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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.

17 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 1. Barney et Clive. Tractations.

 

 

J’ai pensé que vu ses largesses financières, il pourrait peut-être nous allonger cinq billets au premier rang pour Casse-Noisette le 25 décembre. Comme ça, on verrait Erik et j’ai commencé à en parler mais là, vu la façon dont il m’a toisé…

- Je vous demande pardon ?

- Mais c’était jusque…

J’ai arrêté tout de suite.

Contente-toi d’en avoir dans le pantalon une fois que tu auras ferré Erik, d’accord ? Et pour le reste, ne m’oblige pas à devenir désagréable…

Il y a des gens comme ça, qui n’ont pas besoin de parler. Bon, le repas a pris fin et on s’est apprêté à sortir de ce restaurant ultra-chic. Au moment de l’addition, j’ai vraiment adoré la façon dont il sorti de son portefeuille en peau de quelque chose sa carte « archi gold ».

Pour signer, il avait un de ses gros stylos phalliques qu’on trouve en photo dans certains magazines.

-Erik aime ce genre d’endroit ?

-Bien sûr…

-Mais là où je risque de l’emmener, ce n’est pas le même niveau…

-Il aimera aussi.

-Ah oui, il vient d’un milieu simple.

-Voilà. Par le fait, j’ai un document, enfin plutôt un livre à vous remettre.

-Ah bon, un album photo ?

-Non, un livre sur la danse. Beaucoup de ballets y sont évoqués. Là, où il y a une croix, c’est qu’il les a dansés.

-Je regarde de quoi ça parle.

-Merci de le faire, Clive.

Clive ! Ce mec, rien que la façon dont il prononçait mon prénom ! Je ne lui pas serré la main et je suis parti avec le livre sous le bras. Il allait m’appeler. J’ai scruté le ciel les premiers jours de décembre. De la neige, vite. Pour Noël, il n’était encore rien tombé.

Début janvier, il a téléphoné. Les fêtes étaient passées. Le 24 décembre, on avait vu un spectacle de chansons traditionnelles, un truc dans notre quartier. C’était plutôt amusant mais loin des splendeurs du New York City ballet. J’avais lu discrètement ce qui avait été écrit sur le spectacle. La critique ne l’avait pas beaucoup aimé mais lui, par contre, recueillait tous les suffrages. J’ai pensé à lui, j’ai revu son beau visage…Comme ça déclenchait en moi une violente tension intérieure, j’ai préféré recommencer à m’interroger sur la ou le psy de Barney. Un coup la jolie thérapeute arrêtait de parler éthéré parce ce que ce beau mâle qui n’aimait que les hommes jeunes lui faisait sacrément de l’effet et elle devenait directe. Il la plantait là, outré. Un autre, le jeune et beau psy finissait par rougir quand Barney lui racontait en détails sa trépidante vie sexuelle. Il n’allait pas tarder à faire son coming-out et Barney, nonobstant l’avocate qui était l’épouse du beau psy et leurs deux enfants, saurait quoi faire…C’était quoi le plus probable ? Malheureusement, j’ai dû abandonner mes divagations.  Julian B. a accéléré les choses en m’appelant de façon complètement impromptue. C’était un matin et j’étais à mon bureau. J’ai dû faire sortir un collègue avec qui je blaguais pour être tranquille.

-Bonjour, Erik se rend samedi matin au vernissage d’une exposition à Brooklyn. Vous avez de quoi noter ?

-Oui.

 Il m’a indiqué l’adresse d’une galerie et a ajouté celle d’un restaurant très simple.

-Il sera seul. C’est ce qu’il aime : voir seul des expositions. Je pense qu’arrivant en fin de matinée, il ira d’abord déjeuner. Soyez vigilant.

-Oui, je le serai...

-Ce sont des sculptures. Arno Guthrie.

-Qui est-ce ?

-Un sculpteur qui n’arrive pas à percer.

-Erik l’apprécie ?

-Peut-être. Il y va sans doute par curiosité. Ah, autre chose !

-Je vous écoute.

-Portez des vêtements simples : jeans, t-shirt à capuche, anorak.

-Je mettrai aussi un bonnet si vous voulez : ne paniquez pas…

En réalité, c’est moi qui paniquais. Ça y est, j’y étais. Le samedi, je suis parti en avance. Je ne savais pas bien où c’était et Barney ne risquerait pas de m’aiguiller si jamais je l'appelais. Il serait railleur…J’ai trouvé plus vite que prévu et j’ai tourné en rond. Il devait d’abord déjeuner. J’ai attendu, l’air de rien devant le restaurant jusqu’au moment où ‘ai pigé qu’il avait changé d’idée. J’ai sorti mon carton d’invitation pour le vernissage (merci, Julian) et je suis entrée dans le hall. Guthrie était un type d’une trentaine d’années, petit, pas beau du tout et plutôt maigre. Il y avait plein de gens autour de lui et je ne suis pas joint au groupe vu que, de toute évidence, Erik n’en faisait pas parti.

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17 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 1. Expo new yorkaise. Tenter sa chance.

