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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.

17 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 2. Discussion entre Barney et Clive.

 

 

5. Mises en garde.

En agissant comme il le ait, Clive désobéit à Barney et contrarie ses plans.

J’ai failli trouver étrange qu’il ne m’invite plus dans ces super trucs où les snobs se réjouissent chaque seconde davantage de vivre dans le luxe mais bon…

Comme j’en étais à presque le regretter, il a laissé tomber les textos pour embrayer sur le téléphone.

-Alors ?

-Tout se passe bien chez Lopez.

-Ah oui, bien sûr ! Donnez-moi des détails.

-Des… quoi ? Vous rigolez ?

-Pas du tout.

-Vous savez tout de la sexualité de votre chéri, vous me l’avez dit et vous avez fait des trucs salés avec lui…

-Je vous parle de ce qu’il fait, lui, avec vous…

-Ah, ce coup-ci, ça ne vous semblera pas « excessif » que je mette la sexualité en avant ? Je croyais qu’il ne fallait pas que je parle de ça pour me vanter et cacher autre chose. Je me suis trompé, on dirait.

-C’est exact. Alors, où en êtes-vous ?

-Ben, c’est intense…

-Précisez…

J’ai dit non, pis j’ai fait le contraire. Comment que je te tournais et te retournais, mon joli-joli, comment qu’on allait dans la douche ou dans le placard, comment que je sortais des glaçons du frigo pour te les enfoncer dans son conduit avant d’y mettre la partie de ma personne qui lui apportait le plus de plaisir et comment que ça durait longtemps. Il a voulu savoir pour lui, ses initiatives, ses moments d’intensité. J’ai dit ses mains et sa langue et ses petits hauts le cœur quand il avalait. J’ai dit qu’il avait le teint plus clair, qu’on voyait qu’être rempli comme ça, ça lui faisait sacrément du bien. Pas dérangé du tout, Barney m’a complimenté sur ma virilité et suggéré que j’avais les bonnes mensurations…

-Ah ben, vous êtes moqueur…Comme c’est surprenant de votre part !

-Je ne fais que tirer des conclusions sur ce que vous me dites. A ce que je sais, depuis des semaines et des semaines, vous copulez beaucoup et ça ne faiblit pas. Vous avez donc tout ce qu’il faut.

-Allez-y, vous ne gênez pas. Foutez-vous de moi !

-Je vous écoute d’abord. Rajoutez-en, Clive, rajoutez-en…

Là, ça m’a déplu. J’ai attaqué.

-Il aime la queue avec moi, ton petit mignon et ça te fout la honte, hein ? Pas marrant à ressentir d’autant qu’il ne revient pas vers toi…

Bon, j’aurais dû le savoir. La réponse a été cinglante.

-Attention, Clive.

-Fallait que je me lâche…

-Vous risquez de le regretter. Retirez ce que vous venez de me dire et adressez-vous à moi correctement. Oubliez-vous le pouvoir que j’ai ?

-Quel pouvoir ?

-Oh, Clive ! J’envoie un message à Erik en lui disant que je sais qui il voit et je déballe sur vous suffisamment d’insanités pour qu’il évite de vous voir. Il se tiendra à ce que je lui dis. Vous retirez ?

-Je …Oui…D’accord. Je fais ça.

-Alors excusez-vous. Vous ne voudriez pas que votre femme ou votre fille soit soudain au courant de ce que vous leur cachez ? Et vos voisins non plus…

-Non. Je vous présente mes excuses.

-Je les accepte, Clive. Bon, reprenez sur lui. Allez, soyez talentueux…J’attends de nouveaux détails.

Mais là, j’ai senti que je ne devais plus lui donner d’éléments. Il en profiterait toujours et au bout du compte, je m’emporterais, je lui dirais des conneries et il me moucherait.

