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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.

17 novembre 2024

Battles. Partie 4. Déambuler dans la prison Etoile. Les logements des instructeurs.

 

 

4. Prison Etoile. Déambulation

Ils étaient en bon état et reflétaient le même souci de confort et de tranquillité.

-Seulement sept logements pour les instructeurs de première classe ?

-Oui mais on m'a dit qu'ils n'étaient pas toujours occupés. Leur attribution était très honorifique.

Contrairement à ce qu'il venait de voir, Paul constata qu'à l'exception de la literie et de la lingerie, tout y était encore en place. Il aurait suffi de garnir les lits de draps et de couvertures, de remplir le frigo, de remettre l'électricité en marche et de monter le chauffage...Winger avait eu droit à un de ces petits mais fonctionnels appartements. Après avoir questionné sans fin les détenus de choix qu'on lui confiait, c'était donc là qu'il venait après les coups de cravache, les gifles, les hurlements et les propos sournois. Il dînait avec les privilégiés, faisait du sport avec eux et, à ce qu'il avait compris, était très apprécié du directeur en place.

-Ils devaient regarder des films, lire des livres, écouter de la musique...

-Les instructeurs de première classe, oui, bien sûr. Ils participaient à de grands dîners aussi.

-Il y avait d'autres logements...Je me souviens...

-Ah oui, pour ceux qui, comme vous, étaient en phase de sortie. Très endommagés et inaccessibles mais en effet, ils existaient.

Paul avait eu l'illusion quand il s'y était trouvé d'être logé au même rang que son instructeur. Encore un leurre...Ils avançaient vers les installations sportives, l'école, le centre de soins et les pièces de stockage pour les denrées rares. Il y avait des chambres froides.A Étoile, les privilégiés pouvaient dîner au champagne en consommant les mets les plus fins...Hallucinant, quand on y pensait.

-Vous avez demandé à voir l'aile des politiques et les bureaux des instructeurs, n'est-ce pas ?

-Oui. Mais il y a les structures médicales aussi.

-Si ça ne vous ennuie pas, on y va  d'abord. Il faudra marcher. C'est un peu loin.

-Dites-moi, avant que nous écartions de cette zone, n'y avait-il pas de quoi distraire sexuellement les administratifs de haut rang, les gradés et les instructeurs ?

Ersand eut l'air gêné.

-Monsieur Kavan, vous évoquez le bordel réservé aux cadres dans votre livre.

-Où était-il ?

-Il est endommagé mais sur un plan, il est localisable.

-Celui pour les femmes ?

-Oui, monsieur.

-Il y en avait un autre...

-On en des traces également. Dans les deux cas, aucune photo. Tout a brûlé.

Pas une lumière, cet Ersend, mais diligent...Ils le suivirent de nouveau. Depuis un moment, tout se faisait à pied et ils étaient sous terre. Quelle étrangeté ! Les prisonniers étaient à l'air libre, ce qui devait, au début, leur donner l'illusion que tout n'était pas perdu et ceux qui les surveillaient s'enterraient. Et puis, les yeux s'ouvraient...

Dans les salles de l'hôpital, tout donnait l'impression que des patients pouvaient arriver pour subir d'étranges traitements.

-Il y a encore tous les lits, les armoires...

-Les médicaments ne sont plus là. Et beaucoup de matériel aussi...

-J'ai compté une centaine une vingtaine de lits. Cela dépasse le nombre de candidats à la rééducation.

-Oui. Il y avait un équipement de pointe de sorte que certains membres du directoire pouvaient subir des interventions ici, comme les détenus de votre catégorie.

-Je l'ignorais.

-Mon successeur vous donnera des listings très à jour.

-Des médecins encore en exercice...

-Je l'ignore, monsieur Kavan. J'ai préparé votre visite mais uniquement avec les documents qu'on a bien voulus me transmettre.

 

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17 novembre 2024

Battles. Partie 4. Retrouver la prison Etoile.

FRESNES

 

-Et le bloc opératoire ?

-Venez.

Tout y était intact. Il régnait là un silence assourdissant. Paul frémit. Les implants. C'est là qu'on les lui avait mis. Combien de temps cela avait-il duré ? Ce devait être, à en croire les médecins suédois et anglais qu'il avait vus, des interventions délicates. Où était Winger à ces moments-là ? Quand tout était fini, jubilait-il ? En pensant au sourire de l'instructeur quand il avait appris que tout s'était bien passé, Paul serra les points.

-Il servait beaucoup ?

C'était une fausse question.

-Il était réservé aux membres du directoire et à leur famille et aux seuls politiques en phase de mutation positive. Pour les autres, il y avait une autre section, appelée salle de soins. On n'en ressortait pas vivant,monsieur Kavan, vous le saviez ?

-Oui.

-Quand tout a sombré, un certain nombre de dirigeants et de gardiens ont saccagé ce qu'ils ont pu. Cette « salle » a fait partie de la liste...

-En même temps, l'effet de surprise a été massif. Pas le temps de détruire toutes les traces ! L'armée est intervenue.

-Oui, vous avez raison, monsieur Kavan, il en reste beaucoup.

Esmed très pâle l'observait. Il souffrait beaucoup. Paul tenta de le rassurer.

-Tu vois, tout est vide maintenant.

-Oui...

De nouveau, ils déambulèrent longtemps pour gagner l'aile des prisonniers de choix.

-Dix cellules pour les Politiques...

-Oui, ça devait imposer une sacrée sélection...

-Oui, être choisi n'était pas aussi honorifique qu'on aurait pu le croire !  Vous venez de le signaler.  Les vrais rééduqués étaient peu nombreux.

