Mis en confiance son succès éditorial, Paul reprit le court mémoire qu'il avait écrit sur son incarcération à Étoile alors qu'il était en Suède. Il l'avait d'abord conçu comme un texte à orientation documentaire et il choisit la troisième personne. Toutefois, conscient qu'il élargissait son propos en parlant du système carcéral en général et des spécificités de la prison Étoile en particulier, il voulut frapper plus fort en l'écrivant à la première personne. Ce serait une peinture cruelle mais juste de ce qu'entraîne la privation de la liberté et l'absence de tous droits sociaux et surtout, ce serait son ressenti. Paul fut très précis sur les brimades rencontrées lors de son arrivée, le passage par différents ateliers où le travail donné n'avait aucun sens et ce qu'on lui avait demandé de faire, une fois qu'il avait été rééduqué. Il évoqua ces cours dispensés à des femmes dociles pour que le documentaire tourné sur elles « fasse » vrai mais il fut très théorique pour ce qui était de sa transformation et du rôle des instructeurs. On comprendrait qu'il avait été frappé, drogué aux médicaments et contraint de se plier à la doctrine du chef...
Ce texte court, d'environ cent pages fut publié par le même éditeur qui avait tenu à ce qu'il soit très percutant. C'était une charge. Quand il parut, il fut cette fois très commenté. Intitulé « Face à ceux qui détruisent », il eut davantage de succès. Cette fois, l'exposition médiatique de Paul augmenta.
La presse titrait :
-Un texte bref mais fort sur une prison qui tient ses promesses ! A lire d'urgence pour en savoir plus sur la prison Étoile !
-Voyage au pays de la tyrannie. Le récit haletant de Paul Barne !
-Paul Barne et l 'Ambranie : le récit tant attendu de son emprisonnement.
-De la résistance à la prison politique : voyage en enfer...
Les journaux à grand tirage parlaient de lui et il accepta de participer à une émission littéraire, à la radio, il est vrai...A l'école de journalisme où il enseignait toujours, ses cours, déjà recherchés, furent littéralement pris d'assaut et on lui offrit même une chronique dans un hebdomadaire anglais, qu'il accepta. A partir de là, il n'était pas difficile de comprendre qu'on chercherait davantage à savoir qui il était. On découvrirait où et pour qui il travaillait, quel était son statut marital et quelle femme il fréquentait... On trouva des photos de lui à des âges divers et sur internet, elles furent faciles à contempler. Encore tout jeune, il était à Berlin ou à Londres pour ses études et souriait, dans le bel élan de sa jeunesse. Il était enfant et posait à Dannick avec son père. Dieu du ciel ! Où avait-on déniché cette photo ! Ainsi que celle où il posait avec ses frères ! Tiens, sa mère était au piano et c'était il y a si longtemps ! Et là, il était avec sa femme quand tout allait encore bien. Quelques fanatiques de son œuvre pourtant réduite faisaient des photos sur You Tube et les commentaires fusaient. Dans certains cas, on commençait à lui faire dire ce qu'il ne disait pas...En des temps où tout passe par l'image et la surexposition, les réticences de Paul à se montrer et à s'exprimer en dehors de l'espace de ses livres, parurent très séduisantes. Il se promit de ne pas céder puis le fit et commença à le regretter. Sachant que s'il ne publiait pas avant un bon moment, l'intérêt qu'il avait suscité retomberait, il pensa au texte qui complétait la trilogie. Il avait eu du mal à l'écrire et savait de toute façon qu'il lui faudrait l'améliorer. Il avait bien parlé de rééducation mais peu des rééducateurs et surtout très mal du sien. Ce livre qui parlait de lui tel qu'il était. Le mettre à jour n'était pas si compliqué. Cependant, au bout de deux tentatives, Paul s'arrêta. Ses pressentiments négatifs se consolidaient. La dictature de Dormnan, malgré les sanctions prises, ne s'effondrait pas. Les arrestations n'étaient moins nombreuses que parce qu'elles n'étaient pas faites de la même manière. Et puis, un dictateur a toujours des soutiens solides et ici même, en Angleterre, celui-là en avait. Et des voix s'élevaient désormais pour dire que Paul affabulait. Ces exactions ? Cette prison ? Ah oui certes, on ne laissait pas tout faire en Ambranie mais il fallait avoir un esprit bien enfiévré pour décrire sa patrie de cette façon. Rééduquer et non tuer ? Était-ce vraiment contestable ? Des témoignages radicalement opposés à celui fourni par les opuscules de Paul Kavan pouvaient se trouver...
Daphné constata qu'une certaine presse ordurière commençait à faire de son mieux pour s'en prendre à lui. Bien peu de lecteurs en vérité et beaucoup de bruits pour rien, certes, mais il s'agissait d'attaques en règle.
-Tu ne dis rien au hasard. Tes écrits sont fondés.
-En tant que journaliste et observateur, je me dois d'être prêt à être contredit. Je le suis même si les attaques viennent de groupuscules d'extrême droite.
-Attaque-les. Ils te diffament.
Quelque chose disait à Paul que c'était la dernière chose à faire.
-Pas pour le moment. J'ai besoin d'une pause.
Il fallait l'extraire de Londres !
-Tu as besoin de vacances !
-Je peux rester à Londres. Cette ville est inépuisable. Je ferai des visites...
