Battles. Partie 4. Le bureau de l'instructeur Winger.
Paul entra.
DS. Cinquante-quatre vingt-trois. Deux cent sept neuf.
La disposition des meubles était la même : le bureau, l'armoire, les deux chaises, une autre petite table sur laquelle se pencher pour être mieux cravaché...Manquaient les piles de dossier, le magnétophone, le portrait de Dormann sur le mur et les instruments de torture à leur place dans l'armoire...Les menottes pour attacher à la chaise, les bandeaux pour priver de vision, les couteaux effilés, les pinces...Livide, Paul s'assit sur la chaise des détenus. Qui avait succédé à Markus ? Pendant combien de temps ? Le dernier en date avait-il son don unique pour les gifles, les crachats, les hurlements, les propos violents ? Alternait-il aussi facilement les traitements qu'il réservait aux prisonniers qu'on lui confiait, les menaçant puis les cajolant, les consolant puis les obligeant à lécher ses bottes ? Paul, de plus en plus abattu, se leva et alla ouvrir l'armoire. Elle était vide. Les tiroirs du bureau aussi, l'étaient. Plus rien n'était là mais le cauchemar ne disparaissait pas. A mi-voix, Paul se mit à parler :
-Bonjour Markus. La nouvelle de ta mort violente a du émouvoir, ici.Ton remplaçant a du être monstrueux. Tu étais très sûr de toi mais, tu vois, à l'extérieur, tu t'es heurté à des résistants très déterminés. Ils sont tous mort maintenant, je l'ai su. J'ai rencontré d'autres membres de leur faction. Je sais que ça te réjouis mais malgré cela, tu n'as pas eu raison.
Le silence répondit à Paul qui, pourtant poursuivit :
-Je me suis toujours demandé comment tu en étais arrivé à aimer cela : torturer, extorquer des aveux, dépouiller ceux qu'on te livrait de toute dignité. Je sais qu'avant moi, tu y étais parvenu...Comment un être peut-il à ce point être déserté par toute humanité et considérer qu'il n'aime que le devoir ? Ces femmes que j'ai enseignées ici, elles sont toutes mortes. Tu le savais déjà quand tu m'as dit de leur donner des cours...Elles n'avaient déjà plus rien...Tu as dû être un des ordonnateurs...On a tiré sur elles...Et ces pauvres jeunes filles contraintes de se prostituer...
Les murs d'un blanc mat, les meubles réglementaires, la lumière vive des néons, le carrelage...
DS. Cinquante-quatre vingt-trois. Deux cent sept neuf.
-Tu me faisais la morale, crachais sur mon mariage maudissais mes enfants et dans le même temps où tu faisais en sorte que je sois bestial avec ces jeunes femmes que tu contraignais, tu l'étais toi- même avec des garçons. Tu les battais ensuite ?
Seul le silence régnait.
-J'ai combattu tes idées et continuerai de le faire, dans mes livres ou d'une autre façon. Mais tu es celui qui est mort deux fois et tu me restes énigmatique...
Il guettait, il attendait. Il avait être peut -être oublié une cache. Il y avait un minuscule cabinet de toilette à côté du bureau. Mais il n'y trouva rien.
De nouveau, Paul se heurta au silence puis il ajouta :
-Tu crois malgré tout que tu as eu raison ? Je sais ce que tu as en tête, je sais ! Ma vie personnelle évolue et toi bien sûr, du plus loin de ta mort, tu cherches à me dire que tout est inutile. Tu te trompes. Plus rien n'est monstrueux.
Il revit la cravache sur la table puis se réjouit qu'elle eût disparu.
-Ton marquage à vie était un marquage provisoire. Saisis-tu la différence ? Tu t'es trompé.
Il se leva et tourna un moment en rond dans le bureau puis il appela :
-Instructeur Winger ! Markus ! Instructeur Winger...
Il n'y eut aucune réponse et au bout d'un moment, Paul insista :
-Je suis un homme libre !
Au bout d'un moment, il se rendit compte : il avait crié, on l'avait entendu. Il s'assit cependant et resta silencieux. Aucune réponse ne lui vint. Toutefois, son regard fut attiré par une petite mèche de cheveux blonds posée au sol. Comment pouvait-elle se trouver là ? Il se pencha, la prit entre ses doigts et resta interdit. C'étaient des cheveux fraîchement coupés. Il se mordit les lèvres et attendit. Il n'y eut rien de plus.
Quand il sortit, la mèche de cheveux était toujours posée sur le bureau. Elle brillait. Il s'aperçut que Esmed qui aurait du se trouver au bout du couloir, lui faisait face.
-Tu ne devais être là
-J'ai désobéi et l'autre n'a rien pu faire. Sauf téléphoner.
-Bon, c'est fini.
-Ah, tu crois ?
Esmed était transformé. Il était furieux.
-Je parle de cette partie de la visite.
-Tu as parlé à quelqu'un.
-Non, pas vraiment.
-Je t'ai entendu !
-Je t'expliquerai...
-Non, explique tout de suite. C'est là que tu as été interrogé ?
-Rééduqué.
-Tu parlais à ton instructeur alors ?
-Tu le sais, tu m'as entendu.
-Mais il est mort, non ? Il t'a répondu malgré tout ?
Paul toisa Esmed et ne répondit pas. Ils rebroussèrent chemins en silence et se retrouvèrent au centre de l'étoile, dans les services administratifs.
-Merci, monsieur Esrend. Ce fut fort instructif et fort bien guidé.
-Tout le plaisir était pour moi.