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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
4 juin 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES.

FRANCE ELLE

 

JEUNE ISEE

 

 

ISEE ET LES 

DEUX VISAGES

 

 

ROMAN

 

 

 

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4 juin 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES. Présentation.

1POUR ISEE

 

A Paris, Isée, la trentaine, enseigne le français à des étrangers dans une école de langue à la mode.  Elle rencontre un Américain en vacances désireux de perfectionner son français et fait son possible. Mais loin des cours traditionnels, celui-ci veut qu'elle lui raconte des histoires. Elle lui fait donc le portrait de femmes américaines singulières. Cela ne suffisant pas, son commanditaire la charge d'une étrange mission : l'aider à reconquérir son compagnon en se faisant paseser pour lui...C'est le début des tours de passe-passe où chacun, sans cesse, change de visage...

Comment Isée, jeune femme à priori peu armée, résistera-t'elle aux sortilèges de Philipp Hammer et à ceux de Vincent, le trompettiste instable? Un roman sur les masques et la force intérieure, entre la Fance et l'Amérique...

 

 

4 juin 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES. Partie 1. Présentation

AUTRE SOFIA

 

Insatisfaite, Isée l'est certainement. Elle enseigne le français à des étrangers à Paris mais elle est seule et un peu en dérive. Un Américain, Phillip Hammer cherche à prendre des cours de français atypiques et de ce point de vue là, l'offre d'Isée lui plaiît. Rapidement malgré tout, il change la donne. Elle pourrait lui raconter par exemples des histoires de femmes américaines mais le faire en français...Isée tente l'expérience et bientôt Phillip lui est essentiel. Il lui propose donc d'autres jeux où ils se découvrent l'un l'autre...Isée est mal d'amoureux et pourrait retrouver Paul, qui l'a quittée. Phillip veut reconquérir Vincent, son jeune compagnon. Tout pourrait très bien se passer mais la machine se détraque...

 

 

4 juin 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES.

4 juin 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES. Partie 1.

YSEE YSEE

 

PREMIERE PARTIE

ISEE ET L'AMERICAIN

EXIGEANT

 

 

 

 

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4 juin 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES. Partie 1.Faites moi de belles histoires !

AAAA

 

A Paris, la vie de la jeune Isée est ennuyeuse. Elle enseigne le français à des étrangers. Mais voilà qu'apparaît Phillip Hammer, un Américain en vacances qui veut des cours originaux...

Mais bref, je reviens à mes quatre premières « leçons » qui prirent le tour de conversations à la fois informelles et structurées. Il est clair que, tout en lui donnant toute latitude pour parler de ce qu’il voulait, je surveillais discrètement. Il parlait bien mais manquait de vocabulaire. Son évidente intelligence le rendait habile de sorte qu’il donnait adroitement le change. Un néophyte aurait dit qu’il maîtrisait très bien le français. Or, il en avait une approche correcte mais insuffisante. Je le lui fis sentir et il parut satisfait. Chacun faisant passer un test à l’autre, il me fit comprendre que de son côté il était concluant. J’étais vive, imaginative et lui plaisait. De mon côté, je le trouvai si original et si imposant qu’à l’évidence, je voulais emporter la partie ! Il est dit dans les revues de psychologie que le corps parle pour soi, trahissant l’hostilité ou le désir. Je n’étais pas quelqu’un de très sexuée physiquement. J’entends par là que j’avais les hanches étroites, une poitrine menue et une silhouette passe-partout. N’étant amoureuse de personne et m’étant depuis quelques temps repliée sur moi-même sans en éprouver de désagrément, je n’imaginais pas que face à cet Américain grand et brun plein de prestance, je pourrais apparaître autrement que comme une jeune femme sage et bien policée. Or, le désir physique sortait littéralement de moi. Si je n’en eus pas d’abord conscience, lui s’en rendit compte et mesura le paradoxe qu’il représentait. Sans être efféminé le moins du monde, il laissait paraître à certains signes qu’il n’aimait pas les femmes et que ses goûts étaient autres. Je mentirais en disant que je n’avais rien perçu. Malgré tout, cela ne m’empêchait de le désirer ... Je saurais plus tard qu’au fil du temps, il avait dû éconduire plusieurs femmes qui avaient suivi le même chemin que moi. Admiratives puis brusquement passionnées...