-Non, viens à la campagne ! Londres, tu n'en bouges quasiment pas depuis deux ans et demi !
Elle voulait lui faire découvrir les terres familiales. Cette idée plut à Paul qui se vit en châtelain avant de l'inquiéter. Cesserait-on de l'attaquer parce qu'il se prélassait chez les riches ? Il pensa que non puis céda à la gaîté de Daphné. Après tout non, il ne s'agissait que de deux livres...
-On va se détendre ! Tu vas voir : c'est beau là-bas !
-Je n'en doute pas.
Une première année mouvementée, une seconde passée à écrire, la vie anglaise, cette jeune femme amoureuse, c'était beaucoup !
Pourtant, alors qu'il préparait ses bagages, il trouva une enveloppe glissée sous sa porte. Elle était blanche et était doublée de rouge. Quand il l'ouvrit, il trouva une feuille pliée en quatre. Elle ne comportait qu'une ligne :
Paul, deux livres publiés
Des bavardages insupportables
ça va suffire ?
S'il n'avait été à Étoile, Paul n'aurait pas fait grand cas de ce message. Il pouvait après tout émaner d'un voisin de palier peu aimable qui n'aimait pas ses manières. Mais il avait été emprisonné et malmené. Et de plus, Nikivst, le chirurgien suédois, avait évoqué une empreinte psychique difficile à neutraliser. Ce message était un avertissement, il en avait pleine conscience. Il ne le détruisit pas et le rangea dans un tiroir. Comme il refermait celui-ci, il vit deux yeux bleus qui le scrutaient. C'était ceux de l'instructeur Winger.
Dans le Kent,à cinquante mille au sud-est de Londres, le manoir d'Holinghurst avait une petite partie médiévale et de nombreux additifs datant des dix-septième et dix-huitième siècle. C'était un petit bijou entouré d'un vaste parc, où on vivait préservé du monde moderne, allant de promenades à cheval en réception et de bains dans des étangs à des soirées concert. Le père de Daphné était Lord Alistair Brixton et sa mère, roturière à la base, était devenue noble par son mariage. Tous deux traversaient leurs vies avec une extrême élégance, qu'elle fût vestimentaire ou verbale et chaque journée répondait à un cérémonial spécifique. Par chance, quand Paul et Daphné arrivèrent, le comte était là. La plupart du temps, il était en France où il aimait à vivre soit sur la Côte d'Azur soit à Monte Carlo. Il y avait beaucoup d'amis anglais et ne s'y ennuyait pas. Content de voir sa fille, il ne s'offusqua pas qu'elle lui qu'elle lui présentât un étranger de plus quinquagénaire et roturier et leur donna à choisir entre une chambre au château et les dépendances. Daphné choisit l'un et l'autre, sachant que Paul serait plus à son aise dans un bâtiment annexe où il pourrait lire et se prélasser à son aise. Adroite, elle respectait son goût pour l'indépendance. Mécontente de son premier roman, qui n'avait pas obtenu selon elle un succès assez grand, elle projetait d'en écrire un autre et cette parenthèse de deux semaines lui fournirait l'énergie nécessaire. Paul, quant à lui, avait décrété cette période bien trop longue mais il avait besoin de répit et adorerait très vite les distractions offertes par le manoir. Elle l'avait escompté et elle comprit très justement qu'elle avait gain de cause.
Son père était un excentrique cultivé. Quand il était au château, il s'occupait de faire venir des troupes de théâtre et des concertistes pour animer les soirées et il s'occupait d'acheter et de vendre des chevaux, certains participant à des concours hippiques. En France ou à Monte Carlo, il traduisait Pindare et Eschyle....Il avait les manières simples d'un grand seigneur.
-Il y a une vingtaine de très beaux chevaux ici ! Nous irons nous promener.
Il y avait très longtemps que Paul n'avait pas fait d'équitation mais Daphné étant une bonne cavalière, il dut se résoudre à réapprendre les bases. Drôle et patiente, elle l'encourageait. Quand Paul eut repris un peu d'assurance, ils empruntèrent les allées forestières du parc.
-Quand es-tu monté sur un cheval pour la première fois ?
-J'avais huit ans. C'était à Marembourg. Je n'étais pas rassuré...
-Tu ne l'es toujours pas !
-Tu crois que c'est le moment de rire de moi ? Cette magnifique bête va s'en rendre compte et ce sera la dernière fois que je monterai un cheval !
-Émeraude est une vraie lady. Elle est idéale pour toi....
-Une vraie lady...
Rire avec Daphné était si facile...
Le soir, on dînait ensemble. Paul parlait peu à lord Brixton et davantage à son épouse, Adela. Celle-ci, alors même que son époux laissait entrevoir son désaccord, trouvait attrayant qu'il fréquentât sa fille. Alistair n'aimait qu’Hector et Achille mais elle, connaissait la littérature ambranienne.
-Je me souviens de Horic Hortiz, un de vos meilleurs poètes.
-Oh, vous l'avez lu !
-En traduction, bien sûr, mais oui, je l'ai lu.
-Il est mort il y a vingt ans. On ne trouve plus ses livres dans mon pays.
Adela alla fouiller dans une immense bibliothèque qu'il ne cessait d'admirer.
-Tenez, il y a deux recueils de ses poèmes, ici. Vous vous souvenez ? Le Regard ?
Elle le lui lut en anglais. Il le lui récita dans sa langue maternelle.
