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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
9 mars 2024

Battles. Partie 4. Et ce fut tout.

Dans le nord du pays, là où avait régné la désolation, tout avait changé. Des camions avaient déjà emporté d’Étoile les derniers vestiges d'un univers carcéral que certains devaient regretter. Outre les usines, il y avait une ville maintenant, un aéroport où des avions atterrissaient, des écoles, des théâtres, des salles de sport. On avait érigé un musée qui évoquait les horreurs commises. A voir les photos, Paul était surpris de toutes ses réalisations. La Ville s'appelait Cordis. Y vivaient des travailleurs d'aujourd'hui. Ni Magda ni Esmed n'évoquaient un voyage là-bas. Paul le vivrait mal malgré tout. Ces derniers temps, il était moins actif. Esmed s'était trouvé quelqu'un de fort qui l'aidait dans ses tournées et il s'assumait davantage. Paul, plus sédentaire, lisait beaucoup. Il s'était apaisé et avait constaté que sa vie s'unifiait. Lui aurait-on demandé des années auparavant de prédire son avenir, il n'aurait certainement pas imaginé mener une existence aussi haute en couleurs ! Elle était sereine et le resta longtemps. Puis un jour, alors qu'il découvrait un de ces nouveaux auteurs ambraniens qui le ravissaient, il fut surpris. Le marque page, dans son livre, n'était plus le même. Il avait laissé un signet rectangulaire représentant un tableau abstrait, il retrouva une photo. C'était celle de l'instructeur mort. Il se dit :

-Qu'est-ce ça fait là ?

Et il déchira cette photo qu'il avait reçue en Angleterre. Le lendemain, il y en avait une autre. C'était lui et Winger à Étoile, quand sa rééducation était terminée et que son transfert s'annonçait. Ils étaient l'un et l'autre debout dans le logement de l'instructeur. Celui-ci portait un pantalon de cheval et un pull gris ajusté. Il souriait. Paul, en costume bleu marine et chemise blanche, avait un sourire plus indécis. D'où sortait cette photo dont il ignorait l'existence ? Qui l'avait prise ?  Surpris et mal à l’aise, il ne la déchira pas mais alla la placer dans un autre livre de sa bibliothèque.

-J'aviserai.

Trois jours plus tard, il y en avait une autre. A Dannick, devant l'opéra, posait un beau jeune homme blond. La photo avait été prise quelques jours auparavant. Winger était très reconnaissable. Il portait un costume à la mode sur un manteau ouvert. Sa beauté était rayonnante. Au dos de la photo, on avait écrit : Moi, vingt-sept ans.

-Qu'est-ce que tu veux ? Je suis en train de devenir un vieux monsieur.  Quel pouvoir pourrais-tu bien avoir ? Je peux mourir demain.

Il n'y eut plus de photo mais une mèche de cheveux blond apparut sur le bureau de Paul le jour suivant. Elle était identique à celle qui était restée longtemps posée sur le bureau de l'instructeur à Étoile. Paul la rangea dans un tiroir. Des crimes atroces se produisirent à Dannick et mirent la ville en émoi. On parla de deux jeunes hommes issus d'un mouvement néo-fasciste mais on n'arrêta personne. Un soir, Paul prit la mèche de cheveux entre ses doigts et murmura :

-Camarades de l'ombre, ici Battles.

Il brûla les cheveux d'or et se débarrassa des photos. A Magda, il ne rien et rien non plus à Esmed et aux siens. Une crainte ancienne s'éteignit en lui. Et ce fut tout.

 

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13 mars 2024

Battles. Partie 4. Magda et Paul. Buts communs.

 

 

 

Au bout de trois visites, Paul marqua le pas. Son travail le tenaillait et il était pressé de rester dans la capitale.

-L'échéancier sera bientôt prêt pour chacun des jeunes gens. Il s'étale sur plusieurs mois. Leur visibilité sera meilleure. Les salles sont bonnes, très centrales et l'attention sera attirée sur ce qu'ils présentent. Le public devrait répondre. J'y ai veillé.

-Je vous remercie infiniment, Paul. Vous êtes d'une efficacité !

Elle avait toujours son élégance de grande dame et il aimait sa façon de le remercier. Comme elle le raccompagnait à la gare, elle lui dit :

-J'ai un projet qui mûrit. Je vais vous écrire et je l'espère vous convaincre.

-Oh, que de mystères !

-Non, c'est simple.

Retrouvant chauffeur et garde du corps, Paul s'en alla. Elle voudrait sans doute qu'il revienne. Il était très occupé, surchargé de travail à cause de ces jeunes artistes, il céderait. Ou plus exactement, il céderait à cause de la douceur et de la tristesse voilée d'Esmed.

Les suppositions de Paul étaient fausses. Ce que souhaitait Magda, ce n'était pas qu'il se partageât entre Dannick et Estralla mais au contraire qu'il ne fît d'aller en retour. Aussi lui fit-elle des suggestions.

-Je comprends Paul que je vous demande beaucoup. On vous sollicite sans arrêt et puis vous êtes un homme illustre. Une décoration de l'ordre national du mérite et une autre pour vos témoignages, votre beau roman et vos traductions ! Comme vous le savez, je vais installer mes quatre protégés dans mon hôtel particulier à Dannick le temps que leurs carrières décollent et il m'est venu une idée. Vous pourriez établir vos quartiers dans mon hôtel particulier. Vous y seriez logé au calme avec tout ce qu'il faut pour travailler. Continuer ce que vous avez entrepris avec mes protégés serait tellement plus simple !

Cette proposition surprit Paul, qui ne vit pas d'abord le moyen d'accepter. Il voulait rester libre et s'il acceptait, il ne le serait pas. Néanmoins Magda fut adroite et il fut sensible à ses arguments.

-Dites-moi, vous aviez des biens à Dannick ?

-Un appartement et une maison. J'ai fini par les récupérer. J'ai vendu l'appartement et ai envoyé le montant de la vente à ma femme qui vit dans un monastère.

-Elle est très religieuse ?

-Elle l'est oui mais à sa façon. Les religieuses ont une maison d'accueil pour des femmes que cette dictature a privé de mari, de père, de frère ou doté d'enfants hors mariage. Elle y travaille et est à même d'y faire beaucoup de bien.

-Si elle s'y épanouit...

-Et ne songe pas à revenir à Dannick. C'est cela que vous voulez que je vous dise ?

-Oui.

-Ce n'est pas son projet.

 

19 mars 2024

Battles. Partie 4. Magda Egorff. Avant l'héroïsme.

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Bien avant que Paul n'ait eu l'idée de s'occuper de ceux que la dictature de Dormann avait condamné au silence et à l'inaction, puisqu'ils refusaient de collaborer, Magda, elle, avait réagi. Née dans une famille qui n'avait aucun souci d'argent, elle avait grandi dans un milieu très cultivé. Son père était un industriel béni des dieux et sa mère une passionnée de poésie. Ils tenaient salon et la petite fille avait très vite fait connaissance avec des sculpteurs, des peintres, des poètes et des écrivains qui n'étaient pas tous très connus mais avaient de la valeur. On parlait à n'en plus finir lors de ses soirées, on refaisait le monde et on ne s'arrêtait guère que pour écouter tel virtuose ou tel cantatrice qui tout d'un coup faisaient jaillir Mozart ou Chopin, Satie ou Bizet...Magda, des années après, restait ébloui du flair de ses parents car beaucoup de ceux qui avaient été reçus dans la maison familiale, avaient été très admirés, que leur succès soit prompt à venir ou qu'il soit différé. Jeune fille, elle avait bénéficié d'une éducation soignée mais dans laquelle on lui avait laissé toute liberté. Après avoir voulu être religieuse, ce qui n'avait attiré aucun commentaire désobligeant ni ricanement de la part de ses parents, elle avait voulu se tourner vers le chant et avait pris des cours avant d'intégrer le conservatoire où elle avait été formée par les meilleurs. Quelques années durant, elle avait donné des concerts et on avait loué sa voix de soprano. A cause de ses possibilités vocales et d'une présence scénique très figée, elle avait vite rencontré ses limites. Elle ne serait pas une grande cantatrice. Beaucoup l'auraient très mal pris, elle non.  Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elle s'était lancée dans des voyages lointains d'où elle avait tiré des recueils de poèmes un peu sibyllins ainsi que des contes et des carnets de voyage. Magda, qui n'avait aucune prétention littéraire, usait d'un style dépouillé plein d'accents poétiques et avait su trouver son public. Elle aurait donc pu exploiter le filon de l'orientalisme puisque ce qu'elle disait de la Chine ou du Japon plaisait beaucoup ou encore enrichir ses lecteurs d'autres contes car ceux qu'elle avait écrits étaient très singuliers, mais tous ses projets étaient restés en suspens quand son père, qui avait un cœur affaibli, avait décidé de se retirer prématurément en Suisse. Fille unique et héritière, Magda était jolie et courtisée. Elle ne s'était pas fiancée mais le fit, pour pallier sans doute au départ de ses parents. Deux ans plus tard, ayant toujours refusé de se diriger vers le mariage, elle se retrouva seule et en fut réjouie. Elle avait trente ans. Elle se sentait vaillante mais vacilla encore et eut un fils d'un homme qui n'était pas son mari mais souhaitait l'être. Prise dans des histoires d'argent qui lui montrait du père de son enfant un visage bien hostile, elle tergiversa afin qu'il pût les voir l'un et l'autre. Au final, il le lui laissa.

