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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
28 mars 2024

Battles. Partie 3. Mais tu existes à peine !

 

Paul poussa un hurlement. Cette créature fantomatique était le diable. Elle avait ramassé son révolver et s’était approché de lui. Il sentait contre sa tempe, le métal froid du pistolet automatique de son ennemi.

-Tu es là où tu dois être. Avec moi. Proche de moi mais inférieur. Je t'ai appris à ne rêver que de cela. Tu as oublié ? J'ai su avec toi, très vite, j'ai toujours su...-Tu as toujours su que je reviendrais quand tes appels seraient suffisamment puissants. Tu m'aimes, je le sais. Deux possibilités, deux. Je te dis lesquelles ?

-Vous allez me tuer.

-Quel imbécile ! Ton livre paraît, tu files en Ambranie et là, tu renies tout ce que tu as dit et écrit. Tu disparais très vite, dans un des camps de formation que nous avons et de là, tu deviens comme moi.

-Non, tirez. Je ne ferai pas cela. Je ne trahirai pas.

-Mais tu ne serais pas un traitre.

-Et naturellement, vous êtes sûr de vous ! Vous « savez » !

-Vous avez toujours « tout » su pour moi, Instructeur, c'est bien là le problème...

-Parce que ça marche comme ça détenu DS.Cinquante quatre vingt trois. Deux cent sept neuf. Qu'est-ce que tu crois être aujourd'hui sinon la continuation de ce matricule ?

Winger s’écarta mais garda son arme à la main. Il ricanait. Paul, lui, faisait face.

 -Mon livre sera publié quoi qu'il arrive et j’aurai parlé. Si vos sbires m’attaquent ou si vous-même le faites, je me hisserai à la position de héros. Vous voulez faire de moi le martyre d'une cause qui vous est essentielle ? Qui aura raison ? Moi.

-Fort bien.

Winger était reparti chercher les verres.

-On finit la bouteille ?

-Non…

-Oh, mais si.

Tout changeait. Une sorte de torpeur s’emparait de Paul et Markus lui-même, semblait plus détendu. Il venait d’ôter le pullover qu’il portait et restait en t-shirt militaire.

-Tu te souviens, la dernière nuit, quand on transitait ?

-Non !

Cette fois, l’Instructeur se mettait torse nu.

-Moi très bien. Je t’ai fait un peu mal. Je t’ai surpris, c’est vrai.

-C’était avilissant.

-Tu mens ; tu as aimé. Déshabille-toi, Paul.

-Et si je ne le fais pas ?

Winger ricana une fois de plus et reprit son automatique.

-Allez, fais-le.

-Je n’ai pas peur de la mort.

-Mais si…Paul, s’il te plaît.

Il céda et lentement, se dévêtit. L’instructeur se mit nu, lui-aussi.

-On va au lit, Paul !

Ils s’allongèrent l’un à côté de l’autre. Le corps de l’instructeur était incandescent. Paul sentait qu’il tombait dans une spirale du Mal.

-Qu'est-ce que tu crois ? On est des centaines et des centaines à la surface de la terre. On a tous les pouvoirs ! Tu as toujours été pathétique, avec tes croyances puériles sur la démocratie et la liberté ! Heureusement, il avait cette dévotion que tu avais pour moi ! Pardon, que tu as toujours ! Et maintenant !

Winger commençait à se coucher sur Paul quand on frappa brusquement à la porte et on appela.

-Monsieur Kavan, c'est le service d'étage.

Interdits, aucun des deux hommes ne réagit. La voix se fit insistante.

-Monsieur Kavan, êtes-vous là ?

Avant même que Paul ne réponde, on mit une clé dans une serrure et on s'annonça. C'était une voix féminine. En un rien de temps, l'instructeur fila dans la salle de bain tandis que Paul se précipitait sur ses vêtements.

-Attendez !

Il se trouva bientôt nez à nez avec une jeune fille qui rougit violemment.

-Mais il y a quelqu'un ! Vous avez demandé des serviettes supplémentaires. Je pensais les déposer sur votre lit. 

-Je n'ai rien demandé.

-Ah mais si ! Il y a eu un appel tout à l’heure. Je vous pensais absent.

-Ce n'est pas grave.