Pour qui a le regard aigu
La solitude est moins totale
Le matin est adroit même si l'aube est blême
N'oublie pas de savoir regarder...
Tu verras l'enfant qui pleure
Et celui qui chante
Et les mouvements de l'air...
Quand il eut terminé, elle lui dit :
-Daphné me dit que tout ce qui a trait à l'Ambranie vous touche infiniment. La situation est telle dans votre pays que vous ne risquez pas de pouvoir y retourner avant longtemps. Vous savez, vous devriez remettre au goût du jour certains écrivains oubliés de tous. Traduisez-les et attirez l'attention sur eux !
C'était une proposition intelligente et Paul se sentit inspiré :
-Bien parler anglais, l'écrire, ce n'est pas savoir rendre compte du travail d'un poète ou d'un écrivain...
-Eh bien, travaillez avec un traducteur chevronné, faites une équipe. Ne le supplantez pas au moment de la parution du livre car nous les Anglais nous vous en voudrions, mais faites une préface, une courte biographie...Vous avez le vent en poupe...Vos livres, vos chroniques.
-Horic Hortiz est très élégiaque...Mais oui, ça peut être une bonne façon de mettre l'accent sur ce qui a pu s'écrire dans mon pays.
-Il a écrit de la poésie; ce n'est peut-être pas le meilleur choix. A qui pensez-vous d'autre ?
-Pavel Evdon, Marika Hermer, Walter Domitia...
-Liste non exhaustive ?
-Ah non, c'est sûr...
-Si vous voulez commencer à faire vos recherches ici Paul, cette bibliothèque est à vous. On vous en réservera l'accès...
-Il me manque le vrai traducteur...
-Ah, il n'est pas ici, c'est vrai mais il est impossible que vous ne le trouviez pas sinon à Londres, du moins en Angleterre...
-Il faudra que ce soit un travail précis !
-Ne vous inquiétez pas ! Je vais chercher qui il peut vous conseiller. Et Alistair aussi ! Il descend du Mont Olympe de temps en temps, vous savez ! Je vais moi-même faire mon enquête et Daphné va s'employer aussi. Elle vous admire beaucoup...Ah dites-moi, quel auteur risque de donner le plus de mal ?
-Pavel Evdon, je pense. Ses romans sont très longs et très denses. On ne trouve plus ses livres dans mon pays et il est interdit de prononcer son nom. Kalantica,ce serait bien...Un orphelin qui tombe amoureux de sa cousine puis est ballotté par les événements, la révolution dans son pays...C'est un texte magnifique, d'un lyrisme poignant !
-Si on ne traduit plus les grands auteurs de vote pays...Il me semble que c'est d'importance !
Elle avait raison et il fut radieux qu'elle eût suggéré cela. Il se dit aussi qu'un certain nombre de compositeurs n'étaient plus joués. Dans l'environnement où il se trouvait, il y a moyen de parler en leur faveur...
Daphné fut passionné par ce qu'il lui dit et dès leur retour à Londres, elle promit de se mettre en recherche.
-Bien sûr, il y a cet auteur ambranien mais tu avais bien un autre texte à faire paraître, non ? Tu devrais privilégier ce projet.
-Pas pour le moment. Je veux trouver un bon traducteur. C'est primordial pour mon projet de traduction.
Pour l'heure, elle voulait poursuivre la vie oisive et délicieuse qu'elle menait avec lui au château et dans ses dépendances. Elle adorait guetter la surprise de Paul quand elle le conduisait de pièce en pièce car les meubles les plus beaux et les plus anciens voisinaient avec des œuvres d'art contemporaines. Elle aimait qu'il s'étonne du défilé ininterrompu d'invités, des départs et des arrivées incessants, de la fréquence des spectacles et de leur qualité. Un feu d'artifice, un bal costumé et un repas sur l'eau avaient déjà eu lieu tandis que s'annonçaient un pas de deux dansés par deux jeunes prodiges, un concert de clavecin, un spectacle de mime et un autre d'improvisations théâtrales... Elle le voyait rajeunir, s'habiller avec goût comme il avait su le faire, laisser pousser ses cheveux redevenus bruns. Ses yeux brillaient, il avait retrouvé sa foi en lui-même et avait de nombreux projets...Il l'étreignait avec fougue. Elle adorait qu'il lui fasse l'amour. Elle était grande, c'est vrai mais avait un joli corps, de petits seins hauts qu'il aimait enfermer dans ses mains et une douce toison brune qu'il aimait humer quand, il s'agenouillait devant elle et qu'elle était nue...
Bientôt, ils rentreraient. Son projet de librairie voyait le jour. Elle avait trouvé les locaux et aurait fort à faire quelques mois durant...Quant à Paul, il lui avait bien parlé d'un autre écrit dans la lignée des deux premiers mais il semblait bien plus motivé désormais par ses projets de traduction. Daphné voulait que cet homme brillant lui apparaisse toujours comme un héros. Elle n'imaginait même pas qu'il pût en être autrement.
