Battles. Partie 4. Infaillibles et cruels instructeurs.
-Vous présentez les instructeurs comme des êtres sans faille...
-Ils avaient la formation requise.
-Pourtant une fois, je me souviens, ma gardienne m'a incité à la posséder. C'était en dehors de tout ordre, de toute consigne ; Mon instructeur en a été incommodé...Il semblait ne rien avoir contrôlé.
-Les candidats à la rééducation étaient si peu nombreux et ceux qui les encadraient si rigoureusement choisis que je peine à vous croire. Ça aura été une ruse de plus...
Paul, qui avait enfoui au plus profond de lui cet épisode avec la gardienne Xest, savait désormais de quoi il retournait...
-En même temps, je voudrais nuancer l'avenir que vous auriez eu à Dannick avec lui. Ces gens-là avaient des codes moraux qui leur étaient propres. Je dispose sur certains instructeurs de documents secrets qui m'ont permis de mieux cerner leur personnalité. Le vôtre paraissait intouchable. A priori le directeur en place, bien que marié et père de famille, avait du goût pour lui. Ils se voyaient discrètement. Ne croyez pas que je m'érige en juge face à ce type d'attirance. Ici, il y a une note perverse. Voyez-vous, celui dont on vous a crédité avait de forts appuis politiques.
-De type à intimider un directeur de prison ?
-A sérieusement l'influencer, oui. Même si vous lui êtes supérieur, face à quelqu'un d'aussi puissant, vous cédez.
-Tue celui-ci, ne tue pas celui-là...
-Je crois que c'est cela. Il y a aussi : celui-là, laisse-moi jouer avec lui comme je l'entends. Et cet autre, je n'en veux pas...
Paul apprécia mais resta silencieux.
-Monsieur Kavan, les instructeurs étaient malgré tout programmés pour tuer. J'ai donc quelques raisons de penser que son maintien à vos côtés une fois que vous seriez devenu l'un des chantres du régime n'aurait pas été paisible. Un écart, même involontaire, et vous étiez perdu.
-J'y ai souvent pensé.
-Ceci dit, il avait une relation étroite avec vous. Il se serait peut-être contenté de vous intimider...
-Il l'aurait fait au début. Mais changeons de sujet. Dites-moi, vous avez entendu parler de traitements médicamenteux et d' opération...
-Oui. Ce qui se pratiquait sur les prisonniers politiques...Ce sujet ne fait pas encore l'objet d'une information grand public.
-Je m'en doute bien.
-Cette façon de vous contrôler était abjecte. Là, où vous êtes allé ensuite, on a dû vous soigner pour cela...
-On l'a fait.
-Permettez-moi de revenir sur le sujet. Je suis avant tout un historien doté, je l'espère, d'une certaine psychologie. Ne perdez pas de vue qu'on vous a livré à quelqu'un de diabolique...Ce qui est surprenant, c'est que vous soyez là. Voyez-vous, je me suis penché sur la question suivante : qu'en était-il des candidats à la rééducation ? Environ soixante-quinze pour cent intégrait le système pour lequel on les avait préparés. Inutile de vous dire que l'effondrement de la dictature les a laissés démunis. Comme je vous l'ai dit, ils ont mis fin à leurs jours. Il aurait été difficile de savoir quoi faire d'eux, de toute façon. Dix pour cent ont été suicidés car ils ne réagissaient de façon inadéquate à leur transformation. Certains étaient devenus fous...Enfin, les cinq pour cent restant ont été des dissidents. Ils ont tenté de s'évader et sont morts dans les montagnes sans qu'on s'acharne à les retrouver. Ils se sont épuisés d'eux-mêmes. Il s'agit ici d'une moyenne. Les instructeurs, au départ, étaient beaucoup moins efficaces. En dix ans, ils sont devenus très performants.
-Et ceux qui sont dans mon cas ?
-On a tenté de s'emparer de certains d'entre eux, dont vous, pendant leur convoyage ou dès leur arrivée à Dannick mais là encore, les chiffres sont alarmants. Vous êtes très peu à vous en être tirés et le fait est que rares sont ceux qui ont voulu retrouver leur pays...
-Et encore plus rares ceux qui sont revenus dans cette machine à broyer...
-Oui, l'expression est juste. Toutefois, il s'agissait d'une machine complexe qui fabriquait beaucoup de produits de première nécessité et offrait des emplois en débarrassant la société d'éléments nuisibles. Je ne vous apprends rien : la propagande a été efficace. On a trouvé Étoile très productive...
Paul en avait assez appris. Il consulta les dossiers que son interlocuteur lui montrait et en reçut des copies puis il l'interrogea sur le devenir de la prison. Après lui avoir longuement répondu, Per Alstrohm lui dit encore :
-Il y a déjà une petite ville ici et honnêtement c'est très bien ! Les jeunes générations ne devront plus avoir peur de cette zone et de cette prison. Bien sûr, le climat est rude mais ceux qui vivent déjà ici trouvent à se distraire. Alors, une grande !