 

 

J’ai commencé à regarder les œuvres exposées en jetant des regards à droite et à gauche. En bas, je ne l’ai pas vu. Alors, je suis monté à l’étage parce qu’il y avait la suite de l’exposition. Deux pièces en enfilade présentaient les œuvres variées du « maître » et franchement pour moi, tout se ressemblait. Il adorait les magmas, ce type et d’une masse informe sortaient des bras, des jambes, des parapluies, des antennes, des cannes à pêche. Bon, j’exagère quand même mais c’était du niveau. Chaque pièce avait un titre ronflant du type « Apocalypse précoce », « Bonheur éjaculatoire », « Trident mordoré », ou encore « futur divinatoire ». J'ai failli pouffer de rire mais il n’y avait toujours pas d’Erik à l’étage et j'ai commencé à avoir les nerfs en pelote. Il était peut-être en bas, en fin de compte ; je devais avoir mal regardé. J’essayais de me distraire en inventant pour ces productions bizarres des noms encore plus ridicules que celles qu’elles portaient et j’en étais à « Chorizo intégral » et « Doux maïs futuriste » quand j’ai compris qu’il venait d’arriver dans la même salle que moi. Lui, Erik…

Ne pas le regarder, l’observer discrètement, trouver comment lui parler…

Il s’est approché de « Apocalypse précoce » et j’ai fait de même. Il était de taille moyenne et il était à la fois mince et fort. Je le voyais de profil et je retenais mon souffle. Il n’y avait rien de veule chez lui, je sais sentir ça moi, c’était vraiment quelqu’un de beau dans tous les sens du terme. J’étais intimidé et du coup, je ne savais que faire. Lui, il a regardé un moment « la création » du dénommé Arno Guthrie et il poussé un léger soupir ; après quoi, il a changé de statut. Il avait soupiré : ça ne lui plaisait pas. Du coup, le rejoignant pour observer une nouvelle pièce de l’exposition, je l’ai imité, histoire d’attirer son attention et là, devinez quoi, il m’a regardé brièvement. J’ai buté sur son visage ! Ah non, non ! Ce n’était pas possible ! J’ai convoqué mentalement tous les poncifs, toutes les tartes à la crème sur le choc que provoque la beauté, eh bien, ça n’a pas suffi…Cet ovale pur, cette ligne de sourcils légèrement ascendante, ces yeux clairs…C’était invraisemblable ! Quelqu’un comme lui avec quelqu’un comme moi ? On était dans un comics ! Vous savez quand quelqu’un s’énerve et devient tout rouge, il y une bulle avec « non, non, non » en caractères géants et des onomatopées pour imiter tout un tas de bruits bizarres ! J’en étais là. Je m’entendais émettre des sons inarticulés.  Impossible. Barney marchait sur la tête…Pas quelqu’un de ce calibre, quand même !

Il ne me regardait déjà plus que j’avais son visage ancré en moi. C’est drôle : tout était spiritualisé dans ses traits sauf sa bouche. Une belle bouche enfantine, avec de belles lèvres charnues. Une bouche gourmande comme celle d’un enfant qui mord avec bonheur dans une tartine de confiture. Enfin, avec un regard d’adulte dessalé, on pouvait lui attribuer bien d’autres qualités, à cette bouche généreuse, surtout quand on était gay.

Mais voilà, cet Erik-là, pour moi du moins, il écartait de lui-même la vulgarité.  Être salace avec quelqu’un comme lui ça ne cadrait pas. En tout cas, moi, je ne m’en sentais pas capable, quelle que soit l’issue de notre relation.

Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, j’ai voulu tout lâcher. Bien sûr, je suis resté à l’étage et j’ai regardé l’une après l’autre les « créations exposées ». Il est descendu avant moi et, je vous jure, j’ai prié le dieu le plus disponible ce jour-là de faire en sorte qu’il soit reparti. Mais il était en bas et de nouveau, son regard m’a traversé l’espace d’un instant. Le choc a été le même et j’ai baissé la tête. Finalement, il est sorti après avoir salué « l’artiste » et s’est dirigé vers le restaurant où je comptais le trouver au départ. J’ai décidé de partir mais je l’ai suivi. On s’est retrouvé tous les deux dans une salle bondée où il ne restait qu’une seule table. Le gérant l’a reconnu, l’a salué et l’a installé puis, il s’est tourné vers moi. C’était un bistrot, pas un beau restaurant et il était possible de compléter une table. Je me suis retrouvé assis en face de lui en un rien de temps et je me suis demandé s’il m’était un jour arrivé d’avoir un cœur qui batte normalement. Là, c’était tellement désordonné que je me suis senti devenir écarlate. Il n’y avait pas que ça bien sûr. Une partie de mon anatomie menaçait de se raidir. On ne se refait pas. Bon, je me suis servi un verre d’eau. Je n’osais pas le regarder. Heureusement, il parlait avec le patron. Il avait un anglais fluide mais c’était l’anglais d’un étranger. Attention, hein, il parlait bien mais il y avait des mots qu’il accentuait d’une drôle de façon, enfin, ça devait venir de sa langue d’origine. Bref. Il a commandé de la viande rouge et des pommes de terre. J’ai fait bêtement pareil et j’ai pris une bière.

17 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 1. Une exposition décevante. Clive attaque.

Il ne me regardait pas, il baissait les yeux. Il était dans ses pensées. J’ai commencé à jouer mon rôle. J’étais là, après tout, je n’étais pas parti.

-Vous avez aimé cette exposition ?

Il a souri légèrement.

-Non. Je suis trop naïf. Je suis abonné à une revue d’avant-garde et chaque mois, ils mettent en avant un artiste qui mérite d’être reconnu. Quelquefois, je les trouve judicieux mais là, non. Je me suis fait avoir.

-Ah…

-Et vous, vous avez aimé ?

-Je n’ai rien compris. J’aime quand c’est figuratif…Enfin, ça me parle plus.

-Pourquoi êtes-vous venu ?

J’ai failli m’étrangler.

-C’est ma fille. Elle trouve que je dois m’intéresser à l’art contemporain ! Elle a entendu parler de cette expo et m’a conseillé d’y aller.

