivez.

 

 

3 décembre 2024

Battles. Partie 4. Un étonnant accueil au château d'Estralla.

 

-Il y a quelqu'un ?

-Oui !

-Je ne vois personne.

-Tu t'es décidé ! Tu es venu ! Je me lave. Viens.

C'était une jeune voix masculine, pleine d'enthousiasme. Paul profita de ce que la porte de la salle de bain était ouverte pour s'avancer. Il resta suffoqué devant ce qu'il vit. Un jeune homme nu, qui sortait de son bain, lui tournait le dos et s'essuyait les cheveux avec un beau drap de bain blanc et or.

-Tu m'as fait attendre mais tu as vaincu ta peur, c'est bien !

A qui croyait-il parler ? Pas à Paul en tout cas, qui se retint de répondre.

-Alors ? Tu ne dis rien.

Paul resta silencieux. Comme attendu, le jeune homme se retourna et resta stupéfait, ce qui le fit se couvrir maladroitement.

-Vous n'êtes pas Archad !

Paul ne put s'empêcher de sourire.

-Non, en effet.

Il ne put en dire plus car il était saisi. Le jeune homme était aussi blond que l'Instructeur et il avait les yeux du même bleu mais il était sa contrepartie humaine et triste.

-Vous êtes qui ? Pourquoi êtes-vous entré ?

-Paul. Paul Kavan.

-Quoi ! Paul Kavan ! Ah non, ce n'est pas vrai ! Elle va me tuer.

De nouveau, Paul sourit. Le jeune homme s'était de nouveau retranché dans la salle de bain d'où il ressortit en trombe, habillé à la va-vite.

-Donc vous êtes...Mais...

-Je ne devrais pas être là, c'est ce que vous sous-entendez ? En effet, oui. Je ne sais pas où est madame Egorff car je ne l'ai pas trouvée au point de rendez-vous. On m'a installé à l'étage et je voulais redescendre pour l'attendre mais j'ai vu la porte de cet appartement ouverte. Je voulais obtenir un peu d'aide !

Le jeune homme parut encore plus confus et gêné.

-Oh là la ! Oh là la non !

Il s'assit et enfila des chaussettes et des chaussures. Puis, il lissa ses cheveux en arrière.

-Vous deviez arriver plus tard. Un quiproquo : vous êtes là et elle est à la gare ! Ça n'arrange pas mes affaires.

-J'ai compromis une rencontre...Une jolie employée ?

Le jeune homme, qui paraissait ennuyé, redevint espiègle.

-Il y a beaucoup de travaux dans le parc. Archad est maçon !

Cette fois, Paul se mit à rire.

-Ah !

-Je pensais vraiment qu'il viendrait ! Il a dû hésiter. Il est peut-être intimidé ou alors, ça n'est pas sérieux pour lui.

-Je ne sais pas.

-Non, c'est clair, ça ne l'intéresse pas. Alors, c'est vous Paul Kazan !

-Oui.

-Ah ! Elle vous a présenté comme Jupiter ! Vous êtes moins imposant, et moins beau qu'un dieu de l'Olympe mais quand même. Vous n'êtes pas mal, pas mal du tout même !

L'inconnu était étonnamment touchant. Paul sourit puis se sentit oppressé. Ce corps fin mais musclé et ferme, cette blondeur, cette allure presque aristocratique et cette tristesse secrète...

-Dites, ça va ?

-Oui...

-Non, vous êtes très pâle ! Je parle trop. Ce que j'ai dit sur votre physique...

-Non, il n'y a pas de mal.

Mais Paul vacillait et le jeune homme dut se précipiter pour l'aider à s’asseoir.

-Eh, dites, vous avez un malaise, là...

Paul se reprit aussi vite qu'il put et tenta de se reprendre.

-Je travaille énormément et ce voyage...

Le jeune homme s'écarta et revint avec un verre d'eau. Comme il se penchait exagérément vers lui, Paul eut un haut le corps.

-Écartez -vous un peu.

-Pardon. Je retire l'allusion que j'ai faite à votre physique. Je suis navré, vraiment.

Il s'était accroupi et regardait Paul. Il n'y avait rien de dur chez ce jeune homme qui le regardait avec sollicitude. Les similitudes physiques avec l'instructeur ne pesaient pas quand on s'apercevait qu'il s'agissait d'un enfant au ton mutin et au regard mélancolique.

-Merci pour le verre d'eau. Alors, vous attendiez ...

-Un beau maçon. Ça correspond à mes goûts.

-Ça ne pourrait correspondre aux miens. Je suis plutôt un homme à femmes.

3 décembre 2024

Battles. Partie 4. Un jeune homme fantasque dans un château.

 

 

L'inconnu s'était relevé. Assis sur un fauteuil, il observait Paul et lui sourit.