Elle partit.  Paul pensait que tout allait recommencer quand il trouva le révolver de Winger, qu’une couverture avait dissimulé. Il s’en saisit. Il ne pouvait plus faillir cette fois. Du reste, Markus réapparaissait, offrant toujours une nudité athlétique aux proportions parfaites. Sans attendre qu’il parle, Paul tira et l’atteignit à l’épaule puis au ventre. L’instructeur eut le temps de gémir et de s’arrêter. Du sang commençait à couler.

Soudain, la pièce parut s'emplir d'un étrange brouillard et il lui sembla que tout devenait insonore.

-Paul ! Mais Paul !

 

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28 mars 2024

Battles. Partie 3. Seconde mort de l'Instructeur Winger.

Homme-Nu-De-Dos-2

 

L’apparence très matérielle du soldat parut soudain se fragiliser. Des lambeaux de lui subsistèrent comme s'il n'existait plus tout entier. Avec force, Paul cria :

-Tu existes à peine !

Et l'image du jeune soldat se délava plus encore. Cela rassura celui qui avait été Battles.

-Il va y avoir un coup d'état en Ambranie...Dormann va tomber. La démocratie va revenir.

Une voix lointaine lui répondit :

-Que valent les écrits d'un antifasciste fêté et applaudi quand il en vient à ressusciter son tortionnaire ? Tu n'as eu de cesse de combattre un régime que tu as honni mais tu m'as laissé t'envoyer des émissaires avant de venir jusqu'ici ! C'est ça, ta liberté ? Le nouveau président se fera tuer lors d'un bain de foule et sous couvert de remettre de l'ordre, l'armée fera le ménage et virera l'intérimaire qu'on aura mis à sa place ! Tu ne veux vraiment rien savoir, toi !

-Instructeur !

La pièce était toujours brumeuse. Malgré tout, Paul s'accrochait à son revolver et dans un entrelacs de lumière, Winger réapparut, toute sa force retrouvée... Il fallut tirer encore. Le cœur fut atteint. Cette fois, l'instructeur tomba brusquement à terre.  Il resta étendu les bras en croix et les jambes écartées tandis que Paul, toujours armé, s'approchait de lui. Il restait magnifique alors même que le sang commençait ruisselait sur son beau corps, inversant toute valeur. Un superbe gisant...Que comprendrait-il à cette mort, celui qui avait su la donner à d'autres qui ne savaient pas se défendre ou étaient aux abois ? Rien sans doute sinon qu'il butait sur une fin cette fois inéluctable. Rageur, Paul le contempla avec dureté :

-Vous mourez Instructeur.

-Toi aussi, plus tard, tu vas mourir de ton idéalisme...

-Je crois que ce sera après toi...Du reste, tu es venu... tu savais...

Le beau visage se crispa et la voix aussi changea, plus rauque :

-Je savais quoi ?

-Que ce serait ta seconde mort. Un guerrier comme toi qui se laisse prendre !  Où est ton arme ?

-Mon arme ?

-Elle est avec moi. Vous me l’avez donnée !

-Ah…

De façon surprenante, Paul n'entendait aucune galopade dans les couloirs et personne ne frappait à la porte. Pourtant, dans un établissement de ce genre, il y a toujours beaucoup de vigilance de la part du personnel.

Winger le regarda encore puis mourut. Ses yeux, grand-ouverts, se figèrent et il y régna un bleu glacial. Et il n'y eut plus alors que le silence.

Paul attendit dans la chambre qu'on frappe à la porte et qu'on lui crie d'ouvrir mais de nouveau, il fut surpris. Tout restait parfaitement silencieux. Il finit par remettre son manteau et par descendre dans le hall de l'hôtel où il était sûr qu'on l'arrêterait mais on ne fit que le saluer poliment. Il erra dans les rues, un peu hasard et laissa filer deux heures. C'était suffisant pour avoir trouvé le corps, qui avait dû perdre beaucoup de sang. Toutefois, à son retour, Paul fut stupéfait. Il imaginait les abords de l'hôtel envahis par des voitures de police et une escouade de policiers prêts à l'arrêter. Il avait laissé le revolver prêt du cadavre et tout indiquait qu'il était le meurtrier...Toutefois, il ne vint aucun changement alentour et il put traverser le hall et prendre l'ascenseur sans que quiconque ne s'interpose. Sa chambre n'avait pas été ouverte et comme il y entrait, la jeune employée maladroite lui sourit.