19 mars 2024

Battles. Partie 4. Paul en visite au château d'Estralla.

-Il faut venir les voir.

-Au château d'Estrella ?

-Oui, je vous y accueillerai avec bonheur ! Il vous suffirait d'y arriver un vendredi après-midi et d'en repartir le dimanche assez tard...

Paul ne put s'empêcher de rire.

-Madame Egorff, dans les six mois à venir, mon agenda est plein. Je continue même de travailler chez moi le samedi et le dimanche !

-Ils méritent que vous veniez ! C'est important.

Elle argumenta encore et au sortir de leur entretien, il n'était plus si catégorique. Que se passait-il donc là-bas qui méritait qu'il y aille ? Car il n'en doutait plus, il irait...

C'était encore l'hiver quand il l'appela pour fixer une date. Il monta dans une voiture avec chauffeur, accompagné d'un garde du corps. Un premier rendez-vous était fixé sur une zone de chantier où Magda faisait ériger une nouvelle demeure. Personne ne s'y trouvait. Celle qu'il devait rencontrer étant injoignable, Paul, après avoir attendu, reprit sa route. Bientôt, la voiture noire roula dans un froid minéral traversé par un soleil qui annonçait le printemps. On sortait de l'hiver ambranien, saison où tout semble se paralyser. Rien de semblable en Angleterre où il n'arrive jamais qu'on soit à ce point contraints de déblayer la neige...A l'entrée du château, de hautes grilles s'ouvrirent et Paul pensa à ces contes pleins de sortilèges qu'avait écrits Magda des années auparavant. Il fut charmé par la façade du château. Une folie dix-huitième si gracieuse avec ses pierres bicolores ! Il s'attendait à être accueillie par la maîtresse des lieux mais une femme de chambre prit son sac de voyage et l'installa à l'étage dans une chambre somptueuse, tendue de bleu pâle. Quel roi était-il ?

Surprise, la gouvernante des lieux regarda tour à tour le garde du corps, le chauffeur et cet homme important qui arrivait là et s'écria :

-Madame est sortie. Elle ne devrait pas en avoir pour longtemps...

-Mais...

-Elle va vite revenir.

-En ce cas, je préfère attendre en bas.

On guida chauffeur et garde du corps vers les cuisines. Paul demanda du thé qu'on lui apporta très chaud avec des pâtisseries qui lui rappelèrent celles que sa mère lui offrait quand il était tout jeune, à Marembourg. Comme personne ne venait, il regagna sa chambre. Elle était chaude et confortable. Ragaillardi, il voulut redescendre au ré de chaussée car il lui semblait y entendre la voix de son hôtesse mais une fois sorti de sa chambre, il trouva le couloir ombreux plein de mystères et eut envie de le parcourir. Les portes avaient beau être fermées, on vivait là bien qu'il n'entendît aucun bruit. Parvenu au bout du corridor, Paul constata qu'à l'encontre des autres, un appartement était visible. La porte en était ouverte et il découvrit un grand salon tendu de jaune. Derrière un canapé, une porte s'ouvrait sur une pièce tendue de blanc et nantie d'un piano à queue. Des partitions étaient posées çà et là sur des commodes et des consoles en bois précieux, de grande valeur. Il y avait une chambre aussi, précieusement meublée et dans un ordre relatif. Un lit à baldaquin en occupait une partie et un lustre en cristal pendant au plafond. Tout y était exquis des miroirs ciselés aux tableaux de maîtres...N'entendant personne, Paul s'y attarda, curieux de savoir qui pouvait y vivre puis il entendit du bruit dans la salle de bain. Il aurait pu faire machine arrière mais sa curiosité fut la plus forte.

 

19 mars 2024

Battles. partie 4. Anton et Paul. Deux frères très opposés.

Il n'en alla pas de même avec Anton qui était le plus jeune des frères. Enfant, Paul avait beaucoup joué avec lui et plus tard, ils étaient liés malgré le décès brutal des parents et les familles dans lesquelles on les avait placés. Le petit garçon frondeur et malicieux que Paul avait aimé avait été remplacé par un fonctionnaire de l'état faible et borné qui s'était toujours contenté de faire son travail sans jamais se poser de question. Avec Dormann, il était monté en grade, occupant un poste important au ministère des transports. Rétrogradé non pour son travail mais pour sa fâcheuse propension à le délation, Anton qui chez lui rédigeait des lettres anonymes de dénonciation de suspects, avait obtempéré et fait face à sa situation nouvelle. Mince, anguleux, le teint pâle, la silhouette un peu tassée, il aimait l'ordre et la discipline et admirait les chefs d'état autoritaires. Arrestations, jugements hâtifs et emprisonnement de tout contrevenant à l'ordre public lui paraissaient les signes clairs d'un pays bien gouverné...

Au téléphone, il fut méfiant quand Paul l’appela et mit beaucoup de temps à accepter de rencontrer dans un bon restaurant ce frère honni. Quand Paul le vit, il eut un haut le corps. Ce petit personnage jaunâtre était révoltant.  Soucieux de ne pas le faire fuir par une confrontation brutale, il s'enquit de sa famille et parla de l'enfance. Anton ne dit rien de mal sur son père qu'il trouvait autoritaire et ferme mais fut condescendant face aux rêveries de sa mère. Sans l'avouer, il était jaloux de la belle trajectoire d'Emil, trouvait la conduite de Florian, leur frère défunt, parfaitement idiote et avoua à Paul que non content d'avoir plastronné comme journaliste, il avait imposé au reste de la famille le spectacle de ses relations anarchiques avec sa femme et celui plus pathétique encore de l'éducation libérale qu'il avait infligée à ses enfants. Et c'était sans parler de ses clowneries ! Le cirque de ses maîtresses, ses écrits arrogants dans la presse puis ses actes de résistance qui avaient de quoi soulever le cœur. Il ne devait pas s'attendre à une mise en cause de son jugement et de sa condamnation. Quand on est inconséquent, voilà à quoi on s'expose !

Moins grand que Paul, Anton était, et il avait dû en souffrir, le plus laid des quatre frères. Il n'avait pas la prestance physique des deux premiers qui, sans être beaux, avaient de l'allure en uniforme, ni le charme méditerranéen de Paul, son élégance vestimentaire et la rondeur de ses gestes. Disgracieux dès l'adolescence, il était devenu chauve, portait des lunettes à grosses montures noires et arborait un embonpoint gênant. En outre, même sa voix était déplaisante. Voyant que Paul le laissait parler sans mot dire, il crut avoir l'avantage et claironna :

-Tu t'attendais à quoi ?

-Mais à ce qu'on se parle !

-Normalement ? Tu sais quand même ce que tu as fait !

-Et ce que toi, tu as fait, on en parle ?  On t'a donné un document à signature et tu l'as signé, acceptant de me renier...Les temps ont changé. Tu n'es pas songeur ?

-Et ça se met en avant !

-Écoute, Anton ! Il y a longtemps qu'on m'a dit que tu étais un imbécile mais nous avons des liens de sang et une enfance commune. Ayant de bons souvenirs de toi, je n'ai pas cru ce que j'ai entendu. J'ai eu tort : c'est vrai.

Anton devint écarlate et faillit jeter son assiette à la tête de son frère mais il se contint par crainte du scandale. C'est qu'il avait les faveurs du nouveau régime !