-Elle n’est pas avec vous ?

-Non, c’est sa tactique. Elle m’envoie en avant-garde et elle y va après. On compare nos points de vue ensuite et bien sûr, elle se fiche de moi !

-Pourquoi ? Elle va trouver ça bien ?

-Elle a quinze ans, c’est bien possible !

Il m’a adressé un sourire plutôt courtois puis il est reparti dans ses pensées et ne m’a plus rien dit. Seulement, elle était là, ma chance. J’étais assis en face de lui et ça n’allait pas durer. Je l’ai regardé porter à ses lèvres son verre d’eau plate et j’ai attaqué de nouveau :

-Bon, en fait, ça m’intrigue…votre anglais. Remarquez, vous parlez très bien mais…

-J’ai un accent.

-Euh, oui. Et, sans indiscrétion, vous êtes originaire de…

-Du Danemark. J’ai une carte verte.

Il s’était remis à me regarder. Il ne mangeait plus. Son visage, de nouveau, m’a suffoqué et j’ai enfourné un gros morceau de steak auquel j’avais aggloméré trois frittes. La charge émotionnelle était aussi forte que la charge érotique…Non, est-ce qu’il avait idée de ce qui se dégageait de lui…Cette bouche et ces yeux clairs…

-Une carte verte…Oui…Vous travaillez ici, alors…

-On peut dire ça.

-Ah et vous êtes un peu comme moi, enfin pas trop artiste…Je veux dire n’aimant pas ce genre de…de….

-Il n’est pas un artiste pour moi. J’en côtoie, alors ça me permet de faire la différence.

-Ah bon…C’est intéressant, remarquez ! Vous savez, quand j’étais jeune, c’est ça que je voulais faire, être près des artistes, enfin certains d’entre eux : des acteurs ou des danseurs. Les rendre beaux en les éclairant…

Il n’a rien dit sur le moment et j’ai pensé qu’il s’en fichait que j’aie été éclairagiste, mais pas du tout. J’ai vu paraître sur son visage un léger sourire et il m’a considéré avec intérêt.

-Vous avez éclairé des danseurs ?

-Oui. Ça a été mon travail pendant quelques temps.

-Et maintenant, vous ne le faites plus ?

-Non, non. C’était il y a longtemps : un petit théâtre dans le Manhattan. Il n’a pas tenu ses promesses et chacun s’est perdu en route. Vous voyez, il n’en est pas un qui soit devenu vraiment comédien ou danseur ; et pas un non plus qui ait continué à bosser dans ce domaine. Je vends des polices d’assurance à des entreprises, maintenant.

-C’est bizarre, je ne vous image pas du tout faire ça…

-A nouveau, ces yeux clairs…

-Peut-être parce que vous ne vivez pas dans le même monde que moi ; un monde où on doit lâcher ses rêves pour affronter la réalité. Je fais bien mon job. Je suis un as du baratin et je sais emporter des marchés. C’est ça qui compte. Ça me rapporte des primes.  Je ne regrette rien. De toute façon, c’était barré.

-Quoi?

-Une profession de ce type « artistique », si vous voulez.

Il a paru perplexe et il s’est penché vers moi. Je crois que c’était comme ça, juste pour parler mais j’ai eu une bouffée de désir physique plus violente que la première. A rêver que j’avançais les mains pour emprisonner son beau visage et de regarder de plus près cette bouche généreuse avant de l’investir…Évidemment, je n’ai rien fait.

-Moi, je n’aurais jamais pu faire ça, renoncer à ce que je voulais faire dès le départ. Jamais, je ne l’ai envisagé. C’est bizarre, hein ?

-Vous n’en êtes pas arrivé à vendre des vêtements ou…des polices d’assurance, c’est ça ?

-Oui mais je n’ai aucun jugement ; vous ne devez pas vous vous sentir visé.

-Je ne le suis pas. J’adore ce que je fais. Au début, je devais faire des efforts pour m’en persuader, du style réciter un mantra chaque matin. Des polices d’assurances toute ta vie tu vendras et dès le saut du lit tu y penseras …Mais maintenant, je n’en ai plus besoin. Je suis un homme de la classe moyenne et je fais partie du rêve américain, moi-aussi. Appart sympa, famille sympa, prime de fin d’année. Disneyland de temps en temps….

Il a souri mais il n’a pas ri. J’ai enfoncé le clou.

-A quoi n’avez-vous jamais renoncé ?

-A danser.

 

 

17 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 1. Carolyn, l'alibi plausible.

 

 

C’était dit et tout se nouait. Je ferais ce que Barney avait dit. Je coucherais avec lui encore et encore parce que je ne pouvais pas résister à tant de lumière.

-Danser ? Euh, quel style ?

-Je suis danseur classique.

-A New York ?

-Au New York City ballet. Vous y allez de temps à autre ?

-Non. Pourtant, je devrais. En fait, ma fille de quinze ans est encore au lycée mais elle fait de la danse classique depuis des années. Dans le Bronx, là où on habite. Ce n’est sans doute pas une super-école mais elle n’en démord pas. Elle adore vraiment, elle adore. Elle voudrait être prof de danse, un genre comme ça.

Il a paru amusé puis il a fait signe au patron de lui faire l’addition.

Elle y arrivera sûrement.

Je l’observais et je me demandais ce que je devais faire. Il allait partir et je n’en savais pas assez. En tout cas, je n’arrivais pas à le ferrer.

-Je dois partir, j’ai des rendez-vous. Au plaisir d’un prochain vernissage.

