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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
29 mai 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES. Partie 1. Ruth et Thomas, le futur mari.

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3. Créer Ruth Sheridan. Pour enchanter Phillip Hammer, à qui elle donne des cours de français, Isée invente le personnage d'une jeune fille bien née, qui, à Boston, au 18° siècle, écrit à son fiancée...

Ajouter çà et là aux fragments qu’il m’envoyait des descriptions ou de brefs dialogues ne me posa pas grand problème. J’avais de toute façon la tête un peu ailleurs. Mars arrivait et avec lui, un changement de semestre. Une classe partait et une autre se constituait. Quitter des étudiants avec lesquels j’avais six mois durant noué des liens divers me coûtait toujours beaucoup mais j'allais en rencontrer d'autres et de nouveaux rapports se noueraient !

Cette fois-ci, je m’étais décidée pour un niveau intermédiaire. J’aurais donc en charge un niveau comprenant une quinzaine d’étudiants beaucoup plus démunis en français que ne l’étaient ceux que je quittais. Cela m'ennuya d'abord puis je vis les avantages d'un tel choix. J'avais déjà un bon bagage les concernant. A Ruth, Thomas et William, il me serait loisible de consacrer beaucoup de temps et ainsi, je contenterai Phillip !

Je me concentrai donc tout d’abord sur les lettres que la toute jeune Ruth avait écrites à son futur mari. Le puritanisme de la jeune fille y était certes perceptible mais elle montrait en même temps une nature joyeuse et spontanée.

Un de ses premiers messages disait en substance :

-«Mon cher Tomas, je me suis entretenue avec maman pour savoir quel tour donner à ma lettre et j’espère que rien dans celle-ci ne vous choquera. Voyez-vous, je suis née dans le quartier de Fenway et j’y vis toujours. J’adore la grande maison familiale où nous vivons et il n’est rien de tel pour moi que de voir papa s’enfermer dans son bureau pour préparer ses sermons. Vous ne pouvez imaginer quelle joie cela me donne ! Il a l’air si modeste quand tout est prêt. Je pense qu’il cache sa fierté ! Je sais que vous vivez depuis un certain temps dans le quartier de Beacon Hill. Je suis déjà allée dans votre quartier pour des promenades familiales et je l’ai beaucoup aimé. La famille est le lieu de toutes les naissances et de tous les succès. On me l’a beaucoup répété et mes frères, qui font de bonnes études, ont eux-aussi reçu ce message. Ils croient dur comme fer que la vie est souveraine et que Dieu nous aime et nous aide. J’ai parlé de mes fiançailles avec vous avec maman. Elle dit que je ne dois pas être trop impétueuse quand je vous écris ou simplement quand je parle de vous. Mais il y a un lutin en moi et il veut toujours rire ! C’est pourquoi, vous devez me contrer si je passe les bornes ! Je sais que vous êtes un homme patient et très éduqué. Vous saurez trouver les mots qui m’apaisent…Je veux que vous sachiez tout de moi. Mes parents m’ont donné une bonne éducation et m’ont préparé au mariage. Je peux être une jeune fille sage et parler de ce que j’ai vu et lu mais en même temps j’aime tant rire et chanter. Oui, j’aime chanter c’est pourquoi j’ai pris des cours à la maison. Oh, rassurez-vous, en société, je ne pousse pas la chansonnette facile. Maman ne le permet pas. Vous n’aurez jamais honte de moi car j’ai un petit répertoire tout plein de choses très sages. Mais moi, je suis gaie comme un pinson. Quand je vais à la cuisine et que nos deux servantes chantent et bien je les écoute d’abord et bientôt nous sommes trois ! Que voulez-vous, ces airs sont jolis et j’aime à les interpréter. Mais je m’arrête là car maman va me morigéner et vous, peut-être, ne trouverez pas mes côtés fantaisistes à votre goût ; Ce que je sens de vous, c’est que vous me conseillerez toujours avec douceur et bienveillance. Soyez-sûr que je suivrai vos conseils… »

 

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29 mai 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES. Partie 1.Ruth, je l'adorais...

 

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A Boston, au 18°siècle, Ruth, jeune fille de la bonne société va se marier. Isée invente ce personnage impétueux pour plaire à Phillip Hammer, qui aime les histoires...

J’imagine que le futur époux de Ruth fut ravi par tant de candeur. Cette jeune fille portait, selon lui, un prénom prophétique : en hébreu, en effet, Ruth signifie « compagne ». Elle semblait d’emblée lui accorder une telle confiance qu’il eut l’intuition qu’elle serait sienne, vraiment sienne, donnant alors toute sa signification à ce prénom dont il ne savait si ses parents l’avaient choisi à dessein. La confiance et la fidélité inondaient de toute façon cette famille. Quand il vit à quel point étaient solides les mariages des frères de son épouse, il fut convaincu que le sien aurait des bases très solides.

J’inventai une seconde missive de Ruth. Elle s’adressait de nouveau à son mari mais cette fois, elle avait pris de l’âge et avait été mère plusieurs fois.

« Mon cher époux, vous m’honorez vraiment de votre confiance en me livrant vos pensées. Vous êtes négociant et je sais combien votre profession est devenue difficile depuis que nos maîtres anglais font preuve d’une autorité que vous jugez, très à propos, déplacée. Il ne s’agit pas tant de faire des affaires (et Dieu sait à quel point pour ce qui concerne le bois, la farine et la viande, vous n’avez pas votre pareil), il s’agit de travailler de manière gratifiante. Entre ces taxes, ce discret mépris et ces ordres qui s’enchaînent, voilà qui est difficile ! Dieu est votre guide et je ne doute en aucun cas de sa probité. Il saura vous faire trouver l’attitude la plus juste mais aussi la plus ferme vis-à-vis des Britanniques qui traitent avec tant de légèreté les hommes d’affaires bostoniens ! Quant à moi, vous savez que je vous accorde depuis longtemps déjà tout mon soutien. N’hésitez pas à le solliciter si la fatigue et la lassitude parviennent à attaquer votre solidité et votre bon sens. Ruth est votre alliée quoi qu’il en soit.»