-Merci Paul. Tu as autre chose à dire ?

-A Étoile, j'ai eu un instructeur chargé de me rééduquer. Quand je pense que ce genre de personnage s'appuient sur des gens comme toi...

Anton ne répondit rien. Son épouse Flavia l'attendait à la maison. Elle avait très mauvais caractère et il ne voulait pas être trop agité pour l'affronter. Quant à leur fille unique, elle était toujours à leur charge puisque mentalement déséquilibrée, elle séjournait chez eux...Il valait mieux écourter ce déjeuner et fausser compagnie à ce poseur. Comme il partait, Paul le retint par le bras :

-Ne me laisse pas l'addition ! C'était déjà assez pénible.

A contre cœur, Anton paya son écho.

-Je ne veux pas que tu me recontactes.

-Compte sur moi. Par contre ne t'avise pas de me critiquer publiquement. J'ai des appuis importants...

Ils se tournèrent le dos au sortir du restaurant. Paul ne souffrit pas spécialement de l'attitude de son frère. Il regretta simplement que Florian, l'autre officier de la famille, fût mort dans des circonstances douteuses. Autant qu'il s'en souvenait, c'était un guerrier doublé d'un esthète. Il était curieux de penser à ce que cela aurait pu donner...

Restait à Paul à se rendre à Marembourg, la ville de son enfance. Elle l'obsédait depuis quelques temps et il voyait un signe dans la récurrence de ses rêveries. Il avait eu la chance d'être élevé dans une maison pleine d'âmes et c’est dans cette belle petite agglomération qu'elle se trouvait. Quand il s'y rendit et la vit, il fut rempli d'émotions et pleura. Nul lieu ne pouvait ressembler à celui-là. Grâce à lui, il brillait...La brève visite qu'il y fit le conforta. Il avait de la chance en un sens : cette ville, cette maison, cette famille...Il était revenu dans son pays et c'était bien !

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20 mars 2024

Battles. Partie 4. Emil, le frère loyal.

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Il trouva la trace d'Emil à Dannick où après avoir cessé ses fonctions d'officier d'armée de terre, il coulait une retraite tranquille. Plus âgé que Paul, il avait toujours eu un caractère rigide et une forme d'esprit qui avait dû plaire à l'armée. Avec l'arrivée de Dormann au pouvoir, il avait cessé de fréquenter Paul et Lisbeth car il ne partageait pas leurs idées. Pourtant, malgré ce long silence, quand ce frère renégat le contacta, il n'éluda pas. Il vivait dans une belle villa du quartier huppé de Dannick avec sa femme et menait une vie assez rigide. Quand il le revit, Paul fut frappé de se ressemblance physique avec son père. Emil était plus grand que celui-ci certes mais il avait le même front haut, les mêmes sourcils épais surmontant de grands yeux marrons et la même bouche mince. Sa voix aussi avait la même tonalité que celle du philosophe disparu...Vêtu d'un complet gris, installé dans un beau salon orné de meubles anciens et de belles gravures représentant des paysages exotiques, le général Barne posa sur son frère un regard hautain.

-Retour d'Angleterre...

-Oui. Le pays me manquait.

-On parle de toi dans les journaux. Remarque, on parlait déjà de toi...

Lena, l'épouse d'Emil, se tenait, cramoisie à côté de son époux. On avait servi du thé mais crispant ses mains l'une contre l'autre, elle ne touchait pas à sa tasse. Elle attendait que Paul fasse un esclandre mais celui-ci ne vint pas. Qu'y avait-il à faire contre les idées désuètes de cet homme d'extrême-droite ? Il n'était pas à pour le convaincre de ses erreurs mais pour évoquer le couple de leurs parents, la vie dans la villa patricienne de Marembourg et leurs jeux d'enfants. Il voulait en savoir plus aussi sur les enfants du couple...Quand le message fut clairement passé, Emil et Lena se détendirent. Oui, leurs trois garçons se portaient bien. Oui, ils étaient tous trois mariés et pères de famille. Deux d'entre eux étaient officiers, un autre était médecin militaire. Oui avoir ses enfants auprès de soi était un bonheur. Paul était disert, passant au-dessus du fait ni son frère ni sa belle-sœur n'avait aimé Lisbeth et qu'ils l'avaient désapprouvé de faire partir ses enfants à l'étranger. Rien ne fut dit sur la prison Étoile et encore moins sur les livres de Paul, mais des photos de famille furent échangées. Paul avait toujours regretté que la maison de leur enfance ait été vendue mais il y a avait quatre orphelins et des études à payer...Emil regrettait lui-aussi. La-dessus ils étaient d'accord mais sur tout le reste, ils divergeaient. Pour cette raison, Paul ne s'appesantit pas et prit congé quand il sentit se tarir les sujets de discussion neutres. Cette rencontre n'était pas négative cependant. Emil ne fermait pas la porte...

26 mars 2024

Battles. Partie 3. Mort d'Eva Richardson.

Comme beaucoup de médecin, Shieffield cherchait le désordre et la faille. S'il avait été moins expérimenté et aussi moins admiratif de Paul, il aurait donné un nom à ses propos peu vraisemblables et isolé une sorte de délire qui satisfaisait son patient. Mais celui-ci était singulier, ne serait-ce que par ce qu'il avait vécu avant d'arriver en Angleterre et il n'avait jamais donné aucun signe de désordre dans les emplois qu'il avait occupés. A l'école de journalisme, ses étudiants l'adoraient et les chroniques qu'il livrait régulièrement à un magazine à grands tirages ne montraient aucune faille. Dans sa logique, qui lui, était propre, il était totalement vrai. L'enfermer dans le cadre strict d'une pathologie aurait été une erreur. Shieffield, bien que surpris et perplexe, ne la commit pas.

Quand il revit Paul pour un autre entretien, il lui dit :

-Un meurtre immatériel, sans indices, sans témoin...

Paul soupira puis se cabra :

-Laissez-moi l'instructeur, laissez-le-moi. Il a fait jaillir le trouble dans ma vie, la violence, la brutalité et l'ambivalence mais tout cela m'appartient.

Il y avait trop de souffrance en Paul pour que Sheffield n’intervînt pas.

-Je vous le laisse, monsieur Kavan.

Plus tard, il lui dit :

-Vous nous quitterez et retournerez à Londres ?

-Oui, il le faudrait car il me faut trouver un nouvel appartement.  Je ne donnerai plus de cours mais je suis journaliste et voudrait travailler. Et il y a mon livre...

-Vous pouvez envisager de vous partager entre Bath et Londres. Je vous donnerai une autre chambre par contre...

-Oui, c'est en effet une offre généreuse.

Il l'accepta et continua d'écrire son livre. A Londres, il ne déménagea pas mais Lisbeth vint souvent et occupa la chambre d'amis.  La vie suivait son cours et des réponses tardives arrivaient à de lourdes questions. Lisbeth qui lisait beaucoup la presse y avait trouvé un entrefilet qu’elle lui fit lire. Dans le Kent, non loin du château de lord Brixton, deux jeunes étrangers qui travaillaient en Angleterre avaient trouvé la mort dans un accident de la circulation. Il s'agissait de Merskin Gruwa,et de Wisam Krugern. Un accident de la route très violent qui avait eu lieu le lendemain de la mort de l'instructeur. Paul fut à la fois et sidéré. Tout prenait sens. Si le Maître mourait, ses émanations disparaissaient aussi. Lisbeth fit peu de commentaire. Il se dit tout de même qu'elle était plus clairvoyante que lui car pour elle lutter contre le Mal était un combat quotidien. Elle s'y était accoutumée depuis longtemps, priant et se préservant.

28 mars 2024

Battles : partie 3. Je ne reculerai pas.

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Winger eut un rire cristallin et rajouta de l’alcool dans le verre de Paul quand celui-ci les eût servis. Puis, il commenta.

-Tu dois être vraiment content parce que quand même, tu as vraiment craint de m'avoir perdu !

-J'avais été rééduqué. Ma confiance en vous était immense. Je ne pouvais croire à votre mort...Mais vous êtes là

Et comme Paul demeurait silencieux il ajouta perfidement :

-Ce qui me donne raison...Je t'avais promis un bel avenir !

-J'en ai un : mon livre, la chute de la dictature. Mon retour en Ambranie.

-Où tu comptes avoir un poste au gouvernement ?