A la fin de leur séjour, le château se vida brutalement mais les deux frères de la jeune fille vinrent en famille. Ils portaient beau et se comportaient comme des aristocrates arrogants. Paul eut droit à un questionnaire en règle sur son passé, son présent et son futur. Manifestement, il leur déplut. Il était prêt à leur répondre quand il découvrit un matin qu'ils s'étaient déjà volatilisés, emmenant avec eux leurs snobs épouses et leurs enfants imbus d'eux-mêmes...Ils furent remplacés par toute sorte d'amis de madame, nettement plus drôles et mélomanes. On entendit Mozart et Brahms jouer partout car des musiciens avaient été requis pour l'occasion. Toujours logé dans les dépendances, Paul avait pris goût aux rendez-vous matinaux avec Daphné et ils continuaient leurs promenades à cheval. Il s'en tirait nettement mieux et elle l'avait délesté de la douce Émeraude pour lui confier le très beau et nerveux Souverain Noir. Il essayait de faire bon ménage avec lui et de s’accommoder de son orgueilleuse nature mais , il le sentait, ce cheval demandait un cavalier plus émérite que lui, plus noble et racé. Daphné, cependant, ne voulait rien entendre...
Un matin, il l'attenditun moment dans le salon de la petite suite qu'on lui avait allouée et comme elle ne venait pas, il se rendit aux écuries. Apercevant un des garçons à l'entrée, il le questionna :
-Mademoiselle n'est pas là ?
-Elle arrive, monsieur. Elle a dit que vous devez seller votre cheval et l'attendre à l'extérieur...
Paul se dirigea vers la stalle de Souverain Noir et il salua le bel animal qu'il devait préparer. Il en avait assez appris pour ne pas faire de sottises et se mit à la tâche. Il avait presque terminé quand il entendit du bruit dans la stalle voisine. Quelqu'un était entré sans qu'il l'ait vu. Comme il sortait son cheval, Paul se trouva dans une lumière diffuse qui l'empêcha de bien voir qui était là. Il connaissait à peu près tous ceux qui faisaient du cheval mais il ne put s'empêcher de sentir nerveux et tendu. Pourquoi ? Brusquement, tout devint net et il retint son souffle.
Un jeune homme blond qui n'avait pas trente ans se tenait devant lui. Mince, élancé, il se tenait très droit. Très blond, il avait les yeux bleu dur et le fixait. Sa ressemblance avec l'instructeur de la prison Étoile était stupéfiante.
L'homme blond ne parut pas entendre et conduisit son cheval dans la cour.
-Qui êtes-vous ?
Tout de même, l'inconnu répondit après être monté sur son cheval.
-Un invité comme vous. Votre cheval est magnifique. Vous êtes chanceux !
Il avait une cravache à la main. Ce maintien, ce visage, cette voix bien timbrée et autoritaire...Était-ce possible ?
-Vous êtes Ambranien, n'est-ce pas ?
-Ambranien ?
-Oui, votre allure, votre accent !
-Je ne comprends pas...
-Moi non plus...
-Quoi ?
En un instant, Paul se sentit si mal qu'il dut s'appuyer contre Souverain noir qui, équipé, s'était retourné et, posait sur lui des yeux inquisiteurs. Le cavalier remarqua bien le malaise de son interlocuteur mais n'en tint aucun compte et partit au trot avec son cheval.
-Attendez !
Pourquoi était-ce maintenant ? Pourquoi était-ce si violent ? Ce jeune homme cravache en main. Étoile.
-DS. Cinquante-huit trois deux cent sept neuf.
Le cavalier arrêta son cheval et se retourna, fixant Paul.
-Je ne comprends pas, je vous l'ai dit !
Sa ressemblance avec Markus Winger était cette fois hallucinante. Il avait la même voix et la même autorité glaçante.
Paul vacillait :
-Moi, si...
Agacé, le cavalier eut un sourire froid et s’éloigna.
Paul, médusé, sentit qu'il perdait connaissance. « Ce n'est pas lui, ce n'est pas lui ! Son visage était plus plein, son nez droit mais plus court, ses mains qui étaient moins fines…Sauf si c'est le contraire et que tout est pareil. Cette blondeur, cette voix, cette allure... »
Il lui semblait qu'à l'intérieur de son corps, tout se contractait et, allongé au sol, presque inconscient, était à l'écoute d'une voix lointaine mais railleuse et cruelle :
«Parce que tu crois que c'est fini, Paul ? Tu as vraiment cru ça ? Eh oui, ils t'ont opéré car ils étaient très inquiets et ils le sont restés, tu sais, avec raison...Extirper de toi ce qu'on y a mis…Médecins imbéciles...C'est moi qui suis en toi... »
Paul sentait contre sa joue l'haleine de son cheval. Il ne pouvait réagir, pris tout entier par cette voix cinglante et mauvaise :
«Disparu ? J'ai disparu ? Je n'ai rien oublié de toi et toi de moi. On a pensé à tout...Hein, regarde-toi ! Aurais-tu imaginé cela ? Reconnais que c'est bien trouvé. Personne ne te croira. Tu es troublé, tu as des séquelles... »
Il entendit qu'on courait vers lui.
«Je te fais toujours de l'effet. Je dirai même plus : je ne vais plus cesser de t’en faire...Souviens-toi : tu es dans le labyrinthe »
Un garçon d'écurie lui parlait déjà et Daphné arrivait, affolée.
-Paul ! Paul ! Oh mon Dieu ! Aidez-moi ! Vous, remettrez ce cheval à l’écurie ! Enfin qu'est-ce qui se passe !
Quand Paul reprit conscience, il était allongé sur son lit, dans les dépendances et n'avait aucun souvenir de la façon dont on l'avait transporté là.