Ce devrait être trop brutal pour Esmed que rien n'avait préparé à cette visite. Paul demanda à Ersand s'il était possible de le faire se reposer ailleurs.

-Bien sûr, je téléphone.

Le jeune homme s'interposa.

-Je veux continuer.

-C'est concentrationnaire, tu vois bien. Tu es si loin de tout cela.

-Paul, ça me regarde. Je poursuis.

Le petit guide lâcha son téléphone.

-Allons-y.

Il fallut marcher encore. Paul retrouva la cellule qui l'avait abrité et il demanda à y être seul un moment. Il y avait près de de dix ans qu'il avait échappé à Étoile et trois qu'il n'y avait plus de politiques ni détenus normaux. En dernier lieu, il était resté des droits communs...Cela signifiait qu'après avoir reçu ses successeurs, sa cellule était restée vacante...Il en retrouvait bien la configuration. Le petit lit, la salle de bain glaçante, le bureau fixé au sol, les chaises et les pauvres rayonnages... Mais cette fois, il revoyait des visages : celui de Xest, l'immonde gardienne qui le lorgnait quand il était nu et celui de cet imbécile de Koba, qui le réveillait la nuit pour le battre. Il revivait les cris, les gifles, la fouille au corps et cet immonde accouplement que Winger lui avait reproché alors même que probablement il l'avait programmé...Plus d'un an de souffrance...Et l'Instructeur, bien sûr, omniprésent et cruel...

Esmed, muet et en souffrance, ne disait rien. Une nouvelle fois, Paul dut le rassurer.

-Ce ne sera plus jamais une prison, tu sais !

-Ce n'est pas le sujet, Paul, je ne peux pas comprendre.

-C'était une machine à broyer. Je l'ai écrit et ne suis pas le seul.

-C'est la fin de tout. Une désespérance …

Il dut lui serrer le bras pour lui dire de se reprendre. Pauvre Esmed qui réalisait soudain que le sort de ses parents n'était pas le pire !

-Allons voir les bureaux d'interrogatoire.

-Oui, monsieur Barne.

Ce n'était pas si loin, il s'en souvenait et c'était à dessein. Plus on avançait vers le bureau où on était attendu, plus on avait peur...Il se souvenait très bien du bureau de Winger et de nouveau, il demanda être seul. Son courage, encore présent, s'amenuisait et une sourde détresse le remplaçait. De nouveau, et bien que la prison eût cessé toute activité, il était au cœur du mal...

-C'est le bureau où j'ai été interrogé. Je veux y être seul.

-Bien, monsieur Kavan.

Esmed se débattait, comme si Paul lui échappait totalement.

-Non, Paul, écoute !

-Reste avec le guide. C'est le mieux que tu puisses faire.

-Je refuse.

-Pourriez-vous vous écarter ? Je vous appellerai quand j'aurais terminé.

-Bien sûr, monsieur Kavan. Nous quittons ce couloir.

Esmed lança à Paul un regard noir mais obéit.

 

 

17 novembre 2024

Battles. Partie 4. Le bureau de l'instructeur Winger.

interrogationroom

 

Paul entra.

DS. Cinquante-quatre vingt-trois. Deux cent sept neuf.

La disposition des meubles était la même : le bureau, l'armoire, les deux chaises, une autre petite table sur laquelle se pencher pour être mieux cravaché...Manquaient les piles de dossier, le magnétophone, le portrait de Dormann sur le mur et les instruments de torture à leur place dans l'armoire...Les menottes pour attacher à la chaise, les bandeaux pour priver de vision, les couteaux effilés, les pinces...Livide, Paul s'assit sur la chaise des détenus. Qui avait succédé à Markus ? Pendant combien de temps ? Le dernier en date avait-il son don unique pour les gifles, les crachats, les hurlements, les propos violents ? Alternait-il aussi facilement les traitements qu'il réservait aux prisonniers qu'on lui confiait, les menaçant puis les cajolant, les consolant puis les obligeant à lécher ses bottes ? Paul, de plus en plus abattu, se leva et alla ouvrir l'armoire. Elle était vide. Les tiroirs du bureau aussi, l'étaient. Plus rien n'était là mais le cauchemar ne disparaissait pas. A mi-voix, Paul se mit à parler :

-Bonjour Markus. La nouvelle de ta mort violente a du émouvoir, ici.Ton remplaçant a du être monstrueux. Tu étais très sûr de toi mais, tu vois, à l'extérieur, tu t'es heurté à des résistants très déterminés. Ils sont tous mort maintenant, je l'ai su. J'ai rencontré d'autres membres de leur faction. Je sais que ça te réjouis mais malgré cela, tu n'as pas eu raison.

Le silence répondit à Paul qui, pourtant poursuivit :

-Je me suis toujours demandé comment tu en étais arrivé à aimer cela : torturer, extorquer des aveux, dépouiller ceux qu'on te livrait de toute dignité. Je sais qu'avant moi, tu y étais parvenu...Comment un être peut-il à ce point être déserté par toute humanité et considérer qu'il n'aime que le devoir ? Ces femmes que j'ai enseignées ici, elles sont toutes mortes. Tu le savais déjà quand tu m'as dit de leur donner des cours...Elles n'avaient déjà plus rien...Tu as dû être un des ordonnateurs...On a tiré sur elles...Et ces pauvres jeunes filles contraintes de se prostituer...

Les murs d'un blanc mat, les meubles réglementaires, la lumière vive des néons, le carrelage...