-Ecoutez, Erik, dans l’intimité, c’est quelqu’un de beau. Ce que je viens de vous balancer, ça me fait du bien de vous l’avoir dit mais je regrette d’avoir parlé de lui de façon triviale. De toute façon, je ne sais pas décrire ce qui se passe entre vous.

-J’ai trouvé que si. Pourquoi serait-il vulgaire et faux de dire que votre queue lui convient puisque c’est vrai ? En outre, sur d’autres plans, vous lui convenez aussi. Je ne suis pas idiot. L’intimité forte qu’il a avec vous est difficile à accepter pour moi. Je suis conscient de mes limites…

-Vous ? Impossible, ça !

-Pourquoi ?

-Vous êtes bien trop imbu de vous-même…

-Eh bien non, pas en ce domaine. D’une certaine façon, il vous adore. Vous le rassurez, vous lui faites du bien. Et vous êtes mieux que moi au lit, pour ce qui le concerne. C’est une certitude, ça.

-Euh, je préfère rester prudent.

-Dans vos propos ?

-En général, on va dire.

-En même temps, Clive, je comprends vos fanfaronnades et vos réticences. Votre position est difficile. Ce que je vous ai demandé, ce que vous ressentez et le temps qui joue contre vous…

-Arrêtez, vous allez repartir sur un discours qui ne s’arrête jamais, type Georges Balanchine.

-Bien compris, Clive.

Toujours aussi malin, il a changé de cap, reprenant un ton de voix élégant et poli.

-Bientôt, vous recevrez de l’argent.

-Quoi ?

-On va vers la fin de votre mission. Je vous dédommagerai. Vous pourrez ainsi, prendre de plus longues vacances, vous acheter une belle voiture ou une grosse moto… réaliser quelques- uns de vos rêves.

-Riccardo Lopez revient du Mexique ?

-Aux dernières nouvelles, oui. Sa pauvre mère va mieux.

-En cas, ça change la donne pour le lieu de rendez-vous ? Erik, je peux le voir ailleurs…

-Je n’en suis pas sûr, Clive…

J’ai eu une drôle d’impression d’autant qu’entre les textos et les coups de fil, il savait qu’on se voyait régulièrement, Erik et moi. Ce qu’il venait de dire, ça ma glaçait. Pas de troisième adresse ? Il comptait entrer dans la danse en nous recevant quelque part ? Je ne sais pas, mais ça sentait vraiment le coup fourré.

-Bon, vous me direz comment vous vous organisez…

-Comment je m’organise ? Vous me rendez perplexe…

-Ben oui. Pour le retour de Lopez, enfin, ce qu’on fait…

-Très bientôt, Clive, vous aurez tous les éléments en main…

-Et ce sera plus clair, alors…

-Oui.

-Erik m’a dit de venir à son prochain spectacle.

-Ah ! Il a réussi à imposer Jeux ! J’en suis ravi pour lui car ça n’a pas été simple. Il va être merveilleux. Et puis, il est aussi au centre d’un montage sur Fokine : vous le verrez en Arlequin, en esclave d’or…Non, vraiment, je vous assure, il s’est battu pour que naisse ce spectacle. Il y a bien Martins, le directeur artistique, qui est danois lui-aussi, mais il n’est pas seul…Je suis très fier de ce qu’il tente !

 

 

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17 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 2. Erik et Clive. Ecoute et tendresse.

 

Relax, il avait l’air de l’être et il rigolait de plus en plus quand il me voyait. Il me parlait français et évoquait sa mère et puis danois et il imitait son père. Pour son père, je sentais que ça coinçait un peu. Il lui en voulait de ne pas suivre sa carrière, de ne pas prendre des avions pour venir l’applaudir…Sa mère, au contraire, c’était l’adoration. Elle, était déjà venue le voir à New York (Barney l’avait invité à bouffer au Four Seasons, j’en aurais donné ma main à couper, et il avait sorti pour l’occasion son français approximatif et lui, mon danseur joli-joli, il avait ri de ses tentatives…) et tout s’était très bien passé.

