Battles. Partie 4. Magda Egorff. Avant l'héroïsme.
Bien avant que Paul n'ait eu l'idée de s'occuper de ceux que la dictature de Dormann avait condamné au silence et à l'inaction, puisqu'ils refusaient de collaborer, Magda, elle, avait réagi. Née dans une famille qui n'avait aucun souci d'argent, elle avait grandi dans un milieu très cultivé. Son père était un industriel béni des dieux et sa mère une passionnée de poésie. Ils tenaient salon et la petite fille avait très vite fait connaissance avec des sculpteurs, des peintres, des poètes et des écrivains qui n'étaient pas tous très connus mais avaient de la valeur. On parlait à n'en plus finir lors de ses soirées, on refaisait le monde et on ne s'arrêtait guère que pour écouter tel virtuose ou tel cantatrice qui tout d'un coup faisaient jaillir Mozart ou Chopin, Satie ou Bizet...Magda, des années après, restait ébloui du flair de ses parents car beaucoup de ceux qui avaient été reçus dans la maison familiale, avaient été très admirés, que leur succès soit prompt à venir ou qu'il soit différé. Jeune fille, elle avait bénéficié d'une éducation soignée mais dans laquelle on lui avait laissé toute liberté. Après avoir voulu être religieuse, ce qui n'avait attiré aucun commentaire désobligeant ni ricanement de la part de ses parents, elle avait voulu se tourner vers le chant et avait pris des cours avant d'intégrer le conservatoire où elle avait été formée par les meilleurs. Quelques années durant, elle avait donné des concerts et on avait loué sa voix de soprano. A cause de ses possibilités vocales et d'une présence scénique très figée, elle avait vite rencontré ses limites. Elle ne serait pas une grande cantatrice. Beaucoup l'auraient très mal pris, elle non. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elle s'était lancée dans des voyages lointains d'où elle avait tiré des recueils de poèmes un peu sibyllins ainsi que des contes et des carnets de voyage. Magda, qui n'avait aucune prétention littéraire, usait d'un style dépouillé plein d'accents poétiques et avait su trouver son public. Elle aurait donc pu exploiter le filon de l'orientalisme puisque ce qu'elle disait de la Chine ou du Japon plaisait beaucoup ou encore enrichir ses lecteurs d'autres contes car ceux qu'elle avait écrits étaient très singuliers, mais tous ses projets étaient restés en suspens quand son père, qui avait un cœur affaibli, avait décidé de se retirer prématurément en Suisse. Fille unique et héritière, Magda était jolie et courtisée. Elle ne s'était pas fiancée mais le fit, pour pallier sans doute au départ de ses parents. Deux ans plus tard, ayant toujours refusé de se diriger vers le mariage, elle se retrouva seule et en fut réjouie. Elle avait trente ans. Elle se sentait vaillante mais vacilla encore et eut un fils d'un homme qui n'était pas son mari mais souhaitait l'être. Prise dans des histoires d'argent qui lui montrait du père de son enfant un visage bien hostile, elle tergiversa afin qu'il pût les voir l'un et l'autre. Au final, il le lui laissa.