George D. Celui qui meurt. Partie 1. Une Italienne meurtie.
Dans le sud de la France, un bande de jeunes artistes venant d'horizons différents passent la période des fêtes dans une belle villa. Chacun parle à son tour. Ici, une jeune Italienne prend la parole et évoque sa vie. Elle parle aussi d'un homme désespéré qui crierait près de la villa...
J’avais trente-deux ans. Xavier restait, dans mon imaginaire, le type d’homme qui ne fait pas de mal à une femme. Il avait eu une brève liaison avec moi et c’est lui qui Y avait mis fin. Physiquement et intellectuellement, je ne correspondais pas à la femme qu’il voulait rencontrer mais il avait pour lui deux grandes qualités : le tact et l’humour. Cette jeune fille de vingt-trois ans qu’il n’était pas pour lui une amoureuse, il lui proposait une amitié sincère. Puisqu’on habitait sur des continents différents et avions des partenaires différents, on pouvait beaucoup partager ! Eh bien, on l’a fait. Il avait eu la primeur de mes émotions anglaises, australiennes, hollandaises et américaines tant pour ma laborieuses ascension professionnelle que pour mes tumultueuses amours. Il m’avait parlé de ses rencontres avortées puis de l’amour qu’il avait éprouvé pour sa future femme. Il m’avait parlé de la naissance de ses deux enfants. Enfin, il m’avait raconté ses errances dans le monde des promoteurs immobiliers. Il s’en tirait bien. De mon côté, je l’avais pris comme confident de mes échecs amoureux. Voilà bien quelqu’un qui aurait pu souligner mon caractère entier et emporté et ma façon d’intimider les hommes ; il ne l’avait pas fait. Il ne jugeait pas. Il m’avait dit une fois qu’une fois que j’aurais résolu ce problème d’intimidation et cessé de vouloir prendre barre sur mon partenaire, tout irait beaucoup mieux. Il ne s’embarrassait pas de psychologie, Xavier. Pour lui, il fallait juste que je cesse d’être cette Italo-américaine qui se la jouait et récitait en secret les pamphlets féministes des années soixante-dix que sa timide de mère n’avait jamais fait sien. Il était sûr que si j’allais à Milan, je changerais…Et attendant, je devais miser sur ces vacances inattendues pour lentement mais sûrement opérer un changement…
-Un Canadien, un Danois, les deux dansant à Toronto et puis un Anglais, un Australien et une Hollandaise ?
-Voilà.
-Dis-moi, c’est une chance ! Seulement deux femmes pour tous ces mâles ?
-Guillaume est fiancé et sa promise viendra quelques jours.
-Et l’Anglais ?
-Il a une amie mais je ne sais si elle viendra.
-L’Australien ?
-Il a une compagne et il lui est fidèle. Elle ne pourra venir et lui, de toute façon, ne restera pas forcément tout le temps du séjour.
-Il reste le Danois.
-Je ne sais pas où il en est, lui…Théoriquement, il a un compagnon.
-Qui sait…
-Ce sont des amis. Il ne faut pas tout mélanger…Et de toute façon, tu oublies l’Américaine…
Xavier s’est mis à rire. Il était sûr que tout irait bien. Pour ne pas me mettre en peine, il avait dit à l’homme de peine de faire des courses. Tous mes invités arrivant dans les quarante-heures à venir, l’inspection des achats m’a déçue. Qu’à cela ne tienne, Xavier m’a aidé à « dévaliser » un supermarché et des épiceries fines. Après quoi, il m’a mise en boite :
-Qui fera la cuisine pour tout ce monde-là ?
-Moi. Une femme de ménage est prévue mais pas une cuisinière.
-Tu vas crouler sous le travail et ce sera pesant !
Non, car c’est moi qui invite…
-C’est très généreux mais tu vas t’épuiser ! Allons, laisse-moi t’aider.
-Comment cela ?
-Je connais quelqu’un qui fera l’affaire. Elle se fait payer mais vous êtes nombreux. Elle travaille souvent pour la villa et crois-moi, ils ont leurs exigences. Dîners raffinés et à thème. Produits frais. Spécialités locales. Pour un peu, elle pourrait imprimer les menus en provençal et porter un costume traditionnel !
-A ce point ? D’accord, c’est une bonne idée mais…
-Elle se présentera demain : Elisabeth Bellini.
-Ça sent l’Italie…
-Non, la Provence. Attention, elle est susceptible…
Tout était de bon augure. Il me restait à passer ma première nuit dans la grande villa. Je l’ai fait. Au début, j’ai été contente, ai regardé un DVD dans l’immense salon et bu un verre de vin blanc fruité avant d’aller dormir. Passer dans le monde des rêves m’a permis cinq heures de repos total et de bonheur car, à la fois lisses et déroutantes, des images merveilleuses de montagnes enneigées, de lacs exotiques, de plages tropicales tout de même court-circuités par les étranges créatures ailées ou cornues qui s’y promenaient. Belles ou difformes, elles enrayaient l’évidente beauté de ces paysages rêvés en la complexifiant quand elles ne la faisaient pas disparaître. Malgré tout, c’était émerveillant, c’est pourquoi j’ai regretté que, soudain, l’angoisse me laisse si seule dans l’obscurité.
Quelqu’un, pas loin de la villa, hurlait à la mort et je ne savais qui c’était. Ça m’a tétanisée et je n’ai plus dormi. Ce n’était pas un Français, j’en avais l’intuition. Il venait d’ailleurs. Il s’était sauvé, coupant les ponts. Au cœur de la nuit, il ouvrait les yeux sur l’horreur et s’apprêtait à quitter ce monde.
A plusieurs reprises, j’ai crié. Au matin, m’étant tout de même rendormie, j’ai eu un appel de Carolyn et de Marjan. Elles s’étaient retrouvées à Paris et faisaient route ensemble depuis que leur avion s’était posé à Nice. Oubliant mon inquiétude, j’ai contacté une sorte de brunch-déjeuner-dîner, tenant compte des voyages plus ou moins longs qu’elles avaient dû faire et de l’envie qu’elles auraient de se poser et d’être au calme. A peine arrivées, elles ont couru partout : tout leur plaisait. On a picoré, bu modérément et fait le tour du propriétaire. On devisait devant la cuisinière est arrivée pour se présenter. Elle avait la cinquantaine, était très ronde mais ne manquait pas d’aplomb. En outre, contrairement à tant de femmes que le surpoids pénalise, elle m’est apparue comme alerte et harmonieuse. Elle a voulu me montrer ses références mais la parole de Xavier me suffisait. Elle était rassurante et, sans en avoir la moindre conscience, m’a aidée à m’apaiser.
L’homme qui voulait mourir continuait, je le savais, de gémir et de haleter tout près de la villa. Il me faisait peur. Je voulais que les garçons viennent. Ils me rassureraient.
Le lendemain, Nicholas est arrivé de Londres et Jonathan de Paris où il s’était autorisé une halte pour se remettre de son très long vol en provenance d’Australie. On a fait une courte ballade dans Roquebrune avant de retourner à la villa pour parler de tout et de rien. En dernier lieu, Guillaume et Erik nous ont rejoints.
On était huit dans la belle villa. Les vacances commençaient et on en était heureux. Qu’un homme, à l’extérieur, continue de hurler et d’appeler au secours, j’étais seule à le savoir et, ne disposant d’aucun élément pour infirmer ma position, je n’en ai parlé à personne. Cet appel déchirant ne pouvait cependant me laisser indifférente. Il faudrait, de toute façon, que je sorte du silence.