DS. Cinquante-quatre vingt-trois. Deux cent sept neuf.

-Tu me faisais la morale, crachais sur mon mariage maudissais mes enfants et dans le même temps où tu faisais en sorte que je sois bestial avec ces jeunes femmes que tu contraignais, tu l'étais toi- même avec des garçons. Tu les battais ensuite ?

Seul le silence régnait.

-J'ai combattu tes idées et continuerai de le faire, dans mes livres  ou d'une autre façon. Mais tu es celui qui est mort deux fois et tu me restes énigmatique...

Il guettait, il attendait. Il avait être peut -être oublié une cache. Il y avait un minuscule cabinet de toilette à côté du bureau. Mais il n'y trouva rien.

De nouveau, Paul se heurta au silence puis il ajouta :

-Tu crois malgré tout que tu as eu raison ? Je sais ce que tu as en tête, je sais ! Ma vie personnelle évolue et toi bien sûr, du plus loin de ta mort, tu cherches à me dire que tout est inutile. Tu te trompes. Plus rien n'est monstrueux.

Il revit la cravache sur la table puis se réjouit qu'elle eût disparu.

-Ton marquage à vie était un marquage provisoire. Saisis-tu la différence ? Tu t'es trompé.

 Il se leva et tourna un moment en rond dans le bureau puis il appela :

-Instructeur Winger ! Markus ! Instructeur Winger...

Il n'y eut aucune réponse et au bout d'un moment, Paul insista :

-Je suis un homme libre !

Au bout d'un moment, il se rendit compte : il avait crié, on l'avait entendu. Il s'assit cependant et resta silencieux. Aucune réponse ne lui vint. Toutefois, son regard fut attiré par une petite mèche de cheveux blonds posée au sol. Comment pouvait-elle se trouver là ? Il se pencha, la prit entre ses doigts et resta interdit. C'étaient des cheveux fraîchement coupés. Il se mordit les lèvres et attendit. Il n'y eut rien de plus.

Quand il sortit, la mèche de cheveux était toujours posée sur le bureau. Elle brillait. Il s'aperçut que Esmed qui aurait du se trouver au bout du couloir, lui faisait face.

-Tu ne devais être là

-J'ai désobéi et l'autre n'a rien pu faire. Sauf téléphoner.

-Bon, c'est fini.

-Ah, tu crois ?

Esmed était transformé. Il était furieux.

-Je parle de cette partie de la visite.

-Tu as parlé à quelqu'un.

-Non, pas vraiment.

-Je t'ai entendu !

-Je t'expliquerai...

-Non, explique tout de suite. C'est là que tu as été interrogé ?

-Rééduqué.

-Tu parlais à ton instructeur alors ?

-Tu le sais, tu m'as entendu.

-Mais il est mort, non ? Il t'a répondu malgré tout ?

Paul toisa Esmed et ne répondit pas. Ils rebroussèrent chemins en silence et se retrouvèrent au centre de l'étoile, dans les services administratifs.

-Merci, monsieur Esrend. Ce fut fort instructif et fort bien guidé.

-Tout le plaisir était pour moi.

 

15 novembre 2024

Battles. Partie 4. Paul et Alstrholm. Retrouver Etoile.

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Paul devait maintenant rencontrer Per Alstrohm, son second informateur.  Nettement plus stylé que son prédécesseur, il devait avoir trente-cinq ans et portait beau. Il fit preuve d'habileté et de sollicitude.

-Nous allons laisser monsieur...

-Keretz.

-Keretz donc visionner les documents qu'ils souhaitent dans cette salle. Ils seront présentés bientôt dans diverses expositions et sont au point. Et pour ce qui nous concerne, vous allez me suivre. Ils prirent place dans un bureau coquet et bien chauffé.

Esmed fit un signe de tête. Il ne voulait pas.

-Un instant, dit Paul à son guide.

Il s'écarta pour parler au jeune homme.

-Tu dois attendre.

-Tu te retournes contre nous ! Je savais que tu le ferais !

-Mais non !

-Tu es un menteur. On dirait que tout ce qu'il y a ici te fascine !

-Ce n'est pas exactement cela. On parlera plus tard.

 

-Pourquoi plus tard ?

-Je dois poursuivre.

Esmed était sidéré et blessé.

Per Alstrohm fut d'une exquise politesse.

-Revenir dans ces lieux doit être très éprouvant.

-Oui, ça l'est.

-Nous avons beaucoup à nous dire mais avant que nous discutions, je pense que manger quelque chose vous ferait du bien...

-Je ne dis pas non. Nous avons beaucoup marché.

Paul se sustenta puis ils parlèrent.

-Sachant que vous viendriez et qu'il fallait tout de même nourrir vos réflexions, je vous ai préparé des dossiers sur le naufrage de cette prison. Il est bon de savoir que tout ce qui s'y passait de mal a pris fin...Vous y trouverez des photos saisissantes des derniers jours de son existence ! Vous saurez aussi ce qu'il est advenu des prisonniers et quel sort a été réservés aux administratifs coupables de faits dégradants, car il y en a eu. Vous vouliez savoir ce qui était advenu des instructeurs, je crois. Rien n'a été ébruité mais aussi affolant que cela puisse paraître, ils se sont tous donnés la mort. Certains l'ont fait quand le mécanisme de la prison s'est enrayé car il y a des émeutes et des révoltes ici. Les autres se sont tués après. Le plus curieux est qu'ils avaient réussi à s'enfuir et à se cacher...Ils avaient moins de chances d'être reconnus que les gardiens de base, qui rudoyaient beaucoup de prisonniers, mais voyez-vous, ils l'ont fait...

