Battles. Partie 4. Paul et Alstrholm. Retrouver Etoile.
Paul devait maintenant rencontrer Per Alstrohm, son second informateur. Nettement plus stylé que son prédécesseur, il devait avoir trente-cinq ans et portait beau. Il fit preuve d'habileté et de sollicitude.
-Nous allons laisser monsieur...
-Keretz.
-Keretz donc visionner les documents qu'ils souhaitent dans cette salle. Ils seront présentés bientôt dans diverses expositions et sont au point. Et pour ce qui nous concerne, vous allez me suivre. Ils prirent place dans un bureau coquet et bien chauffé.
Esmed fit un signe de tête. Il ne voulait pas.
-Un instant, dit Paul à son guide.
Il s'écarta pour parler au jeune homme.
-Tu dois attendre.
-Tu te retournes contre nous ! Je savais que tu le ferais !
-Mais non !
-Tu es un menteur. On dirait que tout ce qu'il y a ici te fascine !
-Ce n'est pas exactement cela. On parlera plus tard.
-Pourquoi plus tard ?
-Je dois poursuivre.
Esmed était sidéré et blessé.
Per Alstrohm fut d'une exquise politesse.
-Revenir dans ces lieux doit être très éprouvant.
-Oui, ça l'est.
-Nous avons beaucoup à nous dire mais avant que nous discutions, je pense que manger quelque chose vous ferait du bien...
-Je ne dis pas non. Nous avons beaucoup marché.
Paul se sustenta puis ils parlèrent.
-Sachant que vous viendriez et qu'il fallait tout de même nourrir vos réflexions, je vous ai préparé des dossiers sur le naufrage de cette prison. Il est bon de savoir que tout ce qui s'y passait de mal a pris fin...Vous y trouverez des photos saisissantes des derniers jours de son existence ! Vous saurez aussi ce qu'il est advenu des prisonniers et quel sort a été réservés aux administratifs coupables de faits dégradants, car il y en a eu. Vous vouliez savoir ce qui était advenu des instructeurs, je crois. Rien n'a été ébruité mais aussi affolant que cela puisse paraître, ils se sont tous donnés la mort. Certains l'ont fait quand le mécanisme de la prison s'est enrayé car il y a des émeutes et des révoltes ici. Les autres se sont tués après. Le plus curieux est qu'ils avaient réussi à s'enfuir et à se cacher...Ils avaient moins de chances d'être reconnus que les gardiens de base, qui rudoyaient beaucoup de prisonniers, mais voyez-vous, ils l'ont fait...
-Le mien est mort dans une embuscade.
-Oui, c'est une exception.
Il fit apporter du café et une riche collation car l'heure tournait et Paul paraissait avoir froid.
-Je crois que vous savez qui ont été vos délateurs...
-Oui.
-Ils sont vivants ?
-Certains d'entre eux, oui. Ils se portent fort bien !
-Il y avait beaucoup de dénonciations calomnieuses, je ne vous apprends rien et d'autres très arbitraires. Mis à part les droit commun, dont a, quand on l'a pu, réexaminé les dossiers, la plupart des gens qui ont été emprisonnés ici ont recouvré la liberté. Leurs séquelles sont diverses. Quant à tous ceux qui encadraient les prisonniers, certains ont été sanctionnés et d'autres font l'objet de recherches...C'est une période compliquée...
-Oui, je m'en rends bien compte.
-Je ne vous cache pas...
-Qu'ils ont retourné leur veste, je m'en doute bien.
-Mais vous souhaitez qu'on en revienne à votre cas, ce qui est compréhensible...Vous en savez plus que moi sur celui qui devait vous rééduquer donc je n'insisterai pas. Par contre, pour avoir bien étudié la question, je dirais que les instructeurs n'étaient pas tous comme lui. En général, ils étaient moins violents physiquement car ils laissaient ce soin à d'autres ; par contre, ils pouvaient interroger jour et nuit, ce que le vôtre n'a pas fait. Une fois le programme de rééducation enclenché, il suivait de prêt leur proie mais il n'y avait pas forcément d'élection. Votre instructeur semble vraiment vous avoir choisi. Il voulait s'attacher à vos pas. Je n'invente rien, je vous ai lu. Ce n'était pas courant d'agir ainsi...
-Vraiment ?
-Oui, vraiment. Et ça a dû rendre votre tâche difficile car vous avez reçu de la détestation mais aussi de l'empathie.
-Un damné à qui on explique qu'il a droit à une étrange rédemption...
-J'imagine que c'est cela et je pense que vous avez su trancher dans le vif.
-Je pense. Néanmoins...
-Oui, je vous écoute.