Battles. Partie 3. Paul et le docteur Shieffield. Evoquer sa prise de conscience.
J'ai juste eu le temps de récupérer une partie de notre argent. J'avais dit non, ils ont gelé nos avoirs et pour ce qui est de nos biens immobiliers, ils ont préparé des ordres d'expropriation. J'ai beau être distrait parfois, j'ai trouvé très vite à qui m'adresser et c'est parti comme ça...Au début, je n'avais pas compris, imaginez-vous que j'avais une valise ! Assez rapidement j'ai fait la différence entre un représentant de commerce et un fugitif qui entend de ne pas se taire...
-Et donc ?
-Il a fallu du temps. Au début, je voulais écrire. Mes pamphlets circuleraient...Mais c'est compliqué, il faut des imprimeries clandestines et la police de Dormann a développé d'intelligentes stratégies pour débusquer les imprimeurs et détruire leurs outils et leur production...Alors, avec d'autres, j'ai eu l'idée de la radio. Il a fallu trouver plusieurs lieux, installer le matériel et trouver comment émettre. Je n'avais plus de valise, croyez-moi, mais un sac de voyage. Je dormais rarement deux nuits au même endroit et j'avais faim quelquefois mais il fallait le faire...
-Vous étiez en contact avec votre femme ?
-Non ! Elle s'est beaucoup investie elle-aussi mais elle était peut-être plus vulnérable que moi, non par sa personnalité, mais par son entourage plus mouvant. Elle a senti qu'on allait la livrer, alors elle a fait cavalier seul. Des religieuses l'ont aidée et elle est restée cachée longtemps dans un monastère avant qu'elles l'aident à passer la frontière. Moi, j'ai tenu aussi longtemps que j'ai pu. Il fallait que la résistance reste vive, que la peur ne l'emporte pas. Les mots que j'employais étaient faits pour galvaniser...Ceux qui étaient autour de moi savaient que d'un moment à l'autre, tout pouvait basculer et beaucoup se sont fait arrêter. Du reste moi-aussi...
-Mais au bout de quatre ans !
-Oui, vous imaginez ! Lisbeth affirme que j'ai été protégée. Là-aussi, ce que je vais dire n'est pas facile à admettre en Angleterre, mais mon épouse a toujours eu un côté mystique. Elle croit en Dieu et en ses saints et ne voit pas de contradiction entre ce qu'elle peut faire de sa vie affective par exemple et ses aspirations spirituelles. Le Bien et le Mal coexistent pour elle et si l'on veut que l'un triomphe, il faut affronter l'autre. Ne croyez pas que je prenne les propos de mon épouse à la légère sous couvert que mon philosophe de père lisait Platon et Épictète...Plus le temps passe et plus je comprends sa représentation du monde.
-Le Bien était que vous ayez pu rester trois ans dans la clandestinité à faire de la radio pour délivrer des messages antifascistes et le Mal qu'ont vous ait arrêté, jugé et envoyé à Étoile ?
-On peut le voir comme ça.
-Mais dans cette redoutable prison, vous êtes resté en vie...
-Oui, ils avaient cette option pour moi. Faire de moi un modèle de rééducation à tous niveaux. Politique et social aussi. Le parfait citoyen qui a compris où était la vérité, suit son guide et aide à éliminer les autres. Ceci dit, tous les élus parvenaient au terme de ce vaste programme ?
-Certains. Un faible pourcentage.
-Et votre vie privée ? Le régime comptait vous octroyer une nouvelle épouse ?
-Après le divorce d'avec Lisbeth ? Officiellement oui.
Paul s'était arrêté et cette fois semblait troublé. Son visage se crispait. Il y avait un nœud là, quelque chose de fondamental dont il fallait le faire parler...
-Il y avait un autre scénario ?