-C'était bien une erreur !

Il la salua. Le lit était fait, son ordinateur fermé et aucun manteau de cuir noir n'était posé sur un fauteuil. Dans la salle de bain, tout était intact. Le pathétique objet sexuel qu'avait brandi l'instructeur avait disparu lui-aussi et il n'y avait pas de cadavre.

 

26 mars 2024

Battles. Partie 3. Le dossier Kavan.

A Bath, alors qu'il séjourne dans la clinique du docteur ShIeffield, Paul trouve dans sa chambre un dossier qui ne devrait pas s'y trouver: c'est celui que l'instructeur Winger, qui l'a cruellement rééduqué en Ambranie, a reçu à la prison Etoile le concernant. Ce dossier a traversé l'espace et le temps...

Perplexe, Paul s'assit sur un fauteuil d'abord puis sur le lit et il fut surpris en le faisant d'y découvrir une grande enveloppe brune. Elle paraissait un peu ancienne et comportait les mentions Dossier secret et Confidentiel en ambranien. Le cœur battant, Paul la décacheta et sursauta. C'était le dossier qui avait été remis à l'instructeur Winger au moment de son transfert à Étoile. Il avait de l’être lu et relu et était annoté de sa main...

 

Kavan Paul

dit Battles

Section politique

Journaliste

A rééduquer

DS. Cinquante-huit trois. Deux cent sept neuf.

 

Instructeur: Markus Winger

Rééducateur de première classe

 

Durée du processus : neuf à douze mois.

Mention : cas difficile

 

Un dossier donc et non un corps sans vie car Paul devait bien se rendre à l'évidence : le cadavre de l'instructeur avait disparu. Il était impossible de le sortir sans se faire remarquer ou laisser des traces et quand bien même on y serait parvenu, restaient le couvre lit, les couvertures et les draps imbibés de sang. Il aurait manqué la couverture supplémentaire glissée dans l'armoire ou tout au moins un drap et de toute façon cette évacuation aurait laissé des traces : sang, meubles déplacés. Même avec un nettoyage appliqué, il aurait été difficile, vu le contexte, de tout remettre dans un ordre parfait. Toujours perplexe, Paul resta à l'hôtel jusqu'au terme de sa réservation. Il écrivit, lut en entier le rapport qui avait été écrit sur lui à laquelle était adjointe une fiche signalétique sur son instructeur. A aucun moment il ne fut inquiété et il finit par se dire qu'il perdait sans doute la raison...Pourtant, dans son revolver il manquait quatre balles et finit par trouver, collés à son veston, deux courts cheveux d'or qui ne pouvaient venir que de la chevelure de l'instructeur...Totalement perdu, il lut la fiche de son tortionnaire.

 

Winger Markus

Étoile.

Instructeur.

 

Né le 4 Juin 1985 à Dannik. Ambranie.

185 cm, 80 kilos

Blonds, yeux bleus

Pas de signe particulier

Lycée international de Dannik. Bac avec mention. 2003.

Unité militaire Forza. Engagement de cinq ans. 2003-2008.

Formation des cadres de la sécurité intérieure : deux ans. Major promotion 2010.

Affecté à la prison Rosa de Dannick. Enquêteur de seconde classe. 2010-2012

Enquêteur de première classe : 2012-2013

Affecté sur recommandation et excellence du dossier comme instructeur à la prison Étoile en janvier 2014

Instructeur de première classe.

 

Remarques :

Père et mère affiliés au Parti. Position prééminente pour le père.

Bilingue allemand-anglais.

Efficace, zélé, discipliné, respect des autres.

Bonnes connaissances en psychologie et méthodes d'intimidation.

Sportif accompli : courses à pied, haltères, natation, tennis.

Tireur d'élite.

A infiltré des réseaux de résistance sous les pseudonymes de Merskin Gruwa ou Wisam Krugern.

 

Remarques annexes :

Sexualité à ne pas sanctionner au vu de soutiens en haut lieu.

 

Des photos très protocolaires accompagnaient le bref dossier. Il y en avait quatre qui présentaient Markus Winger à divers stades de sa formation. Toutes étaient glaçantes. Notamment les deux qu'il n'avait jamais vues...C'était un nazi qui était là, un monstre.

