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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
24 août 2020

Les hommes et leur mère : Pierre Fieschi. (2)

FEMMM 1

Pierre Fieschi : celui qui a perdu sa mère. Suite. 

Philippe qui a épousé Luisa a travaillé à l’Institut français de Naples et il est professeur d’université maintenant. A Nice, ville qui, pour nous qui sommes de Caen est pour ce Candide, un inépuisable El Dorado. Avant d’en arriver là, la somme des petits boulots qu’il a accumulés inspire sinon le respect, du moins, le vertige.

Laura a fait de la psychologie. Elle est restée longtemps à faire des vacations sans que cela semble la déranger. Enfin il faut dire qu’elle vivait avec un psychologue qui lui avait donné des cours un temps et l’a aidée. Pour un temps du moins, car ses études faites, elle a compris comme moi, que nos parents étaient davantage des idéalistes que des financiers, elle a fait un emprunt et monté son cabinet. Elle est à Rennes maintenant et ça va bien.

Julien a passé pas mal de temps en Angleterre où il a dû commencer par faire la plonge avant de se mettre d’arrache-pied à l’anglais. Il avait notre fantaisie : à savoir que de passer du baby sitting où il avait un certain succès, son apparence de joli jeune homme tranquille lui donnant une apparence louable, à un stage d’anglais intensif à Cambridge, ne le dérangeait pas le moins du monde. Il a passé du temps en Angleterre puis en Australie puis aux Etats-Unis puis en Nouvelle-Zélande. Il est dans un bon lycée Caen. Une classe préparatoire. Il adore cela et même si cela nous surprend, il semble très heureux. En effet, être nés à Caen nous a toujours fait l’effet d’une monumentale erreur tant la ville est refaite et le climat pluvieux et frais.

Mais, bon.

Il reste qui, à part moi ?

Moi.

Je suis musicien et je travaille pour l’Orchestre du Capitole à Toulouse.

Arriver là n’a pas été évident, l’optimisme de mes parents et leur débrouillardise ayant joué, comme pour les autres,  son rôle. Je crois que ma mère a dû faire des tours de passe- passe pour que j’aie un vrai instrument de musique à la maison. En tout cas, cela a fonctionné. Dans cette ville de Normandie déjà citée et dont l’étrangeté m’a toujours sidérée, elle s’est démenée. L’école du musique, le solfège et ceci en plus du collège et du lycée ; Cette amie violoncelliste qu’elle avait soudain envie d’inviter tout le temps chez nous. Bref, tout un périple pour en arriver à la situation que j’ai aujourd’hui.

  Voilà, c’est le jour dit. Je l’ai laissée sereine hier ou le paraissant et je la retrouve ; elle est fin prête et converse avec son aide à domicile. Je l’embrasse sur les joues et nous partons. Elle est gaie dans la voiture et je me souviens qu’elle a toujours réagi ainsi avec nous. Quand il y avait un coup dur et que cela pouvait la concerner, elle gardait la tête haute ; elle nous souriait, se montrait encourageante. Ça a été ainsi quand mon père a failli la quitter à un moment et que nous nous sommes affolés. Et elle a fait de même quand, la soixantaine venant, il a commencé à avoir des problèmes de santé. Elle a fait front. Evidemment, tout est parti à vau- l’eau avec l’annonce d’une maladie non seulement grave mais au bout du compte, incurable. Le départ d’André a choqué tout le monde ; trois ans de combat avec de belles rémissions et trois derniers mois catastrophiques où il a fallu admettre que cet homme au visage fermé et gris, engoncé dans son lit d’hôpital, était en train de mourir. On croit toujours cela impossible. Enfin, moi, je ne suis pas féru de psychologie comme ma sœur, donc la mort de mes parents c’était et c’est une chose impossible. Allons, imaginer que ce vieux monsieur qu’on ne soigne plus et qui bientôt sera dans un cercueil, est celui qui, des années avant, nous qui nous a donné la vie, tenu sur ses genoux, poussé à faire des études, engueulé puis réconforté, a eu la larme à l’œil quand on a eu nos diplômes, nous a dit sa fierté quand on s’est marié et eu des enfants, et a ponctué nos vies de ses états d’âme de philosophe est maintenant un cadavre, c’est de la folie. Il a fallu l’admettre, ce qu’on a tous détesté, nous les enfants tandis qu’elle, Anne-Marie, notre mère, s’engageait sur les chemins tortueux de la dépression.

Mais bref, pour l’heure, nous traversons Toulouse. Elle offre un profil pur et je constate qu’elle a soigné sa mise : un chemisier blanc et un beau tailleur et avec cela, un petit rang de perles et une veste d’hiver en lainage épais à dominante marron. Elle a légèrement fardé des lèvres.

A la clinique que nous avons choisie pour elle, elle se présente avec calme. La prise en charge se fait et nous nous séparons. Je n’aime pas cet instant. Elle a l’air très confiant mais j’ai peur et en reprenant ma voiture pour aller en répétition, je reste triste.

Le Capitole, j’adore, je ne m’en lasse pas et Toulouse, c’est ma ville. Anne-Marie y est venue après la disparition d’André, et cela, sur mes conseils. Philippe lui a vanté Nice, Laura Paris et Julien, Caen où nous étions nés mais j’ai emporté la donne et en tire orgueil. Je crois que j’ai rendu service à tout le monde, non qu’ils ne s’entendent avec elle, du tout même. Mais Philippe sort beaucoup et de son propre aveu, serait peu venu la voir. Ma sœur préfère nettement un système de vacances passées ensemble, plusieurs générations et plusieurs familles confondues. Je pense sans la trahir qu’elle n’aurait pas souhaité une Anne-Marie seule à Paris, se disant en pleine forme mais guettant ses passages quotidiens. Quant à Julien, c’est un original et un indépendant. Il est taquin et même critique avec elle, ce qu’il a toujours été. Ça n’aurait pas collé.