Pour tout dire, Ruth, je l’adorais. Comme dans sa jeunesse, elle brûlait de dire vraiment ce qu’elle pensait mais elle se mordait la langue. Ce n’était plus en elle le lutin qui voulait montrer toute sa drôlerie mais la femme avisée qui se souvenait des sermons de son père sur l’honnêteté et la droiture. Elle ne pouvait se permettre de dire à son mari de ne jamais manquer de fermeté, alors elle prenait d’autres biais. J’imagine qu’à son insu, elle lisait les gazettes qu’il avait abandonnées dans son bureau et qu’elle était bien plus au fait des contraintes imposées à Boston par l’Angleterre qu’il ne le supposait. De plus, lors des dîners qu’elle organisait pour lui avec la bonne société de la ville, elle était aux aguets. Elle ne perdait pas une des paroles des hommes concernant la stupide et provocante intransigeance de la couronne britannique, tout en gardant son air mondain. Cette oppression et cette colère montante des commerçants américains, elle l’avait comprise et elle était contente quand elle sentait chez eux un désir de vengeance. Bien sûr, elle ne disait rien et faisait mine de ne pas s’intéresser à ce qui lui parvenait de ces débats. Mais au moment où, après le dîner, les hommes se retrouvaient entre eux et qu’elle rejoignait les femmes, elle bouillait intérieurement. Il était clair qu’un conditionnement moins fort et une époque différente auraient eu raison de sa réserve en lui faisant afficher avec force ses convictions. En 1770, il lui était impossible de les clamer, aussi utilisait-elle des biais adroits qui lui permettaient de rester informée. Le très à cheval sur les principes Thomas Sheridan n’était pas vraiment dupe. Il aimait avoir une femme instruite qui n’en pensait pas moins mais savait rester à sa place. Aussi appréciait-il les messages cachés qu’elle lui envoyait dans des lettres parfois très factuelles…

Je ne vais pas m’étendre sur l’ensemble des missives que je lui fis écrire mais je voudrais tout de même en citer deux autres, adressées celles-là à monsieur William Beckford. Je ne les citerai bien sûr que partiellement. Dans la première, elle s’adressait à l’associé de son mari en termes polis, suite sans doute, à une invitation à dîner qu’il avait acceptée. Un lecteur extérieur n’aurait rien remarqué mais à l’évidence, madame Sheridan se laissait aller. Son interlocuteur avait dû dès le départ lui inspirer des sentiments extrêmes sur lesquels elle n’arrivait pas à mettre un nom. Et pour cause ! Elle avait un coup de foudre mais ne savait le nommer. Que pouvait-elle en ce domaine elle qui ne connaissait que l’amour de Dieu inculqué par son père ou la vénération qu’elle portait à son mari ! A moins que ce même lutin qui s’agitait en elle ne l’ait induite en erreur en édulcorant sa passion naissante. Bah, après tout, cet homme était désormais l’associé de son époux et elle devait reconnaître que tout étant aussi efficace que le précédent (tant pis pour lui s’il avait voulu faire cavalier seul), il était autrement alerte et séduisant ! Qu’y avait-il de mal à regarder un bel homme lors d’un dîner et à le remercier d’y avoir assisté ?

«Je tiens tout d’abord à vous remercier de nous avoir rejoint il y a trois jours au 115 Beacon Hill. Notre maison vous a plu et je m’en réjouis. Mon mari m’avait parlé de vous avec enthousiasme et j’avoue qu’après avoir fait votre connaissance, je partage celui-ci. Vous me permettrez de m’exprimer de façon franche et sincère. Je ne suis qu’une femme mais j’ai la confiance (encore ce mot !) de mon mari et je l’écoute avec une oreille attentive. Il est furieux des ingérences anglaises et j’ai aimé que vous le soyez tout autant. Colonies et terre nourricière ont des accords et, connaissant l’origine du peuplement de ces treize états américains, il n’est pas recevable que la couronne anglaise soit si récalcitrante à reconnaître la valeur de ses colons. Eh quoi ! Ni New York, ni Philadelphie ni Boston n’ont ni à rougir de leur prospérité ni à supporter que celle-ci soit entachée. Je me réjouis que de votre association avec mon mari. Votre naturel est bon. Quant à votre fougue, elle m’a fait grand bien ! Un gentleman si en colère ! Ah Dieu, c’était un bonheur ! Je vous prie de conserver votre fougue lors du prochain dîner auquel nous vous convierons. »

 

29 mai 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES. Partie 1. Le combat intérieur de Ruth.

HOLLOW MEN

Ruth Sheridan est un personnage de femme américaine inventée par Isée pour son commanditaire, Phillip Hammer...

«Il y a des moments où je ne suis pas là. Mes enfants sont grands. Mais vous venez ainsi, à l’improviste et en l’absence de mon mari, vous me trouvez ! Quelle défaite êtes-vous venu contempler dans ma demeure…Comprenez-moi, William, comprenez-moi ! J’ai du mal à croire que vous ayez pu ainsi forcer ma porte !»

C’était joliment dit et il aurait dû comprendre s’il avait sa finesse et son goût du renoncement. Il ne les avait pas et j’imaginai qu’elle avait dû l’arrêter.

L’Amour est tout mais ne nous égarons pas dans les priorités. Ce dont nous avons le plus besoin est l’amour divin, et sur cette terre, il nous est donné de le connaître par bien des biais. Je suis si navrée de me tromper avec vous. Comment cela pourrait-il être ? Ma vie a ses attributions comme la vôtre a les siennes. Que pourrions-nous donc faire ? »

Ils avaient continué ainsi à se débattre puis la guerre était venue. Beckord en avait enthousiasmé. Ni Sheridan ni lui n’avaient plus l’âge d’être jeunes soldats mais ils croyaient durs comme fer à l’indépendance. Pris dans la tourmente, ils n’avaient pensé qu’au conflit. La passion qui avait enflammé William s’était peu à peu éteinte ou, aimerait-il à se le dire plus tard, elle avait changé d’objet. C’était cet état neuf et à venir qui le faisait vibrer et non plus la prude Ruth Sheridan. Quant à l’aveu que cette dernière avait voulu faire à son mari, il n’eut jamais lieu. Indépendantiste forcené, Thomas était, quand la guerre avait pris son élan, fort peu enclin à entendre sa femme lui raconter que par sens du devoir et amour, elle avait éconduit son associé…Elle avait toujours été sur la brèche, lisant ses journaux en cachette et s’informant autant qu’elle pouvait de faits économiques et politiques. Si elle n’avait été une femme, il aurait trouvé en elle un interlocuteur avisé. Alors que venait-elle lui faire des confidences tardives dans lesquelles elle n’avait franchement pas le beau rôle ? Elle comprit qu’il le prendrait mal, la considérerait comme une personne futile et la méjugerait, ce qu’il n’avait jamais fait. Elle se tut.

