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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
12 mars 2024

Battles. Partie 4. Les Keretz : une famille assignée à résidence.

MEDIT

Ils entrèrent dans un salon meublé aussi bien que possible. Max, le père était souffrant mais Irina, la sœur aînée d'Esmed était là. Paul eut peine à croire qu'elle n'avait que vingt-huit ans tant sa mise était sévère et son air mélancolique. Elle avait les cheveux tirés en arrière et une robe stricte. Paul se dit que déjeuner avec ces deux femmes serait une épreuve mais il fut surpris. Contrairement à ce qu'il pensait, Inna, la mère, n'avait pas  perdu tout contact avec la réalité. Elle était vive d'esprit, cultivée et pertinente :

-Retour au pays, monsieur Kavan, heureux ?

-Très !

-Que vous ayez échappé à ce qu'ils vous ont fait est un exemple pour nous tous ! Il faut des gens comme vous. Des gens qui nous rassurent.

-J'ai fait ce que j'ai pu, madame.

-Et vous êtes parmi nous pour longtemps encore !

Irina, elle, aborda le problème des compositeurs ambraniens que le régime déchu avait plongé dans l'oubli. Elle souriait, bien loin de l'image tourmentée qu'elle lui avait donnée à son arrivée.

-Là-aussi, il y a beaucoup à faire. Un certain nombre d’œuvres négligées sont reprogrammées ! Nous sommes plusieurs à y avoir veillé.

-C'est heureux.

Magda, jusqu'à présent, s'était montrée discrète. Elle s'était fait aider pour décharger des provisions par une petite auxiliaire qui servait là puis s'était glissée dans la chambre du père.

Toute vive, Inna reprit la parole et changea de sujet :

-Vous suivez les concerts d'Esmed ?

-Presque tous.

-Il est à la hauteur ! Nous lui avons donné le goût de la musique.Il a commencé à neuf ans ! Chez nous, de toute façon, tout était musique...Et puis avec mon mari !

Même Irina, la grande sœur, était joyeuse,

-Tu devais être si beau, Esmed ! Et tu as du jouer magnifiquement ! Premier prix au conservatoire quand même !

-Inna, tu es une magnifique violoniste. C'est juste que tu veux rester ici en ce moment.

-Oui, Esmed, je le souhaite.

Le repas, plutôt simple, était bon. Magda était réapparue et se montrer chaleureuse avec les deux femmes. Tous, Esmed compris, furent bavards et joyeux. Après le café, Paul demanda à Irina de chanter.

-Je sais, madame, que vous avez été cantatrice.

Elle interpréta deux ballades traditionnelles d'une voix de soprano qui n'avait rien perdu en beauté. L'émotion s'empara de Paul. Quand il jouait les fats à Dannick en refusant de voir ce qu'il se passait, cette femme enchantait les salles sans qu'il fût sensible à son art. Puis Inna joua Max Bruch au violon et là aussi, il se sentit triste. Cette jeune fille qui ne croyait plus en son avenir avait dû penser plus jeune qu'il serait radieux. Il chercha le regard d'Esmed pour lui transmettre son admiration mais celui-ci détourna les yeux. Lui aussi était mélancolique. Sur l'instigation de Magda, il fit la connaissance de Max Kerretz. Il était alité dans une chambre aux rideaux tirés, une lampe de chevet allumée près de lui. Son fils lui ressemblait beaucoup.

-Monsieur Kavan ! J'ai dirigé le Philharmonique de Dannick, vous savez et puis, j'ai eu quelques ennuis. Là, je relève d'une vilaine grippe, sinon, je vous aurais rejoint...

Il avait le visage défait et n'aurait pu se lever mais il gardait toute sa tête. S'en suivit une conversation à bâtons rompus. Max était un homme stylé, très cultivé qui avait adoré diriger un orchestre. Ne plus être chef d'orchestre avait une immense humiliation.

-Avec Beethoven, mes musiciens se surpassaient. Nous avons eu de grands succès ! J'ai gardé des enregistrements !

Cependant, Magda et Paul durent se retirer à regret, laissant Esmed en famille.

-Ne vous inquiétez pas pour eux. Il y a petit piano droit. Ils en joueront et chanteront ensemble. C'est ce qu'ils font à l'habitude. Après quoi, sa mère offrira à son fils un pull trop grand ou trop petit, qu'elle aura fait pour lui et il réussira à la faire rire. Malgré tout, ils s'adorent...

 

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