Quand même son père, il n’avait jamais rechigné à payer les cours de ce fils surprenant et ses stages. Je lui ai fait remarquer, à Erik. Peut-être qu’il avait le droit d’être un peu décontenancé…Ce n’était pas toujours facile. Moi quand, ado, je sortais sans arrêt en douce et que mes parents « super ouverts » en avaient eu l’intuition, ça leur en avait foutu un coup. L’éducation rigoriste que j’étais supposé recevoir, elle en prenait un coup. Ben, pour son père, c’était peut-être un genre comme ça. C’était un mec qui venait d’un milieu très simple ; alors un fils danseur classique (et d’une), très doué et promis à une carrière internationale (et de deux) et bisexuel (et de trois), ne fallait pas non plus…

Il a acquiescé, mon superbe danseur, pis comme je voyais que ça le chavirait un peu, j’ai arrêté tout de suite.

Je l’ai pris dans mes bras et pour atténuer ce que je lui avais dit ce jour-là, je lui ai parlé de son teint. Oui, son teint clair. Le changement était très perceptible : il était beaucoup lumineux. C’était mon foutre et ses propriétés spécifiques…Comme il en avalait régulièrement, il en voyait les bienfaits…

Il a pouffé de rire.

Quand on est arrivé en décembre, il m’avait dit plein de trucs. Je pouvais reconstituer sa carrière ! Il se souciait de Carolyn qui bouffait des ronds de chapeau dans son école de danse au niveau élevé. De temps en temps, il l’appelait. Il ne fallait pas qu’elle lâche. La danse classique, ça ne fait pas de cadeau. Il était bien placé pour le dire.

Entre deux séances de voltige aérienne dans des draps aux couleurs désormais normales (j’avais fini par aller en acheter), il m’a parlé du spectacle dans lequel il allait paraître. C’était un hommage au ballet russe et il y danserait, Le Spectre de la rose, l’Après-midi d’un faune et Jeux. Pour ce dernier ballet, il avait dû insister mais insister…On considérait que Nijinsky l’avait chorégraphié trop vite, ce qui, de son point de vue, était une aberration. En tout cas, il était fier de le danser. Il y aurait, pour finir la soirée, un ballet de Fokine où ce même Nijinsky, cette fois danseur, avait, en son temps, particulièrement brillé mais j’en ai tout de suite oublié le nom.

Il travaillait comme un dingue et ce spectacle le rendait fébrile. Tout y serait magnifique. Bien sûr, je viendrais.

Et Barney aussi…Il avait peut-être fait les décors et les costumes va savoir. Et pour les costumes, il avait en personne supervisé les essayages du beau danseur qui avait les premiers rôles…Quand même, fallait vérifier que le maillot moulant du jeune spectre tout rose et enturbanné serrait pas trop à l’entrejambe…Hélas, si, ne bouge pas Erik, j’arrange ça tout de suite…je lâche une couture…Tu te sens mieux chéri ? Je reste à genoux ou je me relève…

Oui, j’irais le voir mais il ne fallait pas qu’il donne aussi des billets pour ma femme et ma fille. De telles libéralités leur paraitraient bizarres. Juste comme je lui rappelais un peu l’existence de ce décorateur pour savoir où ça en était et qu’il demeurait évasif, le voilà qui a réoccupé le devant de la scène, l’incomparable Julian B.

Lui et moi, on « textotait » depuis quelques temps, pardon, on s’envoyait des texto…. Ben oui, les temps changent…Il vérifiait que ça suivait son cours et se montrait ravi de la façon dont Erik me faisait confiance. Ça roulait, en somme, mais jusqu’à quand ?

 

17 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 2. Erik défait.

Il s’est arrêté et j’ai compris qu’il était totalement sincère. A nouveau, j’ai vu l’homme qu’il pouvait être quand il s’occupait d’autre chose que de tisser des toiles d’araignées. Comme interlocuteur, il devait être fascinant et je n’avais aucun mal à croire qu’on s’arrache son travail. C’était juste que j’aurais dû le rencontrer dans un autre contexte ou pas du tout. En fait, pas du tout, ça aurait été mieux.