 J’entre dans la salle de répétition et salue tout le monde. Il y a eu entre ce lieu, ces gens et moi, une adéquation immédiate, qu’elle a sentie, bien avant Christelle. Peut-être que ma compagne n’est pas très mélomane, ce dont je ne lui tiens pas rigueur, mais ma mère l’est. La première fois que, fraîchement installée à Toulouse, elle m’a vu en concert, c’était une symphonie de Beethoven. La troisième, je crois, enfin non, je suis sûr. Elle était avec Christelle, l’une en noir, l’autre en gris, toutes deux élégantes. Mon épouse m’a gaiement souri quand nous nous retrouvés mais ma mère a été magnifique.

- Il fallait vraiment que tu sois là, c’était le rêve de ma vie !

Le rêve de sa vie ? Bien sûr qu’elle avait dit pareil à Laura, à Julien et à Philippe mais dans ces moment-là, on est unique. Les comparaisons ou les similitudes ne servent de rien.

Je me souviens que notre fils n’était pas avec nous. On l’avait laissé avec une jeune fille qui veillait sur son profond sommeil.

J’ai senti Christelle agacée. Elle n’aime pas cette façon qu’à ma mère de me porter aux nues mais elle accepte celle-ci dans la mesure où ma mère adore Etienne et sait « ne pas encombrer ». En somme, elle supporte ces situations car Anne-Marie ne vit pas avec nous et que sa personnalité à elle lui permet d’échapper à toute emprise. Ces blouses, ces laboratoires, ces microscopes…

FEMMM 2

Nous avons bu un verre, après le concert. Ma mère commentait et la symphonie et le travail du chef d’orchestre ; Ce n’était pas encore Michel Plasson. La place du Capitole avait sa merveilleuse beauté, avec son ampleur, l’aristocratie de son architecture et cette ambiance particulière qui ne tient qu’à elle. Christelle a écouté ma mère sans mot dire avant d’évoquer le violoncelle pour Etienne.

Il y a eu un blanc puis ma mère s’est remise à parler. Au retour, après l’avoir déposée, j’ai parlé un peu avec Christelle. Oui, elle avait aimé le concert et de toute façon, elle adorait me voir en concert. Cela m’a surpris et touché.

Je ne pense pas, je répète. Le travail est précis. Ce chef d’orchestre humble et savant nous ravit le plus souvent et nous instruit. Il accomplit un travail solitaire en nous mobilisant tous face à un créateur immense. Cette fois, c’est Mahler. Une chose après l’autre. Une précision après une autre. Une mise en garde. Une marque d’humour pour un consentement. Des reprises nombreuses.

 

Le temps ne s’étire pas.

Il dure.

Je ne sais pas qu’elle est malade.

Quand on se dit au revoir, je le sais.

On lui aura enlevé sa tumeur : je le saurai en téléphonant à la clinique. Je me sentirai bien. Du reste, tout le monde vient dans la semaine ou celle qui suit.

Elle sera un peu pâle, certainement, un peu diminuée mais joyeuse. On pourra la gâter.

Elle se reprendra…

Je rentre chez moi.

Christelle a fait un joli dîner avec des pâtes aux lardons, de la salade verte et une tarte renversée, comme nous les adorons, Etienne et moi. Elle fait ça souvent et je n’y vois pas de malice ; du reste, la soirée est touchante car Etienne dit que ses professeurs l’encouragent et le motivent ! Ils le trouvent doués, donc et cela me plaît.

C’est le présent. On mange, on rit, on fait un peu de musique et Etienne joue Mozart. Ce n’est évidemment pas une grande pièce mais il a déjà compris bien des « choses ». Je souris de ce mot car il m’a déjà demandé : « chose », tu emploies beaucoup ce mot. Et c’est souvent avec la musique. Alors, pour Mozart, « chose », ça veut dire quoi ? »

Que répondre ?

Mozart aurait dit : « je cherche les notes qui s’aiment ». je lui dis cette phrase mais il se moque de moi. Il la connaît déjà. Alors, je me mets à lui dire ce que pour moi est Mozart. C’est un langage adulte. C’est compliqué, technique et cela dure. Christelle me lance un regard inquiet. Je poursuis. Cette vie, cette musique, cette difficulté à l’affronter. Il verra. Il verra bien.

Quand je m’arrête, n’ayant plus de mots, Etienne se précipite vers moi.

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Papa ! Tu devrais me parler tout le temps comme ça. Là, tu n’es pas ennuyeux ! Tu n’es pas vide ! J’ai adoré.

-Vraiment ?

-Mais, tu me prends pour un bébé !

Nous rions.

Plus tard, c’est la nuit.

Je vois ma mère sur la table d’opération puis dans son lit à la clinique. Elle est bien portante mais fatiguée. L’anesthésie fait encore effet. Elle flotte entre deux mondes mais je sais qu’elle va revenir dans le monde des vivants. Je me mets à sourire pour la faire sourire elle-aussi au-delà de la distance et de son sommeil artificiel.

Je dis à Christelle que bientôt nous ferons tous la fête pour son retour dans l’appartement de Croix-Daurade.

Ma femme sourit doucement mais non sans réserve. Elle dit « oui ».

Ensuite, elle me parle de ce que j’ai dit sur Mozart. Elle a aimé.

Je suis surpris.

On s’embrasse brusquement et elle pleure avec douceur ; il n’y a plus que le présent.

 

 

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