Daphné était penchée sur lui. Elle avait l'air sidéré.
-J'étais prête mais père m'a appelée...Oh pour une sottise. J'ai fait dire que tu ailles directement aux écuries.
-Ne t'inquiète pas...
-Tu as eu un malaise ! Paul, je ne savais pas que tu étais souffrant ! Un médecin arrive...
-Qui était ce garçon blond ?
-Celui qui a prévenu est Bruce. Il est très brun...
-Non, un autre, en tenue d'équitation...C'est lui qui m'a parlé d'abord. J'avais sellé Souverain noir.
-Un invité alors...
-Oui.
-Ah, père a invité de jeunes cavaliers, je ne sais trop qui. Peut-être que c'était l'un d'eux...En tout cas, C'est Bruce qui était prêt de toi quand c’est arrivé. Il a couru aussi vite qu'il a pu !
-Une autre personne...
-Mais non, je t'assure.
-DS. Cinquante-huit trois deux cent sept neuf.
-Quoi ?
-Mon matricule à Étoile.
-Et alors ?
-Il a à voir avec l'Ambranie...
-Et ce serait qui ? Un espion ? Est-ce le moment de plaisanter...
-Un émissaire...ça n'augure rien de bon...
Elle l'embrassa. Il lui faisait peur. Elle le conduisit à son logement et resta avec lui jusqu'à ce qu'il fût calme.
Le lendemain, il s'était repris, le médecin n'ayant diagnostiqué qu'une légère indisposition et tout de même une tendance à l’hypertension, ils ne firent pas de cheval ce jour-là. Les jours suivants, Paul erra beaucoup dans les couloirs et dans le parc à la recherche de ce jeune homme blond qui lui avait fait si forte impression. Sa quête lui paraissait légitime mais Daphné se montra incrédule.
-Il parlait anglais avec un accent ambranien ?
-J'ai demandé à Père qui il avait invité. Il a convié quelques allemands de bonne famille qui travaillent en Angleterre et les a logés dans un pavillon de chasse. Ils sont partis. Aucun de ces allemands n'avaient de relation avec l'Ambranie. Il les connaît.
-Ne t'emporte pas. J'ai un passé difficile...
-Et l'on serait venu de là-bas te provoquer ici ?
-Il vient d’Étoile. Il y travaillait.
-Paul, tu m'inquiètes.
-Il n'est pas parti. Il est toujours là, parmi les invités.
-Mais c'est un mauvais roman que tu me fais là ! Paul ! Je ne pensais pas que la prison t'avait rendu comme ça...
-En ce cas, tu fais une découverte.
A plusieurs reprises, comme il était sur ses gardes, elle se montra cassante de nouveau. Il ne la connaissait pas si capricieuse ni affirmative. Pourtant, sûr d'avoir raison, il se mit à errer longuement, à pied ou à cheval, dans le parc du château et autour des dépendances, empruntant de nombreux chemins ou coupant à travers champs. Il ne le trouva nulle part mais n'abandonna pas. Enfin, il finit par l'apercevoir aux portes du domaine, ce jeune homme qui, indubitablement était Markus Winger. Manifestement, le visiteur s'en allait, et était descendu de voiture pour prendre une photo du château. Ce matin-là, Paul montait de nouveau Souverain noir. Il se rapprocha et rencontra le regard du jeune homme. Celui-ci parut le reconnaître mais ne manifesta ni surprise ni contentement. Il le fixa sans sourire, le corps dressé et la tête orgueilleusement raidie. Pour tout autre observateur, il s'agissait d’un jeune homme qui quittait une belle propriété et s'étonnait qu'on l'observât ainsi mais pour Paul, c'était l'Instructeur qui, sans le défier, lui signalait sa présence. Il demeura immobile un moment puis monta dans son véhicule, une voiture de sport rouge, et disparut. Paul continua sa promenade, prit le chemin du retour et guida Souverain Noir vers les écuries. De retour dans le cottage qu'on lui avait attribué, il trouva un nouveau message posé sur son lit. Même enveloppe blanche doublée de rouge, même feuille pliée en quatre.
«Après ces deux torchons que tu as fait paraître, tu veux écrire un livre sur moi, ton instructeur ? Dis-moi : as-tu compris que si tu donnes ta version, je donnerai la mienne ? On dirait que oui car tu as peur. Tu préfères d’abord traduire ces auteurs qu'on n'a pas jeté aux oubliettes pour rien, mais là-aussi tu hésites. Je te comprends ! En attendant, tu crois bien faire en tringlant cette fille d'aristos ! Jolis ébats.
Tu es à nous et surtout, tu es à moi. Quoi d'autre ? »
Impossible de montrer cette missive à quiconque. Il la cacha dans sa valise puis rejoignit Daphne. Comme à son habitude, elle le questionna sur celui dont il cherchait la trace ;
-Alors ?
-Rien. Tu avais raison. Le passé qui m'envahit parfois !
De retour à Londres, Paul s'accorda encore plusieurs jours de vacances et fit du sport. Il fit le plein de films aussi, passant d'un cinéma à un autre. Rencontrant dans une file d'attente un de ses collègues de l'école de journalisme, il fut surpris de ce qu'il apprit.
-Tu as une liaison avec Daphne Brixton ?
-Oui.
-Elle est belle, tu as raison.