Il avait posé quelques dollars sur la table et il se levait. J’en ai profité pour voir qu’il était mince mais fort et bien découplé. Une fois dehors, il a enfilé son blouson de cuir. Dessous, il portait un jeans avec des bottes d’hiver et de grands pulls superposés. C’était des vêtements de belle tenue mais qui n’étaient pas luxueux. Toutefois, il était discrètement élégant dans la simplicité de sa mise…

A travers la grande vitre qui ouvrait sur la rue, je l’ai vu qui se mettait à marcher droit devant lui. Il a dû sortir un téléphone portable de sa poche et il s’est mis à parler à quelqu’un tout en continuant à tracer sa route.

J’ai payé et je suis sorti à toute vitesse du restaurant. J’ai hâté le pas et je l’ai rattrapé. Je n’avais pas d’autre choix.

-Écoute…pardon, écoutez…

Il m’a de nouveau regardé après s’être arrêté et l’espace d’un instant, il a laissé paraître un tout autre lui-même. Il détectait un chasseur mais il n’était pas motivé et surtout très prudent.

-Je m’appelle Clive, Clive Dorwell. J’ai quarante et un ans.

Il attendait, m’offrant ce regard aux aguets qui le rendait plus dur.

-Qu’est-ce que je comprends ?

Il avait donc flairé une approche.

-Eh bien, si je savais qui vous étiez, ce serait bien…Parce qu’un danseur d’une compagnie de danse comme ça, ma fille, ça la passionnerait de parler avec lui…Vous pourriez me dire au moins votre prénom ?

-Je m’appelle Erik.

-Il y a des niveaux dans les danseurs et je…

-Je suis étoile.

-Étoile ! Si je vous donne un numéro de téléphone, vous ferez quelque chose pour elle, pour ma Carolyn ? Ce serait génial !

L’espace d’un instant, il m’a détaillé puis il a paru peser le pour et le contre. Mon cœur battait la chamade et l’attente m’a paru interminable.

-En fait, vous voulez que je parle avec elle de la danse…Et vous, vous serez là…

-Ben oui…

Je lui ai tendu ma carte. Il y avait les deux numéros : le travail et la maison.

Il est resté sibyllin, la tête baissée, continuant d’hésiter. Il fallait insister, en remettre une couche : je l’ai fait.

-Allez, ce n’est pas rien quand même de vous rencontrer ! Ma fille, c’est une gamine qui vit pour la danse ! Et moi qui me butte sur vous !

Il n’était pas si sûr que je ne le mène pas en bateau mais il a quand même fini par dire :

-Je suis très pris toute la semaine prochaine mais après, oui. J’appellerai.

-Elle sera émerveillée.

Ce n’était pas grand-chose, c’était ténu mais j’avais quand même obtenu ça et je ne savais pourquoi, j’étais sûr qu’il tiendrait parole.

Trois ou quatre jours durant, je me suis demandé si oui ou non je m’y étais bien pris d’autant que je m’attendais à un appel péremptoire de super Barney. Curieusement, il est resté muet, le gros snob et ça m’a paru bizarre.

Au bout de dix jours, le danseur est apparu. Une fin d’après-midi où j’allais quitter le bureau, il m’a stupéfait. Sa voix, au téléphone, était presque timide. Ça m’a permis d’être offensif.

-Carolyn est enthousiaste. Elle ne change plus de sujet de conversation. Vous occupez toutes ses pensées !  Faites quelque chose !

-Après-demain, fin de journée.

-Magnifique ! On dîne tous les trois ? Quelque chose de simple…

-Oui

Ça a été une très bonne idée. Ma fille l’a bombardé de questions. Évidemment, elle le dévorait des yeux et se mettait en avant mais au fond, ça m’arrangeait. Ça ne sentait pas trop le coup fourré. Il a parlé de sa formation au Danemark, lui et de son passage par l’Opéra de Paris et celui de Londres. Elle avait un peu de mal à suivre et moi encore plus, parce ce que c’était évident que lui, c’était une pointure mais l’écouter, c’était génial.

17 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 1. Erik approché. Le monde de la danse.

 

4; Un déjeuner et une approche.

Puisque que Clive a réussi à attirer Erik par le biais de sa fille, il tente sa chance.

Je restais aussi neutre que possible mais quand même, je sentais des trucs. A deux ou trois reprises, j’ai senti qu’il m’observait et qu’il pigeait. Il voyait quoi ? Un mec qui avait enlevé son manteau d’hiver bleu-foncé et qui, les cheveux en arrière et la mâchoire carrée essayait de passer le bon examen.

J’ai la quarantaine, un physique solide, une gueule plus intéressante que belle…Je n’ai pas l’air emmerdant et je suis passe-partout…Tu dois avoir de bonnes raisons de faire gaffe mais quoi ? Je suis un plan jouable. Erik, Erik, Erik, allez, décide-toi.  Donne-moi une chance…

Mais il ne m’a envoyé aucun signal et ça m’a fait bizarre. Disons que, bon, quand on a des automatismes, ce n’est pas facile de les faire sauter.