J’ai senti fondre sur Erik et moi une tempête sans nom et pour la première fois, j’ai annulé un rendez-vous avec lui. Inconscient de ce qui se tramait, Erik a fait mine de prendre la chose avec légèreté mais il n’a pas tardé à m’appeler. Il n’était vraiment pas bien. Il voulait me parler. J’ai creusé un peu pour savoir et j’ai pigé qu’il y avait un truc dans son passé qui le harcelait. Ça lui était égal que ce soit à un autre moment et pas dans cet appartement qui nous servait de refuge. J’ai hésité puis, en fin de compte, j’ai dit que je le verrais au même endroit que d’habitude mais en fin de journée puisque ça semblait l’arranger. Il m’a fixé une date et une heure et il est venu. Il avait l’air triste et craintif. Je ne l’ai pas interrompu et je ne l’ai pas touché. Là aussi, je dois bien l’avouer, c’était surprenant.

-Quand j’ai eu dix-huit ans, j’ai rencontré un musicien. Il s’agissait d’un pianiste de grande réputation dont la carrière avait été prestigieuse jusqu’à ce qu’un accident de la route n’y mette fin. Il pouvait toujours se servir de ses mains mais pour ce qui concernait le piano, il n’y avait pas d’illusion à se faire. Ce toucher brillant qui avait fait sa réputation, il ne l’aurait plus jamais. C’en était fini de ses rendez-vous autour du globe pour des concerts qui faisaient date. Évidemment, il a eu du mal à surmonter le choc mais il y est parvenu. Il a mis sur pied une fondation à son nom pour venir en aide à des artistes de tous bords qui souhaitaient soit voir encourager leurs débuts, soit faire une halte pour être au calme et créer. Il venait d’une famille riche et sa carrière internationale lui avait fait gagner pas mal d’argent. Il a établi sa fondation dans un très beau château au nord du Danemark et tout de suite, il a tapé très fort. Il a attiré l’attention des médias et celle des sponsors. Je l’ai rencontré et l’ai admiré. Il m’a donné le sentiment de vouloir beaucoup me parler et de s’intéresser à moi et, je suis vraiment sincère, je n’ai rien vu arriver.

Il avait l’air d’avoir des difficultés à parler et je suis allé lui chercher un verre d’eau. Il l’a bu à lentes gorgées.

-Il s’est déclaré brutalement et ça m’a paru tellement inattendu que j’en ai ri. Mais lui, il a été catégorique. Il éprouvait une passion pour moi. Jamais, il n’en avait éprouvé une telle ferveur et une telle adoration. Il avait pourtant été marié deux fois, il avait des enfants, il avait aimé deux jeunes hommes qui, comme lui, faisaient de la musique mais jamais, jamais, il n’avait buté sur une telle évidence de l’amour. Ça le consumait ; ça le rendait fou. Il avait cinquante et un ans. Ça me paraissait très vieux. Physiquement, j’étais incapable de le toucher et j’ai toujours refusé de le faire. Il m’a écrit beaucoup de lettres enflammées. Au fil du temps, elles sont devenues délirantes. Puis, il m’a posé un ultimatum. Tu sais, je ne réalisais pas vraiment. Ça m’effrayait tout cela. Mais il a fallu que je lui parle et je lui ai dit que j’étais incapable de lui répondre. Un temps, il n’a plus rien dit et j’ai pensé qu’il revenait à la raison. Puis, une nuit, il m’a appelé chez moi. J’avais dix-neuf ans désormais et je vivais seul pour la première fois de ma vie. Il a insisté pour me voir, pour m’aimer. Sinon, il mourrait. Il était trois heures du matin. Je ne comprenais pas bien. Était-il sincère ? Pas sincère ? Seulement, avant de raccrocher, il a pointé le fait que je disais non et que ce serait lourd de conséquence. Je n’ai pas ouvert la porte et j’ai débranché mon téléphone. J’ai dit non une fois de plus. Il s’est pendu.