Alors mort depuis longtemps ou depuis peu ?

Dangereux jusqu'au dernier moment ?

Disparu à jamais ?

Paul lut son dossier complet annoté puis relut la fiche de l'instructeur. Il ne se sentait plus aussi démuni. Quelques bizarres qu'aient pu être les événements, ils allaient dans un sens positif...

Il maintint sa présence à l'hôtel pendant quelques jours encore, travailla, lut et relut les documents et demeura stupéfait. Leur découverte modifiait la structure de son livre, qui prenait un tour bien plus incisif et personnel...

 

26 mars 2024

Battles. Partie 3. Clair obscur.

 

5. Eva, Kalantica et préparatifs de départ.

Paul séjourne toujours à Bath et consulte le docteur Shieffield, qui est psychiatre. Celui-ci le sonde toujours sur sa relation à son défunt instructeur en prison. Pour Paul, celui-ci n'est pas vraiment mort. Il frappe encore. Eva, la traductrice et amante de Paul, meurt sordidement; mais le grand roman de Paul sur l'echec de toute dictature, paraît. Il s'agit de "Kalantica."

 Paul retourna à Bath. A la clinique, il vit Sheffield.

-Je vous ai dit aller quelques jours à Londres pour en finir avec lui.

-C'est exact.

-Il s'est présenté à moi, m'a tourné en dérision, m'a tenté aussi et j'ai tiré. Il manque quelques balles dans mon revolver. Il n'a pas été très long à quitter ce monde. Il a eu l'air surpris jusqu'à la fin.

-A l'hôtel ? C'est là qu'il s'est montré ?

-Dans la chambre que j'avais retenue, oui...

-Et vous êtes là, si libre ?

-On est venu au début mais ensuite, non. Je n'ai pas dû faire beaucoup de bruit...

-Tout de même ! Le corps n'a pas été découvert ?

-Il a disparu. Je veux dire, après le meurtre, je suis sorti prendre l'air. A mon retour, la chambre était intacte. Il savait que j'allais tirer. Il a laissé faire.

-Pourquoi ?

-La force peut naître de la faiblesse et les mots peuvent beaucoup...Celui que j'ai vu était vraiment celui de la prison, glaçant, impérieux, du moins au début. Il fallait que je le tue car dans mon roman, c'est un personnage fort.

-On dirait que ça vous a semblé facile...

-En effet. Il ne pouvait que demander à disparaître pour pouvoir sans doute être mythifié ensuite....

-Admettons, Paul mais tout de même ! Vous me l'avez présenté comme le prototype du fasciste. Et c'était facile...

-Il n'était plus si cohérent. Moins insinuant, moins puissant...Du reste, il s'est laissé surprendre. Et puis, à un moment, la pièce était pleine de brouillard. Je sais, cela peut paraître bizarre...

-Ce qui est important, c'est de savoir si vous, vous trouvez cela bizarre.

-Oui. J'avais le dessus. C'était comme s'il n'avait plus la même vitalité, comme s'il se caricaturait lui-même aussi...

-Et c'est tout.

-Non. Le corps a disparu, le revolver aussi. Ce fasciste, moi, j'ai été capable de tuer ! Je ne pensais pas avoir un pouvoir de mort sur quiconque mais je l'ai eu sur lui. Sa peau blanche qui luisait et cet objet...

-Un objet ?

-Oui, un objet sexuel, un phallus de petite dimension...Je vous l'avais montré. Il l'avait avec lui ce jour-là.

-Le signe du rapport sexuel que vous alliez avoir ...Son unique arme...

-Non, il avait un revolver.

-Vous ne m'avez pas vraiment répondu, là...

-Non.

Paul se tut et regarda Shieffield Celui-ci était plongé dans ses pensées...

Sa formation de psychiatre lui avait appris à accepter le matériau brut que lui livrait un patient pour ensuite le retravailler avec lui. Ici, Paul parlait d'un mort qui devait être tué une seconde fois, d'un redoutable tueur qui commettait des bévues surprenantes et d'un meurtre qui n'attirait pas l'attention alors qu'il se déroulait dans un lieu public. Et c'était sans parler d'un cadavre qui se volatilisait, de documents secrets qui entraient brusquement en sa possession et de deux émanations du même personnage crucial qui se volatilisaient.