-Le mien est mort dans une embuscade.

-Oui, c'est une exception.

Il fit apporter du café et une riche collation car l'heure tournait et Paul paraissait avoir froid.

-Je crois que vous savez qui ont été vos délateurs...

-Oui.

-Ils sont vivants ?

-Certains d'entre eux, oui. Ils se portent fort bien !

-Il y avait beaucoup de dénonciations calomnieuses, je ne vous apprends rien et d'autres très arbitraires. Mis à part les droit commun, dont a, quand on l'a pu, réexaminé les dossiers,  la plupart des gens qui ont été emprisonnés ici ont recouvré la liberté. Leurs séquelles sont diverses. Quant à tous ceux qui encadraient les prisonniers, certains ont été sanctionnés et d'autres font l'objet de recherches...C'est une période compliquée...

-Oui, je m'en rends bien compte.

-Je ne vous cache pas...

-Qu'ils ont retourné leur veste, je m'en doute bien.

-Mais vous souhaitez qu'on en revienne à votre cas, ce qui est compréhensible...Vous en savez plus que moi sur celui qui devait vous rééduquer donc je n'insisterai pas. Par contre, pour avoir bien étudié la question, je dirais que les instructeurs n'étaient pas tous comme lui. En général, ils étaient moins violents physiquement car ils laissaient ce soin à d'autres ; par contre, ils pouvaient interroger jour et nuit, ce que le vôtre n'a pas fait. Une fois le programme de rééducation enclenché, il suivait de prêt leur proie mais il n'y avait pas forcément d'élection. Votre instructeur semble vraiment vous avoir choisi. Il voulait s'attacher à vos pas. Je n'invente rien, je vous ai lu. Ce n'était pas courant d'agir ainsi...

-Vraiment ?

-Oui, vraiment. Et ça a dû rendre votre tâche difficile car vous avez reçu de la détestation mais aussi de l'empathie.

-Un damné à qui on explique qu'il a droit à une étrange rédemption...

-J'imagine que c'est cela et je pense que vous avez su trancher dans le vif.

-Je pense. Néanmoins...

-Oui, je vous écoute.

 

15 novembre 2024

Battles. Partie 1. Paul en prison. Battles malmené.

 

 

6. Affaiblissement et compromission. Paul en prison.

Paul est enfermé à la prison Etoile où il est rééduqué par l'instructeur Winger. Traitements médicaux, maltraitance et interrogatoires serrés font partie du programme. Malgré sa vaillance, celui qui fut Battles commence à s'affaiblir.

Tout de même, il y avait cet amour partagé, ce mariage, ces deux enfants et ces retrouvailles malgré les difficultés. Lisbeth...Il restait à Paul à s'accrocher à ces moments de lucidité où il se reprenait mais ils duraient peu. Il y eut des jours où il s'effondra au travail et où le remit en cellule. D'autres où il devint fou furieux d'être ainsi enfermé et où on dut l'attacher. Alors qu'il supportait bien Koba, il se mit à le haïr. Comment supporter une compagnie uniquement masculine ? Un soir, Paul se tapa la tête contre les murs à s'en blesser...Markus Winger arriva très rapidement et à deux, ils réussirent à faire asseoir Paul et à le menotter.

-Qu'est-ce que tu as ? Tu es hagard !

-Je suis enfermé avec lui. Je ne veux pas !

-C'est réglementaire.

-Il me suit partout.

-C'est une simple routine. Ne panique pas : ce gardien est comme ça, il est insistant. En même temps, c'est un très bon élément.

Paul rageait et pleurait.

-Instructeur, je vous en prie...

-Bon il va partir. Voilà, il part ! Regarde-moi ça ! Tu as le visage en sang. Tu as de la chance de m'avoir pour instructeur. J'ai apporté de quoi te soigner...

En effet, il désinfecta ses plaies et mit un pansement sur certaines d'entre elles. Quand il eut fini, il jeta dans une corbeille la gaze et le coton souillés dont il s'était servi. Il avait, pour opérer, placé son visage tout près de celui de Paul et de temps à autres, il plongeait ses yeux bleu dur dans les siens. C'était bien là l'essence du mal, l'intention nichée dans ces regards... Je suis persuasif et violent, tu n'as plus de libre arbitre, tu dépends de mon bon vouloir et comme je suis un être cruel...

-On va parler...

Il lui désignait un siège dans sa cellule. Comme Paul s'asseyait, le gardien revint, remit de l'ordre et tendit un verre d'eau et un médicament à l'instructeur.

-Bois.

-Non !

-Comment ça, non ? Tu n'as pas toute ta tête, là. Prends ce calmant, c'est un ordre.

Paul secoua la tête négativement.

-Intraveineuse. Je téléphone ? Comme ça tu repartiras avec Koba et d'autres. La dernière fois, ça ne t'a pas plu, l'infirmerie, l'hôpital...

-N'en faites rien...Instructeur...

-Parfait. Bois.

Paul céda et resta un moment silencieux et prostré. L'instructeur allait et venait dans sa cellule, vérifiant que tout y était réglementaire. Quand il fut satisfait, il prit une chaise qu'il plaça en face de celle de Paul et s'assit très près de lui. Leurs genoux se touchaient.

-On dirait que ça va mieux…C'est la fin de la phase 2. C'est normal ce qui arrive.

-Qu'est-ce qui arrive ?

-Il y a encore des moments où tu ne peux admettre que c’est nous qui avons le dessus, mais plus ça va, plus tu comprends que tu te trompes. Le pouvoir, c'est nous qui l'avons, pas toi...