 En tout cas, il avait l’air d’avoir faim. …Il mangeait ses « spare-ribs sauce barbecue » sans sourciller. Il avait l’air d'en aimer la sauce et il piquait joyeusement dans ses pommes sautées avec sa fourchette. Même la salade composée, ça lui plaisait. Tiens ? A l’époque Barney, il ne devait pas tellement manger comme ça, m’est avis. Curieux comme il était adaptable. Globalement, ça se passait bien. Carolyn lui inspirait de la sympathie. Il lui suggérait de changer d’école de danse. Celles qu’il lui conseillait coûtaient bonbon mais moi, je ne voulais pas avoir l’air de le contredire, alors, j’opinais du chef. Tenter sa chance, ah oui, oui ; passer des auditions, ah ben clair…Et savoir que ça devait de toute façon être drastique à un moment ou à un autre, fallait savoir ce qu’on voulait ! En fait, je ne sais pas si Carolyn était prête pour ça. En fin de compte, peut-être que la danse contemporaine, c’était mieux pour elle ! Moins dur, non ? Moi, je me taisais. Lui, le jeune dieu de l’Olympe, il la subjuguait, il la galvanisait. Fallait voir ça ! C’est sûr, ça aurait cassé l’ambiance si je n’étais pas resté discret. Il ne fallait quand même pas qu’elle se rende compte que subjugué, moi aussi je l’étais et, face à quelqu’un d’aussi beau et d’aussi racé, j’essayais de me placer…ça n’aurait pas fait un pli. Elle se serait plainte à sa mère en évoquant mon drôle de comportement. Et Kristin, elle aurait senti son cœur se serrer. Non, je ne voulais pas de ça. J’étais son mari quand même. Comme ça, c’était bien. Quand même, discrètement, j’ai continué mes coups de sonde. Et, oh, miracle, il s’est quand même passé un truc. Au moment de l’addition, elle a eu un coup de fil, Carolyn, et elle s’est levée pour s’écarter de nous. C’était son chéri, enfin le nouveau et on n’avait pas à entendre ce qu’ils se disaient. On s’est trouvés face à face et là, il a eu un léger sourire et, je ne sais pas, quelque chose dans le regard…Ah ! C’était clair. Ça s’appelle une accroche. Le genre…Tiens, oui, lui…ÉventuellementAu moins, il est sympathique, pas très adroit c’est sûr mais ça serait jouable…Personne ne le saurait. Ce serait juste sexuel. Il est sans doute bon sur ce plan- là…

Je l’ai regardé comme il me regardait, lui, et puis tout est redevenu normal. Ma fille était revenue et elle l’accaparait. Quand on s’est dit au revoir, il m’a remercié pour l’invitation et il a promis à Carolyn qu’il la contacterait sur son portable à elle…Et à moi, bon, il n'a rien dit.

Quand même, je n’avais pas rêvé. Je devenais « éventuel ». Juste qu’il ne fallait pas que je sois le vingt-cinquième « possible » dans la liste, donc loin dans le fond de réserve. Un beau jeune homme public, comme ça. Allez savoir…

Finalement, il avait neigé mais c’était trop tard pour le trip « patins à glace ». Il devait en faire avec ses amis danseurs et peut-être qu’il emmenait aussi avec lui cette espèce de jaune qui balançait son emploi du temps à Julian B.

Ben, où il était passé celui-là ? Je me suis posé pas mal de fois la question et puis, ça a fait son effet, il est réapparu. Seulement, entre le moment où son silence m’avait intrigué et le rendez-vous que j’ai eu avec lui, il s’est passé un sale truc. Enfin, sale pour moi.

Erik a fait parvenir trois billets à Carolyn et donc, on a su qu’on irait en famille voir une rétrospective Balanchine au New York City ballet. Tout le monde s’est préparé : il s’agissait de bien savoir qui était Balanchine parce que quand même ! Et on devait être calés sur les ballets qui seraient présentés, connaître les difficultés techniques qu’engendrait le fait d’interpréter les rôles-titres et ainsi de suite. Bref, notre apprentie danseuse a mis en place une vraie émulation…

Dire que Kristin ne trouvait pas ça un peu bizarre, ça aurait été mentir. Quand même, on allait au spectacle et ça ne justifiait jamais un tel cirque mais bon…Ayant compris que grâce à moi, sa fille chérie avait fait la connaissance d’un danseur classique lancé, elle a pris le pli.

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17 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 1. Clive en tension.

Quand même, il me faut dire un truc : avant le spectacle, on était tous les trois euphoriques. Après, il restait notre fille car nous deux, pour des raisons diverses, ça n’allait pas trop. 

Je m’explique, pour ma femme d’abord. Pendant la représentation, elle a ressenti un malaise. Elle me connaît quand même. Ce jeune homme si beau qui illuminait la scène, il n’y a pas à dire, je le regardais avec les yeux d’un spectateur émerveillé certes mais je l’avais approché, j’avais parlé avec lui puis j’avais dîné en sa compagnie. Ce n’est pas qu’elle avait en tête que je puisse l’approcher de façon plus intime, mais elle s’est sentie jalouse. Il était jeune, il était brillant et il était difficile de ne pas le désirer. J’allais penser à lui, fantasmer sur lui, je le faisais déjà et ça lui faisait de la peine. Elle me l’a fait sentir les jours qui ont suivi le spectacle. Faut dire qu’elle avait raison. Cet Erik aérien ! J’oubliais toujours de penser que ça pouvait être dur pour elle. A un moment ou à un autre, je pouvais flasher sur un homme plus jeune que moi. Que je couche, elle le savait mais ça ne se passait qu’une fois pas et elle le supportait. Mais que je sois fasciné, c’était raide. Ça pouvait se mettre à durer et même si de l’autre côté, ça ne répondrait jamais, c’était minimisant pour sa féminité. Elle avait peur de ça parce qu’elle ne pouvait pas lutter. Crier ou pleurer, ce n’est pas lutter. Elle était intelligente : elle le savait. Alors, ce danseur à l’art totalement maîtrisé, ça la rendait fébrile. J’allais garder une image de lui en moi et elle ne pourrait jamais trouver où je l’avais mise. La pauvre, ça la faisait enrager ! Si elle me questionnait, j’éluderais. Elle en serait humiliée : c'était clair.

