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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
12 mai 2024

Battles. Partie 2. Hospitalisation à Marembourg. Paul, Monica et Lynn.

 

Ses deux interlocutrices majeures restaient Monica, la chirurgienne et Lynn, la jeune aide-soignante. Avec Monica, il parlait géographie, histoire et démographie car elle lui présentait la Suède non sans en commenter la gastronomie. Elle lui apprenait aussi un peu de suédois. L'idée était de le divertir en entraînant sa mémoire et en le poussant à la bonne humeur. Lynn, elle, lui faisait chaque jour la lecture, d'abord dans un petit salon réservé aux personnels puis dans une bibliothèque où venaient quelques résidents fortunés qui vivaient là à l'année. Elle lui lisait Selma Lagerlöf qui avait écrit des livres bien moins connus que Le Merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède et il l'écoutait. Elle n'avait aucun accent en allemand parce que sa mère était originaire de Berlin, et elle était jolie, toute blonde et menue, gracieuse même dans sa blouse d'hôpital. Touché qu'on lui fournisse une aussi charmante compagnie que cette jeune fille avec qui il commentait si joyeusement les textes lus, Paul était aussi flatté qu'on permette à celle-ci de déroger à son travail. Après tout, elle était soignante. Et puis, il lui plaisait, s'en rendait compte et en était heureux. S'il la regardait trop longtemps dans les yeux, elle rougissait.

-Vous avez un petit ami ?

-Pas en ce moment.

-Vous êtes jolie.

-Les hommes jeunes sont peu sérieux, ici en tout cas.

-Vous êtes trop catégorique.

Plus jeune et moins meurtri, il aurait déjà commencé à entreprendre cette blonde aux yeux clairs dont les petits seins devaient aussi fermes et frais que des fruits à peine mûrs. Après l'avoir séduite par son bel esprit et ses manières d'homme éduqué, il l'aurait prise, dans un joli lieu pour commencer, un hôtel après le restaurant où ils auraient dîné avant de la conduire dans des lieux plus rustiques. Quoi de plus charmant que coucher avec une femme dans un champ odorant ?  Mais il avait changé.

-C'est à dire que vous...

-Moi ?

-Quand je pense que je suis face à Battles ?

-Vous êtes face à un convalescent qui cherche à se reprendre. J'ai les tempes grises...

-Vous ne comprenez pas.

-Je crois que si, Lynn. Allons, c'est juste un rêve.

Elle avait l'air triste car il ne la désirait pas mais il sut la dérider. De nouveau, elle lui et il se contenta de la regarder froncer les sourcils ou gonfler ses joues pour prendre des tons différents et rendre vivante sa lecture...Elle offrait un joli spectacle !

Lentement mais sûrement, il se reprit et se sentant mieux, voulut savoir ce qui se passait dans le monde : on le lui dit en lui fournissant quelques journaux. Il souhaita aussi qu'on l'informe de l'impact de sa disparition dans son pays et à l'extérieur. On ne lui fournit que certaines informations, celles où on le présentait comme un traître à la patrie. On ne lui dit pas que le récit de son évasion avait été maquillé pour cacher la défaite de son escorte. La presse nationale avait réécrit l'épisode, y ajoutant un saboteur qui, ayant infiltré la masse des gardiens, avait été malencontreusement choisi pour faire partie de l'escorte et avait favorisé la fuite de l'infâme Battles. Rien sur les morts, rien sur l'instructeur. Et surtout rien sur la répression car pour chaque soldat tué, on avait arrêté deux personnes et pour l'instructeur, dix...

La presse étrangère, elle, le portait aux nues. Libre et vivant dans un pays démocratique, celui qu'on appelait Battles allait bientôt sortir de l'ombre et l'on verrait alors ce qu'il dirait de l'état de son pays !

Paul ne fut pas surpris des mensonges d'un régime dont l'existence reposait sur la trahison et il trouva précieux qu'on l'encensât. Bien qu'il ne se trouvât pas en Suède de manière licite, le lieu où il se trouvait faisait l'objet d'un secret plutôt bien gardé. On avait agi au mieux pour lui car il coulait encore des jours tranquilles et n'aurait en aucune façon supporté une exposition médiatique. Mais toujours paradoxal, s'il croyait à l'embuscade et à sa libération, il n'acceptait pas la mort violente de Markus Winger.

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