A la fin du conflit, Sheridan, sortit grandi, avait repris seul ses affaires. Il ne les avait jamais abandonnées même quand les temps étaient rudes. L’amant transi avait succombé en 1679 à une grippe aussi violente que mal soignée. Il était resté souffrant des mois durant. Ruth en éprouva un grand chagrin mais là encore, elle se tut. Le temps qui passait lui faisait reconsidérer la passion qu’elle avait éprouvée pour ce Bostonien veuf à l’allure séduisante. Beckord, quand elle l’avait connu, était grand et mince. Il était bien fait et portait joliment le costume. Il avait les cheveux blond-roux, les yeux bleu-vert et le teint clair. Il avait reçu une bonne éducation et il parlait bien. Elle avait tout de suite aimé sa voix chaude et sa façon un peu affectée de chercher ses mots. Puis elle avait aimé tout ce qui était lui…Elle pensa longtemps qu’elle n’avait rien eu d’héroïque à le tenir à distance mais quand tous ses enfants furent mariés, qu’ils eurent chacun plusieurs enfants et que Sheridan montra les signes d’un cœur fatigué et malade, elle entrevit la suite de sa vie. Elle lui survivrait. Elle serait seule et riche. Et puis ? Elle avait toujours gardé les lettres que Thomas lui avait envoyées mais n’avait évidemment plus celles qu’elle li avait adressées. La relecture de cette correspondance tronquée lui fit un effet bizarre. Alors c’était cela un grand amour ? Oui, c’était cela. Le sacrifice était-il si nécessaire ? Il lui semblait maintenant que non. Cette vertu qu’elle avait affichée n’était pas héroïque. Elle était le signe d’une soumission à un ordre social et aux valeurs plaquées du mariage mais elle n’était pas un acte libre. Si elle avait eu une liaison même brève avec Beckord, elle l’aurait connu l’héroïsme, le vrai, celui qui conduit à la liberté. Il l’avait senti en elle cette force vive qui la rendait si singulière et voilà qu’elle s’était galvaudée…Elle s’en voulut de longues semaines et pleura beaucoup. A la fin de l’année 1787, Sheridan eut une crise cardiaque qui cette fois lui fut fatale et on l’enterra en grande pompe. Le veuvage transforma une nouvelle fois Ruth. Elle se pardonna et ne se jugea plus de sorte que ses enfants et petits enfants à qui elle avait parlé de sa jeunesse et du petit lutin qui était en elle et lui faisait dire des sottises était de retour. Les dernières années de sa vie, elle était une vieille dame délicieuse et très drôle, ayant beaucoup d’amies. Elle s’était remise au chant !

 

 

 

29 mai 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES. Partie 1. Ruth Sheridan, la puritaine amoureuse...

DEUX VISAGES

 

Ruth Sheridan : un personnage fictif. Pour son commenditaire, Phillip Hammer, Isée invente un personnage de femme américaine qui, au moment de la Boston tea party, hésite entre son mari et celui qu'elle aime...

Beckord, lui –aussi avait été frappé par cette femme et son cœur battait. Il était déjà veuf et de son âge. Ses deux fils étaient en pension et ses épisodiques maîtresses l’intéressaient peu. Il aimait les grandes causes et les personnes fortes, dont l’aura était impérieuse. Cette femme, qui était l’épouse de son nouveau collaborateur, réunissait beaucoup des qualités qu’il recherchait chez une personne du sexe féminin et trouvait rarement. Elle était bien plus jolie qu’elle ne l’imaginait malgré l’austérité de sa mise et elle brûlait d’un feu intérieur qui le galvanisait. Et puis, il n’était que de voir son intérieur, sa gestion parfaite des domestiques, l’éducation qu’elle faisait donner à ses enfants pour constater qu’elle était pragmatique sans rien avoir perdu de sa curiosité de jeune fille et de sa fraîcheur. Et avec cela, une inconscience dans la lecture qu’elle faisait d’elle-même…Car elle lui écrivit encore et encore. Cette fougue qu’elle avait remarquée chez lui, il l’avait conservée d’où le fait qu’elle était si communicative…

Quand naît l’étincelle amoureuse, de quoi se nourrit-elle ? Je serais bien présomptueuse de répondre à cette question qui, depuis des siècles, fait l’objet de spéculations les plus diverses…Le fait est qu’elle était vaincue et lui-aussi. Elle adoptait souvent un ton querelleur, en référence avec la situation présente, sans doute parce que celui-ci la dédouanait…

A propos de la partie de thé de Boston, elle lui écrivit par exemple :

« Vous iriez participer à cette opération ? Vous iriez jeter le thé par-dessus-bord ! Sachez que je vous approuve ! Oh oui, je vous approuve ! Quant à se déguiser en indien ? Eh bien, l’Anglais fait tout pour provoquer. Pourquoi n’aurait-il pas droit, en guise de représailles à des sauvages ? J’approuve entièrement. Comment faut-il être pour leur résister, sinon prêts à tout ? Alors, peintures de guerre et mouvements souples…Vous devrez voir dans la nuit ! Vous me dites que vous serez toujours plus nombreux à réclamer la liberté d’agir. Peut-être mais il se trouvera toujours des Méchants pour s’en prendre à vous. Ce soir-là, travestissez-vous. Après tout, le gouverneur anglais saura à quoi s’en tenir. Des Bostoniens qui vont jusqu’aux peintures de guerre ! C’est une audace cela. En tout cas, prenez soin de vous. Tout homme courageux et qui croit en ses actes se doit d’être protégé et moi, plus que quiconque, je vous demande d’être prudent. Une amie vous parle : écoutez sa requête ! Et en ce sens, revenez bien entier et plein de vous-même. Nous y tenons tous et moi-aussi, j’y tiens. »

Dans ce message comme dans d’autres, elle prononçait toujours quelques mots de trop ! Il saisissait la balle au bond et de nouveau par lui répondre avec un léger excès. Ils avaient commencé par se lancer des appels silencieux puis ils s’étaient écrits. L’étape suivante serait de se voir. La trahison se profilait. Elle l’effrayait elle, bien plus que lui.