-Je ne sais pas si…

-Oh mais si, tu le sais. Tu en rêves ! L’ardent défenseur de la démocratie ambranienne devient ministre de la culture ! Fanfare, médailles, discours ; jolies femmes que tu baises discrètement.

-Je servirai la démocratie.

-Tu me fais vraiment sourire. Bon, on va commencer...Tu en meurs d'envie de toute façon. Depuis que tu es en Angleterre, tu peux me dire combien de jours se sont écoulés sans que tu penses à moi ? Un tout petit nombre, n'est-ce pas ! Regarde-toi : portant un beau complet neuf, rasé de près, bien coiffé. A quoi ressembles-tu ? A un homme qui attend une femme pour coucher avec elle ? Tu aurais peut-être cet apprêt mais pas cette certitude...C'est moi que tu attends car c'est moi que tu veux. A Étoile, quand je t'ai vu, j'ai vite compris comment te river à moi. C'est viscéral, tu n'y peux rien...Et tu veux que je te dise ce qui est le pire ? Ces partisans qui t'ont enlevé t'ont théoriquement rendu service car tu peux maintenant dénoncer les exactions commises dans ton pays ! Sauf que toi tu regrettes au fond de toi qu'ils soient intervenus. Parce qu'en moi, tu as la seule personne qui te possède complètement car elle sait tout de toi. Elle sait par exemple que le fait que tu aies choisi de résister a davantage été le fruit du hasard que d’une mûre réflexion. Il aurait suffi que tu écoutes davantage tes deux frères militaires, que tu n’épouses pas cette gouine idéaliste et que tu laisses aller. Tu aimes la force, l’autorité et les symboles virils. Tu te souviens, quand je t’ai fait retravailler tes discours ! C’était limpide. Il y a un fasciste en toi. Sinon, pourquoi m’aurais-tu fait revenir…

-Kalantica va sortir.

-Finis ton verre et ressers moi.

Paul le fit. Winger était étourdissant.

-Tu ne veux pas que je sois mort. Ton livre ne vaut rien à partir du moment où tu as cette nostalgie ! Assure ton enterrement littéraire et idéologique ! Écris ce qui doit l'être : ce fasciste exemplaire, pourquoi l'a-t'on exécuté ? Je l'aimais !

Paul pensa qu'il était à terre. Tant de lumière soudain, d'un éclat insoutenable...Markus, qui s’était levé et s’était approché de la fenêtre, avait les cheveux courts, les épaules solides et une nuque presque gracile, extrêmement émouvante. Il fallait tout de même le mettre en joug.

-Tire.

-Je ne vous abattrai pas dans le dos.

-Ah, c’est bon pour les fascistes, ça…Tu veux venger ton aristocrate aux jolis seins et cette grosse pute à qui on a pris tout son argent ?

L’instructeur s’était retourné.

-Allez tire !

Paul visa mal. Une balle partit qui frôla l'épaule de Winger et une autre qui partit dans le vide.

Winger riait.

-Non mais ce n'est pas vrai !

-Laisse ça. Viens, Paul, viens complaire à ton instructeur.

Paul qui avait baissé son arme ne se résolvait à l’échec. Il mit de nouveau l’Instructeur en joug mais au moment où il tirait, il se rendit compte que celui-ci avait un révolver en main. Il venait d’apparaître. Une balle siffla à son oreille et une autre passa près de sa main, le désarmant.

Il gagnait du terrain, si parfait dans son incarnation du mal qu'il était douloureux de soutenir son regard.

-Tu sais, il y a une possibilité intermédiaire. Tu te désapes et on le découvre ensemble, le vrai sens de la vie...Tu ne cesses de m'en faire la demande dans ton for intérieur ! Ma réponse est claire et pour toi, elle est parfaite. On va au lit ?

-Non.

-Alors, tire !

Cette fois, une balle blessa légèrement l'instructeur à l'épaule. Il fit mine d'avoir très mal et Paul, stupéfait, baissa sa garde. Winger se précipita sur lui, le désarma et le fit tomber à terre. Il avait lui-même sorti son arme et visait la tête.

-Mal joué, détenu. Je suis un soldat, tu ne le sais pas ?

 

1 avril 2024

Battles. Partie 3. Eva perdue.

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Il reçut dans une enveloppe brune anonyme les extraits d'un Journal de femme. C'était Eva qui écrivait. Elle se perdait.

 1.

Wisam est assez sauvage mais viril. Il se moque de mon corps et Merskin, aussi ; mais lui, je ne l'aime pas. Il est cruel.

2.

Wisam dit que si j'avais été jeune, il m'aurait prostituée. Je lui aurais rapporté de l'argent, comme ça. Il est sérieux et l'autre rit. Il dit aussi que puisqu'on ne peut pas faire comme ça, c'est moi qui dois payer. Je le fais car je veux faire l'amour avec lui. Pendant ce temps là, l'autre pique des trucs chez moi. Quand je jouis, il m'imite, il fait des couinements.

 3.

Merskin m'a giflée.

Chienne d'ambranienne qui a quitté sa niche. Grosse putain.

Wisam n'a rien dit.

On a fait l'amour ensuite, assez grossièrement. Ce qui me stupéfie, c'est la violence de ma jouissance. Ça me coûte cher car je paie Wisam et donne de l'argent à Merskin. Si je ne le fais pas, il me pince les seins à m'en faire hurler.

Sale truie.

 4.

Grosse somme d'argent donnée à Wisam. Il doit aller en Allemagne. Me propose une partouze avant. Merskin ricane. Plusieurs hommes arrivent et se succèdent. Quand ils partent, il en arrive d'autres. Ils vident les placards, prennent les provisions. Plus tard, je dors. Quand je m’éveille, les deux garçons font l'amour dans la chambre d'amis. Je les entends. Je vais les voir. Ils sont très beaux. Ils ricanent.

-Tu as bien rapporté !

-Pourquoi me volez-vous ?

-Tu n'es pas contente ? Sale suceuse de bites !

Je dois les chasser de chez moi. Ils ne doivent plus rester ici. Je leur dis, ils rient.

Nouvelle partouze dans trois jours.

Distributeur : on y va ? Besoin d'argent. Wisam me l'arrache des mains. Merskin en veut plus.

Le soir, il me prend dans la chambre. Je jouis comme jamais. Il dit que c'est ça qu'il veut de moi, que je donne tout.

L'autre nu et en érection soupire et s'agace. Il veut son compagnon.

 

1 avril 2024

Battles. Partie 3. Paul à Bath. Les ruses de l'Instructeur.

 

A son retour, il y avait une enveloppe blanche doublée de rouge sur sa table. Le message, en ambranien, était plus long qu'à l'accoutumée.

 

Tu ne me hais pas, tu m'aimes car c'est comme

cela que les choses doivent être.

Tu aimes et tu désires ton instructeur.

C'est bien, Paul. Sache que je rends

ton amour. Ne lutte pas.

 

A Shieffield, effondré, il montra cette lettre.

-Elle n'a pas été postée...

-Vous le voyez bien, docteur.

-Quelqu'un l'a bien placé dans votre chambre.

-Certainement.

-Je vais interroger le personnel.

-Vous ne trouverez rien. Personne ne pourra être incriminé car personne n'a rien fait.

-Soit. Ce qu'il dit est vrai ?

Paul se mit à crier :

-Non ! Non !

-Allons Paul, il faut bien aborder le sujet.

-Il m'a appris à l'aimer. C'est le principe de la rééducation.

-Elle implique un lien amoureux, alors ?

-Oui, en un sens.

-Il s'est concrétisé de façon charnelle ?

De nouveau, Paul cria :

-Non !

Et il se cacha le visage. Shieffield marqua un silence puis reprit :

-Si c'est insoutenable pour vous, nous pouvons arrêter.

Cette fois, ce fut Paul qui resta muet un long moment. Puis, il se remit à parler.

-Je n'en sais rien. Quand on me transférait, j'ai fait un rêve horrible où il me possédait à deux reprises. Il  me surprenait la nuit, un peu comme un succube...

-Il vous forçait ? C'était sans plaisir ?

-Je ne pouvais pas résister.

-Pourquoi ?

-Il me subjuguait. Il était très beau.

-Donc ce peut être un cauchemar ou une approche très concrète...

-Je ne sais pas. Pour être franc, cette question me pose problème.

-Et vous éludez.

-Oui.

-Quoi qu'il en soit, il prévoyait une suite à votre relation? 