Paul racontait avec force et ne se coupait jamais. Il revenait de lui-même sur un point qui lui semblait confus et mêlait, sans y voir de contradiction, les événements naturels et surnaturels. C'était cette cohérence et cette force qui impressionnaient le psychiatre et lui faisait défendre la position de son patient. Le meurtre de l'instructeur ne pouvait être que symbolique et le lien de celui-ci avec les deux disparus du Kent flagrant pour l'unique Paul. Ces documents exceptionnels qu'il mettait en avant devaient provenir d'une autre source. Quant à ces femmes avec qui il avait eu des liaisons, il n'avouait son ambivalence avec elle que pour charger davantage l'instructeur.

 

 

26 mars 2024

Battles. Partie 3. Mort d'Eva Richardson.

Comme beaucoup de médecin, Shieffield cherchait le désordre et la faille. S'il avait été moins expérimenté et aussi moins admiratif de Paul, il aurait donné un nom à ses propos peu vraisemblables et isolé une sorte de délire qui satisfaisait son patient. Mais celui-ci était singulier, ne serait-ce que par ce qu'il avait vécu avant d'arriver en Angleterre et il n'avait jamais donné aucun signe de désordre dans les emplois qu'il avait occupés. A l'école de journalisme, ses étudiants l'adoraient et les chroniques qu'il livrait régulièrement à un magazine à grands tirages ne montraient aucune faille. Dans sa logique, qui lui, était propre, il était totalement vrai. L'enfermer dans le cadre strict d'une pathologie aurait été une erreur. Shieffield, bien que surpris et perplexe, ne la commit pas.

Quand il revit Paul pour un autre entretien, il lui dit :

-Un meurtre immatériel, sans indices, sans témoin...

Paul soupira puis se cabra :

-Laissez-moi l'instructeur, laissez-le-moi. Il a fait jaillir le trouble dans ma vie, la violence, la brutalité et l'ambivalence mais tout cela m'appartient.

Il y avait trop de souffrance en Paul pour que Sheffield n’intervînt pas.

-Je vous le laisse, monsieur Kavan.

Plus tard, il lui dit :

-Vous nous quitterez et retournerez à Londres ?

-Oui, il le faudrait car il me faut trouver un nouvel appartement.  Je ne donnerai plus de cours mais je suis journaliste et voudrait travailler. Et il y a mon livre...

-Vous pouvez envisager de vous partager entre Bath et Londres. Je vous donnerai une autre chambre par contre...

-Oui, c'est en effet une offre généreuse.

Il l'accepta et continua d'écrire son livre. A Londres, il ne déménagea pas mais Lisbeth vint souvent et occupa la chambre d'amis.  La vie suivait son cours et des réponses tardives arrivaient à de lourdes questions. Lisbeth qui lisait beaucoup la presse y avait trouvé un entrefilet qu’elle lui fit lire. Dans le Kent, non loin du château de lord Brixton, deux jeunes étrangers qui travaillaient en Angleterre avaient trouvé la mort dans un accident de la circulation. Il s'agissait de Merskin Gruwa,et de Wisam Krugern. Un accident de la route très violent qui avait eu lieu le lendemain de la mort de l'instructeur. Paul fut à la fois et sidéré. Tout prenait sens. Si le Maître mourait, ses émanations disparaissaient aussi. Lisbeth fit peu de commentaire. Il se dit tout de même qu'elle était plus clairvoyante que lui car pour elle lutter contre le Mal était un combat quotidien. Elle s'y était accoutumée depuis longtemps, priant et se préservant.

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26 mars 2024

Battles. Partie 3. Parution de "Kalantica."

