Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
22 août 2022

George D. Celui qui meurt...

 

 

Cette version est nouvelle. La teneur du texte n'a pas vraiment changé mais il n'est plus organisé de la même façon. 

Intrinsèquement lié à la disparition de George Michael en décembre 2016, George D. Celui qui meurt n’a aucune fiabilité autobiographique. Il faut le voir comme une des multiples images que la star britannique a pu renvoyer à des êtres bien plus jeunes que lui. Il s’agit donc purement et uniquement d’une rêverie sur les paradis et les enfers d’un chanteur et d’un musicien brillant et protéiforme dont la personnalité reste complexe.

Hommage à l’artiste réel tout autant qu’à l’être rêvé, George D., celui qui meurt peut être lu comme un hommage anecdotique tout autant que frontal. Il doit aussi être regardé dans le sens d'un legs. Celui qu'un artiste brillant a pu nous laisser.

France-Elle

 

Publicité
Publicité
22 août 2022

George D. Celui qui meurt. Partie 1.

636182862223558663-D01-LIFELINE-MICHAEL-18-37486091

 

Partie 1

Temps difficiles

 

« Lorsque vous êtes éveillé, les

Choses auxquelles vous songez

Viennent de ce que vous rêvez. »

George Michael en interview.

 

 

22 août 2022

George D. Celui qui meurt. Partie 1. Tu as besoin de t'amuser...

gm ENCORE

 

George D. Londres : novembre 2015. Star mondiale, le chanteur George Daniel est aux abois. Tout l'insupporte. Alors passer les fêtes en Angleterre. Il décide de s'enfuir...

Il tournait comme un ours en cage Il sentait que ça tournait mal. Plus les semaines filaient, plus il avait du mal avec moi. Lui, Paul Stephen dont le vrai prénom était Fadi, ce que je lui rappelais régulièrement, perdait pied. Je le quitterais quoi qu’il soit et lui, qui avait tant misé sur moi, était affolé. 

-Tu t’enfermes beaucoup trop.

-Tu me l’as déjà dit vingt fois ces trois derniers jours.

-On a des sorties en vue : des spectacles, des amis. Ne refuse pas tout.

-Je ne refuse pas tout, je sélectionne. Je n’en ai rien à faire de cette comédie musicale dont tu me rebats les oreilles.

-Parfait ! Que dira Elton John ? Il compte sur toi.

-C’est un de ses poulains qui a créé le spectacle, je sais. Je l’ai déjà appelé. Je ne serai pas disponible ce soir-là. Il l’a bien pris quand il l’a su.

- Il devait être de bonne humeur. Bon, chez Kate, dans trois jours ?

-Oui.

-Ah, elle, la belle cover-girl, tu l’aimes bien, hein !

-Elle n’est plus mannequin. C’est le tour de sa fille. Elle a le même corps splendide que sa mère…

-C’est vrai…Donc tu seras là. Et ensuite ?

-Je ne sais pas. Il y a beaucoup d’invitations…Je vais faire le tri.

- Oui et invite, toi-aussi…

- Mais, c’est ce que je fais !

-Tu trouves ? On ne voit personne…Enfin, autant ne pas polémiquer.

-Oui, sans polémique, c’est mieux.

-Je viendrai te voir le jour de Noël. Tu le sais ?

- Oui, j’en serai heureux.

- La veille, tu seras avec tes sœurs ?

- Pas sûr.

- L’une d’elle au moins, celle dont tu apprécies le mari…

- Elle m’a parlé d’un petit dîner, oui…

- Va la voir, ne reste pas seul.

-Paul, épargne-moi cette insistance.

-Mais c’est pour toi que je te dis ça. Je pourrais aussi rester seul ici, bien tranquillement…

- Et te faire livrer ?

- Paul ! On n’embraie pas sur ce sujet !

-Tu devais arrêter avec ces « livraisons », il me semble…

- J’ai ralenti.

- Ah bon ? Pas avec… Comment il s’appelle déjà ? Celui qui t’envoie ce type à tête de bouledogue…

- Il est Français et c’est vrai, il a une tête de chien. Ralentir encore ? Oui, je vais y penser.

-Et ça te fait rire !

-Mais oui !

-Ne me réponds pas comme ça. Je suis ton compagnon.

-Tu l’es, c’est vrai et tu me protèges de moi-même…Tu as raison, Paul, tu as raison. Tu sais ce qui est bon pour moi. Mais à ce compte-là, ce n’est pas chez moi que je devrais passer les fêtes de Noël mais plutôt dans une de ces délicieuses cliniques où j’ai passé des semaines mémorables.

-Ces cures étaient nécessaires. Le médecin dit que tu…

-Que je ?

-Dois prendre soin de toi.

-Mais c’est ce que je m’emploie à faire ! Allez-laisse-moi.

-Tu veux que je parte ? Je parle de l’alcool que tu ingurgites, de ces saloperies de poudre, de pilules qu’on vient te vendre jusqu’ici et je dois partir ?

-Eh bien, je…Oui…Pars…

-Mais pourquoi ? Je suis arrivé il y a très peu de temps. Ce n’est pas juste d’agir ainsi, George. Ton état n’est pas brillant. Il faut qu’on passe un bon moment ensemble.

-Oui, passons un bon moment.

-Tu dis ça sur un ton…

-Prenons un verre, enlaçons-nous, allons dans ma chambre. Ta définition du bon moment.

-Pas la mienne, celle de centaines de gens qui aiment la vie, sont heureux de retrouver l’être aimé, de passer des heures et des heures avec lui dans la complicité, dans la tendresse.

-Faisons-cela.

-Tu es sûr ?

-Oui.

-Noël est dans trois semaines. Tu me promets que le 24, tu seras en famille ou avec de bons amis ? Le 25, je m’occuperai de toi toute la journée. J’ai déjà toutes sortes d’idées. Ce sera gai. Georges, tu promets ?

-Oui. Je te donne ma parole que j’aurai un Noël joyeux.

-Très anglais ?

-Oui, je pense.

-Suis ton traitement médical et limite l’alcool, George et pour l’amour du ciel, oublie toutes ces bonnes adresses, tous ces gens…

-Ne t’énerve pas autant ! Tu ne drogues pas, toi ?

-Occasionnellement. Tu sais très bien que ça n’a rien à voir ! Ce type, je lui casse la gueule si…

-S’il revient avec « des provisions » ? Oui, tu te fais très bien comprendre et tu serais bien capable de le faire.

-C’est que tu nous fais peur.

-« Nous » ? Ah oui, je vois. J’ai fait mon testament, tu sais et j’ai bien réfléchi. Il ne va vous inquiéter. Je vais bien.

-Non. C’est faux.

-Chut, Paul, calme-toi….

-Tu ne vas pas bien. Ne les laisse pas tourner autour de toi comme ça. Arrête, arrête avant qu’il ne soit trop tard. George, écoute…

-Chut, chut, voyons…Allons, allons, revenons à ta définition du bon moment passé ensemble. Souris-moi…Voilà, c’est bien. Viens dans mes bras.

-Tu promets ?

-Je promets.

-Tu vois, je t’ai embrassé. Maintenant, retourne dans la maison que je prête, à Hyde Park. La femme de ménage est déjà réglée. Tu veux un chèque ?

-Non, je...

-Tiens, prends.

-C'est beaucoup...

-Non, enfin si. Prends. Les fêtes approchent et tu as besoin de t'amuser.

-A bientôt alors ?

-A plus tard.

 

22 août 2022

George D. Celui qui meurt. Partie 1. Vacances dans le sud...

belle ITALIENNE

2 Valeria. Roquebrune Cap Martin. Décembre 2015. Valeria, une jeune italienne retrouve des amis artistes pour les fêtes, en France, sur la Côte.