-Et maintenant, comment vous sentez-vous ?

-Je me suis repris.

-Je vois cela. Votre visage paraît plus serein.

Sa façon de faire était charmante. Paul sourit à son tour.

-Au fait, qui êtes-vous ?

-Je m'appelle Esmed Keretz. Je suis un des pensionnaires de madame Egorff. J'ai fait le conservatoire. Je suis pianiste.

-Bien, c'est bien...

-En réalité, vous auriez dû faire ma connaissance dans l'après-midi. Je ne devrais pas me trouver là mais il y avait cette tentation...

Paul sourit.

-Vous aurez une autre opportunité.

-Ce n'est pas le sujet.

-Quel est-il, alors ?

-Magda, je veux dire madame Ergoff ne plaisante pas. Les présentations ne sont pas pour maintenant. Alors, je vais remettre de l'ordre et filer par l'escalier de service.

-Vraiment ?

-Vous ne m'avez pas rencontré. Hein, vous vous souviendrez ?

Ils s'étaient approchés l'un de l'autre.

Il n'a pas les mêmes traits, pas exactement, pensa Paul. Mais le front est haut, les yeux sont bleus et la chevelure a la même implantation. Par contre la bouche est différente, la carnation aussi. Ce n'est pas lui. Ce ne sera plus jamais lui.

-Oui, c'est entendu. Je suis monté me reposer et c'était tranquille.

-Vous pouvez descendre l'attendre. C'est plus simple pour moi ?

-Bien sûr, j'y vais.

Cette fois, le jeune homme riait.

-Important : je n'étais pas là.

-Bien sûr que non.

Paul adressa au jeune homme un sourire amusé mais celui-ci devint grave.

-Donc, à plus tard, monsieur Kavan.

-En effet, monsieur Keretz.

Paul regagna le ré de chaussée où il attendit en lisant. Dix minutes après, Magda Egorff arriva, agacée.

-Ce n'est pas possible, pas possible !

Soudain, en entrant dans le salon, elle vit Paul.

-Je suis incroyablement navrée !

-Ne le soyez pas.

-Quand je suis à Estralla, je ne sais où donner de la tête. J'ai donné des consignes contradictoires ! Je vous ai fait attendre, suis arrivée en retard sur les lieux de notre rendez-vous, mon téléphone ne fonctionnait pas ! Vraiment !

-Rien de grave ! Je suis arrivée à bon port.

Il était charmé par elle, si altière, si grande dame. Elle venait de quitter un très beau manteau de demi saison, brun avec des parements violets et elle portait une robe prune et des bijoux en or.

-On vous a servi du thé au moins ?

-Bien sûr.

-Et vous n'avez rencontré personne mis à part la personne qui vous a accueilli ?

-Non.

-Parfait.

Ils devisaient quand elle s'avisa d'aller chercher la servante qui ne répondait pas à son appel. Malheureusement pour lui, le jeune homme n'avait pu emprunter l'escalier de service dont la porte d’accès était fermée à clé. Pensant qu'il pourrait se faufiler tandis que Paul et elle discutaient, il tentait sa chance dans l'escalier principal. Mais elle le surprit en quittant le salon plus vite que prévu. Paul était sur ses talons et il la vit s'emporter.

-Non mais quel est ce prodige ! Esmed, que faites-vous là ?

-Madame, j'avais oublié une partition...

-Une partition ! Tout ce que vous devez interpréter tout à l'heure est déjà en votre possession. C’est une fable, une de plus !

-Debussy. Je voulais faire un échange. Regardez...

Il avait une partition en main.

-Vous mentez mieux d'habitude. Vous étiez dans l'appartement du haut, celui où vous logez quand je le décide ?

-Je...Oui.

-Vous n'aviez rien à y faire ?

-Non, madame.

-Vraiment rien, j'espère. Vous me suivez ?

-Parfaitement, madame.

Magda soupira et Esmed se mordit les lèvres. Il y aurait un règlement de compte.

-Avez-vous rencontré monsieur Kavan ?

-Non.

-Esmed, je vous le présente.

Le jeune homme salua poliment et garda les yeux baissés. Paul s'amusait beaucoup.

-Il y a bien des contes en Ambrany et cet Esmed pourrait figurer dans l'un d'eux. Je suis là, je ne suis pas là. J'apparais, je disparais. Et surtout, je ne suis pas là où je devrais être... Mais bref, vous montrerez tout à l'heure un autre aspect de vous-même à monsieur Kavan.

-C'est certain, madame.

-Filez !

Il partit sans se retourner et Paul, pourtant, aurait voulu qu'il le fasse, ne serait-ce que pour revoir ce sourire tantôt espiègle, tantôt triste.