-Oui, à Dannick. Elle n'aurait pas été officielle mais elle aurait existé.

-La fascination que vous éprouvez pour lui perdure et le désir physique. Je me trompe ? Car il y a bien du désir...

-Il ne faut pas qu'il soit plus fort que mon dégoût.

-Car il a agressé cette jeune femme, Daphne ?

-Oui.

-Et parce qu'il a contraint l'autre femme ?

-Oui et, elle a disparu. Qu'en a t'il fait ? C'est un boucher, un meurtrier. A Étoile, il tuait. J'en ai les preuves.

-Il s'en prendrait à votre femme ?

-Je n'en ai pas le sentiment.

-Et à vos enfants ?

-Ils ont leur vie.

-Il s'attaque à qui a des rapports sexuels avec vous ou est tombé amoureux de vous.

Sheffield resta silencieux, escomptant que Paul lui répondrait, mais celui-ci ne le fit pas.

 

1 janvier 2024

Battles. Partie 3. Paul et le docteur Shieffied. Hommage à Lisbeth.

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Au psychiatre, il dit :

-Les femmes sont fortes et je les admire. Je suis toujours amoureux de Daphne que j'ai blessée mais je respecte son silence plein de force ; et j'ai admiré Eva d'assumer ses désirs même elle a très mal fini. Ces histoires sur l'infériorité de la femme m'ont toujours paru intolérable. Mon père, le philosophe, n'a jamais tenu un seul propos misogyne et ma mère, quant à elle, n'a jamais regretté d'en être une. En Ambranie, du reste, avant que les choses ne se gâtent, elles avaient beaucoup de droits. Elles votaient, pouvaient enseigner à l'université, jouer un rôle politique et bien sûr elles étaient financièrement autonomes. Dormann, quand il s'est approché du pouvoir, a fait mine de trouver cela parfait et bien sûr, dès qu'il l'a pu, il leur a retiré tous leurs droits, y compris celui de ne pas garder un enfant non désiré et de divorcer. Je comprends que Lisbeth se soit mise en colère ! Et bien sûr, la connaissant, il ne fallait pas s'attendre à beaucoup de discrétion de sa part. Avant d'être contrainte à la fuite, elle a été très militante.

-C'est un discours plein de flamme !

-Quand le vent a commencé à souffler, elle s'est démenée comme journaliste tandis que je faisais le dos rond puis Dormann est arrivé à la tête de l'état et s'est arrogé les pleins pouvoirs. A partir de là, il a fait passer toutes les lois qu'il voulait puisque les deux assemblées ne comptaient plus. Il poursuivi les intellectuels et muselé la presse et bien sûr, il a fait établir des listes de suspects. Et nous avons fait tout ce qui était possible pour que Colin et Lisa sortent du pays. Elle m'a dit qu'elle ne se tairait pas et j'ai recommencé à l'aimer comme au début. On m'a fait une offre ronflante, qui cachait un ordre, pour travailler dans un journal à la solde du pouvoir et j'ai dit non. Vous voyez, c'est curieux, j'étais plutôt lâche et elle était une vraie battante mais quand j'ai reçu cette proposition, j'ai changé. L'incertitude a régné quelques temps puis, il est devenu clair qu'on allait l'arrêter. Elle est entrée en clandestinité. Elle était plus informée que moi en ce domaine et je n'ai même pas su où elle s'enfuyait. Elle avait raison. Les arrestations étaient nombreuses et on frappait ceux qui étaient emprisonnés pour qu'ils parlent...J'ai encore reçu une proposition pour travailler dans je ne sais quel ministère et écrire des discours pour un des sbires de Dormann. Cette fois, si je disais non, je passais sur la liste.

 

 

6 avril 2024

Battles. Partie 3. Quitter Londres. Affronter.

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1. De Londres à Bath. Bander ses forces.

Paul Kavan choisit de se mettre à l'écart. Il doit écrire son livre sur la chute d'une dictature d'une part et de l'autre, il ne veut pas que ses proches soient inquiétées par des forces du Mal désormais virulentes. En même temps, il sait que l'Instructeur Winger se manifeste à lui sous diverses formes et qu'il faudra qu'il s'oppose à lui définitivement.

 Au matin de son départ, alors qu'il attendait son taxi pour aller à la gare, il eut une vision claire du bel instructeur. Ils roulaient vers Dannick. Bientôt, ils y mèneraient une autre vie.

-Il m'a rivé à lui. Il m’observe. Je me bats. Il pare tous les coups et il attaque.

Dans la voiture blindée, Winger tournait son visage vers le sien et souriait.

-Ah, tu t'es réveillé !

-Oui, Instructeur.

Comment fallait-il faire pour qu'il n'ait plus aucun pouvoir ? C'était le dilemme de Paul.

Le voyage fut tranquille et, à Bath, Paul alla directement à son hôtel et s'y prélassa avant d'aller se promener. C'était une ravissante ville du comté de Somerset qui se targuait de disposer de thermes romains et d'une architecture de l'époque géorgienne de toute beauté. Distante de Londres de cent quatre-vingt kilomètres, elle lui permettrait de rejoindre rapidement la capitale, si toutefois il trouvait une issue. Il aimait encore Daphne et souhaitait renouer avec elle mais pour l'heure, c'était Lisbeth qui annonçait son arrivée.

-L'Henrietta House Hotel. Parfait pour moi !

Sa femme avait beau l'avoir souvent exaspéré, il était soulagé qu'elle vienne. Elle avait raison : elle comprenait qu'il était en danger et s'en souciait.  En l'ayant à ses côtés, il serait plus fort. Du reste, il guetta son arrivée.

-Comparons nos chambres !

-Si tu veux, Paul !

Ils passèrent d'un hôtel à l'autre.

-La tienne est plus belle !

Lisbeth riait mais elle était au fait de la situation.

-Nous avons bien fait de venir. Si quoi que ce soit se produit, je prendrai une chambre dans le même hôtel que toi.

-C'est généreux.

Elle l'étonnait. Elle avait été tempétueuse, jalouse, pleine d'aigreur et elle avait totalement changé.

-Il t'embête, hein ?

-Celui dont je ne parle pas ?

-Oui. Eva, Daphne. Tes livres, ta vie...

-Toi-aussi, tu pourrais toi-aussi avoir peur de lui...

-Moi, ici, je suis passe muraille. Pourquoi s'en prendre à moi ? Et Dieu pourvoit, tu connais mes théories. A toute personne attaquée par les forces du Mal, il faut un allié qui aime prier.

Paul ne put que sourire mais il le fit sans moquerie. L'aide de Lisbeth serait précieuse.

15 avril 2024

Battles. Partie 2. Eva et PauL Liaison charnelle.

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Il acquiesça. Dix jours passèrent où il la posséda à chaque fois. De nouveau, il tenta de se reprendre. Ce n'était pas un adultère classique. Il était comme mû par un élan qui le dépassait. Mal à l'aise, il lui parla :

-Arrêtons.

-Vous en avez besoin ! Daphne ne sait rien et j'imagine qu'elle-aussi vous la montez. Vous ne pouvez pas être libre avec elle, mais avec moi, si.

Il aurait pu facilement la faire taire mais c'était comme si une voix intérieure s'opposait en lui à tout renoncement. Il était conduit, quasiment dépassé alors même qu'il était amoureux de Daphne et conscient du danger. Ils se virent un peu moins mais Eva, sûr qu'il ne parvenait pas à rompre, insista. Un jour, après un long travail commun, elle se mit nue et parut mal à l'aise.Il fut caustique :

-C'est l'heure ?

Elle lui répondit aussitôt :

-Ce type de baise...Soyez moins classique. Dominez-moi ! Vous savez de quoi je parle, j'en suis sûre...

-C'est ça que tu veux !

-Oui, oui, Paul et je suis sûre que vous serez parfait.

-Tu fais erreur.

-Non. Je sais de quoi je parle.

L'espace d'un instant, il se retrouva à la prison Étoile. Il forçait une de ces jeunes filles qu'on lui prostituait alors que celle-ci cherchait à parler avec lui. Il se mordit les lèvres.

-Je n'aime pas la manière forte !

Elle eut un sourire étrange. S'il refusa le premier jour  il céda dès le second et il découvrit que dominer lui était facile.  Après avoir à demi-dénudée Eva, il la fessait, l'entravant parfois et ne la laissant jouir qu'au bout d'un certain temps. Elle marchait à quatre pattes dans l'appartement puis il la prenait brutalement en lui tirant les cheveux et la faisait crier.