Il est resté assis sur son fauteuil, le dos droit et le visage baissé. J’ai fait ce qu’il me semblait juste de faire. Je l’ai fait se lever. On s’est allongé l’un contre l’autre sur l’affreux canapé du salon et je l’ai gardé contre moi.

Barney avait dit qu’Erik avait été dressé à séduire et à rendre amoureux. Il y avait sans doute beaucoup de vrai dans ce qu’il avançait mais là, quand même, quelqu’un était mort. C’était autrement plus grave… Je n’avais aucun élément me permettant d’infléchir ou de confirmer la version des faits que présentait ce jeune homme accablé. Je m’en suis tenu à la simplicité. J’ai gardé le silence en lui communiquant ma force intérieure.

Quand il est parti, il avait l’air d’aller un peu mieux et il me restait entre les doigts un de ses cheveux d’or pâle.

J’ai essayé de penser à quelque chose de trivial, le concernant mais rien n’a fonctionné. Il restait la pureté.

 

 

16 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 3.

 

 

TROISIEME

PARTIE

 

CHUTE

 

 

 

16 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 3. Quelques mots.

 

 

Parce que Clive a répondu à l'annonce d'un homme aisé qui veut récupérer son compagnon, une étrange aventure a commencé. Clive s'est amusé à s'approcher du danseur classique qui lui a été désigné et il l'a séduit, comme demandé. Maintenant qu'il le voit régulièrement, il voit bien qu'il s'est épris de lui, que cette histoire de pari à gagner et d'argent à recevoir est sordide et que, sachant la vérité, le danseur se rebellerait. L'idée est qu'il ne sache rien et qu'il se tourne vers lui, Clive. Mais est-ce possible? Et si oui, à quel prix? 

 

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16 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 3. Réflexions de Clive.

 

L'avoir connu comme ça, à la suite d'un pari stupide, et recevoir de l'argent pour ce que je fais, je sais bien que ce n'est pas terrible ; mais je suis passé à autre chose avec lui, je l'aime, il me hante, il est tout le temps en moi. Je vais quitter ma femme et lui, cet homme riche qui le veut pour lui, je vais le dégommer. Fin comme il est, le beau danseur, il comprendra. Il se tournera vers moi. Pourquoi? Mais parce que rien d'autre ne peut arriver.

 

16 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie trois. Erik, danseur admiré.

 

 

1. Erik. Trois ballets de Nijinsky.

Après quoi, il y a eu le beau spectacle où Erik devait se produire et j’ai vite compris que c’était le clou de la saison. Depuis des mois que je le voyais en cachette, je m’étais beaucoup renseigné sur la danse classique. J’avais bien sûr compulsé le livre que Barney m’avait refilé pour que je sache ce qu’il avait dansé exactement, mon danseur (pardon, notre) mais ça ne suffisait pas. On était en 2012 et Erik avait vingt-sept ans. Ça voulait dire qu’en 1995, alors qu’il avait dix ans, il avait dû admirer Rudolph Noureev d’autant que sa récente mort lui redonnait tout son éclat et Baryschnikov qui, lui, cartonnait encore pas mal aux Etats-Unis et ailleurs. J’avais lu qu’Erik Bruhn, qui était d’une tout autre génération, continuait d’être une figure de référence au Danemark et en regardant des photos de lui, je m’étais dit que, plus âgé, mon Erik à moi finirait par lui ressembler. Pour ce qui est de l’excellence dans la danse, c’était carrément bien mais Bruhn, ça avait quand même l’air d’un grand mélancolique et j’espérais que mon joli-joli, il s’en tirerait mieux. D’autant que son prédécesseur danois, il était officiellement mort d’un cancer qui, en fait, était le sida.

 

 

16 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 3. Le Spectre de la rose.