Fonder des espoirs chimériques qui se nourrissaient de sa prestance physique et de son apparente bienveillance, voilà ce qui pouvait arriver si l'on était naïves et je l'étais tout en m'estimant bien loin de tout cela. J’étais heureuse que ma façon de faire lui ait plu et qu’il souhaite encore travailler avec moi. Je pensais sottement que nous maintiendrions le même rythme de cours et la même façon de faire mais il me surprit.

-Maintenant, il faut laisser les cours traditionnels.

-Comment cela ?

-Je voudrais que nos rencontres soient organisées autour d’histoires étranges que vous me raconteriez…

Confirmant mon intuition qu’il n’était pas toujours à l’aise avec la langue française, il venait de passer à l’anglais.

-Des histoires ?

-De femmes. Inventées par vous et racontées en français.

-Comment cela ?

-Je vous ai observée. Je suis sûr que vous êtes imaginative. Je suis venu en France parce que je me devais de faire une pause. Je ne vous dirai pas pourquoi mais sachez que c’était important que je quitte New York pour un moment. Je veux faire autrement…

-Oui, je comprends mais ...

Je venais de lui parler en français et il, peut-être parce que l’excitation lui faisait perdre ses moyens, il changea de langue de nouveau.

-Je vous donne des thèmes. Vous faites une belle histoire. On se voit une fois par semaine et on passe plusieurs heures ensemble. Vous racontez…

-Je choisis des femmes françaises ?

-Ah non, américaines et vous ne choisissez pas beaucoup...Le cadre sera très serré. Il vous faudra lire beaucoup pour ne pas vous tromper...

-Mais vous, que faites-vous ?

-Moi, mais je participe à votre histoire…Je ne vais pas être muet. « Muet », c’est bien cela.

-Oui.

Il me regardait de telle façon que de nouveau, tout en me sentant bien sage, mon corps lui lança un appel. A mon insu, il le capta et comprit que je dirais oui. Bon prince, il me dit pouvoir attendre plusieurs jours avant de me donner les trois mots sur lesquels je devrais m’appuyer. Il était repassé à l’anglais et utilisait un vocabulaire tout à la fois scintillant et précis. Me tenant droite devant lui, je mesurais l’étrangeté de sa proposition tout l’en ayant déjà acceptée. Ne voyant pas la nécessité d’attendre, je lui demandai les trois mots. Il sourit et dit en français :

-Jeune Américaine, Boston. Milieu chic. Choix difficiles. Ah j’oubliais…Dix-huitième siècle.

Je hochai la tête et le laissai. Dans la rue, j’avais mille étoiles dans les yeux. J’allais raconter des histoires à Philip Hammer, Américain nanti plein de classe qui avait momentanément choisi Paris comme port d’attache et, bien que ne sachant pas comment j’allais m’y prendre pour capter son attention et mériter son intérêt, j’étais ravie.



4 juin 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES. Partie 1. L'image de Ruth Rendell...

POSSIBLE RUTH

 

2.Le devoir d'enchanter...

Isée a trouvé à donner des cours à un Amricain aisé qui veut innover. Elle inventera pour lui des personnages de femmes américaines. Ainsi naît Ruth, la première.

J'enseignais depuis quelques temps dans une école de langue tous les matins ainsi que deux après-midi par semaine et tant que j’avais vécu dans le cinquième, j’avais trouvé la tâche lourde mais gérable. Je pouvais, pour ainsi dire, aller au travail à pied. Ma séparation d’avec Paul m’avait contrainte à déménager et, ne voulant pas me heurter à de grandes difficultés financières, je m’étais rabattue sur ce petit studio aux Invalides, que mes parents me louaient. Je m’en arrangeais mais constatais que je courais beaucoup. Travailler dans une école de pointe, c’est bien mais cela supposait d’assister à de longues et nourrissantes formations. Où trouverais-je du temps pour mon Américain ? La question n’était pas oiseuse ; il me suffisait de me remémorer son visage à la fois massif et harmonieux pour le savoir. Je ne devais rien négliger puisque je le désirais tant...