La Côte d’Azur en décembre, c’est étrange. On approchait des fêtes et c’est moi qui avais trouvé la maison. Moi, Valeria, l’Italo-américaine qui aimait autant la Riviera que les abords de Roquebrune. J’allais souvent en Italie voir les frères de ma mère et pour ce qui est de la Côte, j’aimais y revenir. J’y avais gardé un amour d’été devenu depuis marié et père de famille. Curieusement, après cette amourette, j’étais devenue très amie et c’est lui, qui étant dans l’immobilier, me proposait des villas sur les hauteurs quand l’envie me prenait de séjourner dans le sud de la France. Le prix qu’il m’en proposait, en des périodes où les touristes n’affluaient pas autant, rendait facile d’y faire venir mon frère et ma sœur ainsi ce qui me restait de famille italienne. J’avais aussi d’autres options, comme celle d’y réunir des amis. Attendu que j’avais vécu en Angleterre, aux USA et en France, sans parler de mes longs passages en Australie et aux Pays-Bas, j’étais sûr de réunir, dans un des belles maisons que Xavier Delacour avait l’habitude de dénicher pour moi, un assemblage cosmopolite de jeunes gens divers qui avaient tous le même point commun, pardon deux : sinon la beauté du moins le charme et surtout le talent. Cette fois, chacun de mes invités avait les deux attributs. Entre le 10 décembre et 5 janvier, viendraient Carolyn une jeune actrice américaine qui tentait sa chance à Broadway, Jonathan le sculpteur australien que j’avais rencontré quelques années auparavant à Sydney, Nicholas le pianiste anglais le plus doué que je n’ai jamais connu, Marjan, la Hollandaise qui tentait de percer comme metteure en scène à Amsterdam et, pour finir sur le plus précieux, deux danseurs du Ballet Royal du Canada : Guillaume Larrieu, le Québécois et Erik Anderson, le Danois. Ça allait être magnifique, j’en étais sûre. Je connaissais très bien Carolyn et Nicholas, avait d’excellents souvenirs avec Marjan et Guillaume et beaucoup moins Erik qui était récent dans la liste de mes « conquêtes amicales ». Je précise que, pour ma part, j’avais créé de la lingerie féminine pour Victoria’s secret et m’étais fait connaître pour mon originalité et mon audace. Toujours à New York, j’étais tenté par Milan où je pourrais travailler pour Dolce et Gabbana… Ça allait se préciser très vite. Être styliste pour une maison de couture aussi réputée, c’était entrer dans la cour des grands.

Je suis arrivée en France le sept décembre et, à l’aéroport de Nice, Xavier est venu me chercher. On a dîné chez lui le soir en compagnie de son épouse, Nathalie et de leurs deux filles. Ça a été une belle soirée, pleine de charmes et de rires. Le lendemain, on est allé à Roquebrune et il m’a montré la villa. Elle était de belles dimensions et sise sur les hauteurs. Entièrement meublée, elle disposait de plus de chambres qu’il ne m’en fallait pour recevoir mes amis. Xavier la louait sans cesse d’avril à octobre tant à des Américains qu’à des Anglais. Tout y était fonctionnel et confortable et surtout tout y était très beau : canapés de cuir blanc, fauteuils design, copies de tableaux de grands maîtres de l’abstrait, mobilier stylé mariant des styles divers, voilages blancs aux fenêtres et belles salles de bain jouxtant quasiment toutes les chambres. J’ai poussé des exclamations de joie ! Tout le monde serait content non seulement à cause de la beauté des lieux mais à cause des vastes proportions de la pièce maîtresse, de la taille de la plupart des chambres et surtout de la présence des communs. Ils étaient aménagés eux-aussi et de quelle manière ! Nicholas pourrait jouer du piano – car il y en avait-un ; Jonathan sculpterait s’il le souhaitait et Marjan travailler ses mises en scène. Quant aux danseurs, ce serait plus délicat pour eux mais ils trouveraient le moyen de s’entraîner…

- Ça te plaît ?

- Mais tu plaisantes. C’est un lieu incroyable.

-Vous aurez du mal à utiliser la piscine de plein –air. Tu invites un Danois et un Canadien. Eux peut-être s’accommoderont de la température de l’eau.

-Non, je ne pense pas !

-Il y a des vélos à disposition, des appareils de musculation et la plus belle des chambres est équipée d’un spa. Tu ne peux imaginer à quel point les locataires épisodiques de ce type de maison sont exigeants. Ils paient beaucoup et veulent de ce fait que rien ne leur manque. Le jardin, vous le verrez, est entretenu et il y a une serre. Ah, bien entendu, il y encore un autre bâtiment- A quoi sert- il ?

-A jouer de la musique, à peindre, à chanter, à faire des soirées ! On y danse, on s’y amuse…

-La maison n’est pas assez grande ?

-On dirait bien que non ! Maintenant

-Il y a un gardien des lieux ?

Il n’a pas exactement cette fonction. Il s’occupe de toute panne pouvant survenir dans la maison et de tout problème extérieur. La villa est sécurisée. Le mur d’enceinte est dissuasif. Michele, l’homme de peine, n’est pas toujours là, sauf en été où j’ai affaire à des clients presque maniaques dans leurs exigences.

-Pas de danger, donc ?

-T’ai-je déjà loué une maison qui en présente ?

-Non.

-Vous venez en décembre. Il n’y pas tellement de touristes. Plus vous vous approcherez des Fêtes, plus vous verrez des gens circuler. Ils sont du coin ou viennent des villes voisines. Ces gens-là ne posent en général pas de problème. En été, c’est un peu différent. On est près de Monaco. Il y a des voleurs, de plus ou moins grande envergure mais ceux qui ont les moyens de posséder une belle propriété ici ont aussi ceux d’écarter tout danger.

-En tout cas, c’est un très beau lieu.

-Oui mais si j’ai un conseil à te donner, reviens en août ou en septembre. Vous disposez d’un chemin privé, assez escarpé il est vrai, qui vous permet de rejoindre une petite crique de toute beauté. C’est quasiment une dépendance de la propriété. Ceux qui ne louent pas « La Villa jaune » ne s’y rendent pas.

-Il peut y avoir de belles journées même en hiver…

-Si vous n’attendez pas de la Côte d’azur qu’elle remplisse uniquement son rôle de bel écrin estival pour vacanciers aisés en quête de soleil et du bleu de la Méditerranée, vous y trouverez votre compte !

-Je suis déjà venue en basse saison !

-Oui, mais pas en aussi bonne compagnie, à ce qu’il me semble !

 

22 août 2022

George D. Celui qui meurt. Partie 1. Une Italienne meurtie.

BELLE MAISON

Dans le sud de la France, un bande de jeunes artistes venant d'horizons différents passent la période des fêtes dans une belle villa. Chacun parle à son tour. Ici, une jeune Italienne prend la parole et évoque sa vie. Elle parle aussi d'un homme désespéré qui crierait près de la villa...

J’avais trente-deux ans. Xavier restait, dans mon imaginaire, le type d’homme qui ne fait pas de mal à une femme. Il avait eu une brève liaison avec moi et c’est lui qui Y avait mis fin. Physiquement et intellectuellement, je ne correspondais pas à la femme qu’il voulait rencontrer mais il avait pour lui deux grandes qualités : le tact et l’humour. Cette jeune fille de vingt-trois ans qu’il n’était pas pour lui une amoureuse, il lui proposait une amitié sincère. Puisqu’on habitait sur des continents différents et avions des partenaires différents, on pouvait beaucoup partager ! Eh bien, on l’a fait. Il avait eu la primeur de mes émotions anglaises, australiennes, hollandaises et américaines tant pour ma laborieuses ascension professionnelle que pour mes tumultueuses amours. Il m’avait parlé de ses rencontres avortées puis de l’amour qu’il avait éprouvé pour sa future femme. Il m’avait parlé de la naissance de ses deux enfants. Enfin, il m’avait raconté ses errances dans le monde des promoteurs immobiliers. Il s’en tirait bien. De mon côté, je l’avais pris comme confident de mes échecs amoureux. Voilà bien quelqu’un qui aurait pu souligner mon caractère entier et emporté et ma façon d’intimider les hommes ; il ne l’avait pas fait. Il ne jugeait pas. Il m’avait dit une fois qu’une fois que j’aurais résolu ce problème d’intimidation et cessé de vouloir prendre barre sur mon partenaire, tout irait beaucoup mieux. Il ne s’embarrassait pas de psychologie, Xavier. Pour lui, il fallait juste que je cesse d’être cette Italo-américaine qui se la jouait et récitait en secret les pamphlets féministes des années soixante-dix que sa timide de mère n’avait jamais fait sien. Il était sûr que si j’allais à Milan, je changerais…Et attendant, je devais miser sur ces vacances inattendues pour lentement mais sûrement opérer un changement…

-Un Canadien, un Danois, les deux dansant à Toronto et puis un Anglais, un Australien et une Hollandaise ?