 

Après, il admirait un tel ou un tel et il me disait des noms mais j’avais une culture trop limitée en ce domaine pour les retenir.

Il avait quand même remarqué que je savais bien plus de « choses » qu’au départ (oui, je sais, heureusement que « chose » et « truc » existent, parce que je serais souvent en panne de vocabulaire…) et ça m’a valu de discrets compliments. Erik, il pouvait vraiment être tout d’un coup simple comme un enfant pis roué et futé comme tout et dans ces cas-là, il pouvait se montrer dur. Mais dans le cas présent, l’enfant parlait.

Bref, je l’ai vu, son spectacle.

Je savais déjà qu’il était super-bon comme danseur mais là, ça a dépassé tout ce à quoi je m’attendais.

Il était meilleur que la première fois dans le Spectre de la rose et non, Barney n’avait signé ni les décors ni les costumes. Quand il arrivait en bondissant, il était vraiment une apparition d’un autre âge. Il était moins « mignon », moins « dansant » que la fois précédente peut-être parce qu’il avait retravaillé son style et lui avait enlevé toute facilité. Ses ports de bras restaient magnifiques et très contrôlés mais là-encore, on sentait qu’il avait tout revu de près. On avait plus envie de dire qu’il était une belle fleur et elle une jeune fille endormie. Il était un esprit aux aguets et il traversait l’espace avant de se poser près d’elle pour la troubler. Le décor était très simple. Il ne portait qu’un justaucorps vert pâle et sa danseuse aussi était vêtue simplement.

Ce coup-ci, il n’y avait plus la vieille carne avec son Georges. J’étais flanqué de deux couples qui avaient l’air sympathique et faisaient, très discrètement, des commentaires plutôt intelligents. Ils parlaient de sa technique. Ils citaient les figures qu’imposaient ce ballet et débattaient de la façon dont Erik les avait faites et ils tombaient d’accord. Anderson, c’était vraiment un grand danseur…

Ceux-là, ils venaient vraiment pour la danse. Erik respectait des gens comme ça, quel que soit leur milieu, il me l’avait dit. Il recevait souvent des lettres et beaucoup, enfin des lettres comme on fait maintenant avec internet et des fils d’actualité. Il m’a dit qu’il faisait des réponses privées quand ça l’attrapait trop et qu’il avait de brefs échanges incroyables avec certains correspondants. Et puis, il lui arrivait de temps en temps d’échanger de vraies lettres, à l’ancienne, et il aimait beaucoup cela…

 

16 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 3. L'Après midi d'un faune.

 

Il y a eu une petite pause et tout le monde a attendu. On a entendu les premières mesures de Debussy…

Quand je l’ai vu, Erik, dans L’Après-midi d’un faune, avec son casque de cheveux tout dorés, ses jolies cornes et son corps tout couvert de tavelures brunes, j’ai commencé à le comprendre le Kristian Jensen qu’avait dû arrêter sa carrière de grand pianiste à cause d’un vilain accident de bagnole, parce qu’être face à une telle apparition…Même si tu as vu le rôle interprété par dix autres danseurs avant lui, ben, tu sais que là, il se passe quelque chose…Et comme toi, dans l’art qui était le tien, tu peux plus rien faire…

Et Barney aussi, tout carne et mauvais qu’il pouvait être, je comprenais que ça le laisse étourdi. Erik, comme il était applaudi ! Franchement, que devaient ressentir les autres danseurs ? Quand il saluait, c’était l’explosion, la frénésie…Bon, je savais qu’il allait revenir et danser « Jeux », et je me suis sentais heureux.