-Alors, Isée, vous trouvez ?

-Oui, j'ai quelques idées...

L’image de Ruth Rendell s’imposa très vite à moi. En 1772, elle avait trente ans et avait épousé à l’âge de dix-huit ans un entrepreneur du nom de Jonathan Sheridan dont elle avait quatre fils. Sheridan était un homme solide à la tête bien faite. Commerçant, il travaillait en liaison étroite avec le port de Boston et s’agaçait, comme beaucoup, des vexations permanentes que la couronne anglaise faisait subir à ses treize colonies en général et à Boston en particulier. Voilà quelqu’un qui, quelques années avant la guerre d’indépendance, n’hésiterait pas à s’insurger contre le colonisateur. Une femme inconsciente de sa beauté, puritaine et soumise, un mari haut en couleur doté d’un vigoureux sens de la justice, voilà ce que seraient mes personnages de départ. Il m’en fallait un troisième, qui incarnerait la tentation. Serait-ce un de ces Américains favorables à la tutelle anglaise, ce qui, pour Ruth, constituerait une tradition ? Ou bien, l’un de ces Bostoniens en colère, qu’elle rencontrerait pas le biais de son mari et dont elle tomberait follement amoureuse ? Sur ce point, j’hésitais encore mais il me restait plusieurs jours pour me décider.

Dans le métro, à la pause déjeuner, en faisant mes courses, je peaufinais mon histoire et, bien sûr, dès que je le pouvais, je m’informais chez moi de la Boston du dix-huitième siècle. Bien que vivant à New York, Phillip m’avait y avoir passé sa jeunesse. Il était cultivé et devait, manifestement, bien connaître l’histoire de sa ville. Il me fallait donc éviter tout impair. Je collectais donc ce que je pus comme renseignements et m’attachai aux figures de John Hancock et de John Adams…

Cependant et malgré tous mes efforts, je n’arrivai qu’à une histoire d’amour des plus sommaires et je dus annuler mes rendez-vous du dimanche et bâcler mes préparations pour consacrer une journée entière à la mise au point de mon récit. Il était hors de question que je me discrédite face à cet Américain qui m’en imposait tant et me troublait.

Quand j’arrivai chez lui, comme prévu, un lundi après-midi, je vis qu’il avait fait des changements dans la pièce principale. Il en avait retiré les très convenues nature-morte pour les remplacer par des tableaux abstraits contemporains aux couleurs vives, modifié la disposition des meubles et posé des jetés de belle tenue sur les canapés. En outre, il avait acheté des fleurs fraîches, des roses notamment. De couleur jaune, elles rendaient joyeux

-Bruce est un homme charmant mais il est terriblement vieux-jeu ! On dit comme ça, en français « vieux-jeu » ?

Il riait et je dus lui dire que oui.

-J’ai changé la décoration. Comme cela, ce n’était plus possible…Je l’ai fait pour moi mais aussi pour vous. Comment avoir envie de raconter une histoire dans un salon aussi laid ! Impossible. C’est mieux, non ?

Oui, indéniablement, cela l’était mais j’avoue que je n’aurais rien dit s’il n’avait rien fait.

Il m’indiqua où m’installer et je me lovais dans un fauteuil profond qu’il avait manifestement trouvé dans une autre pièce. Il y avait du café (à l’américaine, c’est-à-dire très allongé et très chaud), des jus de fruits et des biscuits. Je ne tenais pas à me laisser tenter car je craignais d’être distraite et je commençai donc mon récit.

4 juin 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES. Partie 1.

 BERCEAU LIB

Pour son commanditaire, Phillip Hammer, Isée invente un personnage de jeune fille américaine du 18° siècle...