-Voilà.

-Dis-moi, c’est une chance ! Seulement deux femmes pour tous ces mâles ?

-Guillaume est fiancé et sa promise viendra quelques jours.

-Et l’Anglais ?

-Il a une amie mais je ne sais si elle viendra.

-L’Australien ?

-Il a une compagne et il lui est fidèle. Elle ne pourra venir et lui, de toute façon, ne restera pas forcément tout le temps du séjour.

-Il reste le Danois.

-Je ne sais pas où il en est, lui…Théoriquement, il a un compagnon.

-Qui sait…

-Ce sont des amis. Il ne faut pas tout mélanger…Et de toute façon, tu oublies l’Américaine…

Xavier s’est mis à rire. Il était sûr que tout irait bien. Pour ne pas me mettre en peine, il avait dit à l’homme de peine de faire des courses. Tous mes invités arrivant dans les quarante-heures à venir, l’inspection des achats m’a déçue. Qu’à cela ne tienne, Xavier m’a aidé à « dévaliser » un supermarché et des épiceries fines. Après quoi, il m’a mise en boite :

-Qui fera la cuisine pour tout ce monde-là ?

-Moi. Une femme de ménage est prévue mais pas une cuisinière.

-Tu vas crouler sous le travail et ce sera pesant !

Non, car c’est moi qui invite…

-C’est très généreux mais tu vas t’épuiser ! Allons, laisse-moi t’aider.

-Comment cela ?

-Je connais quelqu’un qui fera l’affaire. Elle se fait payer mais vous êtes nombreux. Elle travaille souvent pour la villa et crois-moi, ils ont leurs exigences. Dîners raffinés et à thème. Produits frais. Spécialités locales. Pour un peu, elle pourrait imprimer les menus en provençal et porter un costume traditionnel !

-A ce point ? D’accord, c’est une bonne idée mais…

-Elle se présentera demain : Elisabeth Bellini.

-Ça sent l’Italie…

-Non, la Provence. Attention, elle est susceptible…

Tout était de bon augure. Il me restait à passer ma première nuit dans la grande villa. Je l’ai fait. Au début, j’ai été contente, ai regardé un DVD dans l’immense salon et bu un verre de vin blanc fruité avant d’aller dormir. Passer dans le monde des rêves m’a permis cinq heures de repos total et de bonheur car, à la fois lisses et déroutantes, des images merveilleuses de montagnes enneigées, de lacs exotiques, de plages tropicales tout de même court-circuités par les étranges créatures ailées ou cornues qui s’y promenaient. Belles ou difformes, elles enrayaient l’évidente beauté de ces paysages rêvés en la complexifiant quand elles ne la faisaient pas disparaître. Malgré tout, c’était émerveillant, c’est pourquoi j’ai regretté que, soudain, l’angoisse me laisse si seule dans l’obscurité.

Quelqu’un, pas loin de la villa, hurlait à la mort et je ne savais qui c’était. Ça m’a tétanisée et je n’ai plus dormi. Ce n’était pas un Français, j’en avais l’intuition. Il venait d’ailleurs. Il s’était sauvé, coupant les ponts. Au cœur de la nuit, il ouvrait les yeux sur l’horreur et s’apprêtait à quitter ce monde.

A plusieurs reprises, j’ai crié. Au matin, m’étant tout de même rendormie, j’ai eu un appel de Carolyn et de Marjan. Elles s’étaient retrouvées à Paris et faisaient route ensemble depuis que leur avion s’était posé à Nice. Oubliant mon inquiétude, j’ai contacté une sorte de brunch-déjeuner-dîner, tenant compte des voyages plus ou moins longs qu’elles avaient dû faire et de l’envie qu’elles auraient de se poser et d’être au calme. A peine arrivées, elles ont couru partout : tout leur plaisait. On a picoré, bu modérément et fait le tour du propriétaire. On devisait devant la cuisinière est arrivée pour se présenter. Elle avait la cinquantaine, était très ronde mais ne manquait pas d’aplomb. En outre, contrairement à tant de femmes que le surpoids pénalise, elle m’est apparue comme alerte et harmonieuse. Elle a voulu me montrer ses références mais la parole de Xavier me suffisait. Elle était rassurante et, sans en avoir la moindre conscience, m’a aidée à m’apaiser.

L’homme qui voulait mourir continuait, je le savais, de gémir et de haleter tout près de la villa. Il me faisait peur. Je voulais que les garçons viennent. Ils me rassureraient.

Le lendemain, Nicholas est arrivé de Londres et Jonathan de Paris où il s’était autorisé une halte pour se remettre de son très long vol en provenance d’Australie. On a fait une courte ballade dans Roquebrune avant de retourner à la villa pour parler de tout et de rien. En dernier lieu, Guillaume et Erik nous ont rejoints.

On était huit dans la belle villa. Les vacances commençaient et on en était heureux. Qu’un homme, à l’extérieur, continue de hurler et d’appeler au secours, j’étais seule à le savoir et, ne disposant d’aucun élément pour infirmer ma position, je n’en ai parlé à personne. Cet appel déchirant ne pouvait cependant me laisser indifférente. Il faudrait, de toute façon, que je sorte du silence.

 

Publicité
Publicité
22 août 2022

George D. Celui qui meurt. Partie 1. Moi, George, je suis méconnaissable...

PARIS

3 George. Paris. Décembre 2015. Arrivé épuisé à Paris, le chanteur George Daniel, lassé de tout, se fait horreur. Que fera t'il? 

Je suis méconnaissable. C’est bien. J’ai élu domicile dans un hôtel moyen de gamme. Voilà qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps, d’autant que le beau jeune homme qui tentait de garder les yeux ouverts à la réception a regardé mon passeport d’un œil endormi avant de m’adresser un sourire de commande...

En prenant ma douche ce matin, je me suis fait horreur. Tout s’effondre en moi, physiquement aussi. Pourquoi ai-je désormais l’air épuisé et le teint blafard ? On a tant dit que j’étais beau…

Je suis parti sans rien dire : ils ne comprendront pas et surtout, ils se déchaîneront. Je ne peux pas rester à Paris. Déjà là, j’ai l’impression de devoir me déguiser. En fin de compte, je m’estime heureux que « mes excès » me permettent un incognito relatif. Je viens à peine d’arriver…Ils sauront…Ils trouveront comment me joindre. Jeter son cellulaire à la corbeille, ça ne sert à rien puisque de toute façon, j’en achèterai un autre. Je laisse les messages sans réponse. Ils appellent et ils crient. Bientôt, la mémoire de mon portable sera saturée. Je guette cet instant magique…

Je ne peux pas rester ici, dans cette ville fantastique où errent trop de fantômes…Je ne peux en fait que retrouver les jours anciens, les retraverser et tout est souffrance…Pourtant, au départ, les dieux étaient de mon côté…

La musique, dès le départ. Rien d’autre. Je n’avais, à sept ou huit ans, aucune idée de la forme que cela prendrait mais un désir tenace m’animait er m’enfiévrait.