-Vous jouissez bien, Paul, je suis heureuse de le constater.

-Tu fais ce qu'il faut !

-Je sers vos exigences...

S'il avait été impérieux longtemps avant avec ses maîtresses successives, jamais il ne s'était comporté ainsi. Tout en lui changeait. Il insultait Eva, la traitait de truie, la faisait boire et mangeait dans des écuelles, la frappait, jouait avec ses seins et ses organes génitaux et la prenait. Elle aimait la sodomie, qu'il n'avait pratiqué qu’occasionnellement. Elle apportait de la corde, des jouets sexuels, des masques pour lui comme pour elle, des bougies...Chaque jour, il jouait.

-Vous me comblez, Paul, vous êtes mon maître.

-Tu es une putain.

-Je suis la vôtre. Il vous en faut une.

-Tu es donc prête à tout ?

-Pour vous, oui. On peut se voir ailleurs et vous pouvez demander à un autre homme de me forcer. Ce sera un plaisir pour moi que vous nous regardiez. Sinon, vous pouvez me vendre sur internet. Il y a des sites spécialisés ; votre anonymat sera total. Il vous suffira de proposer vos services pour fournir une putain à des hommes isolés. Et il y a de nombreux autres jeux...

 

15 avril 2024

Battles. Partie 2. Rencontre avec Eva Ridcharson.

Il affirma vouloir l'être mais au fond de lui, il avait des doutes. Il devrait faire face à des forces si puissantes ! Toutefois, il n'y avait plus de raison de différer la traduction de Kalantica et il rencontra traductrice proposée par lady Brixton. » Celle-ci l'avait présentée comme ayant une bonne réputation.

Eva Richardson, une quinquagénaire qui vivait depuis longtemps en Angleterre était née, comme lui, à Marembourg. Elle avait fait de solides d'études d'allemand et d'anglais, ce qui lui avait permis de se faire un nom sur le marché de la traduction.  Elle alternait projets confidentiels et d'autres plus commerciaux et avait traduit les derniers romans d'une romancière américaine à la mode, ce qui avait augmenté sa visibilité. Toutefois, revenir aux auteurs de son pays d'origine la passionnait, car peu les connaissait. Ils se donnèrent rendez-vous dans un salon de thé londonien. Pas très grande, replète, Eva Richardson portait ce jour-là un tailleur dans les brun-doré trop ajusté mais elle dégageait beaucoup d'énergie. 

-Traduire Horic Hortiz et Pavel Evdon ?

-Oui, j'ai besoin d'un spécialiste de la traduction.

-Je comprends. J'espère que le fait que j'ai traduit des romans à l'eau de rose ne va pas vous égarer.

-Non, vous m'avez envoyé vos références. Et Hedgehood, l'éditeur, doit les connaître aussi.  Vous êtes chevronnée.

Eva était la veuve d'un ingénieur anglais qui l'avait éloignée de sa formation de traductrice. Pendant de nombreuses années, elle avait mené une vie oisive puis sa passion pour son métier avait été la plus forte. Elle était précise et travailleuse.

-Il vous faudra résider à Londres.

-Ce ne sera pas un problème pour moi. J'y ai un peu de famille.

-Vous êtes née à Marembourg, comme moi !

-Oui et nous avons le même âge.

-Avez-vous souvent l'occasion de parler notre langue ?

-Eh bien, rarement. Voilà, mes parents avaient un bel hôtel restaurant dans le temps et j'ai décidé d'étudier les langues étrangères car, à l'origine, je ne pensais pas vivre ailleurs qu'en Ambranie. L'été de mes vingt ans, j'ai rencontré un Anglais qui venait passer ses vacances dans notre pays, sac au dos. Il n'était pas très argenté mais mes parents l'ont eu à la bonne et lui ont donné de petits travaux de réparation à faire dans l'hôtel en échange d'une chambre plutôt spartiate au ré de chaussée. Il m'a plu et je lui ai plu. Un coup de foudre, si vous voulez. Bien sûr, il n'est pas resté mais notre séparation était trop dure : il est revenu. Finalement, il a demandé ma main.

-Et vous êtes partie vivre avec lui !

-Oui. J'étais très jeune à mon arrivée en Angleterre. Il y a un peu plus de trente ans, rien n'était pareil. On m'a donné des équivalences de diplômes et j'ai pu poursuivre mon cursus. Arthur, lui, a fait des études d'ingénieur chimiste. Nous allions souvent en Ambranie. Il a appris la langue. Évidemment, quand nos deux filles sont arrivées, c'est devenu plus compliqué mais on a continué. Enfin, pendant certains temps car j'ai lâché des années durant. Et puis, de nouveau, j'ai réussi à décrocher des contrats et à traduire des auteurs. Mais votre question était : est-ce que je parle quelquefois l'ambranien ?

-En effet.

-Depuis la mort d'Arthur, non. Personne ne parle cette langue à York.

-Mais, et vous, monsieur Kavan ?

-Je ne la parle guère.

-Oh, en ce cas, c'est un bonheur partagé !

Elle était contente de s'être bien habillée car ce Paul Barnes était plutôt bel homme. Il avait ce charme un peu méditerranéen des Ambraniens du sud. Et il avait une belle voix chaude.

-Oui, avec vous, je redécouvre le plaisir de parler ma langue...

Paul était un peu distrait. Il ne faisait pas tellement attention à Eva, ayant Daphné en tête. S'il avait été moins rêveur, il aurait capté ses regards. Elle l'observait avec insistance, fixant de temps en temps sa bouche et ses yeux. Elle évaluait son élégance et regardait ses mains...

Lui, se voulant formel, poursuivit :

-Pavel Evdon. « Kalantica ! » Personne ne l'a jamais traduit. Pas de point de comparaison...

-Oui, monsieur Kavan, mais ça ne signifie rien. Il nous faudra être très rigoureux.

-Naturellement !

15 avril 2024

Battles. Partie 2. Liaison avec Eva. Obscénité.

 

 

Paul, qui aurait dû l’être révulsé par ses propos, se sentit excité. Il alla passer deux jours dans un petit appartement qu'on prêtait à Eva et la malmena autant qu'il put. Il était comme fou. Elle exultait. Il n'avait jamais joui autant. Quand il revint, et qu'il se retrouva seul chez lui, il trembla. On avait glissé une enveloppe blanche doublée de rouge sous sa porte. Au milieu d'une page blanche, il lut deux mots clairs.

 Ah Ah !

 Il se comportait comme un tortionnaire, lui, l'homme intègre et respecté. Il faisait le jeu du cavalier blond dont il savait bien qu'il était Winger et il le faisait plus sciemment qu'il ne se l'avouait. C'était pitoyable. Cette fois, il réagit et prévint Eva.

-J'ai d'importantes raisons ne pas poursuivre.

-La traduction n'est pas terminée.

-Je le sais. Il reste un cinquième du texte. Nous pouvons faire autrement. Nous travaillerons séparément et nous enverrons nos versions. Et nous ferons chacun une relecture générale.

-Je ne crois pas que vous puissiez agir ainsi.

-Eva, si, j'ai de très bonnes raisons.

-Votre compagne ?

-Entre autres.

Tout d'un coup, elle devint insinuante. Le visage cramoisi, elle cria :

-Je sais bien qui tu es, je t'ai débusqué et nous nous reverrons.

-Non, pas de cette façon.

-Tu veux ta bonne chienne !

Elle tourna autour de lui et fit tant et si bien qu'il termina assis sur un fauteuil, jambes écartées. Elle s'agenouilla et lui donna du plaisir. Elle était vraiment experte, il en suffoqua. Elle resta encore et il la prit. Une fois apaisée, elle chercha à le convaincre :

-Voyez comme vous avez déchargé ! Un sperme très abondant ! Nous devons poursuivre.

-Non.

-Je sais vous faire jouir. Je vous donne ce dont vous avez besoin. Vous ne pouvez vous épanouir que dans le contrôle de l'autre et son humiliation. Allons, je lis cela en vous. Vous agiriez mal en vous écartant de celle qui vous comprend si bien et vous permettra d'atteindre les confins de la jouissance. Avec moi, vous êtes pleinement vous-même. Attendons un peu et de nouveau, vous voudrez me voir. Ce sera une nécessité.