Autant Phillip que moi écrivions ces lettres. J’en amorçais une qu’il terminait ou l’inverse. Les jours filaient, toutes mes soirées étaient prises par mes anciens étudiants et j’utilisais tous mes moments de libre. Tout devait aller vite. Elle avait compris qu’elle aimait Beckord. Que ferait-elle ? Céder à la passion ou s’y refuser. Lui, venait de se déclarer de façon claire. Il attendait…Elle allait céder alors ? Non, elle était trop puritaine ! Elle résistait et souhaitait ne plus lui écrire. Seulement, il était d’une prochaine fête, chez eux ! Elle ne savait que faire, sinon le dissuader de venir.

« Que vous paraissiez chez nous me paraît étonnant. Il est vrai que je n’aie pu me décider à m’ouvrir à Thomas de ce tourbillon qui m’habite. Que ferait- il, le pauvre ? S’emporter ou pardonner ? Sans doute peinerait-il à comprendre …Mais moi, je sais que rien n’est possible. Que pourrions-nous nous dire qui soit vrai ? J’irais tromper cet homme que j’ai connu quand j’avais seize ans ! Et pourquoi Grand Dieu ! Nous traversons vous comme moi des temps troublés. Vous trouverez bien une raison pour ne pas être disponible. Vous êtes un homme d’honneur. Vous trouverez. »

Il s’excusa de ne pas venir en effet mais il surgit chez elle à l’improviste pour se déclarer. Elle lui en fit le reproche...



29 mai 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES. Partie 1. Je vais simplifier votre tache...

VISAGE FEMME

 

Phillip Hammer veut prendre avec Isée, des cours de français différents. Elle doit inventer des portraits de femmes américaines. En ayant fini avec le 18° siècle elle va se rapprocher du 20° et du 11 septembre.

Voilà, c’était l’histoire que Hammer et moi avions mise au point. Je le rejoignis le lundi comme je l’avais fait précédemment et il me montra la version imprimée de ce que nous avions fait. J’eus quelques doutes.

-Nous aurions pu évoquer davantage la guerre d’indépendance ? Là, c’est la portion congrue.

-Je ne pense pas. On pourrait ajouter quelques dates –clé si vous y tenez. Oui, ce ne serait pas mal.

-Imaginer qu’avant sa mort, Sheridan a été ravi par la décisive victoire de Yorktown, le 19 octobre 1781 et qu’il a adoré que les troupes et la flotte française soient venues en appui…

-Oui, ce serait bien…En même temps, on pourrait le faire mourir plus tard, quand la constitution des États -Unis d’Amérique est promulguée…

-Oh non…Moi je pense que Sheridan ne doit pas voir son rêve se réaliser totalement.

-Pourquoi cela, Isée ?

-Mais parce que c’est Ruth qui doit survivre et assister à la naissance d’un nouveau monde !

-Elle ne fait que chanter et parler du lutin qui…

-Oh non, Philip, là vous exagérez ! Elle a toujours eu une conscience politique. Elle ne peut qu’admirer Washington, Benjamin Franklin, Thomas Jefferson et tous ceux qui ont combattu. D’autant qu’elle est Bostonienne et sait combien cette ville s’est bien battue. En 1776, les soldats anglais ont dû évacuer la ville face aux troupes américaines ; Les soldats était vingt-mille…

-Je suis d’accord, je suis d’accord ! Vous savez que vous êtes très convaincante quand vous montez le ton comme cela ! En fait si la guerre d’indépendance fait irruption dans notre récit, nous ne nous en sortirons pas. Ni Sheridan ni Beckford ne suffiront et la passion avortée de la pauvre Ruth ne paraîtra plus très importante. Restons-en là.

-En même temps, ce n’est qu’anecdotique…

-Non, Isée. On peut toujours faire monter les dialogues où Sheridan évoque la situation politique avec sa femme ou devant elle, ce qui revient au même vu qu’elle est très avisée et écoute tout…

Il avait raison et j’acquiesçais. La Partie de thé de Boston était suffisante…Nous nous rabattîmes sur la recherche du titre. J’avais beaucoup d’idées.

-Ruth et l’intransigeance ? Ruth et William : un amour impossible ? Les intermittences du cœur : Ruth Sheridan ?

Il se mit à rire de bon cœur :

-Isée, Isée ! Mais enfin, d’où sortent ces titres ?

-Ils ne sont pas bons ?

-Ils sont bons ! Mais je pense qu’il faut faire simple. Ce texte porte le nom de son héroïne.

-Alors, il s’appelle juste « Ruth Sheridan » ?

-Oui.

-Mais pourquoi ?

-Vous faites vivre cette femme !

Il avait sorti le champagne du frigo et franchement nous abusâmes…Il paraît que ça ne saoule pas. Peut-être mais nous arrivâmes à une bouteille chacun ! Pour que je rentre sans problème, il me proposa une salade qu’il avait faite, du pain et de la (très bonne) charcuterie et du pain (très bon aussi). Ça limita les dégâts.

Je l’observai tandis qu’on dînait de façon improvisé. Il portait un pull ras du cou sur un pantalon gris et il était vraiment séduisant. Comme je l’ai déjà dit, à certains signes, son orientation sexuelle se devinait mais ça ne m’empêchait pas d’être attirée par lui et pour des mobiles fort peu platoniques. J'avais beau savoir qu'il savait où il en était, je manquais de jugement. Ce port de tête altier, ces yeux bruns si lumineux, cette peau...Pourquoi ne pas rêver ?

Et puis c’était beau, cette tension malgré tout…

Au moment de partir, il me dit :

-On va rester en Amérique mais je vais simplifier votre tâche : 11 septembre 2001. Une femme et ses deux enfants. Des enfants jeunes. Le mari était dans une des tours et n’est pas rentré. Ils l’attendent, le cherchent et puis non…Le deuil…

Je le regardais les yeux très brillants et l’esprit embrumé et je lui dis que j’étais d’accord puis je partis en taxi. Il en avait appelé un pour moi et comme il me payait en liquide, il avait ajouté l’argent de la course…



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24 mai 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES. Partie 1. Carolyn Waren. La femme du 11 septembre.

11 septembre

 

 

Un second portrait pour Phillip : une Américaine dont le mari meurt dans une des tours, le 11 septembre. 