 

Enfin, le roman fut au point. C'était un gros roman épique qui avait vu le jour mais c'était aussi, bien que le héros fût loin d'être un jeune homme, un roman d'apprentissage. Il était trop simple pour Nader de considérer que la démocratie était idéale et le fascisme un poison mortel car c'étaient bien les faiblesses du régime démocratique qui, dans son pays, avait permis l’avènement d'un pouvoir totalitaire. Il devait, comme chacun de ceux qui avaient les mêmes rêves que lui, laisser croître en lui une vraie liberté qui le rendrait partie prenante d'un état mieux dirigé, avec un vrai partage des pouvoirs...Entre Lisbeth et son mari, il y eut bien des chamailleries sur la façon dont Nader avait vécu avant que son pays ne tombe dans la dictature et sur la façon dont Paul représentait un dictateur omnipotent et paranoïaque mais jamais Paul ne se sentit contraint à changer de direction. Il avait volontairement, fabriqué un personnage d'instructeur jeune et beau comme l'était Markus Winger mais bien plus monolithique que son modèle. La part de l’ambiguïté sexuelle qui était au centre de leurs relations avait été quasiment escamotée car, en écrivain qui réfléchit à l'impact de ce qu'il écrit, il voyait bien qu'il fausserait son propos. Voulait-il jouer sur l'épique et montrer que son pays retrouvait la liberté et lui donnait une place à lui qui avait tant œuvré pour la défendre ou parler d'une relation individuelle dans laquelle les valeurs du bien et du mal s'affrontaient avec violence ? Si c'était cette deuxième option qu'il privilégiait, il lui faudrait partiellement discréditer son héros pour ensuite montrer qu'il échappait malgré tout aux forces des ténèbres...Mais c'était là infléchir son propos qui devenait bien plus intime. Doublement conseillé par Lisbeth et son éditeur anglais qui, à tout prendre était moins pointu qu'elle, il fit le choix inverse. En simplifiant la figure de l'instructeur, il renforça la combativité de Nader Stanzy et son triomphe sur sa vulnérabilité...

Faire ce choix crédibilisait la lutte de celui qui était entré en résistance et permettait de dresser de nombreux portraits de ceux qui avaient aidé le fugitif ou l'avaient écouté. De la même façon, il pouvait, en évoquant le séjour de son héros à la prison Étoile, parler de ceux qui y étaient internés avec tendresse et émotion, ce qui, il le savait, crédibiliserait son propos. Enfin, s'il prenait cette option, il rendait logique l'insertion de Stanzy dans un pays qui retrouvait la démocratie. Plein d'ombres, ce même personnage aurait généré le doute. Paul voulait l'adhésion...

Paul avait le sentiment d'être allé au bout d'une tâche redoutable...Restait l'impression et la publication de son livre et surtout, sa réception.

 

26 mars 2024

Battles. Partie 3. Avant le retour au pays.

Amoureux des librairies, Paul trouva dans l'une d'elles un recueil de dessins réalisés par un anonyme. Il y trouva deux portraits à l'opposé l'un de l'autre. Le premier présentait un homme abattu et presque servile. Il faisait penser à un prisonnier.  Le second avait un visage décidé, de beaux traits nobles et une autorité patricienne. A l'évidence, pourtant, c'était la même personne. Les deux autres dessins étaient faits à l'encre rouge et non plus noire. Ils représentaient dans les deux cas un jeune militaire à la beauté imposante. Sur l'un, il était de face et portait la tenue austère mais élégante. Sur l'autre, il était de dos et nu. Dans les deux cas, il était d'une beauté singulière.

Paul médita longtemps sur ce prisonnier et sur ce jeune barbare puis s'apaisa. Ces deux êtres évoquaient tous les bourreaux et toutes les victimes de ce monde. Mais la liberté revenait, triomphante.

-Dormann a eu une crise cardiaque. C'est dans la presse.

-Oui, dit Paul, je suis au courant. Son dauphin ne vaut pas grand-chose et l'armée refuse de le soutenir. Il va y avoir des élections.

-Nous pourrons rentrer. En attendant, que vas-tu faire ?

-Aller sur la tombe d'Eva à York et présenter de nouveau mes excuses à Daphne.

-Tu sais où la joindre ?

-L'appartement où je la voyais lui appartient. Sinon, elle a changé toutes ses adresses. Je lui écrirai.

-Elle ne sera contente de ton message quand elle le recevra, mais plus tard...Ton livre, Les Ombres de la liberté, sortira et se vendra bien ! C'est le signe que tout change. Une nouvelle vie, nous-aussi nous en aurons une.

-Bientôt.

