Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
22 août 2022

George D. Celui qui meurt. Partie 1. Moi, George, je suis méconnaissable...

PARIS

3 George. Paris. Décembre 2015. Arrivé épuisé à Paris, le chanteur George Daniel, lassé de tout, se fait horreur. Que fera t'il? 

Je suis méconnaissable. C’est bien. J’ai élu domicile dans un hôtel moyen de gamme. Voilà qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps, d’autant que le beau jeune homme qui tentait de garder les yeux ouverts à la réception a regardé mon passeport d’un œil endormi avant de m’adresser un sourire de commande...

En prenant ma douche ce matin, je me suis fait horreur. Tout s’effondre en moi, physiquement aussi. Pourquoi ai-je désormais l’air épuisé et le teint blafard ? On a tant dit que j’étais beau…

Je suis parti sans rien dire : ils ne comprendront pas et surtout, ils se déchaîneront. Je ne peux pas rester à Paris. Déjà là, j’ai l’impression de devoir me déguiser. En fin de compte, je m’estime heureux que « mes excès » me permettent un incognito relatif. Je viens à peine d’arriver…Ils sauront…Ils trouveront comment me joindre. Jeter son cellulaire à la corbeille, ça ne sert à rien puisque de toute façon, j’en achèterai un autre. Je laisse les messages sans réponse. Ils appellent et ils crient. Bientôt, la mémoire de mon portable sera saturée. Je guette cet instant magique…

Je ne peux pas rester ici, dans cette ville fantastique où errent trop de fantômes…Je ne peux en fait que retrouver les jours anciens, les retraverser et tout est souffrance…Pourtant, au départ, les dieux étaient de mon côté…

La musique, dès le départ. Rien d’autre. Je n’avais, à sept ou huit ans, aucune idée de la forme que cela prendrait mais un désir tenace m’animait er m’enfiévrait.

Dans ma famille, on ne jouait d’aucun instrument. J’étais petit. Mes idées étaient confuses. Le saxophone me plaisait car la sonorité en est belle, si sombre par instants et étincelante par d’autres. Il y avait aussi le piano et la guitare. Je vivais dans une banlieue assez pauvre de Londres où les gens travaillaient sans cesse. Pour ne pas perdre tout espoir ils se raccrochaient à un rêve de réussite sociale, que celui-ci fut magnifique ou modeste. Quelquefois, on me laissait entendre qu’un tel déménageait pour un quartier plus représentatif et « allait s’en sortir ». J’étais content. On pouvait suggérer le contraire et alors j'étais triste. Des impayés nombreux, la chute, la misère. On restait dans un « là » qui était inconfortable. Il y avait tant d’hommes et de femmes qui trimaient pour si peu que les laisser pour compte étaient regardés avec un mélange de pitié et de dédain. Je n’ai pas tant de souvenirs de ceux qui tombaient. J’étais avec les autres, ceux qui sortaient la tête de l’eau…Allez savoir pourquoi, alors que je suis si abattu, cette image me fait rire ! Je pense à des canards !

Mon père était un immigré chypriote qui, péniblement, s’était initié à la restauration « anglaise ». Il voulait dire par là qu’il servait à ses clients une cuisine grecque goûteuse mais adaptée. Enfant, j’avais des relations difficiles avec lui. Il parlait anglais avec un fort accent, s’en voulait de ne pas le perdre et travaillait comme un forcené. Il avait beaucoup d’abattage mais, par bien des aspects, il m’effrayait. Il rentrait tard et avait toujours l’air fatigué, ce qui le rendait difficile d’abord. On ne pouvait pas se parler sans se quereller. Je portais le même prénom que lui et je me souviens que très jeune, j’en restais mal à l’aise comme si je me trouvais dans l’obligation d’être comme lui. Je ne le voulais pas… De ce point de vue-là, je n’ai rien lâché et la Pop star que je suis devenue a tenté de se détacher de cet être ventripotent. En vain ! Je tiens de lui et ai hérité d’une sorte de démesure grecque qui fait de moi un homme excessif, C’est vrai, je ne l’ai pas encouragé à beaucoup me côtoyer. Il a compris très vite, en bon méditerranéen qu’il était. Cependant, il s’est montré bien plus habile qu’attendu. Il a bien compris qu’il ne fallait s’attendre à de petits enfants avec moi mais il a fait preuve d’une grande droiture et d’une grande loyauté. Il a, au fil du temps, accepté qui j’étais.

Pour la musique, tout jeune, j’ai dû passer par lui, malgré mon appréhension. Il fallait qu’il nous aide à démarrer, les parents d’Andrew ne pouvant subvenir à tout. Contrairement à ces derniers qui ont tout de suite été persuadés qu’ils misaient sur le bon cheval, mon père a été certain qu’il mettait de l’argent sur un piètre coureur, incapable de gagner une course. Il a cédé en rechignant. Puis, il a découvert avec stupéfaction que j’étais excellent tant en endurance pour le saut d’obstacle. Un pur-sang ! Il n’en est pas revenu…Si ce n’est que je ne me préparais pas en tant qu’athlète pour les jeux olympiques mais pour chanter à Wembley. Je l’ai convaincu peu à peu et lui ai offert une Rolls Royce. Il a aimé.