 

Carolyn Warren a trente-six ans, une fille de douze ans et un petit garçon de six ans. Elle est mariée au même homme depuis quatorze ans et tout va bien et puis, et puis…

 

Elle est encore à son domicile ce matin-là parce qu’elle travaille dans un salon de coiffure qui ouvre tard et finit tard. Olivia, sa fille aînée est partie à son lycée avec le bus scolaire et Lola, la latino-américaine qu’elle emploie vient de partir avec Tom car il va dans une école différente et qu’elle préfère le savoir accompagner. Brad travaille dans la tour nord. Il est cadre pour une société d’informatique qui a le vent en poupe. A huit heures quarante-six le premier avion de ligne percute la tour sud mais elle ne le sait pas. Lui, sans nul doute a compris que se produisait un événement grave mais cet adjectif reste encore relatif…A neuf heures trois, un autre avion s’écrase contre l’autre tour. Brad cette fois comprend tout de suite qu’il lui arrive quelque chose qui n’a pas de nom. Qui a déjà vécu cela ? Personne parmi ceux dont ils croisent le regard, à en juger par la charge de peur et d’espoir qui enflamment ceux-ci. Carolyn est dans la rue. Elle part au travail. Comme les autres, elle s’immobilise. Un silence puissant tombe dans les rues qui avoisinent les tours jumelles. Le feu s’est emparé de l’une comme de l’autre. Les sirènes des pompiers hurlent et les premières tentatives de secours s’organisent. Elles seront partiellement vaines puisque l’une après l’autre, les tours vont s’effondrer, entraînant dans la mort des centaines et des centaines de personnes. Elle fait comme tout le monde : elle appelle son mari qui ne lui répond pas puis d’abord incrédule puis affolée elle court après les nouvelles parce que tout le monde court après elles. La tour nord s’effondre à dix heures vingt-huit. Elle refuse de comprendre. Il ne travaillait qu’au quinzième étage. Sûrement, il sera sauvé. C’est un homme intelligent qui aime l’idée de survivre et en aura fait bon usage. Elle a confiance en lui.

 

Seulement, elle ne parvient pas à son lieu de travail car il est trop près des tours jumelles. Elle est, comme les autres, refoulée, chassée de ce quartier. Comprenant peu à peu l’ampleur des dégâts, elle reçoit des appels concernant ses enfants. Elle retourne chez elle faire ses bagages tandis que son père et sa mère récupèrent Tom et Olivia dans leurs écoles respectives et qu’ils partent tout quatre vers le New Jersey où ils rejoignent une maison de famille, qui est celle de son enfance. Elle est inquiète mais se laisse rassurer. Quarante-huit heures après, ayant perdu toute sa sérénité, elle se rue à Manhattan et loge chez une amie. Elle doit chercher son mari…Commence alors une longue quête à laquelle s’associent Sandra, l’amie qui l’héberge, Paul son père et Oliver, son grand frère. Tous consultent les affiches posées sur les murs, se rendent dans les centres d’accueil et recueillent toutes les informations possibles. Ils parcourent les hôpitaux, font le siège d’associations caritatives, appellent la famille de Brad, ses frères et ses sœurs, ses amis, ses collaborateurs. Deux mois durant, ils gardent espoir puis dans le cœur de Carolyn, un soir, la flamme s’éteint. Elle sait intuitivement qu’il est mort « même s’il n’était qu’au quinzième étage ». Elle a eu beau aider en s’enrôlant dans une association ceux qui, comme elle, étaient en attente, elle a compris. Elle se réinstalle alors dans l’appartement qu’elle n’occupait que parce que Brad gagnait bien, scolarise de nouveau ses enfants dans leurs anciens établissement et réemploie Lola. Elle peut se permettre de « vivre comme avant » grâce à l’assurance vie que son mari avait souscrite, fait qu’elle ignorait. Elle n’est donc pas menacée financièrement, loin de là et s’est remise à travailler. Mais si c’est dur pour Olivia, qui adorait son père et pour le petit Tom qui sent qu’a disparu un des piliers de son univers, pour elle, c’est terrible. Carolyn s’est toujours définie comme la femme d’un seul homme . Avant Brad, elle n’a eu qu’un très long flirt au lycée, à Newark où elle vivait alors. Elle ne concevait même pas d’en rencontrer un autre puisque toujours ils vivraient ensemble. Elle l’avait souvent blagué sur les charmants grands-parents qu’ils deviendraient. Maintenant elle pense à ce qu’ils seraient devenus, et ceci bien avant d’être en âge d’avoir des petits enfants…

 

Voilà pour elle, pour ce qui la concernait…Mais il restait son point de vue à lui, car il était l’homme qui meurt, et celui des enfants qui, à cause de la différence d’âge, ne pouvait être ramené à une seule voix. C’était donc beaucoup de conciliabules intérieurs…Une semaine, ça m’a paru large compte tenu qu’au départ je n’avais pas à avoir sur l’Amérique du début des années 2000 autant que sur les colonies américaines au milieu du dix-huitième. Mais évidemment, je m’étais illusionnée.

 

24 mai 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES. Partie 1. Carolyn, Brad et le 11 septembre...

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Pour Phillip Hammer qui la fascine, Isée Cendre, jeune enseignante, invente pour lui en guise de cours de français, des portraits de femmes américaines confrontées à un cataclysme. Ici, le mari de Carolyn était dans une des tours, le 11 septembre...

