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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
30 novembre 2023

Round here. Partie 4. Lassitude de Kenny. Frasques de George.

kg

Ce serait mieux au Texas, pensa George, mais dès son arrivée, il fit profil bas. Son compagnon semblait de bonne humeur et l'accueillit agréablement mais il était sur son quant à soi, comme un peu détaché et distant. Il y avait bien des dîners d'amis, des excursions, des bains pris ensemble dans la piscine, des jeux avec les chiens puisqu'il y en avait aussi dans cette propriété-là. Il regardait des films avec Kenny et échangeait des livres. Mais son amour était un peu triste.

-Kenny, je dispose d'un répit de plusieurs mois, là.

-Oui, je sais.

-Je n'aurai plus l'énergie d'entreprendre pareille tournée de nouveau. Je fais mes adieux à la scène. Il est clair qu'ensuite, j'aurais beaucoup plus de temps pour moi et bien sûr pour toi...

-Oui, j'imagine bien, George...

-Je t'entourerai ! Nous sommes en 2007 et nous nous rencontrés en 1998 ! Tu te rends compte, neuf ans !

-Oui, ça fait longtemps, c'est vrai...

Kenny offrait un visage pensif mais comme il l'aimait...Ses yeux étirés, ses longs cils, cette mâchoire forte et cette bouche fine...

-Dis-moi le fond de ta pensée...

-J'ai vu un psychiatre récemment et je lui ai parlé de notre relation. Je ne savais pas ce que je devais faire. Il m'a répondu que je ne devaissurtout pas te quitter George, même si notre relation était dysfonctionnelle. Il a ajouté que j'étais ta sa seule raison de vivre.

-Eh bien, tu vois...

-C'est plus compliqué que ça, George. Si je ne te quitte pas, on mourra tous les deux. Tu ne crois pas ?

George tressaillit. Ainsi donc, alors qu'il passait d'un pays à un autre et d'un stade à une gigantesque salle de concert, son amour en arrivait à cette extrémité. Il fallait rassurer, du moins tenter de le faire :

-J'ai fait de mon mieux pour te protéger de ton alcoolisme et tu as fait de même avec mes dépendances.... J'ai été très inquiet à ton sujet et tu l'as été pour moi...Je ne pense pas que nous soyons en danger.

Pelotonné dans un grand fauteuil, comme il aimait à le faire, l'Américain avait l'air sceptique.

-George, quand tu n'es pas là et ça arrive souvent, je contrôle bien ma consommation d'alcool. Elle est devenue très raisonnable. Tu arrives et tout se complique. Et de toute façon, toi, tu ne fumais guère que quelques joints de temps en temps en début de carrière ...Regarde où tu en es...

-Nous ne mourrons pas l'un de l'autre.

-George !

-Bon, tu as raison.

-Mais me dire cela ne résout rien, George. Tu vois ce qui se passe ? On se fait du mal ! Je sais qu'avec les journalistes tu adores dire que tu es un homme soigné et gracieux dont le sujet de discussion préféré est le bonheur domestique et que tu es si heureux de le partager avec moi ! Toutes ces belles photos de nous deux dans ces pièces remplies d’œuvres d'art et de vases pleins de fleurs rares ! Et nos labradors que nous choyons...

Le ton qu'il prenait et cet intense désarroi dans ses yeux. Il n'avait pas pensé que si peu de jours après son arrivée, ils en seraient là.

-Sûr que par rapport à Keith Richards, tu présentes bien. Et tu n'es pas mort d'excès comme Jim Morrison, Jimi Hendrix ou Janis Joplin mais nous savons où nous en sommes toi comme moi...

En fait, non, obsédé qu'il avait été par cette tournée, grisé par son succès, les interviews et les réceptions, intrigué par ses rencontres épisodiques avec le beau chorégraphe, George s'était aussi beaucoup distrait avec ses amants d'un jour ou de quelques heures. Il buttait sur une réalité rugueuse.

-Nous sommes excessifs, d'accord, moi surtout. Mais, à travers les disputes, les malentendus et la douleur, nous avons atteint un lieu fantastique. Nous nous comprenons vraiment ! C'est vrai que pour composer, j'ai besoin d'être seul. C'est ce parcours solitaire qui doit être difficile pour toi...Et il y a le reste, bien sûr...

Kenny, la tête rejetée en arrière, poussa un soupir de lassitude.  Sa rencontre lointaine avec George, qui lui avait paru si porteuse de bonheur, lui paraissait aujourd'hui délicate. D'emblée, ils seraient amenés à confronter très vite leurs manques et leurs souffrances...Le petit Kenny que son père avait emmené à la chasse alors qu'il avait cinq ans avait été horrifié par les animaux morts que son père regardait avec satisfaction : lièvres, oiseaux...Et il n'avait pas oublié ce sang et cette brutalité. Plus tard il s'était dit c'est peut-être né de là cette envie de ne pas être un homme comme ils veulent qu'on soit...Je ne voulais pas un Blanc hétéro et doué pour la gâchette, au Texas...Surtout pas ce schéma-là. Et j'ai lutté, tellement lutté pour me ranger dans un autre camp. Qu'on ne me reconnaisse pas pour l'un d'eux, jamais ! Jamais ! Et qu'on sache que me situer là où je suis ne me rend pas malheureux mais fier !

 

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