Battles. Partie 4. Neuf ans loin d'Etoile.
Il savait que le centre pénitencier de Dannick avait été réaménagé et cela le soulageait ; mais Etoile le faisait souffrir. Il voulait y retourner. Ni Lisbeth ni Magda, à qui il confia son projet, ne parurent d'accord.
-Ce sera difficile, Paul.
-Mais cela fait plus de neuf ans.
-Même. Ils tentent de transformer la prison pour en faire un sanctuaire de la douleur mais je te connais bien : ce sera brutal.
Son épouse était hostile à ce projet et le resta. Magda, elle, changea d'avis.
-Nous irons avec vous. Vous seriez seul là-bas avec quelques officiels ! Ce serait terrible. Esmed ira voir les siens, comme il le fait souvent. Moi, je vous accompagnerai. De grands travaux ont été entrepris...
-Oui, je veux voir ces aménagements.
Le terrain semblait plus sûr et Paul, qui avait renouvelé sa demande, obtint une réponse positive. Restait à fixer une data. Il le fit et avertit Magda.
-J'ai les autorisations. Ça aura pris beaucoup de temps.
-Il va vous falloir être très fort, Paul.
Magda organisa tout. Ils partiraient trois ou quatre jours, pour que la charge émotionnelle puisse être assumée. On irait d'abord voir la famille du jeune pianiste. On serait cinq car au chauffeur, il faudrait adjoindre un policier capable d'intervenir en cas de danger. Un vaste 4X4 serait réquisitionné pour l'occasion. Tous attendirent puis le jour vint. Paul qui avait coutume de voir Magda en tailleur ou robe élégante, fut donc surpris et amusé de la découvrir en pantalon et pull-over, une confortable veste matelassée la protégeant du climat rigoureux des montagnes vers lesquelles il se dirigeait. Comme elle le faisait la plupart du temps, elle avait ramassé ses cheveux sur sa nuque en un chignon que maintenaient de petites épingles, et elle s'était fardée les yeux et les lèvres. Il émanait d'elle une assurance tranquille et une paix à laquelle il était très sensible. Elle lui faisait penser à ce halo du phare auquel les marins perdus se raccrochent dans la tempête et la nuit ou encore à cette Vierge stoïque que les Apôtres vénéraient au Cénacle. Il faudrait plus de quatre heures pour gagner Vardard mais ils feraient des pauses. Ils verraient ensuite la famille d'Esmed puis Paul et Magda rejoindraient leur auberge. Le lendemain, il rejoindrait Étoile par des routes escarpées et sans doute encore difficiles. Le printemps qui éclatait dans la capitale n'honorait pas encore le nord du pays...En route, ils bavardèrent et vers treize heures, ils arrivèrent à bon port.
La bourgade où avaient été exilés les parents d'Esmed était d'une tristesse sans nom et la maison qu'on leur avait attribuée d'une laideur pesante. Madame Kerretz était sur le seuil. Elle n'était pas très grande, très mince et toute vêtue de gris. S'efforçant de faire bonne figure, elle souriait. Quand Esmed s'avança vers elle, elle lui parla comme s'il avait huit ans et lui caressa la joue.
-Tu t'es assez couvert, mon chéri ! Toi et tes rhumes...
-Je suis en forme, mère !
-C'est qu'il fait froid, ici !
Et se tournant vers Paul, que Magda lui avait présenté, elle ajouta :
-Esmed ne sait pas ce qu'est le froid ! Toujours sans cache col, sans gants, sans bonnet...Mais avec ça de grosses bronchites …