-Je suis amoureux d'elle.
-Tant mieux ! Ceci dit, tu as vu son père ?
-Oui.
-Que sais-tu sur lui ?
-Pas grand-chose.
-Lord Brixton adore, comme il a du te le dire, Homère, Eschyle et Pindare mais il aime beaucoup l'extrême droite, les nostalgiques du nazisme et les fascistes qui font encore la loi dans certains pays dont le tien...
-Tu plaisantes ?
-Non, Paul. Il écrit des pamphlets, ce monsieur dans des revues et sur des sites qui ont de quoi nous horrifier. Cherche et tu verras.
-Comment ça ? Il signe de son nom ?
-Il a des pseudos.
-Daphne le sait ?
-Je n'en sais rien. Ce qui est sûr c'est un homme comme lui ne peut que détester quelqu'un comme toi. Tu es tout ce qu'il rejette : démocrate, patriote, courageux...
-Lord Brixton connaît des ambraniens favorables au régime de Dormann ?
-C'est évident.
-Il pourrait s'en prendre à moi ?
-Oh, il n'est pas stupide : tu es à la mode. Mais il connaît sans doute des gens qui n'ont pas exactement les mêmes idées que toi. Heureusement, il adore la France et l'Italie et voyage beaucoup.
La file avançait vite et bientôt, ils furent dans la salle. Quand le film fut terminé, Paul remercia le journaliste.
-Pour ce qui est de lord Brixton, je vais me renseigner. Elle, sa femme, ne pose pas de problème ?
-C'est à voir.
-C'est à dire ?
-Elle est lettrée à ce qu'on dit et je n'en sais guère plus. Pas impossible qu'elle sache parfaitement ce dont son mari est capable et que, sans rien cautionner, elle soit plutôt d'accord.
-Charmant...
-Je ne dirais pas ça, Paul...
-Et lui, il a des adeptes, ici ? C'est bien ce que tu as dit.
-Bien sûr, Paul et ils sont actifs.
Ils se quittèrent. Paul fit des recherches. La prose de Lord Brixton, si tant est que ce fût lui) qui choisissait des noms de plume évoquant des oiseaux de proie, avoisinait celle de Dormann. L'Angleterre eut-elle été une dictature, il aurait adoré. Pas étonnant qu'il reçoive des cavaliers dont le physique évoquait les jeunes fascistes ambraniens...
Que fallait-il faire sans que Daphne fut directement impactée ? Sachant qu'il ne pouvait être frontal avec elle, il décida de reporter ses projets personnels et de se préoccuper du sien. Elle avait écrit un premier roman policier qui avait été publié grâce à l’entregent de son père sans que la critique ne le trouve intéressant et que le public n'ait envie de le lire. Elle à qui tout avait toujours réussi, en était vexée. Puisqu'elle ne s'avouait pas vaincue, il se proposa de l'aider à concevoir un nouveau roman. Il fallait une bonne intrigue, des personnages solidement construits et un policier ou un détective d'envergure qui occupe le premier plan. Ils se mirent au travail. Rapidement, Paul comprit qu'il avait l'avantage. Daphne était très imaginative mais elle n'était pas rigoureuse or il fallait que l'intrigue fût bien construite et que les indices qui permettraient aux lecteurs les plus habiles de repérer le coupable ne fussent pas introduits au hasard.
Ce fut une belle période. Elle allait chez lui et lui chez elle et ils œuvraient ensemble. Daphne avait choisi comme victimes un lot de vieilles dames fortunées, comme tueur, un jeune homme désaxé et comme justicier un fringant policier quadragénaire. Ce ne serait pas un grand roman mais une lecture qui aurait ses exigences. Le lectorat, cette fois, ne pourrait faire la fine bouche...Deux mois durant, ils rédigèrent et l'esprit de Paul s'emplit de décors variés, d'armes diverses, de mobiles sordides et de vies perdues. Il avait besoin de cette rémission car, il le savait, il ne lâcherait pas ses objectifs. Le livre sur l'instructeur serait écrit et la traduction faite. Quand il rentrait chez lui et qu'il ouvrait sa boite aux lettres ou qu'il regardait sous sa porte, il ne trouvait rien de répréhensible. Mais, il le savait, cela viendrait.
Interrogeant un jour Daphne sur la culture de son père, il reçut cette réponse triomphale :
-Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi cultivé que lui ! Les littératures grecques et romaines n'ont aucun secret pour lui !
-Il a d'autres centres d'intérêt ?
-L'équitation je te l'ai dit.
-Et les dictatures ?
-Mais certainement pas ! Il aime l'histoire, ça, c'est sûr.
-Il ne soutient pas que toute critique sur un régime dictatorial est infondée ? Il y a une logique en tout, une race est forcément supérieure à une autre, une grande partie de la population n'est faite que pour être soumise et travailler, une autre est constituée de parasites...
-Mais d'où cela sort-il ? Mon père t'a reçu chez lui !
-Il ne te dit pas tout de lui-même.
-Pourquoi écrirait-il des choses pareilles ! Je ne prends pas ça au sérieux !
-Admettons. Et ta mère ?
-Elle aime la musique et les livres. Qu'est-ce que tu veux savoir ?
-Rien, ma chérie.
Paul préféra changer de sujet ; il ne voulait pas que Daphne s'étonnât de son questionnement. Il avait été très sûr d'elle, il l'était moins. Disait-elle bien tout ce qu'elle savait ? Il préféra revenir à son roman.
