LUCAS ET HONEY. Une maison d'hôtes et une femme étrange...
Après Londres, Louis et son épouse Satsuko s'installent dans l'île de Wight où ils font chambre d'hôtes. Dans cette grande maison, des stages ont lieu. Un jour, arrive une française, Noémie...
Bien qu'amoureux de la vie en ville, aucun des jeunes gens n'ayant vraiment d'objection puisque cette vie insulaire pouvait être dépaysante et pleine d'agréables surprises. L'affaire fut conclue rapidement d'autant qu'en bons gestionnaires les parents de la jeune fille avaient fait les achats nécessaires pour bien agencer la maison et lancer pour leur compte des dates de stage. Il ne restait plus aux jeunes gens qu'à faire de même et quand ils l'eurent fait, ils s'aperçurent que les candidats affluaient tant pour le dessin que le français en chansons. Très vite, ils furent très occupés et durent prendre du personnel. Au bout d'un an, ils furent heureux de se dire qu'il existerait tout de même des périodes creuses où ils pourraient souffler. En novembre et décembre, il y avait peu de monde, sauf pour les fêtes et en janvier-février, ils menaient une vie confidentielle. Le reste du temps, ils ne savaient où donner de la tête mais la maison était ravissante et l'ambiance tonique. C'était un bonheur de croiser des choristes enthousiasmés ou des dessinateurs avec leur matériel. C'en était un autre de participer à un grand dîner japonais où de se féliciter des bienfaits d'un nettoyage de peau si...japonais !
Louis était très accaparé par cette nouvelle vie mais au plus secret de lui-même, il se souvenait du père Kiryll et de ses prédictions. Son histoire n'était pas terminée et s'il était arrivé en ce lieu, c'est qu'il y avait toutes les chances qu'elle y trouve un prolongement. Seulement, le temps passait...
Un jour cependant, arriva une voyageuse entre deux âges. Elle n'avait manifestement pas peur de l'automne, qui s'avérait très humide, et ne semblait pas gênée par le fait de voyager seule. Elle s'appelait Noémie Maubuisson et parlait un anglais approximatif. Absent à son arrivée, Louis ne l'identifia pas tout de suite car elle avait beaucoup d'embonpoint et des traits qui paraissaient gonflés. Elle venait de Lille où elle avait été longtemps malade. Divorcée puis remariée, elle avait affronté un second divorce qui, semble -t’il, l'avait éreintée. Il n'y avait pas beaucoup de monde la semaine où elle vint, de sorte que souvent seule avec ses hôtes, elle était mise en confiance et parlait de choses et d'autres, abordant par bribes son histoire personnelle. Satsuko, se montrait comme toujours respectueuse et aimable et Louis, attentif, écoutait. Il lui fallut un peu de temps pour sentir en son cœur les effets de la voix de cette femme. Elle avait un phrasé fait de pauses inattendues et de brusques à-coups et sa voix, qui avait tendance à se casser, retrouvait parfois de beaux aigus. Il se sentait remué d'autant qu'elle employait certains mots qui le renvoyait à son enfance. Elle disait « Bon sang de bon soir », « Elle n'est pas mauvaise, celle-là » et « Vous m'en direz tant ! » avec force...Cette façon de parler, ces automatismes de langage, il les connaissait. Bouleversé, il se rapprochait chaque jour davantage de la question fatale : cette femme était-elle sa mère ? Celle du temps d'avant. Si c'était le cas, elle était méconnaissable. Il l'avait connue, enfant, comme une personne sinon belle mais du moins avenante. Elle était devenue laide. Quant à sa personnalité, elle était il y a bien longtemps décidée et catégorique. La vie s'était chargée de lui apprendre à ne plus se croire si forte. C'était une vaincue.
Voulant en avoir le cœur net, il la laissa déambuler comme elle le voulait. Elle voulait se reprendre physiquement, perdre du poids, faire quelques activités physiques. Quand le temps était gris et froid mais non pluvieux, elle allait marcher. Connaissant l'île mieux qu'elle, il proposa de l'accompagner. Bien sûr, il fallait s'adapter à la saison mais il y avait beaucoup de chemins littoraux et tous n'étaient pas difficiles d'accès. Il était toujours possible de se rapprocher de la côte pour bénéficier d'une jolie vue sur la mer. Même en cette saison, il arrivait que le soleil daignât montrer le bout de son nez et c'était parti pour de belles photos !
Ravie qu'elle l'accompagne, elle apprécia qu'il marche lentement et choisisse des itinéraires courts. Tout autour de Yarmouth, il y a avait beaucoup de chemins. Sur les cartes, il les lui montrait. Quand l'escapade avait été courte, il lui préparait un thé dès qu'ils étaient de retour, sinon ils trouvaient une pâtisserie dans un village proche de la maison d'hôtes. Il était manifeste qu'elle était contente d'être en sa compagnie et qu'elle aimait bien Satsuko. Dans la grande maison, elle discutait parfois avec celle-ci avant d'aller rejoindre la bibliothèque où elle restait longuement. Elle adorait que Louis joue de la guitare et chantonnait doucement quand il le faisait. Toutefois, il l'observait encore et doutait. Etait-il possible qu'elle fut devenue ainsi ?
Assez vite, elle demanda à rester jusqu'aux fêtes de Noël où la maison serait fermée à la location. Il fut difficile de lui dire non. Elle n'était pas en retard de paiement et se montrait agréable ceux qui venaient là car il en venait encore qui restaient peu.
Quand Louis sut qu'il la côtoierait longtemps, il comprit qu'il devait se décider. Il devait la faire parler. Comme elle l'avait pris en sympathie, ce ne fut pas si difficile.
-Vous avez l'air d'aller de mieux ! L'air de l'île de Wight vous fait du bien...
-Oui, je me sens mieux.
-Pardonnez-moi d'être indiscret mais vous avez eu des ennuis de santé...
-J'en ai eu dernièrement mais c'était une redite. Jeune femme, j'ai fait une grave dépression.
-Quelquefois, l'accumulation d'ennuis...
-Oh, vous êtes gentil, jeune homme mais c'était bien plus que cela. Vous savez, si rien de tout cela ne s'était produit, j'aurais un fils de votre âge. Brun et enjoué comme vous...
Louis sentait la respiration lui manquait. Il lui avait bien été prédit qu'il retrouverait sa vraie mère ! Cette femme était bien celle qui l'avait élevé. Elle n'avait pas encore beaucoup parlé mais il était certain de tout. Et d'ailleurs, voilà qu'elle se remettait à parler !