-Elle s’appelle Ruth Rendell. Elle est née en 1740 à Boston d’un pasteur luthérien austère mais d’âme généreuse et d’une femme au foyer à la fois stricte et maternelle. Elle a quatre frères et est la seule fille de la famille. Cela la rend fière car elle est unique mais la barre est placée très haut pour elle. Ses parents sont suffisamment ouverts pour lui procurer une éducation qui dépasse celle qu’on donne généralement aux jeunes filles de sa catégorie sociale. Son père étant d’ascendance allemande, elle a appris cette langue et s’y exprime de façon correcte. On l’a laissé lire plus que de mesure et on ne l’a instruite sur l’histoire et la géographie de l’Angleterre, pays d’autant plus important pour elle que les treize colonies américaines dépendent de la couronne anglaise. Là, c’est l’ascendance maternelle qui a joué son rôle. Ruth est donc, à seize ans, une jeune fille qui a la tête bien faite et est pleine d’à-propos. Elle est pieuse sans être bigote, se montre curieuse de tout mais tient son rang. Elle est si fraîche et si drôle parfois qu’il est impossible de lui tenir rigueur de quoi que ce soit. En outre, elle a de beaux cheveux brun-roux, un visage d’un ovale assez pur, de grands yeux marron ornée de longs cils et un teint très frais. Ses parents, qui ont élevé quatre garçons avant elle, ont du mal à être sévère à son encontre. Elle a un frère aîné qui sera pasteur comme son père, un autre qui souhaite être médecin et deux autres qui sont tentés par le négoce. On n’attend pas d’elle qu’elle ait une profession mais qu’elle fasse un bon mariage. Elle peut y prétendre. Son père a beau être pasteur, il n’est pas pauvre et jouit d’une grande respectabilité. Le mariage qu’il a contracté a contribué à renforcer sa position sociable. Elle n’est pas florissante mais elle est tout à fait enviable.

Phillip me jeta un regard songeur.

-D’accord. Parlez-moi un peu de Boston.

-Ce portrait ne vous plaît pas ?

-C'est un personnage complexe, il faut voir. Et Boston ?

-En 1757, au moment où Ruth a dix-sept ans, c’est une ville prestigieuse, la troisième en population derrière Philadelphie qui vingt-huit mille habitants et New York, qui en a vingt et un mille.

-C’est exact. Il y a seize mille habitants dans cette ville à l'époque. Le port reçoit les produits de la Grande-Bretagne. Il expédie les productions des colonies du sud et du centre : il y a du riz et du tabac et d’autres choses encore…

-Oui, de l’indigo

Il attendait que je poursuive.

-Boston fait du commerce avec les Antilles. Elle exporte du bois, de la farine et de la viande. Elle exporte aussi du poisson. Ses marchands reviennent avec du sucre et du rhum, entre autres. Le port de Boston a commencé à se développer au dix-septième siècle. La construction navale s’est beaucoup développée mais aussi la métallurgie, l’industrie textile et la pêche. Les distilleries sont nombreuses. Cet essor économique colonial a beaucoup enrichi une classe de marchands et suscité des vocations…

-Très bien Isée mais, et Ruth ? Quelle conscience a-t-elle de cela ?

-Je vous l’ai dit, elle est née dans une famille cultivée. Ses frères font tous des études. Les familles bourgeoises envoient leurs enfants faire leurs études à Harvard ou à la Boston Latin school.

-Et le pasteur Rendell peut y envoyer ses fils ?

-Deux d’entre eux.

Il me sourit.

-Vous êtes adroite.

-Ruth a un fiancé. Il s’appelle Thomas Sheridan. Il a vingt-neuf ans et il le fils d’un commerçant influent qui fait de bonnes affaires.

-Elle n’est pas assez riche…

-Mais si ! Madame Rendell mère a vécu enfant en Angleterre. Une vieille parente l’a élevée. Cette femme meurt sans héritier direct. Ethel, la mère de Ruth, lui a toujours écrit. De cette femme solitaire et bienveillante, il lui arrive de l’argent. Elle le garde pour le mariage de sa fille.