Pour capturer ce qu’avait pu ressentir Carolyn, il aurait fallu, je crois que je me sois trouvée aux USA à cette époque, et plus encore sur la côte est. Plus encore, il aurait été préférable que je sois américaine et non une simple touriste. Or, non seulement je ne connaissais pas les USA mais en 2001, j’avais seize ans et j’étais lycéenne dans un lycée de banlieue. Il me restait, bien sûr, le souvenir de photos poignantes et de quelques reportages hallucinants où les gens comptaient leurs morts. Et bien sûr, nous avions fait une minute de silence. Mais ça n’était rien cela d’autant qu’avec Carolyn, je n’avais pas en main un matériau aussi romanesque que Ruth. Ce n’était pas une grande dame mais, c’était une bosseuse et c’était une chic fille, de celle dont on devait se souvenir dans les établissements scolaires où elle était passée et qu’on continuait d’inviter ; elle aimait consoler suite à une rupture amoureuse ou une tuile professionnelle. C’était une fille aimante pour ses parents, une mère très attachée à ses petits et il faut bien le dire, une charmante épouse. Brad était vraiment son partenaire (elle adorait ce terme). Ils jouaient passablement de la guitare l’un et l’autre, aimaient chanter de vieux tubes des années soixante-dix et quatre-vingt et aimaient lézarder en grands pulls et jeans le week-end. Avec cela, Carolyn était très attentive à Olivia qui faisait de la danse classique depuis cinq et rêvait d’être ballerine. Elle l’encourageait mais lui suggérait aussi d’avoir la tête sur les épaules. Elle avait rêvé d’être actrice, elle, et elle était devenue coiffeuse, métier qu’elle aimait beaucoup et qu’elle trouvait très créatif. Concernant Tom, c’était un peu différent. Il était à l’âge des jeux et des contes c’est pourquoi elle ne perdait pas une occasion de le déguiser pour une fête ou une autre, de l’emmener voir des comédies musicales accessibles aux enfants ou encore des dessins animés. Les Warren étaient connus pour leur entrain et leur bonne humeur. Avant le 11 septembre, Carolyn n’avait jamais eu en tête de scénario-catastrophes comme certaines épouses en élaborent à propos de leur mari. Elle n’avait craint que Brad succombe à un accident de voiture car il conduisait trop bien. Il ne faisait du vélo qu’en certains lieux et en certaines circonstances, ce qui excluait tout danger mortel. Quant au piéton qu’il était, il n’était pas distrait…Brad, de plus, n’était pas le genre à se heurter à des types éméchés dans un bar au milieu de la nuit et y rester. Il était à même de se battre pour se protéger mais, depuis qu’il était père, il fuyait les situations délicates. Il allait travailler et quand il avait fin, il retrouvait sa femme qui elle-même finissait sa journée de travail et ils avaient des plaisirs simples. Aux vacances, ils allaient dans une maison de famille dans les Hampton ou encore dans le Maine où ses parents à elle avait une petite demeure. Se baigner dans un lac aux eaux fraîches, faire un barbecue, conduire les enfants au parc d’attraction du coin, ça leur avait longtemps suffi. En fait, au 10 septembre, ça leur plaisait encore.

Et maintenant, il y avait ce deuil insoutenable. Carolyn n’était pas stupide. L’histoire des cinq étapes à traverser quand on a perdu un être cher, elle l’avait lue. Seulement elle n’avait perdu personne : ni ses parents, ni ses grands-parents des deux côtés. Brad avait un petit « avantage » sur elle de ce côté-là car il avait perdu ses deux grands-pères. Elle le connaissait à peine à cette époque-là et ne se souvenait pas qu’il ait terriblement souffert. Vis à vis de la mort, elle était soudain terrifiée et ces étapes dont elle avait lu le descriptif dans un magazine féminin dont elle avait oublié le nom, se présentaient à elle maintenant.

Elle n’avait pas cru un seul instant que l’avion qui s’était écrasé sur la tour nord ait pu toucher à l’intégrité de Brad. Il avait certainement été abasourdi, cela elle le croyait volontiers mais il avait la tête sur les épaules. Il avait réussi à fuir. Il était clair qu’il gisait sous des décombres dont bientôt on le dégagerait ou encore que légèrement blessé, il s’était échappé de la tour pour aller se faire soigner. Il ne les avait pas appelés, c’est sûr, mais ce qui arrivait était horrible : il n’avait plus sa tête à lui. A ce stade, le déni de Carolyn, était total et il était aussi plausible. Tant de morts non encore identifiés, tant de blessés dans tant de lieux divers et toutes ces histoires qu’on racontait ! Elle courait partout avec ses enfants (dès qu’elle le pouvait), deux de ses amis et sa mère. Le père de Brad les accompagnait aussi. Cette partie de la ville était paradoxale ; il y régnait toujours un chaos certain mais une formidable solidarité s’était installée, faisant monter des abris divers, des points de repos pour les pompiers qui allaient au bout d’eux-mêmes et les bénévoles qui, munis de brassards divers, officiaient partout. Elle refusait de baisser les bras, de se montrer soucieuse. A ses enfants et à ses proches, elle souriait.

 

 

24 mai 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES. Partie 1. Carolyn. Ils en ont fait de la voltige...

 

PATRICIA

 

Isée, jeune enseignante fascinée par un Américain qui veut perfectionner son français, crée pour lui des portraits de femmes américaines confrontées à des cataclysmes/ Ici, Carolyn et le 11 septembre. 

Et puis, les parents de son mari étaient venus lui parler. Il y avait cette assurance-vie. Il avait pensé à elle…Elle pourrait rester dans le même appartement, garder son travail, être proche de ses deux petits. Elle s’était mise en colère, pas contre elle non, pas contre ses parents et beaux- parents, mais contre Brad ! Il n’allait pas être mort quand même ! Il n’allait pas tirer sa révérence de façon si mesquine ! « Chérie, chérie, écoute ! J’ai fait ce que j’ai pu mais on y est tous passés ou presque…Oui, bien sûr, dans mon équipe, il y a six survivants, je sais ; Mais le trente autres ! Non, ne crie pas ! J’ai…J’ai paniqué, voilà…J’ai hésité à sauter…Mais c’était infernal ! Carolyn, je t’en prie, personne ne savait que faire, personne ! Mon portable m’a échappé ! Je pensais qu’on nous réceptionnerait…Hein ? Un atterrissage au son tout en souplesse …Oui, je sais… Je suis un imbécile ? Un idiot ? Oui, ma chérie, oui… ! »

Il lui répondait cela mais la fois d’après, il ne parlait plus de la même façon. Pourquoi n’était-il pas constant ? Il l’avait été durant leur vie ! Elle était en colère, tellement en colère ! Il avait un instinct vital si fort, Qu’avait-il pu se passer…

Elle en était arrivée au marchandage avec la mort. Maintenant qu’elle en voyait des représentations sur internet, elle en avait peur. Une Dame distinguée mais glaciale…L’avis de la mort de Brad ne lui était pas encore parvenu mais tout le monde dans son entourage avait compris. Elle résistait encore. Si elle restait bien stoïque, cette Dame si glaçante lui rendrait peut-être son tendre et beau mari ? Intérieurement, elles avaient de bonnes conversations toutes les deux. L’ennui avec la Camarde, la Gueuse, La Folle, la Torturante c’est que ne faisait pas des conversations bien gaies. Elle avait l’air de faire des calculs sans fin, celle-là…Ce mois-ci, j’en ai tant ! Quelle bonne période ! Et puis cette jeune femme qui larmoie avant d’éclater de rire…Franchement. C’était qui son mari déjà ? Ah oui ! Encore un trapéziste sans trapèze. Ah, ils en ont fait de la voltige ces cadres qui se croyaient invincibles ! Elle est gentille mais moi non. Et marchander, ça lui sert à quoi. Il est mort son Brad, elle est bête ou quoi ? M.O.R.T. Bon, c’était clair là…

Alors, elle avait craqué. Elle en était encore là, dans cet appartement qui avait respiré le bonheur. Elle était partie chez ses parents avec les deux enfants mais Olivia se rebellait sans cesse, la trouvant défaitiste. Elle avait demandé à rejoindre la sœur aînée de Carolyn qui récemment mariée ventait de s’installer à San Diego. Avec fermeté, le clan familial avait insisté pour que ce voyage se fasse. Dès le départ, il s’était avéré bénéfique….