Dans ma famille, on ne jouait d’aucun instrument. J’étais petit. Mes idées étaient confuses. Le saxophone me plaisait car la sonorité en est belle, si sombre par instants et étincelante par d’autres. Il y avait aussi le piano et la guitare. Je vivais dans une banlieue assez pauvre de Londres où les gens travaillaient sans cesse. Pour ne pas perdre tout espoir ils se raccrochaient à un rêve de réussite sociale, que celui-ci fut magnifique ou modeste. Quelquefois, on me laissait entendre qu’un tel déménageait pour un quartier plus représentatif et « allait s’en sortir ». J’étais content. On pouvait suggérer le contraire et alors j'étais triste. Des impayés nombreux, la chute, la misère. On restait dans un « là » qui était inconfortable. Il y avait tant d’hommes et de femmes qui trimaient pour si peu que les laisser pour compte étaient regardés avec un mélange de pitié et de dédain. Je n’ai pas tant de souvenirs de ceux qui tombaient. J’étais avec les autres, ceux qui sortaient la tête de l’eau…Allez savoir pourquoi, alors que je suis si abattu, cette image me fait rire ! Je pense à des canards !

Mon père était un immigré chypriote qui, péniblement, s’était initié à la restauration « anglaise ». Il voulait dire par là qu’il servait à ses clients une cuisine grecque goûteuse mais adaptée. Enfant, j’avais des relations difficiles avec lui. Il parlait anglais avec un fort accent, s’en voulait de ne pas le perdre et travaillait comme un forcené. Il avait beaucoup d’abattage mais, par bien des aspects, il m’effrayait. Il rentrait tard et avait toujours l’air fatigué, ce qui le rendait difficile d’abord. On ne pouvait pas se parler sans se quereller. Je portais le même prénom que lui et je me souviens que très jeune, j’en restais mal à l’aise comme si je me trouvais dans l’obligation d’être comme lui. Je ne le voulais pas… De ce point de vue-là, je n’ai rien lâché et la Pop star que je suis devenue a tenté de se détacher de cet être ventripotent. En vain ! Je tiens de lui et ai hérité d’une sorte de démesure grecque qui fait de moi un homme excessif, C’est vrai, je ne l’ai pas encouragé à beaucoup me côtoyer. Il a compris très vite, en bon méditerranéen qu’il était. Cependant, il s’est montré bien plus habile qu’attendu. Il a bien compris qu’il ne fallait s’attendre à de petits enfants avec moi mais il a fait preuve d’une grande droiture et d’une grande loyauté. Il a, au fil du temps, accepté qui j’étais.

Pour la musique, tout jeune, j’ai dû passer par lui, malgré mon appréhension. Il fallait qu’il nous aide à démarrer, les parents d’Andrew ne pouvant subvenir à tout. Contrairement à ces derniers qui ont tout de suite été persuadés qu’ils misaient sur le bon cheval, mon père a été certain qu’il mettait de l’argent sur un piètre coureur, incapable de gagner une course. Il a cédé en rechignant. Puis, il a découvert avec stupéfaction que j’étais excellent tant en endurance pour le saut d’obstacle. Un pur-sang ! Il n’en est pas revenu…Si ce n’est que je ne me préparais pas en tant qu’athlète pour les jeux olympiques mais pour chanter à Wembley. Je l’ai convaincu peu à peu et lui ai offert une Rolls Royce. Il a aimé.

Ma mère, elle, ne doutait pas. Elle sentait que j’avais du talent. Je l’aimais, elle, Lesley. Encore jeune, elle avait de bonnes joues rouges et des yeux bruns pétillants. Elle me serrait fort contre elle quand j’étais bébé et n’a jamais cessé de le faire jusqu’à sa mort comme s’il ne lui suffisait pas de me donner de l’amour. Je me souviens très bien de son étonnement quand j’ai parlé de la musique. Sur de petits cahiers, je recopiais des chansons mais aussi des partitions. Elle est la première à avoir compris que j’étais attiré par le solfège. Oui, je connaissais les notes de musique et leur pouvoir. Elle en a été très surprise et comme flattée. Mon premier instrument de musique a été une guitare sèche. Un certain monsieur Lindsay me donnait des cours aussi peu porteurs que son austérité et son incompétence l’y autorisaient. Je me suis plaint et ma mère a trouvé mieux. J’avais un peu grandi et elle m’a inscrit à l’école de musique du coin où j'ai très vite progressé. Très vite, on a vanté mon oreille musicale et ma facilité à apprendre à jouer d'un instrument. J'ai voulu m'attaquer au piano et je l'ai fait avec la même rigueur. En

Patricia et Helen, mes deux sœurs, se débrouillaient bien mieux que moi à l’école et avaient meilleure presse. Elles étaient assez distantes avec moi, estimant que je j’étais le préféré de ma mère et le point d’interrogation de mon père. Il les adorait pour sa part et elles ne tenaient, pour aucune d’entre elles, à ce que la situation s’inversât. Ma mère, elle, avait une pudeur instinctive. Elle tentait, par tous les moyens, de favoriser mes désirs et la musique ne lui apparaissait comme nullement abstraite.

Je l’aimais, Dieu que je l’aimais, ma mère, ma maman, Lesley ! Elle était si bonne, si profonde et si en phase avec moi. Les psaumes et leur beauté s’ouvrait quand je contemplais son beau visage. Les verts paradis, les sources bienfaisantes, les ciels cléments…

Jusqu’à l’âge de treize ans, j’ai été un collégien insignifiant. J’étudiais dans un établissement public d’une banlieue londonienne peu flatteuse sur lequel personne n’avait rien à dire. Quand j’ai eu décidé mon copain Andrew à former un groupe pop avec moi, mon avenir s’est dessiné et j’ai su que je ne serais pas obscur. Il y avait longtemps déjà que j’avais tronqué la guitare sèche contre une guitare électrique et envoyé aux oubliettes mon premier enseignant. J’avais appris le piano aussi et obtenu de mes parents qu’ils en louent un. J’écrivais déjà des chansons et j’étais partout : paroles, musique, arrangement, orchestration. Andrew ne faisait que rire. Il voyait les bons côtés de la vie. J’avais besoin de son équilibre comme de sa légèreté. On s’installait soit dans sa chambre, chez ses parents, soit dans le garage, chez les miens et on répétait. J’avais une belle voix et j’avais déjà compris que je devrais la travailler. Andrew, lui, avait un incroyable sens du costume et de la mise en scène. Il inventait les costumes qu’on porterait quand on serait célèbre, les brushings qui nous mettraient en valeur et les accessoires qui nous rendraient irrésistibles. On vivait les années Thatcher et tout le monde courbait l’échine. On serait là, tous les deux, à la sortie de cette ère et on nous adorerait d’être si vifs et si gais. En ce sens, il voyait juste dans le temps même où nos deux familles attendaient péniblement que notre désir de fonder un groupe musical à succès nous apparaisse enfin comme une des illusions de notre adolescence. Ils se trompaient ! Comme ils se trompaient ! A dix-huit ans, on n’avait ni l’un ni l’autre abandonné l’espoir de se faire connaître. On se produisait à droite et à gauche dans de petites salles de banlieue. On se disait que quelqu’un nous repérerait forcément et qu’on ferait une maquette puis un disque. Il ne pouvait en aller autrement. On avait raison de ne pas douter. Il est venu à la fin d’un de nos spectacles pour lycéennes survoltées, l’homme qui portait notre destin. La maquette a bel et bien existé et on a enregistré un petit single, chez Sony tout de même…

Ensuite, ça a été la folie, le raz de marée, les concerts, les enregistrements, les télés et les centaines de milliers de disques vendus. On nous adorait, les filles surtout. Elles hurlaient et jetaient sur scène des fleurs, des messages d’amour, des sous-vêtements. Andrew en profitait le plus qu’il pouvait, racolant toutes sortes de nanas sans le moindre état d’âme. Moi, je faisais semblant d’être comme lui mais il n’était pas dupe. J’avais peur de ces mêmes filles qui se contorsionnaient devant moi quand je chantais ces airs à la mode qui me rendaient irrésistibles et qui, en dépit de leur facilité, étaient soigneusement écrits. Je bondissais et me déhanchais en mini short jaune sans qu’elle mette le moins du monde en cause ma virilité…Elles me tournaient autour à m’en donner la nausée mais évidemment, je ne montrais rien de ce que je ressentais vraiment. Les unes après les autres, celles sur lesquelles j’avais jeté mon dévolu rejoignaient ma couche ou étaient supposés le faire…Un temps, ce rôle de jeune sultan m’a amusé puis il m’a pesé…

 

22 août 2022

George D. Celui qui meurt. Partie 1. Cette vie qui est passée...