 

3 décembre 2024

Battles. Partie 4. Paul et l'œuvre de Magda.

 

 

 

2. Au château d'Estralla.

Loin de la capitale, Magda Egorff a su, alors que la dictature battait son plein, créer un lieu de refuge et de formation pour de jeunes artistes. Chargé de la rencontrer, Paul, qui a désormais de hautes fonctions dans le nouveau régime qui s'est mis en place, s'étonne.

Elle lui fit visiter le château sans qu'ils y rencontrent quiconque. On y logeait modérément mais on y travaillait beaucoup.

-Nous serons quinze à table ce soir. Il est de rigueur de bien se vêtir.

-J'ai ce qu'il faut.

Elle le laissa un moment et passa donner des ordres en cuisine. Paul pensa qu'il se retrouverait nez à nez avec ce surprenant jeune homme qui l'avait renvoyé à la blondeur de l'instructeur mais au dîner, il n'était pas là. Magda lui présenta non les pensionnaires, qui logeaient dans des bâtiments annexes mais ceux qui les encadraient dans le domaine artistique et sur d'autres plans aussi. A priori, il y avait là des blessés de la vie qu'il fallait encadrer. Leur sens artistique et leur talent étaient vifs.

Au soir, il s'allongea en sachant que le sommeil le prendrait vite. En fait, il n'en fut rien. Il pensa à cet Esmed jeune et blessé et il pensa à ceux et celles que Magda avait recueillis.

 

 

3 décembre 2024

Battles. Partie 4. Château d'Estralla. Rencontrer les artistes que protège madame Egorff.

 

-Merci. Vous ne voulez pas que j'entre...

-Ah si, bien sûr.

Paul s'effaça.

-Je sais pourquoi vous êtes venu. Quand Magda se met en quête de quelque chose ou de quelqu'un, on sait que ça va être du solide. Vous nous aiderez.

-Oui. Vous êtes tous dignes de faire carrière.

Le jeune pianiste tournait dans la pièce, regardant les tableaux accrochés aux murs.

-Merci. Vous ne lui avez rien dit ! Vous auriez pu. Ça peut vous choquer. Je regrette qu'il ne soit pas montré. Je voulais faire l'amour avec lui.

-J'avais compris.

-C'est frustrant ici, on est jeunes et ce n'est pas facile.

-Vous faites ce genre de confidences à un vieux satire inconséquent ?

Esmed eut un rire frais.

-Vous vous voyez comme ça ?

-Je suis un homme marié qui a toujours eu beaucoup de faiblesses pour les femmes et plus j'ai avancé en âge, plus j'ai aimé qu'elles soient adroites...

-Je ne vous connais pas mais quand je vous regarde, je ne vois pas la personne que vous décrivez. Il faut ne pas avoir de scrupules pour séduire ainsi, vous, vous en avez.

Paul qui s'était assis, ne dit rien, laissant le jeune homme poursuivre.

-Vous avez réussi à revenir en Ambrany...Vous devez en être heureux. Vous avez un destin qui a pris forme. Moi, le mien est en germe et la seule chose qui m'intéresse pour le moment c'est de savoir comment je vais m'y prendre pour qu'Archad cède.

C'était une plaisanterie. Amusé, Paul poursuivit :

-Cet Archad là ou un autre ?

-Oui, ça risque. Du moment qu'il est jeune...

-Oh moi, ma jeunesse est partie...

-Mais pas l'envie de faire l'amour ?

-Mais enfin, c'est une question très personnelle !

-Quoi ? Cette envie vous habite toujours, n'est-ce pas ? Vous devez beaucoup plaire ici. Toutes ces femmes...L'embarras du choix.

Paul ne répondit pas et montra un visage grave. Esmed l'observa puis reprit :

-Trop de choix ?

-Je n'ai pas vraiment le temps et pas non plus envie. Je reprends mes marques ici.

-Bien sûr, ça a dû être dur...

-Vous êtes si jeune...Rien à quoi je puisse vous mêler.

-Je pense le contraire.

-Esmed, pensez comme vous voulez. Vous serez au dîner ?

-Le dîner ? Les pensionnaires n'y vont pas, elle a dû vous le dire.

-Ah oui, c'est vrai.

Sentant Paul désireux d'être seul, il le quitta, lui offrant soudain un beau visage exalté.

-Au revoir monsieur Kavan. N'ayez pas peur pour moi.

C'était adroit.

-Je n'ai pas peur pour vous, Esmed.

-Alors, vous avez peur de moi.

-Non plus. Ne soyez pas inquiet.  A demain.

-Qui sait ce que j'aurais inventé ?

Le ton était rieur mais le regard sagace. Quelque chose en lui déstabilisait cet homme solide mais il ne savait pas quoi.

 

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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
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