En effet, son livre parut et reçut d'élogieuses critiques. Paul fut fêté par ses amis journalistes et plusieurs étudiants qui avaient aimé ses cours.  Il y avait aussi des éditeurs, des écrivains ou de simples personnes qu'il appréciait.Avec Lisbeth, il prit quelques vacances pour se rendre à  New York et la Floride. Après de longues fiançailles, Colin épousait Ann, une américaine dont la mère était allemande. Avocate comme lui, elle était mobile. Ils envisageaient donc de travailler non plus aux USA mais en Allemagne, ce qui les rapprocherait de l'Estrerie. Lisa, elle, avait annulé son mariage et avait un nouveau compagnon. Elle avait redécouvert son père suite à ses incursions en Angleterre mais elle n'envisageait rien en dehors de l’Amérique. Ce furent des temps de retrouvailles et de restauration d'eux-mêmes, et tout évolua comme prévu. Ils étaient non plus amoureux mais très soudés, ce qui ravit leurs enfants.

Il fallut encore rentrer à Londres pour d'ultimes formalités et des fêtes. En Estrerie, L’effondrement de la dictature s'était accompagné d'un immense mouvement populaire portant au pouvoir un homme politique qui ne se disait pas corrompu, Eduardo Calmann ! La presse et les médias s’intéressaient soudain à ce petit pays qu'hier encore ils négligeaient. Du nouveau gouvernement, Paul avait reçu de chaudes invitations à rentrer au pays et des propositions de travail très honorifiques. Lisbeth, elle semblait sans projet. Elle l'aimantait et l'intriguait cette femme qui, de très entière était devenue si calme et souple.

 

-Que feras-tu ?

-Aller au plus près des déshérités. Sous quelle forme, je ne sais pas encore. Je travaillerai avec gens magnifiques !

-Mais ce ne sera pas une villégiature...

-Non. Mais tu auras beaucoup de travail, toi aussi.

-J'imagine.

-On ne sera pas dans les mêmes villes...

-Je sais, Lisbeth.

 

 

26 mars 2024

Battles. Partie 3. Londres. Dannick.

Amedeo_Modigliani_-_Paul_Guillaume_-_Google_Art_Project

Désormais certain de quitter l’Angleterre, Paul commençait à espérer une vie meilleure. Toutefois, il ne pouvait être dupe. Ces années anglaises avaient été mouvementées mais celles qui s'annonçaient dans son pays le seraient aussi puisqu'il comptait bien jouer un rôle important dans la reconstruction de son pays. Quand il fallut vraiment partir, il fut ému.

-Cinq ans et tant de rencontres !

L'été arrivait. Lisbeth et lui partiraient ensemble et Colin qui ne voulait pas manquer cet épisode de la vie de ses parents arriverait peu avant à Londres pour voyager avec eux. Quand il atterrit à Londres, Lisbeth et Paul se sentirent galvanisés. Ils offraient l'image d'un couple qui s'était reformé, ce qui ne pouvait que rassurer leur grand fils. Ensemble, ils se promenèrent et parlèrent. Colin restait très fier de son père. Les Ombres de la liberté avait reçu de très bonnes critiques là où il était paru et la traduction de Kalantica avait laissé admiratif. Le livre allait paraître dans cinq autres pays...

Enfin, ils prirent l'avion. C’était un vol direct Londres -Dannick. Il s'était écoulé six ans depuis que Paul avait pour la dernière fois foulé la terre natale, sept pour Lisbeth et combien plus pour leur fils ! A son arrivée à l'aéroport, Paul et les siens furent officiellement accueillis par un envoyé du nouveau gouvernement. Avoir réussi à échapper à son pays par des moyens illicites pour y revenir avec les honneurs quelques années plus tard était inouï pour lui ! Une voiture les attendait, on leur avait réservé un hôtel et très bientôt, Paul rencontrerait le nouveau chef de l'état avant d'avoir un plus long entretien avec le premier ministre. Qu'auraient dit le directeur de la prison Étoile et l'instructeur Winger si on leur avait dit que tout finirait ainsi ? Il y avait de quoi admirer cet étrange bouleversement du sort...

26 mars 2024

Battles. Partie 3. Retrouver Dannick.