Paul frémit et Winger se pencha pour lui parler à l'oreille avec méthode et douceur. Il était très beau et Paul, bien qu'il eût l'esprit embrouillé, en avait conscience. Il avait cet harmonieux visage près du sien, cette belle ligne de sourcils et cette voix...

-En termes imagés, tu te fais mettre continuellement car tel est notre bon vouloir, le mien surtout... C’est difficile et douloureux...Il faut que tu lâches tout ce à quoi tu t'es accroché, cette parodie d'héroïsme. Tu n'es plus cette personne, Paul et si tu l'es encore parfois, c’est pour peu de temps. Tu es vaincu...Tu sais, ça ?

Et sûr de son effet, il poursuivit en effleurant de ses lèvres la joue de Paul :

-Tu comprends ?

Le prisonnier releva sauvagement la tête et cria de nouveau à plusieurs reprises.

-Chut, voyons...

Il voulut se lever mais l'instructeur le retint par le bras et le surprit en l'embrassant sur les lèvres sans insister. Il avait une haleine légèrement mentholée. Une cigarette qu'il avait fumée, peut-être...Paul aurait dû être choqué mais curieusement, ce baiser fit tomber sa colère. Après lui avoir souri brièvement, Winger se leva et l'invita à faire de même.

-Tu vas continuer avec Koba. Il n'y aura plus de fouille au corps et la nuit, tu dormiras seul, entravé certes mais non plus filmé. Ton gardien aura ordre de me prévenir en cas de problème. Et de toute façon, je serai là chaque soir.

-Instructeur...

-N'est-ce pas un honneur ?

Paul acquiesça sans y croire mais dès le lendemain, Winger entra dans sa cellule juste avant l’extinction des feux. Souriant, il regarda Paul retirer ses vêtements et se doucher avant de revêtir le pyjama réglementaire. Quelquefois, tout se passait très vite mais à d'autres moments, Winger lui disait de rester nu et l'observait. Lentement, il tournait plusieurs fois autour de lui en se raclant la gorge et Paul était brusquement sensible à son odeur. Qu'est-ce c'était ? Menthe et vétiver, des fragrances masculines subtilement mariées...Au bout d'un moment, il lui disait de s'habiller et partait.

-Parfait, détenu, tu sais me complaire.

Et Paul devait bien s'avouer qu'il avait raison. Les entretiens se poursuivaient et tendaient tous vers le même but : faire reconnaître à ce prisonnier anonyme l'imposture de sa vie passée. Il avait un journaliste à la mode, un fin lettré, un mondain et un homme à femmes mais tout cela était vain. Son mariage surtout, que l'instructeur présentait comme un long mensonge. Même son rapport à la paternité était douteux. Il s'était débarrassé de ses enfants, lui-même ayant été un fils étrange.

 

 

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15 novembre 2024

Battles. Partie 4. Infaillibles et cruels instructeurs.

 

 

-Vous présentez les instructeurs comme des êtres sans faille...

-Ils avaient la formation requise.

-Pourtant une fois, je me souviens, ma gardienne m'a incité à la posséder. C'était en dehors de tout ordre, de toute consigne ; Mon instructeur en a été incommodé...Il semblait ne rien avoir contrôlé.

-Les candidats à la rééducation étaient si peu nombreux et ceux qui les encadraient si rigoureusement choisis que je peine à vous croire. Ça aura été une ruse de plus...

Paul, qui avait enfoui au plus profond de lui cet épisode avec la gardienne Xest, savait désormais de quoi il retournait...

-En même temps, je voudrais nuancer l'avenir que vous auriez eu à Dannick avec lui. Ces gens-là avaient des codes moraux qui leur étaient propres. Je dispose sur certains instructeurs de documents secrets qui m'ont permis de mieux cerner leur personnalité. Le vôtre paraissait intouchable. A priori le directeur en place, bien que marié et père de famille, avait du goût pour lui. Ils se voyaient discrètement. Ne croyez pas que je m'érige en juge face à ce type d'attirance. Ici, il y a une note perverse. Voyez-vous, celui dont on vous a crédité avait de forts appuis politiques.

-De type à intimider un directeur de prison ?

-A sérieusement l'influencer, oui. Même si vous lui êtes supérieur, face à quelqu'un d'aussi puissant, vous cédez.

-Tue celui-ci, ne tue pas celui-là...

-Je crois que c'est cela. Il y a aussi : celui-là, laisse-moi jouer avec lui comme je l'entends. Et cet autre, je n'en veux pas...

Paul apprécia mais resta silencieux.

-Monsieur Kavan, les instructeurs étaient malgré tout programmés pour tuer. J'ai donc quelques raisons de penser que son maintien à vos côtés une fois que vous seriez devenu l'un des chantres du régime n'aurait pas été paisible. Un écart, même involontaire, et vous étiez perdu.

-J'y ai souvent pensé.

-Ceci dit, il avait une relation étroite avec vous. Il se serait peut-être contenté de vous intimider...

-Il l'aurait fait au début. Mais changeons de sujet. Dites-moi, vous avez entendu parler de traitements médicamenteux et d' opération...

-Oui. Ce qui se pratiquait sur les prisonniers politiques...Ce sujet ne fait pas encore l'objet d'une information grand public.

-Je m'en doute bien.

-Cette façon de vous contrôler était abjecte. Là, où vous êtes allé ensuite, on a dû vous soigner pour cela...

-On l'a fait.