De nouveau, il était assailli. Pourquoi se comportait-il ainsi ? Les paroles du chirurgien suédois lui trottaient dans la tête. » Nous avons opéré deux fois, vous redeviendrez l'homme que vous étiez mais j'ai des doutes sur une rémission complète. A certains moments, vous serez traversé par d'étranges pulsions... » C’était le cas, il le sentait et on n'en était encore qu'à un terrain privé ! Et elle, était-elle toujours en quête de sexe brutal ou se faisait-elle manipuler à son insu par des forces qui la dépassaient ? Elle lui avait paru posée au départ. Dans quelle spirale étaient-ils tombés ?

-Il faut partir. On fera comme j'ai dit.

Comme elle récriminait, il fut très sec et la mit à la porte. Il s'attendait à des appels, des lettres mais bizarrement, elle ne fit rien.

Confus, il alla voir Daphne. Elle avait de soupçons depuis un moment mais ne disait rien. Prétextant qu'il se montrait moins attentif et aimant avec elle, il décida, voulant la choyer, de l'inviter à dîner dans un grand restaurant. Il la charma. Il redevint l'homme à l'esprit affûté avec lequel elle aimait échanger, ses yeux bruns brillant d'intelligence et ses belles et larges mains dessinant des figures inédites dans l'air tandis qu'il parlait. La nuit, également, il fut très ouvert à elle et lui fit l'amour avec cette même sincérité qui l'avait subjuguée.

 

 

 

 

18 avril 2024

Battles. Partie 2. Le roman policier de Daphne.

 

Ce fut une belle période. Elle allait chez lui et lui chez elle et ils œuvraient ensemble. Daphne avait choisi comme victimes un lot de vieilles dames fortunées, comme tueur, un jeune homme désaxé et comme justicier un fringant policier quadragénaire. Ce ne serait pas un grand roman mais une lecture qui aurait ses exigences. Le lectorat, cette fois, ne pourrait faire la fine bouche...Deux mois durant, ils rédigèrent et l'esprit de Paul s'emplit de décors variés, d'armes diverses, de mobiles sordides et de vies perdues. Il avait besoin de cette rémission car, il le savait, il ne lâcherait pas ses objectifs. Le livre sur l'instructeur serait écrit et la traduction faite. Quand il rentrait chez lui et qu'il ouvrait sa boite aux lettres ou qu'il regardait sous sa porte, il ne trouvait rien de répréhensible. Mais, il le savait, cela viendrait.

Interrogeant un jour Daphne sur la culture de son père, il reçut cette réponse triomphale :

-Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi cultivé que lui ! Les littératures grecques et romaines n'ont aucun secret pour lui !

-Il a d'autres centres d'intérêt ?

-L'équitation je te l'ai dit.

-Et les dictatures ?

-Mais certainement pas ! Il aime l'histoire, ça, c'est sûr.

-Il ne soutient pas que toute critique sur un régime dictatorial est infondée ? Il y a une logique en tout, une race est forcément supérieure à une autre, une grande partie de la population n'est faite que pour être soumise et travailler, une autre est constituée de parasites...

-Mais d'où cela sort-il ? Mon père t'a reçu chez lui !

-Il ne te dit pas tout de lui-même.

-Pourquoi écrirait-il des choses pareilles ! Je ne prends pas ça au sérieux !

-Admettons. Et ta mère ?

-Elle aime la musique et les livres. Qu'est-ce que tu veux savoir ?

-Rien, ma chérie.

Paul préféra changer de sujet ; il ne voulait pas que Daphne s'étonnât de son questionnement. Il avait  été très sûr d'elle, il l'était moins. Disait-elle bien tout ce qu'elle savait ? Il préféra revenir à son roman.

-« La Dérive de Tom ? » n'est pas un titre accrocheur !

-C'est mon roman, Paul.

-Fais comme tu veux.

-Non, propose.

- « Une larme de rhum dans mon thé ». Je te l'ai déjà dit. Toutes ces dames âgées ont cette faiblesse. Ça suscitera l'intérêt, je t 'assure.

-Oui, d'accord. C'est drôle en plus !

Il lui sourit. Le roman était bouclé mais ils firent encore des corrections, Paul insistant lourdement pour qu'elles se fassent. Le manuscrit fut envoyé. En attendant l'impression du texte, Daphne se préoccupa de l'avancement des travaux de la librairie dont elle voulait être la reine. Ce ne serait pas seulement un espace de lecture où on pourrait acheter des ouvrages et entendre des auteurs s'exprimer, ce serait aussi une petite salle de spectacle et un restaurant salon de thé  Une si jeune femme à la tête d'un pareil édifice, cela était surprenant si on méconnaissait la fortune des Brixton et leur ambition. Si on la connaissait, tout coulait de source. Quand les livres emplirent les rayonnages et que la décoration du restaurant et de la salle de spectacle furent terminées, ils furent ravis. Elle, plus que lui. Du premier étage, on avait une vue splendide sur les rues environnantes et Paul qui s'en émerveillait fut soudain perplexe. Il était aussi facile d'observer les passants d'en haut qu'à ceux-ci de vous guetter. Rien n'avait d'importance pour l'instant mais le vernissage approchait. Il y aurait beaucoup de monde. Et en effet, la fête quand eut lieu attira des kyrielles d'invités. On photographia beaucoup la reine des lieux et on l'interviewa. Paul était au premier étage quand il aperçut dans la rue un long jeune blond et un autre, plus massif et très brun. Ils bavardaient entre eux avec animation, indifférents semble t'il à cet événement dont ils ne savaient rien. Toutefois, Paul ne fut pas dupe. Le jeune homme blond leva la tête et le regarda sans sourire. Tout était très clair. C'était le cavalier blond. Il le fixait mais Paul ne baissa pas les yeux. L'échange dura quelques secondes puis l'inconnu vêtu de noir fit un signe de la main, comme pour saluer. Comme pour mettre fin à son trouble, la voix de sa jeune amante le fit revenir à la réalité.Le temps que Paul se retourne, l'inconnu blond avait disparu avec son comparse.

-Je te cherche.

Daphne était dans son dos et ses parents la suivaient.

-Père trouve que tu as eu raison pour le titre de mon roman. Il est drôle et percutant.

Lord Brixton était souriant mais son regard était froid. Celui de sa femme aussi.

-C'est une fête magnifique !

-Oui, Daphne.

En rentrant chez lui, après le vernissage, Paul s'attendit à trouver un nouveau courrier anonyme. Il n'y en avait pas. Daphne, la librairie, les deux jeunes hommes, ce pouvait être une diversion. Il ne touchait pas au livre sur l'Instructeur et laissait en plan ses projets de traduction. Il cédait en fait. Sur une feuille de papier, il écrivit à l'encre noire :

 Vous pensez gagner ?

Il alla se faire un café et ne revint dans sa chambre qu'une heure après. Il y a un message à l'encre rouge sur la feuille.

 Évidemment. Tu as embrassé mes bottes.

Çà laisse des traces...

  

Ce fut une belle période. Elle allait chez lui et lui chez elle et ils   œuvraient ensemble. Daphne avait choisi comme victimes un lot de vieilles dames fortunées, comme tueur, un jeune homme désaxé et comme justicier un fringant policier quadragénaire. Ce ne serait pas un grand roman mais une lecture qui aurait ses exigences. Le lectorat, cette fois, ne pourrait faire la fine bouche...Deux mois durant, ils rédigèrent et l'esprit de Paul s'emplit de décors variés, d'armes diverses, de mobiles sordides et de vies perdues. Il avait besoin de cette rémission car, il le savait, il ne lâcherait pas ses objectifs. Le livre sur l'instructeur serait écrit et la traduction faite. Quand il rentrait chez lui et qu'il ouvrait sa boite aux lettres ou qu'il regardait sous sa porte, il ne trouvait rien de répréhensible. Mais, il le savait, cela viendrait.

Interrogeant un jour Daphne sur la culture de son père, il reçut cette réponse triomphale :

-Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi cultivé que lui ! Les littératures grecques et romaines n'ont aucun secret pour lui !

-Il a d'autres centres d'intérêt ?

-L'équitation je te l'ai dit.

-Et les dictatures ?

-Mais certainement pas ! Il aime l'histoire, ça, c'est sûr.