6414363

George et la fin de Wham

Andrew et moi, on a été d’accord pour cesser de former un groupe alors même qu’on était au sommet ! Du jour au lendemain, on a annoncé une série de concerts d’adieux. Je crois qu’Andrew a pris ça pour un coup de marketing. Voilà, on se mettait en pré-retraite à vingt-quatre ans et quelques mois plus tard, on renaitrait de nos cendres avec, qui sait, un coéquipier fraîchement rencontré. Il avait tort. « Wham », c’était lui et moi, le souci étant que je faisais tout ou presque. Les mélodies, les paroles, les arrangements, les orchestrations, autant ne pas se leurrer, c’était toujours moi. Lui, il avait de bonnes idées pour des clips, des apparitions télé, de nouveaux concerts à négocier. Pour les premières de couvertures où on portait des tenues invraisemblables, il n’avait pas son pareil. Ça ne suffisait plus. Je voulais une carrière en solo. Il a eu l’intelligence de le comprendre et jamais il ne m’en a voulu. « Wham », c’était fini pour nous mais au téléphone, des années durant, il m’a chanté « Club Tropicana » chaque fois qu’on s’appelait. Il le faisait sans nostalgie, en vrai pote d’adolescence. Seulement, le mienne comme la sienne était finie et seul, je traçais une route pleine de disques d’or et de record à l’audimat…

J’avais commencé à changer d’apparence. Ma voix s’était modifiée et bien sûr mon répertoire. Pour l’ambiguïté, je n’ai rien fait. J’ai continué de donner le change parce que le travestissement en Angleterre, pour peu qu’on observe certaines règles, ne choque pas tant que cela et la beauté physique non plus, même si, à certains signes discrets, on voit qu’elle n’est pas strictement hétérosexuelle.

Des années et des années de carrière…Je vends toujours mais moins qu’au moment où j’étais « glamour » ... Je n’ai jamais été sans angoisse, j’étais très introspectif mais très jeune, je n’en souffrais pas, pas plus que je n’étais gêné de des « uniformes » divers dans lequel je chantais et de tous les sous-entendus qui s’y accrochaient. Ce doit être ça vieillir, perdre cette facilité à livrer une image légère, se mettre à la contrôler absolument avant de la sentir vous échapper, se rendre compte qu’on a mis trop longtemps à ne plus mentir.

La vie passait. Il y a des moments où je ne pouvais plus rien faire, d’autres où j’étais malade et d’autres enfin où je retrouvais cette merveilleuse créativité des premiers temps, comme si rien ne m’était arrivé. J’étais toujours contacté. Je signais toujours des contrats. Je vivais plus ou moins bien…

Il y a six mois, j’ai commencé à rêver du trou noir dans lequel nécessairement je tomberais parce que revenaient dans ma vie les incontournables enfermements de la dépression et que j’y ajoutais mes vieux amis : les comprimés, les pilules, les poudres et les verres d’alcool. Il n’y avait rien à fuir, bien sûr, mais plus grand-chose à affronter non plus. J’avais connu le star système, les joies et les peines d’un succès planétaire ; j’avais menti sur mon identité sexuelle avant de m’éveiller enfin à ce que j’étais et de le revendiquer. J’avais connu la chute dans les sondages et le silence des médias puis tout d’un coup leur réveil et ma renaissance. Et puis j’avais connu l’amour et la perte. Il y a temps où comprend que tout est irrémédiable. On peut continuer de faire le singe, bien sûr et puis quoi ?

Paul a essayé de me faire parler mais j’ai esquivé, ce qui n’était pas simple. Beaucoup de mes vrais amis étaient morts et j’en avais de nouveau, auxquels je n’ai rien dit. Mes sœurs étaient devenues lointaines malgré l’apparente bonhomie des relations qu’elles avaient avec moi. Mon père s’était remarié depuis longtemps déjà et Lesley était défunte. La danseuse morte.

Fin novembre, l’étouffement est venu. J’ai traîné quelques jours seul et j’ai beaucoup bu. Je ne sortais pas. Je laissais des mots à la femme de ménage pour qu’elle sorte Carey, ma chienne Labrador mais j’évitais de la croiser.

Mi- décembre, je suis parti à Heathrow en laissant derrière moi mon ordinateur et des dossiers bien en ordre. J’ai payé mon aller pour la France en liquide. British Airways. Je n’avais qu’un sac de voyage. L’hôtesse de l’air, quand je lui présenté ma carte d’embarquement à l’entrée de l’appareil, m’a souri d’un air entendu. Elle m’avait reconnu. Quand même…

Je n’ai laissé aucun message à Paul. Pourquoi m’étais-je mis à le détester ? J’ai agi de même avec mes deux sœurs. Il ne faudrait pas que je les laisse trop longtemps dans l’incertitude lui comme elles…

Quand l’avion a décollé, j’étais enveloppé dans un désarroi si profond que rien ne semblait pouvoir l’endiguer. Et puis, j’ai entendu la voix de A. J’en ai été totalement bouleversé. Cela faisait si longtemps ! Elle était douce, cette voix et attentive. Un Brésilien qui parlait anglais avec un léger accent…

Je sais, tu ne vas pas bien. Tu es dans un cercle aussi : tout ce que tu avales, tout ce qu’on te vend…George : tu as raison de t’en aller. Tu vois, tu es si prisonnier de toi-même que quand bien même je continuais à te parler, tu ne m’entendais pas. Maintenant, ton âme s’ouvre. Va dans le sud, ne reste pas à Paris. Comment je sais cela ? Tu te le demandes ? J’étais ton ange et je le reste. Je sais. Ils ne te laisseront pas seuls, tu verras…

Intérieurement, je l’ai tancé. Que me disait-il là ? Il était mort depuis si longtemps…

J’ai toujours veillé sur toi.

C’est faux.

C’est vrai. Tu penses que tu vas à Paris car tu es à bout et que c’est là que tu as su pour moi…Tu feras ce qui est à faire. Tu peux avoir ce courage, j’en suis sûr. Mais non, écoute, c’est non. Tu ne dois pas céder à la tentation de venir me rejoindre. Ce n’est pas le moment. C’est trop tôt, George. Pas comme ça. Va dans le sud. Laisse-toi guider. Je suis ton ange…

Ce que j’avais à dire, je l’ai dit. Ne me fais le coup de mes chansons, de ma musique et de mon œuvre…Qu’est-ce qu’il reste ?

L’amour qu’on a pour ton œuvre. Tu es fatigué alors tu te rends plus compte que tu es aimé pour ce que tu as su leur dire, pour ce que tu as déposé dans leurs âmes. Ils t’aiment et ces jeunes gens que tu vas rencontrer, ils vont t’aimer aussi. Courage, George. Ton ange va suivre cela de près. Tu ne tomberas pas.

N’est-ce pas déjà fait ?

Ah, tu dis ça car je ne te parlais pas si souvent…Non, non, ce n’est pas fait. Il y a tant de bruits, de gens autour de toi mais tu es debout, Georges, tu sais ça ?

Non.

Si. Ils te le diront.

J’ai ravalé mes larmes.

 

20 août 2022

George D. Celui qui meurt. Partie 1. Vous m’emmèneriez sur votre lieu de vacances ?

rivage

 

4 Nicholas. Roquebrune. Décembre 2015. Deux jeunes hommes en vacances dans le sud de la France repèrent sur une plage déserte un homme qui veut en finir...