-Permettez-moi de revenir sur le sujet. Je suis avant tout un historien doté, je l'espère, d'une certaine psychologie. Ne perdez pas de vue qu'on vous a livré à quelqu'un de diabolique...Ce qui est surprenant, c'est que vous soyez là. Voyez-vous, je me suis penché sur la question suivante : qu'en était-il des candidats à la rééducation ? Environ soixante-quinze pour cent intégrait le système pour lequel on les avait préparés. Inutile de vous dire que l'effondrement de la dictature les a laissés démunis. Comme je vous l'ai dit, ils ont mis fin à leurs jours. Il aurait été difficile de savoir quoi faire d'eux, de toute façon. Dix pour cent ont été suicidés car ils ne réagissaient de façon inadéquate à leur transformation. Certains étaient devenus fous...Enfin, les cinq pour cent restant ont été des dissidents. Ils ont tenté de s'évader et sont morts dans les montagnes sans qu'on s'acharne à les retrouver. Ils se sont épuisés d'eux-mêmes. Il s'agit ici d'une moyenne. Les instructeurs, au départ, étaient beaucoup moins efficaces. En dix ans, ils sont devenus très performants.

-Et ceux qui sont dans mon cas ?

-On a tenté de s'emparer de certains d'entre eux, dont vous, pendant leur convoyage ou dès leur arrivée à Dannick mais là encore, les chiffres sont alarmants. Vous êtes très peu à vous en être tirés et le fait est que rares sont ceux qui ont voulu retrouver leur pays...

-Et encore plus rares ceux qui sont revenus dans cette machine à broyer...

-Oui, l'expression est juste. Toutefois, il s'agissait d'une machine complexe qui fabriquait beaucoup de produits de première nécessité et offrait des emplois en débarrassant la société d'éléments nuisibles. Je ne vous apprends rien : la propagande a été efficace. On a trouvé Étoile très productive...

Paul en avait assez appris. Il consulta les dossiers que son interlocuteur lui montrait et en reçut des copies puis il l'interrogea sur le devenir de la prison. Après lui avoir longuement répondu, Per Alstrohm lui dit encore :

-Il y a déjà une petite ville ici et honnêtement c'est très bien ! Les jeunes générations ne devront plus avoir peur de cette zone et de cette prison. Bien sûr, le climat est rude mais ceux qui vivent déjà ici trouvent à se distraire. Alors, une grande !

 

 

15 novembre 2024

Battles. Partie 4. Etoile. Le moins éprouvant...

 

 

Il était temps de laisser Paul faire des recherches seuls et prendre des notes. Celui-ci prit son temps et oublia l’heure. Soudain, il s'avisa que Esmed devait peiner à l'attendre. Il demanda à le rejoindre.

-Tu as trouvé à t'occuper !

-Passionnant...

-Bon...On t'a donné quelque chose à manger quand même ?

-Oui.

Il fallut remercier et serrer des mains car d'autres administratifs venaient d'arriver. Et recevoir une mallette pleine d'archives.

De nouveau, il fallut franchir des enceintes et passer des contrôles. Le chauffeur et le policier retrouvés, on roula. Esmed était tétanisé. Paul tenta de le rassurer.

-On rentre. C’était long ! Plus de six heures...Une vraie épreuve.

-Tu es fatigué. Moi-aussi.

-Il y a du café et des fruits secs, on en prendra en route.

-Non.

-Tu te raviseras.

-On verra.

Un silence complet s'installa dans le véhicule. Esmed s'endormit et Paul regarda défiler le paysage. On fit un premier arrêt et le jeune homme vomit puis resta pâle et fermé, un mouchoir sur sa bouche. Le temps, qui était gris, devint soudain mauvais. Une pluie de plus en plus violente ralentit le véhicule. Rentrer prendrait du temps. Paul, Kerm et Orianitz se concertèrent.

-Je peux vous ramener malgré tout !

-Merci Kerm mais nous sommes tous fatigués. On peut s'arrêter pour dormir. C'est autorisé. Ce sera rustique.

Orianitz ajouta :

-Il doit y avoir tout ce qu'il nous faut.

-Alors, allons-y.

On s'arrêta donc. C'était militaire. Juste un salon et deux chambres. Quelques vivres pour faire un repas. Paul et le chauffeur se hâtèrent d'aller charger les poêles dans les chambres tandis que le policier faisait partir un feu de cheminée. On vérifia ensuite les couvertures et les provisions et on vérifia la sécurité de la maison. Esmed, ahuri, regarda tout le monde s'agiter, but du thé chaud avec eux puis insista pour parler à Paul.

-Pas maintenant.

Il avait raison, il était encore tôt. Le jeune homme dénicha des jeux de société et ils s'occupèrent à y jouer en attendant le dîner que Paul prépara avec le chauffeur. On se répartit ensuite pour dormir. Le policier dans le salon, le chauffeur dans une des chambres, Esmed et Paul dans la seconde car le jeune pianiste ne voulait pas rester seul. Et il voulait aussi que son mentor s'explique.

-Alors, c'était qui cet instructeur ?

-Il s'appelait Markus Winger.

-Tu lui as parlé tout à l'heure !

-Je lui ai dit que j'étais un homme libre.

-Tu as dit ça à un mort. Quoi, il ne l'est pas ?

-Il l'est.

-Tu avais des sentiments pour lui ? Il faut en avoir pour s'adresser à quelqu'un comme ça des années après ! Tu m'as bien parlé d'un tueur pourtant ?

-Si on te traitait comme il l'a fait, tu en éprouverais toi-aussi, des sentiments.

