ISEE ET LES DEUX VISAGES. Partie 1. Ruth Sheridan, la puritaine amoureuse...
Ruth Sheridan : un personnage fictif. Pour son commenditaire, Phillip Hammer, Isée invente un personnage de femme américaine qui, au moment de la Boston tea party, hésite entre son mari et celui qu'elle aime...
Beckord, lui –aussi avait été frappé par cette femme et son cœur battait. Il était déjà veuf et de son âge. Ses deux fils étaient en pension et ses épisodiques maîtresses l’intéressaient peu. Il aimait les grandes causes et les personnes fortes, dont l’aura était impérieuse. Cette femme, qui était l’épouse de son nouveau collaborateur, réunissait beaucoup des qualités qu’il recherchait chez une personne du sexe féminin et trouvait rarement. Elle était bien plus jolie qu’elle ne l’imaginait malgré l’austérité de sa mise et elle brûlait d’un feu intérieur qui le galvanisait. Et puis, il n’était que de voir son intérieur, sa gestion parfaite des domestiques, l’éducation qu’elle faisait donner à ses enfants pour constater qu’elle était pragmatique sans rien avoir perdu de sa curiosité de jeune fille et de sa fraîcheur. Et avec cela, une inconscience dans la lecture qu’elle faisait d’elle-même…Car elle lui écrivit encore et encore. Cette fougue qu’elle avait remarquée chez lui, il l’avait conservée d’où le fait qu’elle était si communicative…
Quand naît l’étincelle amoureuse, de quoi se nourrit-elle ? Je serais bien présomptueuse de répondre à cette question qui, depuis des siècles, fait l’objet de spéculations les plus diverses…Le fait est qu’elle était vaincue et lui-aussi. Elle adoptait souvent un ton querelleur, en référence avec la situation présente, sans doute parce que celui-ci la dédouanait…
A propos de la partie de thé de Boston, elle lui écrivit par exemple :
« Vous iriez participer à cette opération ? Vous iriez jeter le thé par-dessus-bord ! Sachez que je vous approuve ! Oh oui, je vous approuve ! Quant à se déguiser en indien ? Eh bien, l’Anglais fait tout pour provoquer. Pourquoi n’aurait-il pas droit, en guise de représailles à des sauvages ? J’approuve entièrement. Comment faut-il être pour leur résister, sinon prêts à tout ? Alors, peintures de guerre et mouvements souples…Vous devrez voir dans la nuit ! Vous me dites que vous serez toujours plus nombreux à réclamer la liberté d’agir. Peut-être mais il se trouvera toujours des Méchants pour s’en prendre à vous. Ce soir-là, travestissez-vous. Après tout, le gouverneur anglais saura à quoi s’en tenir. Des Bostoniens qui vont jusqu’aux peintures de guerre ! C’est une audace cela. En tout cas, prenez soin de vous. Tout homme courageux et qui croit en ses actes se doit d’être protégé et moi, plus que quiconque, je vous demande d’être prudent. Une amie vous parle : écoutez sa requête ! Et en ce sens, revenez bien entier et plein de vous-même. Nous y tenons tous et moi-aussi, j’y tiens. »
Dans ce message comme dans d’autres, elle prononçait toujours quelques mots de trop ! Il saisissait la balle au bond et de nouveau par lui répondre avec un léger excès. Ils avaient commencé par se lancer des appels silencieux puis ils s’étaient écrits. L’étape suivante serait de se voir. La trahison se profilait. Elle l’effrayait elle, bien plus que lui.
Autant Phillip que moi écrivions ces lettres. J’en amorçais une qu’il terminait ou l’inverse. Les jours filaient, toutes mes soirées étaient prises par mes anciens étudiants et j’utilisais tous mes moments de libre. Tout devait aller vite. Elle avait compris qu’elle aimait Beckord. Que ferait-elle ? Céder à la passion ou s’y refuser. Lui, venait de se déclarer de façon claire. Il attendait…Elle allait céder alors ? Non, elle était trop puritaine ! Elle résistait et souhaitait ne plus lui écrire. Seulement, il était d’une prochaine fête, chez eux ! Elle ne savait que faire, sinon le dissuader de venir.
« Que vous paraissiez chez nous me paraît étonnant. Il est vrai que je n’aie pu me décider à m’ouvrir à Thomas de ce tourbillon qui m’habite. Que ferait- il, le pauvre ? S’emporter ou pardonner ? Sans doute peinerait-il à comprendre …Mais moi, je sais que rien n’est possible. Que pourrions-nous nous dire qui soit vrai ? J’irais tromper cet homme que j’ai connu quand j’avais seize ans ! Et pourquoi Grand Dieu ! Nous traversons vous comme moi des temps troublés. Vous trouverez bien une raison pour ne pas être disponible. Vous êtes un homme d’honneur. Vous trouverez. »
Il s’excusa de ne pas venir en effet mais il surgit chez elle à l’improviste pour se déclarer. Elle lui en fit le reproche...