J’étais avec Jonathan sur la plage quand on l’a vu. En guise de plage, c’était plutôt une crique et de la villa, l’accès en était difficile. Il fallait emprunter un escalier escarpé aux marches parfois étroites ou abîmées. En général, on y allait tous ensemble et à la queue leu-leu ou par deux ou trois, plutôt le matin ou en début d’après-midi. Décembre à Roquebrune était théoriquement « un mois froid ». Nous trouvions les températures clémentes et même s’il faisait gris, nous sortions beaucoup. En contrebas de la villa, nous disposions d’un espace qui nous était propre et nous nous y délassions, trempant parfois nos pieds dans les eaux tout de même froides d’une Méditerranée hivernale…C’était un endroit magnifique pour chanter et danser, parler de tout et de rien ou se faire la cour. Je venais de signer pour une série de concerts un peu partout en Angleterre et j’en étais très heureux comme peut l’être un virtuose de vingt-huit ans qui sent enfin la chance lui sourire. Jonathan, lui, cherchait toujours à percer et je ne doutais pas qu’il y parviendrait. Chacune de ses statues graciles m’émouvait. Je les avais vues pour la première fois à Sydney, deux ans auparavant et mon cœur avait chaviré. Une petite fille aux longues jambes fines jouxtait un homme entre deux âges et tous deux avançaient sur les étranges chemins de la vie. Une femme, sur la pointe des pieds, tendaient ses mains vers le ciel tandis qu’un jeune homme, bien planté sur ses deux jambes, croisait les bras sur sa poitrine, davantage en signe d’attente que de colère. C’était un univers de l’espérance où tous étaient purs…

Pour l’heure, nous étions là à bavarder, assis sur le sable frais, en tenue de sport. On riait de tout et de rien quand un événement insolite s’est produit…C’est Jonathan qui l’a vu le premier, l’homme en noir qui se tenait très droit.

-Il y a un type là-bas…

-Oui, c’est vrai. Comment a- t-il pu venir jusqu’ici ? Il y a autre accès que la villa ? Ce n’est pas privé ?

-Je pensais que si mais j’ai sans doute tort.

-Mince alors ! En tout cas, ce doit être rudement escarpé. Déjà que nous, pour arriver ici, ça n’a pas été simple…

-Il est très bien vêtu. C’est bizarre. Un cadre supérieur qui prendrait un chemin de traverse…Il lui manque l’attaché-case. Franchement, comment a-t’il fait ?

L’homme ne cherchait particulièrement à venir vers nous et il ne nous regardait pas, alors que l’espace était restreint. Sa pause hiératique était glaçante et nous nous sommes regardés l’un l’autre, Jonathan et moi, sans savoir que penser. Nicholas a pris la parole :

-Valeria n’a pas parlé d’un homme en souffrance qui tournerait autour de la villa ?

-C’est un mauvais rêve qu’elle a fait. Elle nous l’a dit ensuite.

- Pourtant, on dirait qu’elle ne s’est pas trompée…Regarde !

Quand il a commencé, en manteau trois quarts bleu-foncé et costume gris à s’avancer vers la mer, nous sommes restés interloqués. Il a laissé ses lunettes de vue sur le sable ainsi que ce qui nous est apparu ensuite comme un téléphone portable de petite dimension et un porte-chéquier. Il est entré dans l’eau d’un bon pas et n’a pas dévié sa route. La marée était basse et même si l’eau était froide, il avait assez peu de chance d’être rapidement en danger. Toutefois, il était lourdement vêtu et n’avait pas retiré ses chaussures. Le premier effet de surprise passé, Jonathan s’est mis en tête de le secourir. Il s’est partiellement dévêtu et est entré dans l’eau. J’ai fait de même. C’était au-delà de tout principe de réalité, cet homme qui allait droit devant lui dans la lumière bleutée d’une matinée de décembre, confondant la sérénité d’un chemin de terre à l’engloutissement qui le menaçait. Avant même que Jonathan ne l’ait rejoint, il commençait, après un sursaut qu’il l’avait fait nager frénétiquement, à se laisser aller sans plus se débattre. Qu’est-ce qu’il lui arrivait ? Il allait vers les eaux profondes. Mon ami sculpteur avait beau avoir réagi vite, il avait négligé un paramètre : l’homme dont il s’était approché, se défendait. Il ne suffisait pas de le rattraper, de le faire s’arrimer à soi et de le ramener sur la plage puisqu’il ne voulait pas être aidé. Il se battait. J’ai alors rencontré une incroyable réalité : pour le sauver, car il s’agissait bien de cela, il allait falloir prendre barre sur lui. J’ai rejoint Jonathan et nous avons dû nous y mettre à deux pour avoir raison de lui. Je n’aurais jamais imaginé que ce grand homme aux lourds vêtements imbibés d’eau puisse déployer une telle énergie et faire preuve d’une telle ruse pour nous tenir tête et continuer de s’enfoncer dans l’eau. Il nous a fallu pas mal de temps pour le ramener vers rivage, là où nous avions pied et là encore, il s’est débattu de façon Invraisemblable. Épuisés mais soulagés, on s’est retrouvés haletants sur le sable où l’on s’est retrouvés allongés tous les trois, le temps de se reprendre. Nous regardions le ciel tous les deux et cherchions à nous reprendre mais lui, qui gisait entre nous deux, tournait la tête de droite et de gauche et ne cessait de geindre. Il avait peut-être mal. Je l’ai aidé à retirer son manteau mais n’ai vu rien qui pose problème sauf la contusion à la joue que j’avais été obligé de lui faire. Péniblement, il s’est calmé. Quand sa respiration a au repris un rythme normal, on s’est risqué à le faire tenir sur ses pieds. Il n’a opposé pas de résistance. Jonathan avait récupéré sur la plage, son téléphone et ce qui se révélait être un portefeuille plus qu’un porte-chéquier. Il les a gardés avec lui. On a commencé la longue ascension de l’escalier en le guidant pas à pas. J’avais pris son manteau. Après sa violence primaire, il était devenu paisible. La situation, cependant, demeurait irréelle : sur cette plage française, ainsi, deux jeunes étrangers en vacances s’était sérieusement battus avec un candidat à la noyade absolument déterminé. A un moment, je m’étais même demandé si l’un de nous d’eux n’allait pas y rester ! Il n’y avait vraiment rien à comprendre.

Au sommet de l’escalier, l’étrange miraculé du suicide a enfin paru retrouver ses esprits et nous a regardés comme si nous étions enfin des interlocuteurs et non comme des empêcheurs de tourner en rond. Quittant sa dureté, il est devenu un homme simple et sociable.

-Je suis vraiment navré. Je ne savais plus où j’en étais et je vous ai causé bien du souci ! Vous êtes jeunes et je vous ai donné…

-Du fil à retordre. C’est sûr, monsieur !

-Comment vous appelez-vous ?

-Nicholas.

-Et vous ?

-Jonathan.

-Vous êtes anglais et vous australien, c’est ça ?

-Oui, monsieur. Vous êtes sagace pour les accents !

-Quel est votre nom ?

-Je m’appelle George. Que faites-vous dans la vie, jeune Anglais ?

-Je suis pianiste de concert.

-Oh, c’est magnifique !

-Et vous, Jonathan ?

-Je suis sculpteur. Je vis à Sydney.

Il avait l’air de vouloir deviser comme ça gaiement, complètement oublieux de son attitude violente quand nous nous efforcions de le sortir de l’eau. Il a poursuivi et nous a stupéfiés :

-A vrai dire, je ne suis pas arrivé par le même chemin et je ne sais trop où est mon véhicule ! Mais je vais le retrouver et rejoindre mon auberge…Elle est quasiment déserte. C’est parfait pour moi.

-Vous voulez rejoindre votre hôtel ?

J’étais partagé entre l’inquiétude et l’amusement. Cet homme avait-il conscience de ce qu’il disait ? Il est resté imperturbable quoique gêné.

-Oui mais j’aimerais que vous m’escortiez. C’est que je n’ai pas recouvré tous mes esprits…

Jonathan a enchaîné :

-Et on doit vous y conduire dans cet accoutrement, les vêtements collés à la peau et les cheveux dégoulinants alors que vous êtes dans la même tenue avec une plaie au visage ? Excusez-moi, monsieur, mais je crois qu’il faut opter pour une autre solution. Nous louons une grande villa pour les vacances ; elle est très proche. Venez- vous remettre et vous changer…

Il est devenu confus.