Il s’amusait et hochait la tête.

-Je comprends. Sheridan entre en scène.

-Oui et il est amoureux.

-Vous savez, il y a des femmes qui écrivent en Amérique…Certaines ont choisi les Amish, d’autres la guerre de Sécession…Vous êtes presque prête !

-Vous essayez d’être moqueur, Philip ! Ce n’est pas loyal…

-Poursuivez.

-Elle a dix-sept ans quand elle se marie. Il la trouve plus que jolie et adore qu’elle soit cultivée, car elle l’est. Il est assez beau garçon, lui-même. Pour l’époque, il est grand. Il est mince aussi et soigne son apparence. Il a hérité de son père un incroyable flair pour les affaires et cette aptitude qu’il a à conclure les bons marchés le fait très vite monter socialement. Sheridan, cependant, est un patriote. Il n’aime guère la tutelle anglaise et admire ses compatriotes américains qui, d’ores et déjà, ont bravé le monarque britannique.

-1765 : le Stamp Act ? Je suis Bostonien de naissance, ne l’oubliez pas !

-Je ne l’oublie pas. La Grande-Bretagne a promulgué le Stamp act à la date que vous indiquez puis, en 1767, les Townshend Acts. Ils permettent à l’Angleterre de taxer abondamment les treize colonies d’origine. C’est chose facile puisque, pour les habitants de ces colonies, il n’existe aucune représentation au parlement de Westminster. Les Américains, eux, ne l’entendaient pas de cette oreille puisque selon, eux, un territoire non représenté ne pouvait être taxé. L'un des protestataires était John Hancock et en 1768 sa petite corvette Liberty, fut saisie et il fut accusé de contrebande. Il fut alors défendu par John Adams et l'affaire fut classée sans suite.

-Est-ce que Sheridan a fait de longs discours à Ruth, lorsqu’ils se sont mariés ?

-Non. Il lui a fait des enfants, trois, coup sur coup. Trois fils. Il n’a rien de spécial pour contrarier la nature, ensuite mais le corps de Ruth, soudain, n’a plus paru fécond. Plusieurs années ont passé et il s’est mis à regarder sa femme autrement. Elle lui paraissait si sage au départ qu’il aurait pu être refroidi par elle si elle n’avait été aussi avenante et aussi jolie.

-Elle ne doit pas être jolie.

-Je comprends. Tout est affaire de regard. Elle a changé en mûrissant et depuis que ses traits sont plus accusés, les rondeurs de la jeunesse ayant quitté son visage, il la trouve à la fois plus affûtée et plus désirable. Là, alors qu’elle a trente ans, il s’ouvre à elle de la pesanteur anglaise, de ces lois nauséabondes et du désir qu’il a de voir naître une nation américaine. Elle l’écoute toujours avec attention et il s’étonne, après s’être écarté d’elle, de la désirer de nouveau. De ce désir, naît une petite fille prénommée Diane. Les fils de Ruth et de Thomas se nomment Abraham, Samuel et John.

-Tout cela reste très moral.

-Oui, d’autant que la situation financière du ménage Sheridan s’est considérablement améliorée. Ils vivent dans l’aisance désormais et jouissent d’une grande réputation de vertu.

-Alors d’où va venir le problème ? Car il y en aura bien un, sinon pourquoi me présenter la vie d’une femme aussi ennuyeuse ?