-« La Dérive de Tom ? » n'est pas un titre accrocheur !
-C'est mon roman, Paul.
-Fais comme tu veux.
-Non, propose.
- « Une larme de rhum dans mon thé ». Je te l'ai déjà dit. Toutes ces dames âgées ont cette faiblesse. Ça suscitera l'intérêt, je t 'assure.
-Oui, d'accord. C'est drôle en plus !
Il lui sourit. Le roman était bouclé mais ils firent encore des corrections, Paul insistant lourdement pour qu'elles se fassent. Le manuscrit fut envoyé. En attendant l'impression du texte, Daphne se préoccupa de l'avancement des travaux de la librairie dont elle voulait être la reine. Ce ne serait pas seulement un espace de lecture où on pourrait acheter des ouvrages et entendre des auteurs s'exprimer, ce serait aussi une petite salle de spectacle et un restaurant salon de thé Une si jeune femme à la tête d'un pareil édifice, cela était surprenant si on méconnaissait la fortune des Brixton et leur ambition. Si on la connaissait, tout coulait de source. Quand les livres emplirent les rayonnages et que la décoration du restaurant et de la salle de spectacle furent terminées, ils furent ravis. Elle, plus que lui. Du premier étage, on avait une vue splendide sur les rues environnantes et Paul qui s'en émerveillait fut soudain perplexe. Il était aussi facile d'observer les passants d'en haut qu'à ceux-ci de vous guetter. Rien n'avait d'importance pour l'instant mais le vernissage approchait. Il y aurait beaucoup de monde. Et en effet, la fête quand eut lieu attira des kyrielles d'invités. On photographia beaucoup la reine des lieux et on l'interviewa. Paul était au premier étage quand il aperçut dans la rue un long jeune blond et un autre, plus massif et très brun. Ils bavardaient entre eux avec animation, indifférents semble t'il à cet événement dont ils ne savaient rien. Toutefois, Paul ne fut pas dupe. Le jeune homme blond leva la tête et le regarda sans sourire. Tout était très clair. C'était le cavalier blond. Il le fixait mais Paul ne baissa pas les yeux. L'échange dura quelques secondes puis l'inconnu vêtu de noir fit un signe de la main, comme pour saluer. Comme pour mettre fin à son trouble, la voix de sa jeune amante le fit revenir à la réalité.Le temps que Paul se retourne, l'inconnu blond avait disparu avec son comparse.
-Je te cherche.
Daphne était dans son dos et ses parents la suivaient.
-Père trouve que tu as eu raison pour le titre de mon roman. Il est drôle et percutant.
Lord Brixton était souriant mais son regard était froid. Celui de sa femme aussi.
-C'est une fête magnifique !
-Oui, Daphne.
En rentrant chez lui, après le vernissage, Paul s'attendit à trouver un nouveau courrier anonyme. Il n'y en avait pas. Daphne, la librairie, les deux jeunes hommes, ce pouvait être une diversion. Il ne touchait pas au livre sur l'Instructeur et laissait en plan ses projets de traduction. Il cédait en fait. Sur une feuille de papier, il écrivit à l'encre noire :
Vous pensez gagner ?
Il alla se faire un café et ne revint dans sa chambre qu'une heure après. Il y a un message à l'encre rouge sur la feuille.
Évidemment. Tu as embrassé mes bottes.
Çà laisse des traces...
Ce fut une belle période. Elle allait chez lui et lui chez elle et ils œuvraient ensemble. Daphne avait choisi comme victimes un lot de vieilles dames fortunées, comme tueur, un jeune homme désaxé et comme justicier un fringant policier quadragénaire. Ce ne serait pas un grand roman mais une lecture qui aurait ses exigences. Le lectorat, cette fois, ne pourrait faire la fine bouche...Deux mois durant, ils rédigèrent et l'esprit de Paul s'emplit de décors variés, d'armes diverses, de mobiles sordides et de vies perdues. Il avait besoin de cette rémission car, il le savait, il ne lâcherait pas ses objectifs. Le livre sur l'instructeur serait écrit et la traduction faite. Quand il rentrait chez lui et qu'il ouvrait sa boite aux lettres ou qu'il regardait sous sa porte, il ne trouvait rien de répréhensible. Mais, il le savait, cela viendrait.
Interrogeant un jour Daphne sur la culture de son père, il reçut cette réponse triomphale :
-Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi cultivé que lui ! Les littératures grecques et romaines n'ont aucun secret pour lui !
-Il a d'autres centres d'intérêt ?
-L'équitation je te l'ai dit.
-Et les dictatures ?
-Mais certainement pas ! Il aime l'histoire, ça, c'est sûr.
-Il ne soutient pas que toute critique sur un régime dictatorial est infondé. Il y a une logique en tout, une race est forcément supérieure à une autre, une grande partie de la population n'est faite que pour être soumise et travailler, une autre est constituée de parasites...
-Mais d'où cela sort-il ? Mon père t'a reçu chez lui !
-Il ne te dit pas tout de lui-même.
-Pourquoi écrirait-il des choses pareilles ! Je ne prends pas ça au sérieux !
-Admettons. Et ta mère ?
-Elle aime la musique et les livres. Qu'est-ce que tu veux savoir ?
-Rien, ma chérie.