-Vous feriez ça, m’emmener sur votre lieu de vacances ?

-C’est une proposition solide. Acceptez-la.

Il a eu un sourire amusé qui a enfin détendu son visage tourmenté puis il a adopté une expression humble.

-C’est très généreux à vous d’autant que vous m’avez empêché d’attenter à mes jours…

On l’a guidé vers la maison. La vaste cuisine était vide de tous ses occupants mais quelqu’un jouait du piano dans l’un des salons, Guillaume ou Erik sans doute, et on entendu des pas à l’étage.

 

20 août 2022

George D. Celui qui meurt. Partie 1. Je vous reconnais !

GM STREET ART

Sur une plage du sud de la France, en hiver, deux jeunes promeneurs sauvent d'une noyade volontaire un inconnu épuisé. Or, il s'agit de la star George Daniel...

J’ai servi un grand bol de café à « George » tandis que Jonathan s’éclipsait pour se changer. J’ai tranché de belles tranches de pain français que j’ai posées sur une assiette devant lui puis j’ai sorti du beurre de frigo et attrapé des pots de confiture sur la desserte.

-Elles sont maison. Et le pain est génial ! C’est la France !

Il s’est à manger avec un tel appétit que j’en ai été suffoqué. Pour quelqu’un qui voulait mettre fin à ses jours quelques instants plus tôt, il faisait preuve d’une belle voracité. Jonathan est revenu avec Carolyn sur ses talons.

-Les garçons, ce n’est pas du jeu. Depuis quand laisse-t-on des vêtements trempés dans la salle de bain de la chambre jaune ? Lequel d’entre vous a pris une douche tout habillé ?

Son regard s’est arrêté sur moi :

-Mais toi-aussi, tu es trempé !

Et puis, elle l’a regardé, lui. Il s’est levé alors et avec une noblesse et une dignité incroyable et lui, qui nous était apparu comme un Anglais d’âge mur plutôt laid et défait, s’est mis à étinceler :

-Veuillez les excuser, mademoiselle ou madame. C’est moi qui les ai contraints à être dans cet état…Ils m’ont sauvé la vie et ils m’ont conduit ici.

Elle est restée saisie totalement.

-Sauvé la vie ?

-Oui, j’étais très agité…J’ai tenté de me noyer…

Tandis qu’elle restait sidérée, je me suis éclipsé pour aller me laver et me changer aussi. On s’est ensuite occupé de lui. Il était grand et seuls les vêtements de Guillaume pouvaient lui convenir. Quand il est revenu vers nous vêtu d’un jean, d’un grand pull bleu-marine et de bottines, on s’est trouvé face à une autre personne. Il était dépressif, c’est clair mais il avait désormais belle allure. Carolyn a soigné sa coupure à la joue. Elle était bégnine. C’était émouvant de la voir, elle, toute blonde et jolie, poser sur la joue de notre illustre invité un coton imbibé de désinfectant.

-J’avais des lunettes….

-On les a retrouvées dans la poche de votre manteau : voici l’étui, monsieur.

-Nicholas, vous pouvez m’appeler George.

-D’accord, George. Vos vêtements sont dans la machine à laver, sauf ce qui risquerait d'en souffrir. Nous les avons confiés à l'intendante de cette maison. Elle en prendra le plus grand soin. Sinon, voici votre portefeuille avec vos cartes de crédit et tout le reste.

La voix de Carolyn s’est élevée :

-Je pense ne pas me tromper…Vous avez eu une grande carrière, n’est-ce pas ? Est-ce que vous êtes George Daniel ?

-Oui, je le suis. Vous avez raison de parler au passé. J’étais une Pop star. Je devais plaire et faire courir les foules. Je devrais couvrir chaque année beaucoup de grandes capitales européennes. C’était ainsi, les tournées et ça a duré vingt ans environ. C’était fascinant et oppressant. Mais comment une jeune femme comme peut-elle m’avoir identifié, surtout dans l’accoutrement où j’étais ?

La télé anglaise diffusait avant-hier une émission sur vous…

-Ah, une rétrospective, j’imagine...

-Oui. C’est votre visage que j’y ai vu. Je vous reconnais.

-Quelle chaîne anglaise ?

-Channel 5.

-Oh, je vois ! Que des compliments sur moi, bien sûr ?

-Non, ce serait mentir mais vos chansons sont au-delà de tout…

Il l’a regardée avec déférence. Il se tenait très droit et il était digne.

-Messieurs, mademoiselle, je vais regagner mon auberge.

Aucun de nous n’était d’accord. Il n’a pas lâché tant que les deux danseurs n’aient envahi la cuisine. Plus personne ne jouait du piano. C’était donc eux. Guillaume a parlé d’abord :

-Qu’est-ce qui se passe ?

-Monsieur Daniel est notre invité ce jour.

-Ah c’est bien.

Il n’a pas fait le lien avec les vêtements qu’on lui avait chipés et n’a pas fait le rapprochement entre ce « monsieur Daniel » ici présent et la star George Daniel. Erik ne l’a pas fait non plus. Il a adressé à notre invité anglais un sourire juvénile avant d’avancer une remarque :

-On parle plusieurs langues ici mais le dénominateur commun est l’anglais et vous êtes anglais, n’est-ce pas ?

-Oui.

-Un bon point pour vous, alors.

Afin de les rendre moins lunaires l’un et l’autre, j’ai précisé que nous étions en présence d’un invité de marque…Guillaume a compris de qui il pouvait s’agir mais Erik, rêveur et distrait comme il était, pas du tout. Il s’est éclipsé sans avoir le moins du monde conscience du problème que nous posait cet homme de par sa renommée et son état de santé…

George est resté toute la journée, dorloté par Jonathan et moi-même puis il a insisté pour retrouver son hôtel. Il semblait très sûr de lui et nous avons cédé. Le lendemain cependant, bourrelés d’inquiétude, nous sommes passés le prendre à l’y prendre. Laisser quelqu’un comme ça tout seul, après ce qui venait de se passer nous paraissait aberrant. On devait être encore trop jeunes pour être insensibles et on était aussi très spontanés. Il aurait changé de plage ou de tactique.

Tu vois, tu vois bien. Tu n’avais rien à faire à Paris. Pourquoi marcher encore et encore dans ces lieux qui ont vu ta tristesse. C’est bien à Paris que tu as compris que j’allais mourir ? Ici ils ne t’attendaient pas et tu les surprends beaucoup. Mais Ils sont jeunes, ils sont créatifs et ne crois pas qu’ils n’aient rien vécu. Reste avec eux. Je suis ton ange.

 

20 août 2022

George D. Celui qui meurt. Partie 1. J'étais le beau chanteur !

270a74b8e404069ca227b03a66ba98ff

5 Marjan. Roquebrune. Décembre 2015. George Daniel, le célèbre chanteur, a été sauvé de la noyade par deux jeunes gens en vacances à Roquebrune. Peu à peu, il intégre leur groupe et s'apaise...

Il a mis quelques jours à quitter mentalement « son auberge discrète » et s’est cantonné dans une chambre proche de celle de Carolyn. Nous l’avons d’abord peu vu. Sans doute dormait-il beaucoup et récupérait-il. Peu à peu, cet air de somnambule qui cherche la mort sans la trouver a commencé à le quitter, ce qui l’a rendu plus rassurant. On a insisté toutefois pour qu’il se joigne à nous, sachant qu’un homme dans sa situation est guetté par ses démons pour un peu qu’il reste trop seul. Il a tergiversé puis accepté.

