LUCAS ET KIRYLL. Appartement mystérieux à Naples. Gardiens et solitude.
Désormais, Lucas, enfant en fuite, vit chez une mystérieuse italienne, Caterina. Stefano, le guide de toujours l'accompagne...
La nostalgie ne semblait habiter ni l'un ni l'autre de ses « gardiens ». A peine disparu, Nicholas n'occupait plus leur esprit. Que Caterina ne s'encombre pas du souvenir d'un enfant dont elle avait juste entendu parler, il pouvait l'accepter tout en restant surpris. Cette femme combattait la souffrance dans l'exercice même de sa profession et considérait la mort comme un échec. La disparition tragique de ce jeune garçon placé sous la garde de l'Italien taciturne aurait dû l'affecter davantage.
Lucas était moins choqué que Stefano ait la mémoire aussi courte. Tout était si bizarre chez lui ! Tantôt inabordable tantôt primesautier et gai comme un pinson, il ne livrait jamais rien de lui-même. La logique était que pour un jeune être dont il avait eu la charge, il éprouve de la mansuétude. Ce Nicholas, il s'en était beaucoup occupé dans les différentes villas qu'ils avaient occupés après leur départ de France. Et il y avait la villa Ada et la belle propriété du Pausilippe. Pourtant, il ne montrait aucune tristesse. Était-ce de l' indifférence ou de l'égoïsme ? Bien malin qui aurait trouvé la réponse.
Lucas aurait pu laisser courir mais, choqué, il n'en resta pas là. L'Italien, interpellé, fut direct. Il n'était pas égoïste de nature mais, il devait l'admettre, après l'avoir heurté, cette mort l'indifférait. Il savait sa mission courte avec cet enfant mais ignorait comment elle se conclurait. L'ayant découvert, il estimait que la boucle était bouclée. De nouveau, ce jeune Nicolas appartenait à sa famille, à un monde ancien qui allait façonner de lui des images à conserver, un mythe à travailler. Lui, Stefano, pouvait se souvenir mais pas s'attrister puisque cette destinée, le jeune enfant malade l'avait lui-même choisie. Quand il s'ouvrit ainsi, Lucas, qui pensait ne pas obtenir de réponse directe, tomba des nues. L'angélique Stefano savait répondre et ne commettait pas de faute...Cette franchise le rasséréna.
Dans les jours qui suivirent, il resta longuement chez eux, se détachant des nombreuses sorties qu'il avait pu faire. Les ayant faites à un rythme soutenu, il aspirait à souffler, loin de tout emploi du temps chargé, de promenades sous un soleil violent et de courtes pauses. Ses deux hôtes, souvent occupés entre eux de longues conversations, le laissèrent tranquille. Le jeune italien reprit ses courses vagabondes sans jamais dire où il allait. Le soir, il n'était pas toujours là. Caterina, elle, devint une référence, un ancrage. Lucas aimait l'appartement où elle vivait. Un grand salon était prolongé par une terrasse donnant sur une rue passante. Deux chambres toutes deux dotées de salles de bain complétaient l'ensemble et il y avait bien sûr une cuisine. Dans le salon, canapé et fauteuils de cuir blanc jouxtaient une table basse et une autre, circulaire, en bois précieux où l'on dînait parfois. Il y avait un beau secrétaire à tiroirs multiples qui offrait un superbe travail de marqueterie, une crédence chargée d'un antique vase chinois et une bibliothèque où abondaient les éditions rares. A l'évidence, son hôtesse avait hérité de meubles de famille qui étaient très italiens mais et elle en avait acquis d'autres dont les styles étaient divers. De cet ensemble hétéroclite naissait une ambiance particulière à la fois latine et orientale, loin des clichés qui mêlaient le bohème et le raffiné et transformaient un intérieur en page de magazine chic. La cuisine, elle, était rationnelle, plus conforme à l'Italie avec ces agencements un peu anciens et ses bonnes odeurs. La chambre principale était tendue de blanc et de jaune pâle. Le mobilier en était sobre. Le lit était recouvert d'une courtepointe blanche. C'était un lieu paisible. L'autre chambre, qu'occupait momentanément Lucas, était plus petite. Elle était bleu et verte. Les meubles, peu nombreux, étaient blancs. C'était là un univers fonctionnel mais gracieux.
Partout aux murs, sauf dans cette chambre, des tableaux de scènes religieuses ou d'anges musiciens au corps d'enfant rebondi, renvoyaient à une certaine solennité ou à la bonhomie de pratiques chrétiennes simplifiées. Vierge à l'enfant, enfant Jésus dans la crèche ou rois mages voisinaient malgré tout avec quelques représentants du Bouddha ou de Krishna sans que le charme fut rompu...
Dans cet appartement aux volets clos pour conjurer la chaleur diurne, les portes n'étaient jamais fermées de sorte que Lucas se sentait libre. Contrairement aux lieux de vie qui avaient jalonné les premiers moments de sa fuite, il lui était loisible d'entrer et de sortir comme il voulait. Eut-il dévalé les trois étages qui le séparaient de la rue que la réaction de ses hôtes n'auraient pas été nécessairement rapide. Souvent, on était occupé et ne le surveillait pas. Cette confiance l'honorait.
De la même façon, télévision et ordinateur étaient à disposition, chacun les utilisant comme ils voulaient. Il lui était donc loisible de savoir où on en était en France de sa recherche. Il le fit et vit que tout était au point mort. Le temps passait et ses parents, tout forts qu'ils fussent, devaient accuser le coup. Cette nouvelle le froissa sans vraiment l'atteindre...