Elle avait deux ans quand mon père est parti en Espagne aider Vincent, son frère aîné à s'y installer. Ils sont restés quinze jours à Valence d'où Guillaume a passé des coups de fil fournis et amusés. Les jours qui précédaient son départ avaient été bizarres, certes, mais les moments de tension entre mes parents étaient récurrents depuis le début de leur mariage. Je me souviens pas qu'ils aient été plus violents à ce moment là. C'était toujours pareil : la guitare, les chansons et la vie de bohème contre l'ordre et l'organisation. Mon père criait un peu et soupirait beaucoup avant de se mettre à sourire. Ma mère était excédée puis relativisait. Non, je n'ai rien constaté de différent.

Ça l'était pourtant. Valence, nous avons su, pour avoir rencontré après coup son frère et sa nouvelle femme, qu'il y avait séjourné. Il était arrivé en train et l'avait repris pour rentrer. Ils l'avaient accompagné à la gare. Ils ne mentaient pas, nous avons fini par le comprendre. Seulement, de ce train, il a du descendre avant de parvenir à destination et à partir de là, il a choisi sa vie. Nous n'en faisions pas partie.

On a reçu un coup si violent qu'on a su comment réagir. C'était impossible, absolument impossible. Un accident, quelque chose...

Unique entorse à sa façon de penser, ma mère n'avait pas épousé mon père. Un simple pacte de solidarité civile les liait. Il avait reconnu ses deux filles, ben sûr, et montré qu'il les aimait. Il reviendrait. On le savait qu'il était un poète fantasque, on le savait ! Et moi, j'étais sa petite espérance...

Mais il a disparu de nos vies. Le chercher ? On cherche toujours dans ces cas-là. Police, gendarmerie, détective privée, tout y est passé en dix ans. En France, surtout et en Espagne, dans la mesure où pouvait tenter quelque chose.