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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
26 octobre 2021

Sévère et Jeanne D. Partie 1. Le petit Michel. Un supplicié.

CRUEL

J’ai gardé des impressions violentes de cette période-là : comment le contraire serait-il possible ? Moi aussi, je connaissais ces vies de saints vite interrompues, ces supplices et ces morts terribles. Les religieux qui m’enseignaient faisaient grand cas du courage dans la mort de ces jeunes hommes et femmes aux visages exaltés. Eux, ne parlaient pas du plaisir dans le supplice mais de l’accomplissement de la Parole de Dieu, du voyage vers un autre monde et du peu d’importance de la vie terrestre quand on a la certitude d’entrer en Paradis.

Certainement, ces idées- là ont dû me plaire et j’ai d’ailleurs toujours une grande estime pour les religieux de Lisieux qui ont fait mon éducation première. Jamais, je n’ai cherché à ternir leur image. Mais il est clair que j’ai pris d’autres orientations…

Je crois que c’est à Paris, alors que j’étais un peu plus âgé, que le goût m’est venu d’infliger des supplices. Très rapidement, j’ai fait ce que j’ai pu. Vous savez, les jeux d’enfants peuvent être pernicieux. A mon époque, on jouait aux cow- boys et aux indiens. Pensez un peu ! Il fallait courir après des ennemis du même âge que nous mais de l’autre bord. Ils se vêtaient de pyjamas rouges, se peignaient le visage avec des fards gras ou des crayons de maquillage et se piquaient des plumes dans les cheveux. Il n’était pas difficile de les désarmer et ensuite de les attacher à un arbre, à une porte, à un meuble lourd…On les interrogeait ensuite car il fallait bien qu’ils parlent, qu’ils disent où étaient les autres. Ce n’était pas la vraie guerre bien sûr, mais c’était déjà, dans ces affrontements factices, la nécessité du supplice.

Je me souviens d’avoir laissé attacher Michel, le frère de mon grand ami d’alors, Frédéric et d’avoir trouvé de solides raisons de l’avoir fait…Bien sûr, il s’est plaint à sa famille que je l’aie ficelé à un arbre et abandonné à lui-même un long moment. De grosses larmes roulaient sur ses joues, sa voix était tremblante lors de son récit et il fut demandé des comptes à mes parents. Ceux-ci adoptèrent cette fois- là comme à bien d’autres occasions une attitude mêlant la surprise innocente et un léger dédain. Allons, ce n’était pas si grave ! J’étais certainement bagarreur et aimait l’autorité dans les jeux : qui pouvait m’en blâmer ? Quant à ce petit Michel, il était temps pour lui de se prendre davantage en charge. A courir si lentement, à être essoufflé si vite dans l’effort, à tout prendre au tragique, il ne fallait pas s’étonner qu’on le perde de vue lors d’un pique- nique, qu’il panique pendant une baignade en mer car il perdait ses moyens dans l’eau ou, dans ce cas, qu’il soit jugé apte à jouer le vilain prisonnier indien de service ! Qu’il ait fait dans son pantalon était regrettable bien sûr mais c’était à lui de devenir plus fort !

Ce petit Michel, je le revois encore ! Il m’en a voulu longtemps. Moi, j’ai oublié et quand le souvenir m’en est revenu, je n’ai rien vu de mal à ce que j’ai fait. « Il n’avait qu’à être plus fort » !

Je savais, je savais déjà. Il est bon de guetter une proie, de lui donner l’illusion qu’elle a une marge de manœuvre et de lui faire perdre cette illusion. Enfant, on trouve des subterfuges : tu as oublié de prévenir untel, tu ne sais pas ton mot de passe, tu as perdu ton sauf-conduit, tu t’es écarté des autres. Tu seras puni : tu resteras attaché, tu devras parler de gré ou de force.

 

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