-Mais ce n'était pas de la détestation, là !  Il aurait pu tuer mes parents et d'ailleurs, il l'a fait à demi puisque mon père va mourir !

-Des gens comme lui suicident beaucoup d'êtres sans même savoir qui ils y sont. Ceci dit, j'étais rééduqué : je ne pouvais pas le détester.

15 novembre 2024

Battles. Partie 4. Après l'épreuve.

 

 

Le lendemain ils partirent. Au retour, alors que chacun regagnait ses appartements, Magda fut claire :

-J'ai parlé à Inna et Irina. Elles disent vouloir rester à Vardar mais n'y croient pas elles-mêmes. Elles vivront mieux à Dannick. Par contre, Max est condamné.

-Le Bien et le Mal ne sont pas symétriques et ils ne s'entachent pas  l'un l'autre comme on le dit souvent. Même si sa vie s'achève, il sera mieux dans une ville où il a été si applaudi !

-C'est vrai.

-Magda, j'ai fait presque tout le chemin. Il me faut arriver à son terme.

Elle prit ses mains dans les siennes et il en eut les larmes aux yeux.

-Il a dû chercher à savoir ce qui a pu vous arriver comme moi d'ailleurs. Je vous ai peu questionné, lui a du vouloir le faire : il est jeune. Vous avez fait du chemin, oui...

-Il en fera aussi ?

-Il est en route. Vous comptez beaucoup pour lui. Il faudra lui parler.

-Je vais le voir ?

-Oui.

Esmed lui battit froid mais quand le transfert des siens fut devenu réalité, il fut ravi.

-J’habite toujours ici !

-C'est bien !

-Je préfère. Tu t'occupes de mes concerts ?

-Toujours.

-Tu me vois comme un jeune artiste doué et écervelé, une petite personne compliquée, sensible et têtue. Je me trompe ?

-Non, pas vraiment.

Une grimace du jeune homme le fit sourire.

-Ah !

Il enchaîna :

-Mon père sera mort bientôt.

-Oui, malheureusement. Mais ta mère et ta sœur sont là et elles s'épanouissent !

-Mais pas mon père.

-Non, bien sûr.

-Deviens mon père.

-Esmed, j'ai déjà deux grands enfants, tu sais ! De plus, ma belle-fille est enceinte. Et ma fille, qui vit en Amérique, l'est aussi.

-Sois mon nouveau père. Qu'est-ce qui t'en empêche ?

C'était désarmant. Sa demande profonde était là.

-Alors ?

-Que puis-je faire face à quelqu'un d'aussi futé ! Je suis plus jeune   que lui et une fibre artistique moins développée mais ça pourrait faire l'affaire.

-C'est certain.

Paul travailla encore pour l'institut culturel continuant de suivre la carrière des jeunes artistes que Magda lui avait demandé de mettre en avant et s'occupant de pousser la carrière de nouvelles recrues. Un an après le périple de Paul à Étoile, Esmed perdit son père et en souffrit. A Dannick, eut lieu une belle cérémonie funéraire. Le jeune pianiste ne retint pas ses larmes. Toutefois, sa carrière prenant son essor, il pansa ses plaies. Inna était paisible, Irina jouait du violon. Et Paul était grand-père.

-Colin, mon fils, a eu un petit garçon avec Ann. Ils sont à Munich. Lisbeth et moi allons les voir sous peu. Une petite merveille nous attend. Ensuite, Lisa accouchera. Nous irons en Amérique.

-Et ensuite, tu rentreras.

-Bien sûr.

-Magda Egorff est une grande dame. Elle est bien pour toi. Parfaite, même.

-Pas si vite.

-C'est une évidence.

 

 

15 novembre 2024

Battles. Partie 4. Apaisé en Ambranie.

Il hésita encore puis comprit que c'était vrai. Avec Magda, il se sentit tout de suite heureux. Ils avaient tant en commun ! La première nuit où il dormit avec elle, il fit un rêve.  La cravache de l'instructeur était brisée. Il eut la vision de fins cheveux blonds se dispersant au vent. Toutefois, il les vit se rassembler de nouveau et dans le bureau d’Étoile où, jadis, il avait été interrogé, Paul les retrouva. Ils formaient un petit éclat d'or sur le bureau. Ce rêve fut désagréable mais à cette étape de sa vie, il était heureux et ne s'en soucia pas. Du reste, au terme de trois années de labeur, il délaissa ses fonctions et céda sa place. Il refusa une charge honorifique à l'école de journalisme car de nouveau, il voulait se consacrer à l'écriture. Il avait songé à superviser les rééditions d'auteurs ambraniens qui lui tenaient à cœur ainsi que les traductions de leurs livres mais c'était une tâche trop lourde. Il se contenta donc de traduire en anglais et en allemand avec des traducteurs chevronnés un roman qu'il aimait bien. Il s'agissait de Clementia Habis de Walter Domitia.  Ce roman était centré sur l’échec d'un mariage et la renaissance de l'épouse. Héritière d'une grosse fortune, Clementia épousait un intriguant, divorçait puis se réalisait en écrivain des sonnets et en voyageant de par le monde. Le roman avait pour cadre une Dannick qui évoquait la Vienne de Freud. C'était un beau portrait de femme et Paul en le traduisant le vécut comme un hommage à Lisbeth.

Peu après, il fit paraître Le Château des artistes, qui évoquait le « phalanstère » de Magda pendant les années de dictature et passa beaucoup de temps avec elle à évoquer cette épopée.  Sachant que Les Ombres de la liberté faisait l'objet de nombreuses rééditions,sa réputation d'écrivain se renforça et il attira le respect.