La suite était belle aussi mais il n’y était pas. Il y avait un danseur qui servait de fil conducteur et, comme ça, on passait d’une scène à une autre. C’était un bel hommage à cet univers de la danse que la première guerre avait mis en déroute, forçant les compagnies à s’exiler ou à fermer leurs portes, débauchant des danseurs ou les envoyant se faire trouer la peau au front, et faisant partir en mille morceaux tout un monde de chorégraphes, de compositeurs, de peintres…

Il y avait une photo de Diaghilev qui apparaissait après qu’un autre danseur soit apparu en pauvre marionnette déchue, avec un visage certainement beau au départ mais méconnaissable car trop fardé, une perruque ridicule et une façon de bouger qui le rendait tout désarticulé. Celui qui avait porté à bout de bras les ballets russes pendant tant d’années et en avait fait le rêve de sa vie, sûr qu’il avait dû avoir des côtés difficiles, presque noirs, sûr qu’il avait dû être aussi manipulateur que charmant à bon escient mais quelle grandeur ! J’avais lu des trucs sur lui avant et après qu’Erik m’ait parlé de lui et je me disais qu’il avait été un seigneur…

La partie hommage qui contenait des morceaux choisis en quelque sorte, elle avait été coupée en deux pour équilibrer le spectacle.

Alors, plein d’élan, à l’entracte, je suis allé me chercher un truc à boire et au bar, alors que j’étais perdu dans mes rêves, j’ai senti que quelqu’un me regardait. Je n’ai pas eu à chercher, loin. Il était là, Julian Barney, vêtu comme dans son monde, on s’habille le soir avec des gens dans son genre autour de lui. Il m’a salué et adressé un demi-sourire tout en évaluant ma tenue. Il a apprécié. Je portais un costume bien coupé, une chemise sans cravate d’accord, mais une belle chemise et le reste qui suivait, chaussures élégantes, cheveux fraîchement coupés, rasage impeccable. Il n’a pas pu s’empêcher…il a fait un signe à ses amis comme quoi il revenait tout de suite et il s’est approché de moi :

-Vous savez que vous êtes très bien, ce soir, Clive.

-J’ai fait des achats.

-Je vois cela. Vous êtes plutôt bel homme, vous devriez faire attention à vous…

-Houai ?

-Ah mais je suis formel. Vous êtes assez beau…

-Ce n’est pas une bonne idée de me dire ça. Imaginez qu’Erik pense pareil ce soir ? Il me voit, je l’emballe…

-Et vous l’emmenez où après une pareille représentation ?

-Dans les étoiles ! Là, où Riccardo Lopez ne loue pas d’appartement !

Il a tout de même ri avec sincérité. Mais bon…

-Riccardo qui ?

-Vous ne savez pas qui c’est ?

-Si, pour peu de temps encore.

-Je ne saisis pas…mais dites-moi, comment ça se fait que vous ne soyez pas venu pour la Première ?

Je n’aurais pas dû dire ça. En effet, c’était vraiment bizarre comme coïncidence qu’il assiste à cette soirée en même temps que moi alors que c’était une huile…

-J’y suis allé mais je savais que vous seriez là ce soir. Pour ne pas vous mentir, Erik et moi nous sommes enfin parlés. Et très longuement. La situation est très différente c’est pourquoi nous nous parlons.

-Ah…

J’avais pâli. Pourtant, il ne me toisait pas, l’autre, il prenait son temps pour m’expliquer…

-Je suis admiratif. Vous avez parfaitement réussi…

-A quoi ?

-A le rendre à lui-même comme ça. Bravo. Il a compris. Il revient vers moi.

-Hein ?

-Notre liaison reprend.

-Et moi ?

-Désolé, Clive. Pour vous, c’est terminé.

-C’est vous qui dites ça mais lui ?

-Il vous estime. Il va vous faire savoir ce qu’il en est.

Il bluffait. Ce n’était pas possible, ça. Erik, mon joli-joli…

-Me le faire savoir ?

-Oui.

-Ce n'est pas possible !