Et puis, il y avait moi. Me subjuguer quand il était sur scène, il l’avait déjà fait, Erik, et là encore, ça fonctionnait totalement. C’était de l’émotion artistique mais il faudrait bien qu'il y ait une suite. Sinon, l'annonce...Ce qui m’embêtait, c’était comment j’allais faire. Ok, il me percevait comme « éventuel » mais il devait « mordre la poussière » suivant l’expression du Bostonien pète-sec.  Fallait que ça le blesse de découvrir un autre visage de moi. Et donc, il fallait qu’un lien se soit créé, même si le motif de nos rencontres était anecdotique au départ. Et le lien, on ferait comment ? Parce qu’à y bien regarder, il n’était pas du genre très abordable, le joli garçon…

Et pour finir, je l’ai eu, mon revers de bâton. La scène, il y avait des gars qui l’éclairaient…Qu’est-ce que j’avais foutu ? J’aurais pu être un des techniciens ! C’était bien vrai que je ne regrettais rien ? Est-ce que ça ne m’aurait vraiment pas passionné de cadrer les évolutions de cet Erik aérien, histoire que tout le monde soit émerveillé ? Et le corps de ballet, avec ses entrées et ses sorties, ça n’aurait pas été génial de le parer de couleurs merveilleuses, au gré des scènes et des directives ? Si, quand même. J’aurais dû m’obstiner.

Tout ça pour dire qu’une période orageuse s’est annoncée et qu’elle a duré quelques semaines. Bon, et puis, ça s’est dénoué.

Lui, le beau danseur, il a appelé ma fille (mais pas moi), histoire de savoir comment elle dansait. Ils se sont vus. Il ne l’a pas ménagée. Réussir à se faire engager par une bonne compagnie de danse, elle le pouvait mais il y avait une condition à remplir : suivre un cours sérieux…Le sien, apparemment ne tenait pas la route. Carolyn, elle avait l’habitude des compliments. Elle en a donc pris pour son grade. En même temps, il ne lui fermait aucune porte. Il lui a donné une liste d’écoles. Moi, j’ai regardé les prix…Bon, c’était loin et c’était cher. Kristin et moi, on s’est regardés, indécis…

17 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 1. Nouveaux échanges dans un bar chic. Barney et Clive.

 

On en était à se demander si on allait dépenser tout ça parce que ça allait sérieusement nous grever le budget quand Barney m’a joint au boulot. Il souhaitait me voir dans l’un des bars du Four Seasons. Sans doute s’attendait-il à ce qu’un rendez-vous dans un palace de la cinquante-septième rue, la proximité de Central Park et des beaux quartiers fassent jaillir mon humour réjouissant mais ça n’a pas été le cas. J’ai juste dit que j’étais d’accord.

-Tout va bien, Clive, vous êtes sûr.

-Je vais très bien, monsieur Barney.

-Vous n'avez pas perdu le sourire, quand même ?

-Il faut me voir dans mon intérieur, monsieur Barney, un vrai boute en train !

-A la bonne heure !

Il ne me croyait pas, c'était limpide...

Au jour dit, je l’ai rejoint dans le bar qu’il avait choisi. Il y avait une vue superbe sur Central Park. Comme entrée en matière, il a dit qu’étant légèrement souffrant, il avait choisi un endroit très proche de chez lui. Il était venu à pied. Je n’ai pas bronché. Il a fait mine de ne pas remarquer que je n’avais pas fait beaucoup d’efforts vestimentaires. Je portais un jean, des chaussures de sport et sous une veste marron, un gros pull beige. C’est sûr, par rapport à lui…il fallait reconnaître qu’il s’habillait superbement et là, je ne parle pas de fric uniquement. Croiser les matières, les imprimés et les couleurs comme ça, franchement, ça dénotait un sacré sens de l’esthétique. En tout cas, ça faisait de lui un personnage fort, une figure…Il en imposait et ceci, malgré son rhume. Car c’était ça son indisposition.

-Qu’est-ce qui vous arrive, Clive ?

-Rien, rien.

-Allez, dites-moi.

-Rien…

-Un coup de blues ? Des hésitations ?

-Rien mais….

-« La barre est trop haute ! » C’est ce que vous venez de murmurer, non ?

 Il m’a regardé avec l’air de quelqu’un qui a tout compris puis il m’a bluffé.

-Je vais vous raconter la vie de Georges Balanchine.

-De…de quoi ?

-On va prendre un whisky avant, d’accord ?

-Ben…

L’instant d’après, il s’attaquait déjà à son sujet.

-George Balanchine est un chorégraphe de premier plan. Il a également été danseuracteur et réalisateur. C’était un russe d'origine géorgienne. Il est  né à Saint-Pétersbourg en 1904 et il est mort à New York eu 1983. Chorégraphe majeur au vingtième siècle, il a été un pionnier du ballet aux États-Unis. Cofondateur et maître de ballet du New York City Ballet, il a jeté les bases du ballet néo-classique fondé. Vous allez me dire que pour vous, ça n’a pas d’importance mais vous avez aimé Le Lac des cygnes et votre fille veut devenir danseuse professionnelle ; et puis, vous avez rencontré Erik. Mais je reprends : Balanchine sur la profonde connaissance qu'il avait du ballet romantique. Il était réputé pour son oreille musicale. Il n'a pas écrit de partition mais a exprimé la musique par la danse et a principalement œuvré avec Igor Stravinsky, de 22 ans son aîné.

-D’accord…

17 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 1. Présenter Balanchine.