Lisbeth séjourna plusieurs fois à Dannick et il alla la voir chez les sœurs. Tous deux virent Colin, sa femme et leur petit Anton. En Amérique, ils découvrirent Flora, la fille de Lisa. Puis tout changea encore. La carrière internationale d'Esmed avait pris corps et Paul   l'accompagna partout, aplanissant toute difficulté. Un jour, celui-ci revint sur les années difficiles qu'il avait traversées avant de rencontrer Magda.

-Mes parents m'ont installé chez une cousine à Dannick et je devais aller au lycée et aux cours de musique. Mais il y a eu ce contrat immonde que je ne voulais pas signer et les menaces. J'ai vécu n'importe comment. J'avais dix-sept ans. Je n'ai rien voulu dire à mes Ils n'ont jamais rien su. Magda m'a trouvé et aidé.  Elle vient d'une famille puissante, ils n'ont pas osé. Et tu vois, maintenant !

-Et s'ils l'avaient fait ?

-Elle m'aurait fait passer en Suisse.

Il n'en dit pas plus et s'étonna qu'il fût resté aussi digne. Plus tard, le jeune homme lui dit :

-Tu sais, quand je me sentais très seul, je pensais à mes parents et à ma sœur. A plusieurs reprises, j'ai eu le sentiment de leur présence. Il suffisait d'ouvrir les yeux en gardant les paupières fermées et dans cet univers intérieur, ils étaient réellement là. Je crois qu'eux-aussi rêvaient de cette façon et ça nous guérissait de ces injustices et de notre séparation.

La musique l'avait beaucoup guéri aussi et il vivait pour elle. Paul, quand il le contemplait, se disait que s'il avait été musicien, sa vie aurait été différente. Esmed ayant des contrats en Allemagne, en Autriche, en Italie, en France et en Suisse, il y avait beaucoup à faire. Au fil du temps, Paul devint vraiment mélomane et se mit à écouter les voix secrètes de Brahms, Mozart, Chopin ou Debussy. Et puis un jour, il se sentit vieilli.

 

 

10 novembre 2024

Battles. Partie 4. Et ce fut tout.

Dans le nord du pays, là où avait régné la désolation, tout avait changé. Des camions avaient déjà emporté d’Étoile les derniers vestiges d'un univers carcéral que certains devaient regretter. Outre les usines, il y avait une ville maintenant, un aéroport où des avions atterrissaient, des écoles, des théâtres, des salles de sport. On avait érigé un musée qui évoquait les horreurs commises. A voir les photos, Paul était surpris de toutes ses réalisations. La Ville s'appelait Cordis. Y vivaient des travailleurs d'aujourd'hui. Ni Magda ni Esmed n'évoquaient un voyage là-bas. Paul le vivrait mal malgré tout. Ces derniers temps, il était moins actif. Esmed s'était trouvé quelqu'un de fort qui l'aidait dans ses tournées et il s'assumait davantage. Paul, plus sédentaire, lisait beaucoup. Il s'était apaisé et avait constaté que sa vie s'unifiait. Lui aurait-on demandé des années auparavant de prédire son avenir, il n'aurait certainement pas imaginé mener une existence aussi haute en couleurs ! Elle était sereine et le resta longtemps. Puis un jour, alors qu'il découvrait un de ces nouveaux auteurs ambraniens qui le ravissaient, il fut surpris. Le marque page, dans son livre, n'était plus le même. Il avait laissé un signet rectangulaire représentant un tableau abstrait, il retrouva une photo. C'était celle de l'instructeur mort. Il se dit :

-Qu'est-ce ça fait là ?

Et il déchira cette photo qu'il avait reçue en Angleterre. Le lendemain, il y en avait une autre. C'était lui et Winger à Étoile, quand sa rééducation était terminée et que son transfert s'annonçait. Ils étaient l'un et l'autre debout dans le logement de l'instructeur. Celui-ci portait un pantalon de cheval et un pull gris ajusté. Il souriait. Paul, en costume bleu marine et chemise blanche, avait un sourire plus indécis. D'où sortait cette photo dont il ignorait l'existence ? Qui l'avait prise ?  Surpris et mal à l’aise, il ne la déchira pas mais alla la placer dans un autre livre de sa bibliothèque.

-J'aviserai.

Trois jours plus tard, il y en avait une autre. A Dannick, devant l'opéra, posait un beau jeune homme blond. La photo avait été prise quelques jours auparavant. Winger était très reconnaissable. Il portait un costume à la mode sur un manteau ouvert. Sa beauté était rayonnante. Au dos de la photo, on avait écrit : Moi, vingt-sept ans.

-Qu'est-ce que tu veux ? Je suis en train de devenir un vieux monsieur.  Quel pouvoir pourrais-tu bien avoir ? Je peux mourir demain.

Il n'y eut plus de photo mais une mèche de cheveux blond apparut sur le bureau de Paul le jour suivant. Elle était identique à celle qui était restée longtemps posée sur le bureau de l'instructeur à Étoile. Paul la rangea dans un tiroir. Des crimes atroces se produisirent à Dannick et mirent la ville en émoi. On parla de deux jeunes hommes issus d'un mouvement néo-fasciste mais on n'arrêta personne. Un soir, Paul prit la mèche de cheveux entre ses doigts et murmura :

-Camarades de l'ombre, ici Battles.

Il brûla les cheveux d'or et se débarrassa des photos. A Magda, il ne rien et rien non plus à Esmed et aux siens. Une crainte ancienne s'éteignit en lui. Et ce fut tout.

 

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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
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