Plus tard, bien plus tard viendrait l’acceptation de cette mort ; Elle pourrait alors penser à Brad avec simplicité et reconnaissance. Elle avait réellement été aimée de lui des années durant et de cela, elle pourrait se souvenir avec autant d’émotion que de fierté. Elle cesserait de ressembler à ces grands blessés du deuil qui s’assoient en pleurant sur le lit conjugal, serre contre eux un vêtement du mort avec l’espoir compulsif que cette étreinte le ressuscite ou continue de garder espoir quand retentit la sonnerie de la ligne fixe. Elle aurait retrouvé une intégrité qu’elle n’avait plus…

Voilà où j’en étais quand je revis Phillip Hammer. Je lui avais envoyé mon texte en plusieurs jets et il y avait des corrections ou des additifs de sorte qu’il ne restait plus qu’à lui restituer de vive voix le bilan d’un travail commun. Je le fis, confortablement installée chez lui comme la semaine précédente et il fut très attentif. Mon petit laïus terminé, je m’attendis à une pluie de critiques mais ce ne fut pas le cas. Je craignais que ma peinture de Carolyn fût trop caricaturale mais il m’assura que, pour avoir lu, bon nombre de témoignages de ceux qui avaient perdu qui un parent, qui un en enfant qui un ami lors de cette incroyable catastrophe, ce que j’avais écrit sonnait juste. Il avait étoffé la psychologie de la fille de onze ans et celle du petit garçon parce que l’intensité de leur souffrance, vécue très différemment, crédibilisait celle de leur mère. Ils lui renverraient de son couple et de sa fonction de mère qui ne lui plairaient pas toujours mais la ferait avancer. Même le fait qu’Olivia parte momentanément en Californie, lui serait bénéfique malgré le ressentiment qu’elle en aurait.

Et puis, il était bon que trois ans, temps qu’il lui faudrait pour faire véritablement son deuil, des hommes passent dans la vie de Carolyn, figures apaisantes mais vouées à être fugaces puisque l’attachement qu’elle avait eu pour Brad s’en allait lentement. Après tout, elle était une femme dans la tourmente et elle avait besoin d’affection…

Vraiment, de ce que j’avais fait, il était fier, donnant peu de poids aux descriptions qu’il avait faites des tours qui s’effondraient, des réactions des passants qui s’enfuyaient en hurlant ou restaient là, médusés. Il minimisait aussi le fin portrait qu’il avait fait du petit Tom qui, bien trop jeune, pour exprimer d’une manière articulée son chagrin l’avait exprimé en dégradant sa chambre et détruisant ses jouets préférés…La liste était longue de ses habiles corrections qui rendaient mon histoire bien plus poignante mais faisant le modeste, il m’attribuait tous les mérites.

 

24 mai 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES. Partie 1. A Paris, pour créer...

PARIS VIDE

Phillip Hammer et Isée Cendre. Deux portraits de femmes américaines créés ensemble déjà et une séduction qui se dessine...

La séance fut bien plus courte que précédemment et de façon curieuse, il ne tint pas à ce que nous abordions le même thème la semaine suivante. Je fus très surprise.

-Un bar à vin a ouvert récemment en bas de chez moi. J’y suis déjà allé une fois et je pense que vous y serez bien !

Donc, nous sortions !

C’était en effet un joli lieu qui évoquait les bistros parisiens du début du vingtième siècle. Beaucoup de boiseries et de miroirs. Il était assez tout et l’endroit, tout en étant fréquenté, n’était pas comble. Nous nous assîmes sur des chaises hautes, de part et d’autre d’une table rectangulaire et commandâmes des planches de charcuterie et de salade avec, comme entrée en matière, un verre de bon bordeaux rouge. Il semblait curieux de tout mais bizarrement ne m'interrogeait pas sur mon histoire.

-Elle ne vous plaît pas ?

-Elle me plaît.

-Vous n'êtes guère intervenu dans sa création.

-Je me demande parfois si vous n'êtes pas américaine. Vous parlez de cette femme qui a perdu son mari le 11 septembre comme si vous étiez une native. C'est une très bonne histoire, très crédible.

Comme à son habitude, il parlait français puis anglais et j'étais sous le charme. Je compris néanmoins qu'il souhaitait ce soir-là me faire parler de moi.

-Alors, vous habitez aux Invalides ?

-Oui

-Mais votre école se trouve…

-Près du jardin des plantes.

-C’est loin !

-Oui, mais c’est assez nouveau. En fait pendant six ans j’ai vécu dans ce quartier. J’allais travailler à pied.

-Vous avez déménagé, alors ?

-Je me suis séparée de mon compagnon et j’ai dû déménager.

-Ah ! Et lui est toujours là ?

-Non. Il travaille pour une société d’informatique qui s’est transférée à la Défense et il a préféré y habiter.

-Vous préférez ?

-Je vous demande pardon ?

-C’est plus simple pour vous. Vous passez devant l’immeuble où vous viviez avec lui mais il n’est plus là…

-Je n’ai pas la tentation de le revoir. Chez moi, c’est très avéré.

-Qui ne voulez-vous pas revoir ? Comment s’appelle-t-il ?

-Paul.

Hammer portait une chemise blanche sans cravate, ouverte jusqu’il fallait, une belle veste bleu-marine et un jean avec une ceinture. Avec cela, il était rasé de près. Ses cheveux bruns, soigneusement coupés par un coiffeur qui n’était certainement pas le dernier des derniers entouraient sa belle tête massive au nez court et légèrement busqué et aux yeux marron-doré. Il me semblait, sans avoir besoin de me pencher, sentir son eau de toilette en devinait l’origine. Guerlain. Habit rouge. Il avait bon goût et il me troublait. Je commençais à rêver de lui et bien sûr au plus fort de mes songes, il était nu. Je n’allais pas tarder, je le sentais, à m’ébattre avec lui en rêve…

-Isée ? Vous êtes toujours avec moi ?

-Euh, j’étais dans mes pensées…

-Ce doit être cet homme. Il avait votre âge ?

