Battles. Partie 2. Heurts et Malheurs de Paul à Marembourg.
S'il avait survécu à d'étranges manipulations médicales à Étoile et à une opération faite dans des conditions rocambolesques quand il était aux mains des partisans, c'est qu'il était suffisamment fort pour affronter une intervention chirurgicale en Suède.
-Vous êtes tenace et vous survivrez à une nouvelle opération.
-Ce sera de nouveau le docteur Josephon ?
-Non, nous ferons venir le docteur Erland Nikvist dont la réputation n'est pas usurpée. Nous tentons le tout pour le tout pour vous délivrer de toute entrave. Je suis certain que Nikvist réussira. A partir de là, tous les espoirs seront permis.
-Je serai en convalescence.
-C'est certain mais une fois remis sur pied physiquement et intellectuellement, vous pourrez faire ce que vous voulez.
-Je demanderai un droit d'asile à la Grande-Bretagne et je pense que celui-ci me sera accordé.
-Votre femme œuvre déjà pour cela, j'en suis sûr, monsieur Kavan.
-Vous savez, je pourrai les revoir, elle et mes enfants. Ils viendront en Angleterre.
-Et quant à retrouver une profession, tous les espoirs sont permis. Vous parlez bien l’anglais : on vous rendra votre statut de journaliste et vous travaillerez.
-Vous verrez, monsieur Kavan, vous serez un exemple mais pas celui que ces Fascistes voulaient faire de vous !
Dans l'instant, Paul fut galvanisé, puis ses interrogations reprirent. Ce qu'on lui avait fait subir à la prison Étoile le hantait. Les médicaments, les coups de cravache, les gifles, la fouille au corps, l'interdiction de parler, les longues récitations des discours de Dormann, les interrogations surprises sur la vie de ce dernier, les hymnes à chanter, les articles à écrire et cette violence permanente...Il voyait l'horreur de tout cela mais ne parvenait pas à incriminer totalement l'Instructeur Winger. Un agent du système, certes, mais un perfectionniste aussi, un amoureux de la belle ouvrage... Paul pensait avec répulsion à la façon à la gardienne Xest l'avait contraint à faire l'amour avec elle et au gardien Koba plus placide mais tout aussi sournois. Sa colère allait aussi aux gardes subalternes, aux contremaîtres et aux chefs d'atelier, tous prêts à frapper et à dégrader et sa compassion à ces détenus muets qu'il avait croisés ou à ces pauvres femmes qu'on lui avait confiées pour un film de propagande. Et bien sûr, il pensait aux jeunes prostituées. Mais, malgré les soupçons qu'il commençait à avoir, l'Instructeur Winger restait une icône, sans doute à cause de cette union intellectuelle et émotionnelle qu'il avait tissée avec lui. Ils ne s'étaient pas galvaudés, non, tout était resté à sa place. « Il a rêvé de moi et moi de lui et tout ceci sous la coloration du secret. J'ai fantasmé sur son corps ferme sanglé dans ses uniformes noirs, sur ses jambes bottées de cuir et cette façon qu'il avait de me fixer, de me sourire froidement. J'ai fantasmé sur sa virilité. Après tout, je l'ai appelé et il m'aurait répondu. Dans la vie d'un homme fait, ce genre d'accident arrive fréquemment. Rendu à la vie civile, nous n'aurions pas eu de liaison, mais il m'aurait épaulé. Je suis privé de lui et cette épreuve-là est terrible. Eux, ceux qui sont là dans cette clinique, ils ne comprennent pas. »
Effondrer la statue de l'idole lui restait impossible.