 

 

5. Clive, Barney et le monde de la danse.

Il ne suffit pas de rappeler à Clive ce pour quoi il a été engagé. Il faut aussi lui parler de l'univers de la danse classique dans lequel Erik est inclus.

J’avais mon whisky et il m’en avait commandé un autre. Lui, il sirotait le sien. Il parlait très bien et je commençais à comprendre qu’il était très cultivé. Pas un truc plaqué, non mais une vraie culture. En plus, il adorait son sujet ! Ceci dit, je ne voyais pas vraiment où il voulait en venir. C’était quoi l’idée ?

-En 1922, Balanchine a dix-huit ans. Il veut se marier. Elle a quinze ans et s’appelle Tamara Geva. Il en divorcera en 1926. Au conservatoire, il fait des études avancées de pianomusicologiecompositionharmonie et contrepoint. Il est diplômé du Conservatoire en 1923, il en restera membre jusqu'en 1924. En même temps, il crée une troupe avec des amis danseurs comme lui. Ça s’appelle « Le Jeune ballet ». Les autorités n’aiment pas du tout. C’est trop expérimental. Bon, il est en Allemagne en 1924 et là, il se passe quelque chose. Avec sa nouvelle femme, Tamara Geya et deux autres danseurs, ils s’enfuient. Les voilà à Paris. Diaghilev engage Balanchine. Les Ballets russes…

-Monsieur Barney, pardon de vous interrompre mais vous estimez mal ma capacité à digérer tout ce que vous dites sur ce grand personnage. Vous savez que moi, j’aime bien Wikipédia Junior.

-Ah, tout de même, votre humour…Pour vous répondre, je ne pense pas que je vous ennuie. Je vous ai mis face à un être pour qui des personnages comme celui de Balanchine sont fondamentaux. C’est parce qu’ils existent qu’il a eu le désir de danser et de monter très haut. Erik est un artiste et en un sens, en vous présentant un des maîtres de la danse, je vous rapproche de lui. Répondez-moi, Clive, mais pas en me disant que vous êtes d’accord…

-Pourtant je le suis ! Poursuivez, monsieur Barney.

-Promu maître de ballet de la compagnie par Diaghilev, il est autorisé par celui-ci à développer sa propre chorégraphie. Il entame une étroite collaboration avec Igor Stravinski avec lequel il créera plus de trente ballets. Entre 1924 et le décès de Diaghilev survenu le 19 août 1929, le chorégraphe produit neuf ballets ainsi que quelques autres chorégraphies mineures. Une importante blessure au genou le fait se résoudre à mettre un terme à sa carrière de danseur et les ennuis s’accumulent. De 1929 à 1933, Balanchine travaille à Londres puis à Copenhague et enfin à Paris. Les Ballets russes revivent sous le nom de Ballets russes de Monte Carlo mais c’est compliqué. En fin de compte, en 1933, il émigre aux Etats-Unis et sa première idée est de créer une école de ballet. Il y parvient, pas tout seul bien sûr. C’est une vraie réussite. Cette école forme de brillants danseurs.  Quelques temps plus tard, Il crée une compagnie de danse, l’American Ballet. Elle commence à se produire au Metropolitan, l’opéra de New York.

17 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 1. Barney et Clive dans un bar. Confidences.

 

 

-Erik doit adorer vous écouter.

-Sur ce sujet, il en sait plus que moi. Heureusement, il y en d’autres…

-Plus que vous ?  Ah non, là, j’ai des doutes ou alors il ne raconte pas pareil !

-On parlera de lui plus tard. Je termine. Balanchine continue de beaucoup bouger. Il est en Californie puis revient à New York. En 1948, sa compagnie, qui a connu des hauts et des bas, reçoit une offre de choix. Le New York city center lui offre de devenir la compagnie résidente de l’établissement sous le nom de New York City ballet. Dès lors, Balanchine crée encore et encore. Marié de très nombreuses fois, il meurt sans postérité en 1983. Agé de soixante- dix-neuf ans, il est atteint d’une maladie incurable. Les derniers temps, il est grabataire. Il est l’héritier de Marius Petipa. Son œuvre est énorme.

-J’adore comme vous parlez ! Vous ne pouvez pas avoir terminé.

-Oui et non.

-Je prends l’option « non ». Balanchine, pourquoi ?

-Il est passé par le Danemark et Erik est danois. Il a travaillé pour les ballets russes, il est venu à New York…Un danseur de haut niveau se doit d’avoir intégré tout cela. Il est tenu de connaître l’histoire de la danse, les écoles et les sensibilités ainsi que les grandes figures qui marquent cet art si particulier. Il lui est essentiel en tant qu’étoile de montrer qu’il est dans la lignée la plus noble. De ce fait, tout ce qu’il fait doit être parfait sans que sa personnalité ne soit jamais mise de côté.  Si vous ignorez cela, vous allez passer à côté de lui…

-D’autant qu’il danse dans la maison de Balanchine et qu’il est « parfait » …

-Bien observé.

-Ça s’appelait Sérénade, Quadrille et Méditation, ce qu’ils ont dansé et il y avait un autre truc…

-Je sais, j’étais à la première.

-Ah bon. Il y avait un cocktail après, je parie et vous avez vu Erik.

-Non, il savait que j’y serais. Il ne s’est donc pas montré.

-Vous me racontez les ballets ?

-Non. Vous vous déplacé avec votre fille. Je suis sûr que vous avez voulu lui montrer votre savoir. Par contre, si vous avez faim, on peut dîner.

-Oui, mais vous me direz ce qu’il vous a fait…

-Qui ?

-Mais cet Erik !

-D’accord. Venez, je préfère l’autre restaurant.