-Pourtant si…

-Vous ne portez pas la clarté sur votre visage…

C’était la fin de l’entracte et j’ai filé à ma place. J’ai vu où il était, Barney avec sa clique. Dans une loge, très près de la scène. Je me suis dit qu’un danseur, quand il s’approchait tout près de la rampe, si elle n’était pas illuminée, il voyait les spectateurs, certains du moins. Alors, Barney, il devait le voir…Moi aussi, peut-être bien. Et s’il nous voyait l’un et l’autre, il pensait quoi ?

 

 

16 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 3. Jeux, un ballet méconnu de Nijinsky.

 

Jeux, c’était un ballet de Nijinsky qui était passé à la trappe. Il n’avait pu faire ce qu’il voulait tant il était pressuré, à cette époque, l’incomparable danseur russe. Danseur phare d’une troupe jugée hautement exotique et très admirée pour sa variété et ses audaces, il subissait une énorme pression de la part de Diaghilev et de ses acolytes. L’idée était que tout en restant « le » danseur-vedette, il soit aussi le chorégraphe principal. Quand on sait à quel point, l’orgueilleux imprésario tenait à la programmation de chacune des saisons des Ballets russes, la tâche était énorme et c’était du jamais vu. Fokine avait régné sur le corps de ballet avec d’autres chorégraphes. Nijinsky devait tout faire tout seul. Il avait vingt-quatre ans. On le pressurait de toute part. Il croyait à Jeux auquel, très rapidement, plus personne n’avait cru et qui, au final, avait déplu. Dans le même temps, le jeune danseur faisait jaillir Le Sacre du printemps qui avait causé des émeutes ici et là. La vérité c’est que Diaghilev avait aimé le scandale causé par le ballet de son protégé et la musique de Stravinsky. Les débats avaient été animés et l’imprésario en avait été heureux. Il adorait les polémiques qui le mettaient au centre de l’intérêt général. Les autres l’indifféraient. Seulement, le Sacre, si on regardait la programmation des Ballets russes sur des années, y compris après la guerre quand devenus Ballets russes de Monte-Carlo avec Serge Lifar, il n’avait pas été présenté tant que ça…A croire que cette chorégraphie incroyablement nouvelle posait plus de problème au maître qu’elle ne lui apportait de satisfaction…

Quant à Jeux, Erik m’avait dit que les notes de Nijinsky avaient été perdues. Il avait été rejeté d’emblée, son court ballet, et dans la tourmente qu’avait été sa vie, après son éviction des ballets russes, il n’y avait plus songé…

Et pourtant.

Le décor nocturne suggérait un parc, bien que tout soit stylisé. Une balle arrivait au milieu de la scène, une balle de tennis et un jeune homme, puis deux jeunes filles, habillés comme pour pratiquer ce sport, entraient et sortaient, se poursuivaient pour s’écarter et s’écartaient pour se poursuivre. On devinait que le jeune joueur de tennis tentait sa chance avec une danseuse puis une autre dans l’espoir de faire l’amour avec l’une d’elle. Mais on devinait aussi que les jeunes femmes étaient attirées l’une par l’autre. C’était une ronde amoureuse et sexuelle et il ressortait que quelque part dans les buissons du parc, un peu plus tard, ces trois-là étreindraient une des personnes présentes sinon deux ou se seraient dirigés vers d’autres partenaires. En attendant, ils flirtaient et le jeune homme finissait par les embrasser l’une et l’autre…

Moi, indépendamment de ce que le thème du ballet faisait naître en moi, je trouvais l’idée de ce chiffre trois dans un ballet captivante car elle faisait obstacle aux célèbres duos, aux pas de deux…Là, les trajectoires étaient nouvelles. Le cercle était omniprésent. Pendant tout le temps de la séduction, ils se maintenant à l’intérieur de ce cercle, les trois jeunes gens qui se cherchaient puis, une fois vécue la plénitude de la satisfaction sensuelle, ils en sortaient…Il y avait des lignes géométriques sur le sol et bien sûr, le fameux cercle. Les lumières changeaient sans jamais être violents. Les trois danseurs étaient en blanc. Les filles n’avaient pas vingt-cinq ans…

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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
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