Paul préféra changer de sujet ; il ne voulait pas que Daphne s'étonne de son questionnement. Il avait très sûr d'elle, il l'était moins. Disait-elle bien tout ce qu'elle savait ? Il préféra revenir à son roman.
-« La Dérive de Tom ? » n'est pas un titre accrocheur !
-C'est mon roman, Paul.
-Fais comme tu veux.
-Non, propose.
- « Une larme de rhum dans mon thé ». Je te l'ai déjà dit. Toutes ces dames âgées ont cette faiblesse. Ça suscitera l'intérêt, je t 'assure.
-Oui, d'accord. C'est drôle en plus !
Il lui sourit. Le roman était bouclé mais ils firent encore des corrections, Paul insistant lourdement pour qu'elles se fassent. Le manuscrit fut envoyé. En attendant l'impression du texte, Daphne se préoccupa de l'avancement des travaux de la librairie dont elle voulait être la reine. Ce ne serait pas seulement un espace de lecture où on pourrait acheter des ouvrages et entendre des auteurs s'exprimer, ce serait aussi une petite salle de spectacle et un restaurant salon de thé Une si jeune femme à la tête d'un pareil édifice, cela était surprenant si on méconnaissait la fortune des Brixton et leur ambition. Si on la connaissait, tout coulait de source. Quand les livres emplirent les rayonnages et que la décoration du restaurant et de la salle de spectacle furent terminées, ils furent ravis. Elle, plus que lui. Du premier étage, on avait une vue splendide sur les rues environnantes et Paul qui s'en émerveillait fut soudain perplexe. Il était aussi facile d'observer les passants d'en haut qu'à ceux-ci de vous guetter. Rien n'avait d'importance pour l'instant mais le vernissage approchait. Il y aurait beaucoup de monde. Et en effet, la fête quand eut lieu attira des kyrielles d'invités. On photographia beaucoup la reine des lieux et on l'interviewa. Paul était au premier étage quand il aperçut dans la rue un long jeune blond et un autre, plus massif et très brun. Ils bavardaient entre eux avec animation, indifférents semble t'il à cet événement dont ils ne savaient rien. Toutefois, Paul ne fut pas dupe. Le jeune homme blond leva la tête et le regarda sans sourire. Tout était très clair. C'était le cavalier blond. Il le fixait mais Paul ne baissa pas les yeux. L'échange dura quelques secondes puis l'inconnu vêtu de noir fit un signe de la main, comme pour saluer. Comme pour mettre fin à son trouble, la voix de sa jeune amante le fit revenir à la réalité.Le temps que Paul se retourne, l'inconnu blond avait disparu avec son comparse.
-Je te cherche.
Daphne était dans son dos et ses parents la suivaient.
-Père trouve que tu as eu raison pour le titre de mon roman. Il est drôle et percutant.
Lord Brixton était souriant mais son regard était froid. Celui de sa femme aussi.
-C'est une fête magnifique !
-Oui, Daphne.
En rentrant chez lui, après le vernissage, Paul s'attendit à trouver un nouveau courrier anonyme. Il n'y en avait pas. Daphne, la librairie, les deux jeunes hommes, ce pouvait être une diversion. Il ne touchait pas au livre sur l'Instructeur et laissait en plan ses projets de traduction. Il cédait en fait. Sur une feuille de papier, il écrivit à l'encre noire :
Vous pensez gagner ?
Il alla se faire un café et ne revint dans sa chambre qu'une heure après. Il y a un message à l'encre rouge sur la feuille.
Évidemment. Tu as embrassé mes bottes.
Çà laisse des traces...
Alors qu'il restait sans mot dire, Lisbeth appela.
-Je viens à Londres. Ma vie change. Je vais y travailler.
-Comment cela ?
-Je fais des rêves étranges.
-Quel genre de rêves ?
-Ils te concernent. Tu erres dans un labyrinthe, tu te noies...Des images oniriques violentes mais pour moi alarmantes. Il n'est pas bon que tu sois seul. Je me trompe ?
-Peut-être pas...
-Tu vois. Qu'est-ce qui t'inquiète ?
-Ma rééducation. Trop de souvenirs. Je me sens comme hanté.
-J'arrive.
-Tu me prends au sérieux ?
-N'en doute pas. Je sais de quoi ils sont capables.
Le roman de Daphne parut, se vendit bien et plut à la critique. Pour elle, c'était une phase heureuse. Pour Paul aussi. Mais une guerre commençait et bientôt, il ne sourirait plus.
Paul veut faire connaître en Angleterre la littérature ambranienne. Pour mener à bien la traduction d'un rman, il a besoin d'une traductrice. Lisbeth, la femme de Paul, est perplexe sur les projets de celui-ci.
Comme elle l'avait annoncé, Lisbeth parut. Elle était seule.
-Je ne vais pas entrer dans les détails mais je souhaite m'installer à Londres. Tu ne vas pas bien : qu'y a t'il ?
A qui d'autre qu'elle pouvait-il parler ? Il dit son trouble. Du plus loin d’Étoile, il était poursuivi. Lisbeth n'était pas femme à prendre les allégations de Paul à la légère. Elle le croyait. Le souci résidait dans la mission qu'il se donnait. Plus il y tiendrait, plus fortes serait les attaques. Elle n'avait pas idée d'une parade quelconque mais elle allait y réfléchir. Il en existait une.