Entre temps, on s’était tous jeté sur YouTube et ses chansons nous ont paralysés d’admiration tant elles étaient hors du temps. Nous avions tous entre vingt-cinq et trente-trois ans dans cette villa, ce qui signifiait que le plus âgé d’entre nous, Jonathan, était né en 1984. A cette époque-là, George Daniel enflammait le cœur des petites Anglaises et de leurs mères. Il avait eu un succès démentiel et ceci dès l’âge de dix-neuf ans et quand la gloire vous tombe dessus comme ça, en quelques décennies, on vit plusieurs vies. Les siennes avaient été extraordinairement bien remplies. « Il était passé du Jardin des Délices aux allées des Enfers avant de rejoindre de verts pâturages, juste avant que l’ombre de la mort ne le talonne. » Voilà la belle phrase que j’avais concoctée. Elle sonnait bien et elle parlait à tous…Nous n’avions pas besoin de connaître tous les détails de sa vie pour le savoir. Nous écoutions ses chansons et le faisons sans préjugés. Il avait d’ailleurs bien demandé de le faire dans un de ses albums de façon à ce que sa musique, sa voix et ses textes arrivent pleinement à ces auditeurs... Et ses chansons, elles s’appuyaient justement sur ces métaphores qui, jusque-là éculées pour nous, reprenaient force et sens. Le Paradis et l’Enfer, les anges et les démons, la figure du père et le regret de la mère, la recherche de l’amour absolu à travers tous les archétypes et bien entendu la Musique pour nous relier tous…Et puis ses partenaires ! Paul Mac Cartney, Elton John, Tom Jones, Aretha Franklin, Bono, Whitney Houston et même Luciano Pavarotti …

J’étais peut-être plus terre à terre que les autres, c’est pour cela qu’après qu’il a eu donné son accord, ils m’ont demandé de discuter avec lui des termes de son accueil. Je l’ai fait non sans commencer par parler de moi.

-J’ai vingt-neuf ans, je suis Hollandaise et j’ai fait des études pour être metteur en scène. Actuellement je suis assistante. Dans un mois, je serai sur un tournage à Amsterdam. Vous savez, je suis très contente. C’est un gros projet et que ce film marche ou pas, je tourne mon premier long. Tout est prêt. Même le financement est acté. C’est juste que le succès de ce film à venir me permettrait, je l’espère, d’être plus optimiste concernant le tournage du mien… Je veux faire une bonne carrière, vous savez. J’ai dix films dans la tête !

Il a paru très intrigué :

-Vous me parlerez de votre premier film à venir ?

-Bien sûr !

-Et plus tard, des dix autres !

-Oui, si tant est que j’en fasse dix ! Nous allons avoir le temps de bavarder puisque vous allez rester avec nous !

Il était d’une étonnante distinction ; chacun de nous en demeurait stupéfait et nous le respections. Il m’a senti mal à l’aise et m’a aidé :

-Écoutez, tout ceci est étrange. Rien ne vous oblige à me recevoir. Je peux partir…

-Non, ce n’est pas cela. Sur ce point, nous sommes tous d’accord. Aucun de nous ne reste longtemps de toute façon. Nous voulons juste être sûrs que vos idées noires ne vous pas vont vous conduire à attenter à vos jours dans la villa…

-Non, bien sûr que non. Je vous donne ma parole, Marjan.

-C’est embarrassant, cette conversation d’autant qu’il faut que j’aborde un second point.

-Abordez-le…

-George, oh j’ai du mal à vous appeler par votre prénom, je suis désolée…Voilà, on se demande tous si vous ne vous êtes pas enfui d’Angleterre pour être moins surveillé, pour pouvoir…Enfin…Votre toxicomanie…

Il a eu un sourire compréhensif.

-Je ne suis pas recherché par la police, si c’est cela que vous voulez savoir. Je me suis mis à part comme il arrive quelquefois dans une vie, quand on a besoin d’être en dehors de tout. L’ennui c’est que tout se passe bien dans ces cas-là quand on suit un chemin spirituel bien défini. Je ne suis ni un grand chrétien ni un moine bouddhiste, malheureusement. Je suis parti sans prévenir personne et j’étais, il faut le dire, dans un drôle d’état. Vous en avez été les témoins involontaires. Je ne pense que ça dure très longtemps, cette errance mais elle m’est nécessaire, voyez-vous…

-Mais les Fêtes ?

- Eh bien, plus les jours passent moins je souhaite les passer à Londres. C’est à la limite du supportable pour moi. Et quand bien même ?

-Quand bien même ?

-Si j’ai le bonheur de les passer avec vous, où est le mal ? Je ne souhaite pas être localisé avec précision. Mon téléphone et hors d’usage. Je suis en France et je me détends. Je suis adulte. J’ai le droit. Je suis entouré de gens possessifs qui ont de l’amour une définition qui m’échappe ou de la cupidité une autre qui me fait du mal. Est-ce vous comprenez ?

-Oui.

-Dans ma vie, il y a eu et il y a la musique. Ma musique. Je ne sais malheureusement plus qui elle atteint maintenant…Je suis désorienté…

-Je comprends, monsieur encore que je pense que vous trompez…

-J’aimerais que vous ayez raison…Souvent, je prends des chemins de traverse. J’aime l’alcool et toutes ces substances qui …doivent vous effrayer…

J’ai pincé les lèvres et baissé la tête. Il a compris :

-Non, non, je ne vais pas vous compromettre. Je risque de boire un peu trop, je ne vous le cache pas mais je ne suis ni stupide ni ingrat. J’ai un traitement. Je le prends. Il y a d’autres aléas mais personne dans cette villa ne souffrira de ce que je suis et de ce qu’il m’arrive. Me croyez-vous ?

-Oui.

-C’est bien.

-Vous devez quand même manquer aux vôtres…

-A ceux qui sont vivants, bien sûr mais pour des raisons que je ne vous ai pas révélées, je m’abstiens de les voir pour le moment. Pour ce qui est des morts, je peux les invoquer là où je veux et ici, c’est très bien. J’imagine que ce que je dis est peu clair. Comprenez simplement que c’est de mes morts dont j’ai besoin et ceux sont eux qui me manquent. En ces temps de flottements, je peux enfin être face à eux d’une façon plus vraie…Ne cherchez pas à comprendre.

-Je n’y parviendrais pas de toute façon…

-Marjan, croyez que je ne mettrai aucun d’entre vous en péril. J’ai de l’estime pour vous tous. Encore de l’appréhension ?

-Non, George, je suis rassurée et tous le seront.

A partir de ce moment, il s’est lié à nous et nous à lui. Nous avions tous vu et revu en rediffusion sur internet l‘émission qui lui avait été consacrée par une chaîne anglaise. Ses amours y étaient commentées et elles n’étaient pas féminines. On en donnait une image déplaisante et glauque. Quant à ses frasques, à savoir ses accidents de voiture, ses amendes pour exhibitions diverses et ses arrestations pour possession de stupéfiants, elles devançaient sa carrière musicale, pourtant impressionnante. Tout se passait comme cet interprète magnifique qui signait toutes ses chansons était une sorte de has been désenchanté ne pouvant plus plaire qu’à des quinquagénaires nostalgiques. C’était édifiant de bêtise.

Très jeune, il s’était adressé à un public de collégiennes ou de lycéennes énamourées et ses tenues provocantes avaient aidé à la création d’un mythe : le beau jeune chanteur, en blouson de cuir, barbe de trois jours, ray ban et santiags qui était prêt à séduire les midinettes. Quand il en avait eu assez de donner le change pour rien puisqu’il s’avérait que sexuellement, il n’était pas attiré vers les femmes, il avait modifié son image publique. Elle était restée virile mais les cœurs de jeunes filles ou de quadragénaires esseulées s’étaient serrés. Peine perdue : il était gay. De ce fait, il avait immédiatement été revendiqué par une communauté qui était sienne, il ne le niait pas, mais dont il ne voulait pas devenir à toute force le fer de lance. Il avait donc, après s’être caché du vaste réservoir hétérosexuel, plus ou moins louvoyé avec « l’univers homosexuel » mais à aucun moment il ne donnait l’impression d’avoir été lâche. Il devait être trop droit et trop direct pour ce milieu du show business qui lui en avait fait voir de toutes les couleurs mais à qui, malgré tout, il avait opposé des années de triomphe, et trop intransigeant pour aimer berner.

 

Publicité
Publicité
1 2 3 4 > >>
LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
Publicité
Archives
Publicité