-Il ne soutient pas que toute critique sur un régime dictatorial est infondé. Il y a une logique en tout, une race est forcément supérieure à une autre, une grande partie de la population n'est faite que pour être soumise et travailler, une autre est constituée de parasites...

-Mais d'où cela sort-il ? Mon père t'a reçu chez lui !

-Il ne te dit pas tout de lui-même.

-Pourquoi écrirait-il des choses pareilles ! Je ne prends pas ça au sérieux !

-Admettons. Et ta mère ?

-Elle aime la musique et les livres. Qu'est-ce que tu veux savoir ?

-Rien, ma chérie.

Paul préféra changer de sujet ; il ne voulait pas que Daphne s'étonne de son questionnement. Il avait très sûr d'elle, il l'était moins. Disait-elle bien tout ce qu'elle savait ? Il préféra revenir à son roman.

-« La Dérive de Tom ? » n'est pas un titre accrocheur !

-C'est mon roman, Paul.

-Fais comme tu veux.

-Non, propose.

- « Une larme de rhum dans mon thé ». Je te l'ai déjà dit. Toutes ces dames âgées ont cette faiblesse. Ça suscitera l'intérêt, je t 'assure.

-Oui, d'accord. C'est drôle en plus !

Il lui sourit. Le roman était bouclé mais ils firent encore des corrections, Paul insistant lourdement pour qu'elles se fassent. Le manuscrit fut envoyé. En attendant l'impression du texte, Daphne se préoccupa de l'avancement des travaux de la librairie dont elle voulait être la reine. Ce ne serait pas seulement un espace de lecture où on pourrait acheter des ouvrages et entendre des auteurs s'exprimer, ce serait aussi une petite salle de spectacle et un restaurant salon de thé  Une si jeune femme à la tête d'un pareil édifice, cela était surprenant si on méconnaissait la fortune des Brixton et leur ambition. Si on la connaissait, tout coulait de source. Quand les livres emplirent les rayonnages et que la décoration du restaurant et de la salle de spectacle furent terminées, ils furent ravis. Elle, plus que lui. Du premier étage, on avait une vue splendide sur les rues environnantes et Paul qui s'en émerveillait fut soudain perplexe. Il était aussi facile d'observer les passants d'en haut qu'à ceux-ci de vous guetter. Rien n'avait d'importance pour l'instant mais le vernissage approchait. Il y aurait beaucoup de monde. Et en effet, la fête quand eut lieu attira des kyrielles d'invités. On photographia beaucoup la reine des lieux et on l'interviewa. Paul était au premier étage quand il aperçut dans la rue un long jeune blond et un autre, plus massif et très brun. Ils bavardaient entre eux avec animation, indifférents semble t'il à cet événement dont ils ne savaient rien. Toutefois, Paul ne fut pas dupe. Le jeune homme blond leva la tête et le regarda sans sourire. Tout était très clair. C'était le cavalier blond. Il le fixait mais Paul ne baissa pas les yeux. L'échange dura quelques secondes puis l'inconnu vêtu de noir fit un signe de la main, comme pour saluer. Comme pour mettre fin à son trouble, la voix de sa jeune amante le fit revenir à la réalité.Le temps que Paul se retourne, l'inconnu blond avait disparu avec son comparse.

-Je te cherche.

Daphne était dans son dos et ses parents la suivaient.

-Père trouve que tu as eu raison pour le titre de mon roman. Il est drôle et percutant.

Lord Brixton était souriant mais son regard était froid. Celui de sa femme aussi.

-C'est une fête magnifique !

-Oui, Daphne.

En rentrant chez lui, après le vernissage, Paul s'attendit à trouver un nouveau courrier anonyme. Il n'y en avait pas. Daphne, la librairie, les deux jeunes hommes, ce pouvait être une diversion. Il ne touchait pas au livre sur l'Instructeur et laissait en plan ses projets de traduction. Il cédait en fait. Sur une feuille de papier, il écrivit à l'encre noire :

Vous pensez gagner ?

Il alla se faire un café et ne revint dans sa chambre qu'une heure après. Il y a un message à l'encre rouge sur la feuille.

 Évidemment. Tu as embrassé mes bottes.

Çà laisse des traces...

Alors qu'il restait sans mot dire, Lisbeth appela.

-Je viens à Londres. Ma vie change. Je vais y travailler.

-Comment cela ?

-Je fais des rêves étranges.

-Quel genre de rêves ?

-Ils te concernent. Tu erres dans un labyrinthe, tu te noies...Des images oniriques violentes mais pour moi alarmantes. Il n'est pas bon que tu sois seul. Je me trompe ?

-Peut-être pas...

-Tu vois. Qu'est-ce qui t'inquiète ?

-Ma rééducation. Trop de souvenirs. Je me sens comme hanté.

-J'arrive.

-Tu me prends au sérieux ?

-N'en doute pas. Je sais de quoi ils sont capables.

Le roman de Daphne parut, se vendit bien et plut à la critique. Pour elle, c'était une phase heureuse. Pour Paul aussi. Mais une guerre commençait et bientôt, il ne sourirait plus.

 

 

18 avril 2024

Battles. Partie 2. Manoir d'Holinghurst. Ce cavalier...

-Qui êtes-vous ?

L'homme blond ne parut pas entendre et conduisit son cheval dans la cour.

-Qui êtes-vous ?

Tout de même, l'inconnu répondit après être monté sur son cheval.

-Un invité comme vous. Votre cheval est magnifique. Vous êtes chanceux !

Il avait une cravache à la main. Ce maintien, ce visage, cette voix bien timbrée et autoritaire...Était-ce possible ?

-Vous êtes Ambranien, n'est-ce pas ?

-Ambranien ?

-Oui, votre allure, votre accent !

-Je ne comprends pas...

-Moi non plus...

-Quoi ?

En un instant, Paul se sentit si mal qu'il dut s'appuyer contre  Souverain noir qui, équipé, s'était retourné et, posait sur lui des yeux inquisiteurs. Le cavalier remarqua bien le malaise de son interlocuteur mais n'en tint aucun compte et partit au trot avec son cheval.

-Attendez !

Pourquoi était-ce maintenant ? Pourquoi était-ce si violent ? Ce jeune homme cravache en main. Étoile.

-DS. Cinquante-huit trois deux cent sept neuf.

Le cavalier arrêta son cheval et se retourna, fixant Paul.

-Je ne comprends pas, je vous l'ai dit !

Sa ressemblance avec Markus Winger était cette fois hallucinante. Il avait la même voix et la même autorité glaçante.

Paul vacillait :

-Moi, si...

Agacé, le cavalier eut un sourire froid et s’éloigna.

Paul, médusé, sentit qu'il perdait connaissance. « Ce n'est pas lui, ce n'est pas lui ! Son visage était plus plein, son nez droit mais plus court, ses mains qui étaient moins fines…Sauf si c'est le contraire et que tout est pareil.  Cette blondeur, cette voix, cette allure... »

Il lui semblait qu'à l'intérieur de son corps, tout se contractait et, allongé au sol, presque inconscient, était à l'écoute d'une voix lointaine mais railleuse et cruelle :

«Parce que tu crois que c'est fini, Paul ? Tu as vraiment cru ça ? Eh oui, ils t'ont opéré car ils étaient très inquiets et ils le sont restés, tu sais, avec raison...Extirper de toi ce qu'on y a mis…Médecins imbéciles...C'est moi qui suis en toi... »

Paul sentait contre sa joue l'haleine de son cheval. Il ne pouvait réagir, pris tout entier par cette voix cinglante et mauvaise :

«Disparu ? J'ai disparu ? Je n'ai rien oublié de toi et toi de moi. On a pensé à tout...Hein, regarde-toi ! Aurais-tu imaginé cela ? Reconnais que c'est bien trouvé. Personne ne te croira. Tu es troublé, tu as des séquelles... »

Il entendit qu'on courait vers lui.

«Je te fais toujours de l'effet. Je dirai même plus : je ne vais plus cesser de t’en faire...Souviens-toi : tu es dans le labyrinthe »

Un garçon d'écurie lui parlait déjà et Daphné arrivait, affolée.

-Paul ! Paul ! Oh mon Dieu ! Aidez-moi ! Vous, remettrez ce cheval à l’écurie ! Enfin qu'est-ce qui se passe !

Quand Paul reprit conscience, il était allongé sur son lit, dans les dépendances et n'avait aucun souvenir de la façon dont on l'avait transporté là.

 

 

25 janvier 2024

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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
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