Clive le Vengeur. Partie 1. Carolyn, l'alibi plausible.
C’était dit et tout se nouait. Je ferais ce que Barney avait dit. Je coucherais avec lui encore et encore parce que je ne pouvais pas résister à tant de lumière.
-Danser ? Euh, quel style ?
-Je suis danseur classique.
-A New York ?
-Au New York City ballet. Vous y allez de temps à autre ?
-Non. Pourtant, je devrais. En fait, ma fille de quinze ans est encore au lycée mais elle fait de la danse classique depuis des années. Dans le Bronx, là où on habite. Ce n’est sans doute pas une super-école mais elle n’en démord pas. Elle adore vraiment, elle adore. Elle voudrait être prof de danse, un genre comme ça.
Il a paru amusé puis il a fait signe au patron de lui faire l’addition.
Elle y arrivera sûrement.
Je l’observais et je me demandais ce que je devais faire. Il allait partir et je n’en savais pas assez. En tout cas, je n’arrivais pas à le ferrer.
-Je dois partir, j’ai des rendez-vous. Au plaisir d’un prochain vernissage.
Il avait posé quelques dollars sur la table et il se levait. J’en ai profité pour voir qu’il était mince mais fort et bien découplé. Une fois dehors, il a enfilé son blouson de cuir. Dessous, il portait un jeans avec des bottes d’hiver et de grands pulls superposés. C’était des vêtements de belle tenue mais qui n’étaient pas luxueux. Toutefois, il était discrètement élégant dans la simplicité de sa mise…
A travers la grande vitre qui ouvrait sur la rue, je l’ai vu qui se mettait à marcher droit devant lui. Il a dû sortir un téléphone portable de sa poche et il s’est mis à parler à quelqu’un tout en continuant à tracer sa route.
J’ai payé et je suis sorti à toute vitesse du restaurant. J’ai hâté le pas et je l’ai rattrapé. Je n’avais pas d’autre choix.
-Écoute…pardon, écoutez…
Il m’a de nouveau regardé après s’être arrêté et l’espace d’un instant, il a laissé paraître un tout autre lui-même. Il détectait un chasseur mais il n’était pas motivé et surtout très prudent.
-Je m’appelle Clive, Clive Dorwell. J’ai quarante et un ans.
Il attendait, m’offrant ce regard aux aguets qui le rendait plus dur.
-Qu’est-ce que je comprends ?
Il avait donc flairé une approche.
-Eh bien, si je savais qui vous étiez, ce serait bien…Parce qu’un danseur d’une compagnie de danse comme ça, ma fille, ça la passionnerait de parler avec lui…Vous pourriez me dire au moins votre prénom ?
-Je m’appelle Erik.
-Il y a des niveaux dans les danseurs et je…
-Je suis étoile.
-Étoile ! Si je vous donne un numéro de téléphone, vous ferez quelque chose pour elle, pour ma Carolyn ? Ce serait génial !
L’espace d’un instant, il m’a détaillé puis il a paru peser le pour et le contre. Mon cœur battait la chamade et l’attente m’a paru interminable.
-En fait, vous voulez que je parle avec elle de la danse…Et vous, vous serez là…
-Ben oui…
Je lui ai tendu ma carte. Il y avait les deux numéros : le travail et la maison.
Il est resté sibyllin, la tête baissée, continuant d’hésiter. Il fallait insister, en remettre une couche : je l’ai fait.
-Allez, ce n’est pas rien quand même de vous rencontrer ! Ma fille, c’est une gamine qui vit pour la danse ! Et moi qui me butte sur vous !
Il n’était pas si sûr que je ne le mène pas en bateau mais il a quand même fini par dire :
-Je suis très pris toute la semaine prochaine mais après, oui. J’appellerai.
-Elle sera émerveillée.
Ce n’était pas grand-chose, c’était ténu mais j’avais quand même obtenu ça et je ne savais pourquoi, j’étais sûr qu’il tiendrait parole.
Trois ou quatre jours durant, je me suis demandé si oui ou non je m’y étais bien pris d’autant que je m’attendais à un appel péremptoire de super Barney. Curieusement, il est resté muet, le gros snob et ça m’a paru bizarre.
Au bout de dix jours, le danseur est apparu. Une fin d’après-midi où j’allais quitter le bureau, il m’a stupéfait. Sa voix, au téléphone, était presque timide. Ça m’a permis d’être offensif.
-Carolyn est enthousiaste. Elle ne change plus de sujet de conversation. Vous occupez toutes ses pensées ! Faites quelque chose !
-Après-demain, fin de journée.
-Magnifique ! On dîne tous les trois ? Quelque chose de simple…
-Oui
Ça a été une très bonne idée. Ma fille l’a bombardé de questions. Évidemment, elle le dévorait des yeux et se mettait en avant mais au fond, ça m’arrangeait. Ça ne sentait pas trop le coup fourré. Il a parlé de sa formation au Danemark, lui et de son passage par l’Opéra de Paris et celui de Londres. Elle avait un peu de mal à suivre et moi encore plus, parce ce que c’était évident que lui, c’était une pointure mais l’écouter, c’était génial.