Ah oui, sûr, il avait raison. C’était supposé être élégant et chaleureux ce truc un peu monumental avec des belles tables et des jolies nappes. Il y avait des « décorations florales » sur les tables et tout un tas de bibelots partout. C’était tout de même…glacial.

-Je n’ai pas fait d’effort pour m’habiller…

-C’est un style qu’il aime…

-Quoi ? Qui ? Relâché comme ça, ça lui plaît ? Pas possible, ça. Vous, vous êtes un manifeste de raffinement à vous tout seul. Comment que vous êtes élégant ! C’est ça qu’il aime, non ?

-Je n’ai pas dit qu’il n’aimait qu’un seul style.

-Pour Serenade, vous êtes sûr que vous ne voulez pas m’expliquer ? Il était magnifique dans celui-là…

-Je vous raconterai, mais pas maintenant.

Au cours de l’exquis repas qui nous a été servi, Barney, que je ne trouvais plus arrogant du tout, m’a surpris plusieurs fois.

Pour l’école de danse où devait se transférer Carolyn, il a carrément proposé de payer. Je m’en suis presque étranglé…

-Hein ? Financer ma fille ? Mais pourquoi ?

-Si Erik lui a dit qu’elle devait fréquenter un centre chorégraphique de haut niveau, c’est qu’il est sûr de lui. Ils se sont vus tous les deux. Il a dû mesurer ce qu’elle sait faire. Acceptez mon offre ou considérez qu’elle est un prêt. Votre fille sera bien plus sûre de faire une carrière…

-Ben, en quoi ça doit avoir un rapport avec vous ? Dites, c’est quoi votre truc…Il ne veut pas vous voir et en même temps, vous êtes toujours liés, c’est ça ?

-Oui. Il est obstiné par moments.

-C’est quoi le motif ?

17 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 1. Barney et Clive se découvrent davantage.

 

 

-Je le connais depuis plusieurs années. On partageait un immense appartement à Londres. Il a succédé à une journaliste américaine avec qui j’étais très ami. Il est arrivé un peu comme ça et on s’est très bien entendu. Il n’y avait rien de plus qu’une forte sympathie réciproque. Ensuite, je suis allé le voir au Danemark et là, notre relation a changé et puis il s’est fait engager ici. Je vous l’ai dit, j’habite très près d’ici. Il était avec moi un temps et puis il a trouvé un loft, près du Lincoln Center. C’est très beau d’ailleurs. On s’est mis d’accord sur certaines choses mais il s’est écarté de ses promesses.

-Ah bon ?

-Il est naturel qu’ayant vingt-sept ans alors que j’en ai quarante-cinq, il ait quelques à-côtés. Après tout, il n’y a rien de mal, n’est-ce pas, d’autant que j’ai mes zones d’ombre. Vous me suivez ?

-J’essaie.

-C’est à moi de décider qui lui convient.

-Pas à lui ? Il n’a pas l’air idiot.

-Il me doit respect et obéissance. Je sais qui il est, je comprends son art. Je suis son garant. Actuellement, il essaie bien de se protéger de lui-même en menant cette étrange vie ascétique mais ça ne pourra pas durer. Il est à même de se faire du mal. Il ne l’a que trop montré.

-Alors, vous lui dites avec qui il peut aller en dehors de vous et comme ça, il ne s’en fait pas. C’est ça ?

-C’est l’idée.

-C’est drôle. Il a l’air tellement pur de ce côté-là. Non, il ne l’est pas ?

-Il l’est.

-C’est compromis, je vous l’ai dit.

-Il va vous appeler. C’est une certitude.

-Il y a des trucs que vous ne me dites pas, ce que vous ressentez pour lui, par exemple.

-Je vous raconte Serenade ? Balanchine l’a chorégraphié en 1934 pour les élèves de son école de danse. La musique est de Tchaïkovski. L’argument, c’est…

-Non, c’est quoi, avec lui ?

-Mais je vous l’ai dit : il est à moi.

Il ne voulait pas lâcher ce qu’il y avait vraiment. Il avait ses raisons, après tout. C’était la première fois en tout cas que je commençais à ressentir pour lui une sorte d’estime. Sur le plan professionnel, il devait être très reconnu.

-Vous travaillez pour l’opéra, c’est ça.

-Oui.

-Actuellement, vous êtes sur un truc ?

-Je ne sais pas si Rigoletto est un « truc » …

-Je ne parle pas aussi bien que vous. Les décors et les costumes ?

-Oui.

Et pour la danse, vous en avez fait des décors et des costumes ?

-Phrase parfaite. Vous voyez, quand vous voulez…La réponse est oui. Par contre, je ne travaille pas pour le New York City ballet.

-Vous ne lui avez pas fait de beaux habits, à Erik ?

-Si. Il a de quoi rêver. Ce sont des créations privées. Tout est chez lui, dans son loft.

-Le genre « L’Oiseau bleu », ce serait magnifique. Sans blague, ça lui irait bien !

Il s’est mis à rire.

-C’est une très belle idée ! J’y songerai. Je lui ai reproduit à l’identique des costumes portés par Jean Babilée…

-Jean…Sais pas qui c’est.

-Un danseur français très beau et très brillant que la guerre a malmené car il était Juif…Il était tout jeune, passionné et touche à tout…Une merveille et vous savez quoi ? L’âge ne l’a pas abîmé. Il est toujours là, aussi créatif et singulier qu’il l’était il y a bien longtemps. J’aimerais qu’Erik suive une semblable voix et, une fois chorégraphe, garde sa singularité…

 En partant, je ne savais pas trop quoi penser.

 

 

 

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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
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