-Mais elle ne l’est pas du tout, ennuyeuse ! Ruth épaule son mari et croit en lui. Elle a trente-deux ans et ne s’estime plus jeune, ce qui, compte-tenu des critères de l’époque, est vrai. Souvent son époux lui demande d’organiser des dîners où défilent non seulement la bonne société mais ceux qui trouvent excessif l’orgueil britannique. Le roi George III dirige un royaume qui a de gros problèmes de trésorerie et il décide d’augmenter les taxes qui frappent les colonies. Le thé était un des produits qui était très taxé et cette excessive taxation était devenue un sujet de discorde entre la métropole et ses colonies. John Hancock, que Thomas Sheridan admire, propose un boycott du thé de Chine  vendu par la Compagnie anglaise des Indes orientales. C’est une excellente idée car dont les ventes dans les colonies passent de 145 000 kg soit 320 000 livres à 240 kg soit 520 livres. Le souci est que favoriser la Compagnie anglaise, le gouvernement britannique décide d’autoriser la vente de thé aux colonies américaines sans paiement de taxe. De fait, les marchands indépendants sont ruinés. Parmi eux, se trouve William Beckford. Il a l’âge de Ruth, est veuf et plein de morgue. Il n’accepte pas sa défaite. Les Sheridan le reçoivent à dîner à plusieurs reprises. Beckford croit si fort à la providence qu’il n’estime pas sa ruine totale même si le coup a été rude. Il s’allie à Thomas Sheridan et tous deux font du commerce ensemble. Il est difficile de savoir qui, en ce domaine, l’emporte sur l’autre.

 

4 juin 2023

ISEE ET LES DEUX VISAGES. Partie 1. Bostoniens et Anglais. Ruth et les affrontements.

BOSTON 18

Ruth est un personnage féminin inventé par Isée. Elle vit à Boston au 18° siècle.

-Et Ruth ?

-Elle a conçu l’amour comme un devoir et n’a regardé quelqu’un d’autre. Seul son mari a compté. Cependant, sans qu’elle en ait conscience d’abord, Willliam va la troubler. C’est d’ailleurs un trouble réciproque…L’un et l’autre, cependant, ont les yeux tournés vers l’histoire. La presse de l’époque s’empare de cette querelle entre la puissante Angleterre et ses colonies.

À  New York, des affiches de The Alarm sont placardées. Elles critiquent la Compagnie britannique des Indes orientales et militent en faveur des libertés commerciales américaines. Un homme tel que John Hancock appelle au boycott de la Compagnie. Les marins qui tentent de débarquer le thé sont passés au supplice du goudron et des plumes. Ne sachant comment convaincre Ruth de son amour naissant, William lui écrit des lettres au contenu « neutre » dans lesquelles il s’épanche sur la situation. Croyant qu’elle est en paix avec sa conscience, Ruth lui répond sur le même ton et affirme qu’elle prie pour lui. Six navires chargés de thé arrivent dans divers ports américains…

-Oui, je le sais bien. L’un arrive à New York, l’autre à Philadelphie et le dernier à Charleston. Ah non ! J’en oublie trois à Boston ! Les colons empêchent que le thé soit débarqué et ceux qui ne sont pas à Boston doivent repartir vers l’Angleterre avec leur cargaison. Le gouverneur de la ville interdit aux bateaux de repartir sans avoir effectué leur livraison…

-Bon mais Ruth ? Cela lui suffit-il ?

-Non, les jours passent et un amour dont elle ne croyait pas capable l’enchaîne à cet homme qui est l’associé de son mari. Elle ne se reconnaît pas. Elle est Ruth Sheridan, celle dont les deux fils aînés sont déjà pensionnaires dans une pension huppée de la ville et dont le troisième garçon promet d’être lui-aussi un brillant élève. Elle adore ses fils et vénère la grâce et la beauté de sa petite fille. En outre, elle ressent pour son mari admiration et estime. L’amour qu’elle éprouve pour Beckford a un goût amer, d’autant qu’elle est persuadée qu’il ne saurait vraiment s’intéresser à elle : elle a déjà trente-deux ans ! Mais il va, selon elle, se comporter en héros et elle va basculer !

-Les Fils de le Liberté…

-Oui ! Le 16 décembre 1773, soixante Bostoniens grimpent à bord des trois navires que le gouverneur maintient à quai. Ces navires se nomment le Dartmouth, le Eleanor et le Beaver. Les Bostoniens se sont déguisés en Amérindiens, de la tribu des Agniers. Ils suscitent la terreur à l’époque ! Entre dix-huit et dix-neuf heures, le plus silencieusement possible, ils ouvrent les tonneaux et jettent à la mer trois cent quarante-deux caisses de thé. Les navires ne souffrent d’aucune avarie. Rien n’y est détruit intentionnellement mais quarante-cinq tonnes de thé sont jetées à la mer, ce qui représente une perte énorme pour l’Angleterre.

