Battles. Partie 2. Paul et Lisbeth, sa femme. Retrouvailles et affrontement.
Ils se souriaient encore mais allaient s'affronter. Leur longue séparation n'avait pas effacé leurs différends. Lisbeth attaqua la première.
-Écoute, Paul, nous sommes restés des années sans nous voir. Je ne te cache pas si je me suis battue pour que tu puisses émigrer en Angleterre, c'est par humanité. Tu es ici maintenant et le cadre dans lequel tu vis est sécurisant. Ces gens -là vont t'aider à t'insérer et plusieurs associations aussi. J'ai beaucoup œuvré. Pour le reste, notre mariage, tu sais, était difficile. On ne se faisait pas que du bien quand on était ensemble !
-Je sais.
-Souviens-toi ! Nous n'étions pas d'accord ! Tu jouais la carte du libéralisme au début refusant de voir ce que Dormann allait faire ! Je t'ai haï pour cela, tu sais et je suis partie de mon côté. Je suis pour l'opposition franche et claire ! J'en ai payé le prix bien sûr mais je ne regrette rien !
-Tu as fait du journalisme avec intransigeance. Tu as pointé les failles du régime bien avant moi.
-Mais oui, tu sais bien !
-Et ensuite ?
-Ils m'ont traquée et on a failli me prendre.
-Tu as été protégée, malgré tout. Tu es très croyante, je le sais.
Elle grimaça et serra violemment ses mains l'une contre l'autre.
-C'est une moquerie ?
-Pas du tout, Lisbeth.
-J'ai toujours été religieuse...
-Non, tu l'es devenue et je ne te juge pas.
-Je vais te dire une chose : ce sont des religieux qui m'ont protégée et permis de continuer de dénoncer les exactions de ces monstres ! Et je l'ai fait jusqu'au bout ! Et puis, ça été la fin. Un jour, je voulais rejoindre une équipe pour imprimer des tracts et je ne sais pourquoi, j'ai eu un pressentiment. Tu te souviens de l'église Sainte-Marie à Dannick ? Et bien, je me trouvais devant la façade. J'entre pour prier et je tombe sur sœur Geneviève ! On se met à parler à voix basse et elle me glisse une adresse, au cas où. Je la quitte et comprends que je ne dois pas retourner chez moi car on m'y cueillera. Je me rends à l'adresse donnée par la sœur et là, on m'aide. Je suis cachée dans un monastère au fin fond d'une forêt des mois durant alors que j'étais recherchée. Ce sont également des sœurs qui se sont débrouillées pour me faire convoyer vers l'Ambranie et arriver en Angleterre. C'est l’Église qui m'a aidée !
-Je ne te mets pas ton récit en cause !
Elle avait parlé avec exaltation mais se calma brusquement.
-C'est mieux ainsi, Paul. Pour toi, je sais. Tu vas en parler de ton terrible périple dans les journaux ?
Il ne savait encore ce qu'il allait faire : les associations ambraniennes qui s'étaient manifestées à son arrivée ne lui plaisaient guère. C'était des gens qui s'étaient expatriés depuis longtemps et ne pouvaient le comprendre. Il était sollicité par des journaux anglais mais hésitait encore. Ses propos ne seraient-ils pas déformés ? Il pensait à écrire, à faire le récit de ce qu'il avait vécu.
Lisbeth sembla changée. Son visage se détendit soudain. Elle parut contrite. Il lui parlait depuis qu'ils s'étaient retrouvés sur un ton calme, presque humble qui la déstabilisait.
-Je suis désolée, Paul, je suis désolée, pardon...
Elle avait la tête dans les mains pour cacher son émotion et il se pencha vers elle.
-Ne crois pas que je ne t'ai jamais oubliée...J'ai pensé à toi si souvent ! Cette dictature...Il fallait qu'on se sépare pour résister chacun de notre côté. Je sais que pour les enfants, tu espérais que je me sauverais bien plus tôt. J'aurais pu le faire avant mais c'est juste que je voulais qu'on sache, je voulais crier qu'on se réveille, qu'on se révolte ! J'avais un rôle à jouer ! Un rôle différent du tien.
Elle ne parut pas convaincue.
-Ce que tu as fait m'a rendu admirative ; j'ai été jalouse aussi. Ils t'ont écouté encore et encore et tu as pris des risques énormes...Ah et cette voix...Quand ils t'entendaient, je comprends qu'ils aient eu envie de prendre les armes. Ta voix s'enflait, prenait des accents si profonds, devenait déchirante...Un grand comédien ! Tu les as galvanisés !
-Toi-aussi mais d'une autre façon !
-Moi ? C'est toi qui étais « grand ». Si tu savais combien j'en ai bavé avec ça ! Ces compliments sur toi et cette mansuétude feinte ou réelle...
-C'était une autre époque ; la dictature n'était pas établie. En tant que journaliste, j'avais du succès et j'ai été fat. Tu étais plus brillante que moi et bien plus engagée mais je t'ai mal comprise. Ce qui compte, c'est notre transformation. Tu as fait tout ce que tu as pu et moi-aussi. Ces prises de pouvoir, ces arrestations, ces meurtres gratuits...Je suis devenu un orateur. Il le fallait. Toi-aussi tu as parlé. On t'a cachée, on t'a fait sortir du pays. Tu as été courageuse.
-Mais...
Il eut un geste impérieux de la main car une serveuse approchait. Ils commandèrent un verre de vin. De nouveau, elle s'apaisa, sourit et rappela la serveuse pour avoir les menus. Elle fit ses choix très vite. Il fut plus long.
-Ah, tu as raison. Est-ce le moment de vider son sac, comme ça ! Dis-moi, cette prison...Mon Dieu, qu'est-ce qu'ils ont pu te faire ?
-Ce n'est pas si lointain et j'aurais du mal à être clair.
Elle tapa du poing sur la table.
-Ce qui est d'actualité c'est de te dire à quel point, mon cher mari, je suis heureuse de te voir ! Mais nous ne revivrons pas ensemble.
Elle était presque effrayante mais il ne recula pas, lui offrant un visage sincère.
-Le jeune homme de vingt ans qui est encore en moi t'aime toujours et en toi, la jeune fille a le même élan. J'étais plus volontaire dans l'amour que j'avais pour toi et tu te laissais regarder, tu aimais que je t'adule. Je ne vois rien à changer à cela.
Il était si limpide qu'elle tressaillit. Il avait raison.
-Je t'ai trompé…C'était souvent très bête car ton amour était très fort. Je me défendais de lui par moments et puis, je n'étais pas une belle femme et j'avais mauvais caractère.
Il lui sourit en guise de réponse.
-Tu as pris des maîtresses. Elles étaient voluptueuses, j'imagine...
-Oui et intéressantes aussi. Mais ne parlons pas de cela. C'était assez futile...
-Tu m'en as voulu des aventures féminines que j'ai eues. Pour un homme, c'est souvent vécu comme une offense, une atteinte à leur virilité...A vrai dire, je te provoquais, je dois bien l'avouer mais ensuite, j'ai compris qu'il y avait bien plus que cela. Avec les femmes, c'était plus simple et ça l'est toujours.
-Pas de guerre ?
-Moins. Pour te dire la vérité, je suis arrivée en Angleterre bien avant toi et j'ai une compagne. Nous nous entendons très bien et je l'aime. Nous vivons en Écosse.
-Bien.
Les plats étaient arrivés, ils mangèrent ; Paul commanda du vin.
-Tu as un travail ?
-Oui, elle s'occupe de chevaux, de très beaux chevaux et je travaille avec elle.
-Tu es philosophe de formation...Mais pourquoi pas...