-Deux ans de plus que moi…Je revoyais les moments où j’allais travailler à pied. C’est un tel luxe, à Paris. Vous n’imaginez pas…

-Cette école, elle vous plaît, je crois.

-Beaucoup. Là je viens d’accueillir une nouvelle classe. C’est un niveau intermédiaire. Des étudiants qui commencent à bien utiliser un français très concrets mais doivent passer à l’abstrait et parfaire leurs connaissances. Ils sont quinze. Je crois que je vais bien m’entendre avec eux.

-Qui vous plaît le plus dans ce groupe ?

-Carla, une Italienne à la retraite qui veut absolument mieux parler. Elle a soixante-quatre ans et franchement j’aimerais être comme elle à cet âge : Elle est si posée et si curieuse intellectuellement…

-Beau portrait. Qui est l’autre ?

-Bo Yung, une Coréenne de vingt-quatre ans. Elle est jolie et brillante. Ce doit être quelqu’un de très fort.

-C’est tout ?

J’aurais dû hésiter mais ne le fis pas et me mordis les lèvres ensuite.

-Eh bien, il y a Zacharie. Il vient du Montana et doit avoir trente ans. Je m’étonne de sa présence car un étudiant tel que lui, on en rencontre beaucoup l’été mais pas tellement en cette période. C’est la première fois qu’il vient en France, je crois. Il a l’air très sportif. Il m’a parlé d’une somme importante qu’il avait gagnée suite à un pari et il a décidé de venir à Paris. Il veut prendre des cours car ça lui ouvre des possibilités de logements moins chers. Il a l’ait d’être très drôle et en même temps, il est studieux. J’ai l’impression qu’il capte très vite. Je pense qu’il saura très vite bien se débrouiller au milieu d’un tas de Français…

-On passe aux autres ?

Il n’y avait aucune ironie dans sa voix mais je sentais bien que continuer à lui faire ainsi les présentations auraient été fastidieux.

-A début de chaque session, on remarque comme ça quelques étudiants. C’est juste cela.

Cette fois, son sourire devint plus malicieux avec une pointe de dureté.

-Phillip et Zacharie…Vous voilà avec deux Américains maintenant !

-Pourquoi me dire cela ?

-Mais pour rire ! De toute façon, je suis le plus important des deux. Ce que vous faites avec Zacharie, c’est juste lui donner des cours mais avec moi, c’est différent. Ces histoires…

-C’est vrai…

J’avais le sentiment de mettre les pieds sur un sol glissant mais je n’avais aucun mobile pour m’emporter ou devenir maussade. De toute façon, Phillip avait commandé un pichet de vin et de nouvelles petites salades. C’était un vrai petit dîner. Le bar était maintenant comble. Mieux valait rester sereine.

-Mais vous, Phillip, vous ne dites rien sur vous ?

-Je vous ai dit qu’à New York, je m’occupais d’art. En fait, j’ai une galerie de peintures et de sculptures dans la cinquième avenue. Elle tourne bien. Je vis près de Central parc ouest et ma vie est en général très pleine. J’ai laissé quelques temps la galerie à Claire Brown, qui est mon associée et je suis là, à Paris…

-Oisif !

 

21 mai 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES. Partie 1. Car il est amoureux, mais pas de moi...

 jim-dine-cardinal-1935

Isée, jeune enseigante, est fascinée par Philipp Hammer, l'Américain à qui elle donne des cours. Elle va inventer pour lui un troisième portrait de femme américaine

-Pas totalement. En fait j’écris une sorte de roman sur un peintre qui est un faussaire. J’y passe trois heures chaque matin. Je ne peux pas dire que je suis très content pour le moment mais je pense que je vais y arriver.

-Qu’est-ce qui est difficile ?

-Le personnage principal s’appelle Anthony Gilbert. Il est tellement antipathique ! Il fait des faux extraordinaires et il a déjà fait de nombreuses…

-Escroqueries ?

-Oui, c’est le mot. Il y a des années qu’il gagne beaucoup d’argent avec de parfaites copies de Gauguin, Renoir, Van Gogh ou encore Braque et Picasso. Mais là, il est au point où il va se faire prendre…

-Il peint moins bien ?

-Non. Seulement il se méfie peut-être moins et il n’est pas le seul sur terre à être intelligent…On est déjà sur…

-Ses traces.

-Oui. En fait, je ne veux pas en dire plus sur ce roman.

-D’accord. Je peux vous poser une question personnelle ?

-Oui.

-Êtes-vous seul ?

-A Paris, oui. A New York, non. Il fait de la musique. On s’est disputés et j’avais besoin de respirer…Il avait cet appartement au Panthéon et cet ami américain qui avait envie de vivre dans le mien…Et ce livre aussi…

-Qui est-il ? Comment s’appelle-t-il ?

Il sourit au clin d’œil que représentait ma question.

-Il s’appelle Vincent. Français par sa mère, américain par son père. Deux façons de prononcer son prénom…

Il me regardait Hammer et je le regardais aussi. Son regard en disait des choses, de ces « choses » à la fois lourdes et légères qui donnent toutes ces couleurs à l’amour ; car il était amoureux, c’était clair…mais pas de moi.

Autour de nous, on riait et s’amusait. C’était une atmosphère typiquement parisienne et à sa tonalité particulière, à la fois urbaine et un peu précieuse, je me rendais compte que j’adorais ma ville. Je pensais qu'étant entré dans une conversation plus intime, nous allions continuer le jeu des confidences mais il n'en fut rien. Mon intimidant Américain changea de trajectoire.

-Vous me devez une dernière histoire donc une troisième femme américaine !

-Je vous écoute !

-23 novembre 1963. Dallas. Texas.

-JFK.

-Bien sûr.

-Louise Falker. Soixante-dix ans. Je vous laisse libre pour ce qui la concerne. Le meurtre du beau président la rend heureuse ? Malheureuse ? Elle était là, dans la foule ? Elle était chez elle ? Intelligente. Classe moyenne mais cultivée. Vit seule.

-Elle est Noire ?

-Si vous voulez...Je pense plutôt à une Blanche pauvre...

-Un ou deux chats ?

-Bien vu !

Nous étions dans la rue et bientôt j’allai le saluer. Je rêverais cette nuit même que je couchais avec lui et j’avais hâte d’y être mais au matin, je saurais que rien n'était possible et je maintiendrai ce lien qui me rattachait à lui. J'inventerai un troisième personnage de femme forte au sein du monde américain...



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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
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