Phillip me regardait, incrédule.

-Beckford s’est déguisé en indien, n’est-ce pas ?

-Oui.

-Et Sheridan ?

-Non !

-Alors, c’est l’amour fou !

-Elle est galvanisée par ce qu’il a fait et elle confond amour et admiration. Enfin pendant un temps car elle finit par se rendre à l’évidence.

-Lui-aussi ?

-Je vous l’ai dit.

-Et concrètement ?

-Mais justement, rien ! Le gouvernement britannique est si furieux que le port de Boston est fermé pour un temps. Sheridan considère toujours William comme son associé et ami. Ils participeront à une deuxième partie de thé en 1774 et feront front commun jusqu’à la guerre d’indépendance où ils prendront faits et causes pour l’Amérique ! Au passage, ils mépriseront la Compagnie britannique d’avoir abandonné le commerce du thé pour celui –ô combien plus lucratif- de l’opium produit par l’Inde et la Chine.

-Et elle ?

-Elle va se consumer pendant quatre ans à peu près avant de revenir à son mari de façon définitive.

-Ah bon et pourquoi ?

-Beckford trouvera une héritière.

-Non.

-Non ?

-Non. Ne lui faites pas cela !

-Bon, alors une maladie l’emportera.

-Possible et de meilleure morale.

J’avoue que je n’avais pas grand-chose de plus à lui dire et je pensais qu’il s’en contenterait car je n’avais pas compris son but. Ce que je racontais était une base de travail et à partir de celle-ci, nous pouvions lui et moi, construire une vraie histoire et non un rapide récit. Il fallut donner vie à la famille de Ruth, à son enfance et à son éducation. Il fallut dessiner les grandes lignes de son mariage, de la célébration de celui-ci à la découverte de ce qu’elle estimait être « sa trahison » en passant par son ressenti en fait de sexualité, son expérience de mère et la manière dont on avait pour elle façonné une vie sociale. Je dus lutter pied à pied avec Phillip, qui imposait parfois ses idées mais savait aussi reconnaître la justesse des miennes. Nous dûmes donner une identité aux parents de Thomas et une vraie consistance aux enfants du couple, qui n’étaient guère que des silhouettes. Enfin, il fallut coller aux événements historiques, leur donner vie et couleur et faire coïncider le chemin intérieur d’une femme qui s’éveille à la vie politique et aux mouvements de l’histoire d’une manière secrète, puisque l’époque et la façon dont les femmes y sont perçues empêchent de soupçonner qu’elles puissent avoir un quelconque jugement en la matière…

Au bout de trois heures de dur labeur, nous y étions à peu près et mon Américain me dit qu’il allait coucher par écrit l’histoire que nous avions mise sur pied. Je devrais, pendant la semaine, y faire les additifs que je jugerais nécessaires et j’avoue que cette idée m’enchantait. Nous avions bu pas mal de café et c’était l’heure maintenant du vin pétillant. Il m’offrit une coupe de champagne. Nous étions souriants et je ne cessais, en rentrant chez moi, de penser à cette Ruth Sheridan qui était si peu consciente de son charme, de son intelligence et de l’amour qu’elle savait faire naître. Car bien entendu, Beckford, au moment de la guerre, ne mourrait que d’amour…

Il faudrait bien imaginer leurs lettres à l’un et l’autre et voir ce qu’ils avaient réussi à faire passer…Entre les lignes !

Nous nous quittâmes ravies et je me félicitai d’avoir accepté de devenir une conteuse. C'était un travail à deux, fiévreux et intense, et j'étais galvanisée par le charme de mon interlocuteur. Bien trop, à vrai dire, pour qu'il n'en eut pas conscience. Il me charmait, je l' amusais. Pour l'instant, aucun ombre...

 

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