Ma mère, elle, ne doutait pas. Elle sentait que j’avais du talent. Je l’aimais, elle, Lesley. Encore jeune, elle avait de bonnes joues rouges et des yeux bruns pétillants. Elle me serrait fort contre elle quand j’étais bébé et n’a jamais cessé de le faire jusqu’à sa mort comme s’il ne lui suffisait pas de me donner de l’amour. Je me souviens très bien de son étonnement quand j’ai parlé de la musique. Sur de petits cahiers, je recopiais des chansons mais aussi des partitions. Elle est la première à avoir compris que j’étais attiré par le solfège. Oui, je connaissais les notes de musique et leur pouvoir. Elle en a été très surprise et comme flattée. Mon premier instrument de musique a été une guitare sèche. Un certain monsieur Lindsay me donnait des cours aussi peu porteurs que son austérité et son incompétence l’y autorisaient. Je me suis plaint et ma mère a trouvé mieux. J’avais un peu grandi et elle m’a inscrit à l’école de musique du coin où j'ai très vite progressé. Très vite, on a vanté mon oreille musicale et ma facilité à apprendre à jouer d'un instrument. J'ai voulu m'attaquer au piano et je l'ai fait avec la même rigueur. En

Patricia et Helen, mes deux sœurs, se débrouillaient bien mieux que moi à l’école et avaient meilleure presse. Elles étaient assez distantes avec moi, estimant que je j’étais le préféré de ma mère et le point d’interrogation de mon père. Il les adorait pour sa part et elles ne tenaient, pour aucune d’entre elles, à ce que la situation s’inversât. Ma mère, elle, avait une pudeur instinctive. Elle tentait, par tous les moyens, de favoriser mes désirs et la musique ne lui apparaissait comme nullement abstraite.

Je l’aimais, Dieu que je l’aimais, ma mère, ma maman, Lesley ! Elle était si bonne, si profonde et si en phase avec moi. Les psaumes et leur beauté s’ouvrait quand je contemplais son beau visage. Les verts paradis, les sources bienfaisantes, les ciels cléments…

Jusqu’à l’âge de treize ans, j’ai été un collégien insignifiant. J’étudiais dans un établissement public d’une banlieue londonienne peu flatteuse sur lequel personne n’avait rien à dire. Quand j’ai eu décidé mon copain Andrew à former un groupe pop avec moi, mon avenir s’est dessiné et j’ai su que je ne serais pas obscur. Il y avait longtemps déjà que j’avais tronqué la guitare sèche contre une guitare électrique et envoyé aux oubliettes mon premier enseignant. J’avais appris le piano aussi et obtenu de mes parents qu’ils en louent un. J’écrivais déjà des chansons et j’étais partout : paroles, musique, arrangement, orchestration. Andrew ne faisait que rire. Il voyait les bons côtés de la vie. J’avais besoin de son équilibre comme de sa légèreté. On s’installait soit dans sa chambre, chez ses parents, soit dans le garage, chez les miens et on répétait. J’avais une belle voix et j’avais déjà compris que je devrais la travailler. Andrew, lui, avait un incroyable sens du costume et de la mise en scène. Il inventait les costumes qu’on porterait quand on serait célèbre, les brushings qui nous mettraient en valeur et les accessoires qui nous rendraient irrésistibles. On vivait les années Thatcher et tout le monde courbait l’échine. On serait là, tous les deux, à la sortie de cette ère et on nous adorerait d’être si vifs et si gais. En ce sens, il voyait juste dans le temps même où nos deux familles attendaient péniblement que notre désir de fonder un groupe musical à succès nous apparaisse enfin comme une des illusions de notre adolescence. Ils se trompaient ! Comme ils se trompaient ! A dix-huit ans, on n’avait ni l’un ni l’autre abandonné l’espoir de se faire connaître. On se produisait à droite et à gauche dans de petites salles de banlieue. On se disait que quelqu’un nous repérerait forcément et qu’on ferait une maquette puis un disque. Il ne pouvait en aller autrement. On avait raison de ne pas douter. Il est venu à la fin d’un de nos spectacles pour lycéennes survoltées, l’homme qui portait notre destin. La maquette a bel et bien existé et on a enregistré un petit single, chez Sony tout de même…

Ensuite, ça a été la folie, le raz de marée, les concerts, les enregistrements, les télés et les centaines de milliers de disques vendus. On nous adorait, les filles surtout. Elles hurlaient et jetaient sur scène des fleurs, des messages d’amour, des sous-vêtements. Andrew en profitait le plus qu’il pouvait, racolant toutes sortes de nanas sans le moindre état d’âme. Moi, je faisais semblant d’être comme lui mais il n’était pas dupe. J’avais peur de ces mêmes filles qui se contorsionnaient devant moi quand je chantais ces airs à la mode qui me rendaient irrésistibles et qui, en dépit de leur facilité, étaient soigneusement écrits. Je bondissais et me déhanchais en mini short jaune sans qu’elle mette le moins du monde en cause ma virilité…Elles me tournaient autour à m’en donner la nausée mais évidemment, je ne montrais rien de ce que je ressentais vraiment. Les unes après les autres, celles sur lesquelles j’avais jeté mon dévolu rejoignaient ma couche ou étaient supposés le faire…Un temps, ce rôle de jeune sultan m’a amusé puis il m’a pesé…

 

Publicité
Publicité
Commentaires
LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
Publicité
Archives
Publicité