Attentive. Chapitre 4. Corps. (3)
Elle a donc accepté qu’il en soit ainsi, attendu, obéi, trouvant cet homme plus fascinant que ridicule, sans doute de par son aplomb invraisemblable. Et lui, se sentant obéi, a annoncé une visite qu’elle n’attendait plus. De cette rencontre, il n’y a rien à garder ou presque. Il est arrivé vindicatif et grave, l’a observée nue, invectivée, frappée car elle tremblait, les yeux bandés et les mains dans le dos, de déplaire au Maitre. Puis, parlant fort, il a exigé des objets qu’elle ne possédait pas, s’est moqué de ses larmes et de sa contrition et s’est enfui en se lamentant d’avoir accepté une entrevue aussi lamentable. Elle est restée seule, couverte d’un peignoir léger qu’elle avait posé sur le canapé du salon avant son intrusion, un peu tremblante, défaite et sûre qu’il n’avait extirpé d’elle aucun de ces plaisirs enfouis dont il avait parlé. Puis elle a réussi à se reprendre. Et lui, Maitre J. elle l’a relégué dans sa mémoire, à côté de l’homme de la chambre fraiche. Après tout, ils méritaient d’être côte à côte puisque l’ayant manipulée. Mais à tout prendre, elle a regretté l’homme vieillissant et non celui qui se faisait appeler Maitre.
Quelques semaines ont filé. Elle a relu son courrier. Pourquoi a-elle répondu à un autre «correspondant» dont elle voyait bien la filiation avec le précédent ? Il se disait sympathique, courtois et directif dans les jeux érotiques. Du reste, son pseudo érigeait l’adjectif en substantif. Directif. La réponse au message qu’elle lui a fait parvenir ne dénotait pas la prétention de J. mais une fermeté pleine d’humour et, elle l’a compris, plus de savoir faire. Cela a dû être suffisant pour la décider. Alors, dans le nouveau message qu’elle lui a adressé, s’est-elle montrée diserte en laissant, au passage, un numéro de téléphone. Elle a pensé qu’il en ferait usage quand il le déciderait et qu’elle n’était engagée à rien. Mais, lui, au contraire, l’a presque immédiatement appelée, et au ton orageux de sa voix, elle s’est sentie fragile. Si Maitre J. a été grotesque, Directif a su se faire entendre. Du reste, les questions ont fusé et elle a dû y répondre. Du rapide interrogatoire subi, il est ressorti qu’elle errait dans des territoires pour elle inconnus, qu’elle était ignorante des dangers possibles et que son innocence en faisait une proie. Une proie acceptant de l’être. Il l’a compris. Elle aussi. Si tant est qu’ils soient sur le même mode de lecture. Il a désiré la voir. Un rendez-vous a été fixé. Au fond, tout semblait irréel : viendrait-il seulement ? Elle a attendu deux jours, pensant qu’il l’avait juste provoquée verbalement mais au jour et à l’heure dite, il s’est présenté chez elle. Dans l’instant où il a franchi la porte, elle a compris que si l’autre avait brièvement paradé avant de s’éclipser, lui, ne tenait pas le moins du monde à disparaître. Inspectant le salon, il lui demandé de se déshabiller avant de la caresser et de la palper. A commencé une étrange et longue séance de soumission dont elle est ressortie épuisée. Il est difficile de ne pas l’être quand on a marché à quatre pattes, reçu des gifles sur les joues et des claques sur les fesses, rampé, monté un escalier, attendu allongée sur le dos puis sur le ventre qu’on vous doigte longuement. De l’alternance des coups et du plaisir –que du reste, elle n’a pas atteint- elle ne savait rien ou du moins, pas cela. Non, à la vérité, elle ne savait pas qu’on pouvait vouloir que « cela » finisse car le corps malmené révèle vite ses limites. Il ne reste alors que des respirations saccadées, des pensées confuses, un désir d’avilissement programmé puisque l’accepter est la promesse d’un arrêt des sévices et d’un départ. Elle ne savait pas qu’on pouvait dire « assez ». Et après les reptations, les coups, les attentes, les longs doigtés insistants, les fellations qu’il a demandées, les photos qu’il a prises pour sa « collection personnelle » dont elle suppose qu’elle est la nième femme, elle a demandé qu’il parte. Narquois, insolent, il a dit « oui ». Mais, prise dans cet entre-deux du plaisir et de la honte, elle a su qu’il reviendrait et qu’elle le recevrait.
Le Mentor, le Guide. Celui qui sait. Dans l’île parfumée, elle l’aurait donc rencontré ? J. n’était pas conforme au rôle. Directif, oui. Il est performant.
Cela signifie qu’elle a changé et qu’elle n’est plus destinée à l’usage qu’en faisaient l’homme vieillissant et ses amis changeants. Lui, le jeune homme au corps fin et nerveux, à la parole dure et ferme, l’a compris. Du reste, quand il revient, il se montre impitoyable et, nonobstant la naïveté dont elle a pu faire preuve lors de la première séance, il la contraint, la bafoue, criant, giflant, riant, attendant qu’elle se reprenne pour mieux la harceler, la contrôler, exigeant le plaisir, défendant qu’elle en prenne, lui demandant ce qu’elle aime pour mieux le contrer.
Directif. Le jeune homme qui tempête. Hurle. Le visage exalté. Les joues rougies. Le torse nu. Et elle, France, obéissant, cajolant, attendant de lécher, d’embrasser, de caresser, se laissant mettre un doigt puis deux, grande bonté et douceur de sa part, il le dit lui-même.
Il l’a dit. Elle l’a cru. Six heures durant. Après cela, elle n’a plus la même image des corps. Ceux de la petite chambre s’éloignent. Ils n’ont pas tenu la comparaison face à lui qui lui a dit que le sien, un peu maladroit et rond, devait être domestiqué et pouvait
L’être. Qu’il fallait juste le malmener pour que de lui-même, il permette à ses orifices de s’ouvrir naturellement. Au fond, une femme mouille vite et bien si tant est qu’on la dresse comme il convient. Alors, n’importe quel objet contondant la rappelle à son plaisir.
Elle a été dressée, elle a compris.
Les vacances arrivant l’ont libérée de Directif et de son imagination fertile. A son retour, il l’a appelée. Elle l’a revu un peu, tout effrayée.
Puis, elle a mis fin à ces rendez-vous.
Il n’y a pas vu grand mal.
Là-bas, dans l’île au parfum de vanille, elle a, des mois durant appris que son corps peut avoir plusieurs usages. Les jeunes gens de la chambre pleine d’ombre lui en ont indiqué un bienveillant. Les deux Maitres pervers. Il y aurait donc une façon d’être propre ou sale quand on tourne et se retourne pour contenter suivant qui vous sollicite ?
Si c’est le cas, J. et Directif lui ont fait comprendre qu’elle était sale. Sinon, pourquoi aurait-elle trouvé leur adresse ?
Dans la petite ville où elle habite, France pense à eux.
Lisse et douce, conquérante.
Obéissante, utilisée, salie.
Qui est-elle maintenant ?
Les adolescents persifleurs dont elle a momentanément la charge en sauraient-ils quelque chose ?