Dannick, dès qu'il la redécouvrit, lui parut en pleine mutation. Les drapeaux et les insignes de l'ancien pouvoir avaient bien sûr disparu mais un certain nombre de statues n'avaient pas encore été déboulonnées, ce qui rendait leur spectacle sinistre puisque, la plupart du temps, on les avait couvertes de graffiti. L'hôtel de la police secrète qui avait permis entre autres au bel instructeur d'obtenir une formation hors pair était fermé ainsi que bon nombre de clubs ou d'associations qui avaient dû être des bastions du pouvoir. Malgré cela, les signes d'un passé inquiétant n'étaient pas difficiles à voir. A son arrivée, Paul constata que beaucoup de gens marchaient le long des routes et ceci dès l'aéroport et qu'on se déplaçait souvent en vélo ou en transports en commun. Il est vrai que Dormann avait, les derniers temps, généré une énorme pénurie de carburant, souhaitant sans doute freiner les échanges. Il repéra aussi des immeubles à l'abandon, des jardins publics dévastés et un certain nombre de petits commerces en berne. Malgré tout, quand ils furent entrés en ville, il retrouva les promeneurs et les travailleurs qui marchaient, eux, d'un pas plus vif et constata avec plaisir qu'il y avait beaucoup de monde aux terrasses des cafés. Avenues et rues étaient en bon état et respiraient la propreté. Cinémas et théâtres n'affichaient plus les mêmes niaiseries patriotiques. Tout cela paraissait galvanisant. L'hôtel était confortable, il n'était pas si tard et avant de dîner, Paul, Lisbeth et Colin allèrent faire un tour dans le quartier de l'opéra. Il avait toujours aussi fière allure et comme on était en juillet, il ne tarderait pas à faire relâche car ses musiciens et ses chanteurs iraient, tout comme les danseurs se produire un peu partout dans des théâtres de plein air. Il en existait beaucoup quand Paul était jeune et il avait assisté en famille à Marembourg ou ailleurs à de nombreux spectacles.

-On joue Madame Butterfly, tu as vu ?

-Oui, père.

-Et il y a du beau monde ! Des gens en tenue de soirée ! J'espère que ce ne sont pas les mêmes qu'il y a quelques temps...

-Dormann n'était pas mélomane, Lisbeth !

Tout leur semblait de bon augure cependant et ils étaient heureux. Curieusement, aussi, parce que l'un vivait depuis des années en Amérique et l'autre avait dû passer par la Suède et l'Angleterre pour y retrouver sa femme en exil, ils étaient dépaysés .Cette ambiance très Europe centrale, ces palais, ces églises et ces salles de spectacle qui dataient souvent du dix-neuvième ou du vingtième siècle, cette architecture rococo ou néoclassique et l'omniprésence des teintes orangées dont la lumière de l'été soulignait l'intensité, tout concourait à faire du centre de Dannick une fête de tous les instants mais les années de dictature l'avaient fait disparaître. Voilà qu'elle revenait ! Tous trois s'installèrent à la terrasse d'un café qui faisait face à l'opéra et renouèrent avec la cuisine ambranienne : poisson en sauce aux herbes, boulettes de viande, soufflé aux fruits rouges...Le service était diligent et les convives détendus. Son pays avait donc vraiment changé...A l'hôtel, Colin qui était arrivé de New York trois jours avant que le départ de Londres soit définitif, fit part de son malaise. Devenu par la force des choses un jeune américain, c'était un vrai défi pour lui que d'accompagner ses parents dans leur périple de retour. Il craignait, pour l'avoir quitté à quinze ans, de ne voir son pays qu'avec les yeux d'un touriste. Il aurait mieux renseigné un voyageur sur les curiosités à ne pas manquer dans l'état de New York que sur la richesse des musées de Dannick ! Et il en souffrait. Mais comme toujours, son père que le sort n'avait pas épargné, semblait posséder le don extraordinaire de l'enthousiasme et de la régénérescence. Et sa mère avait le même dynamisme. Ils quadrillaient la ville et se l'appropriaient. Il les accompagna donc.

 

26 mars 2024

Battles. Partie 3. Paul, retour d'exil. Rencontre avec le chef d'état et honneurs.

 

Et puis, les honneurs attendaient Paul. Une après-midi, il eut rendu vous avec Eduardo Calmann. Celui-ci le reçut au palais présidentiel dans le bureau même où Jorge Dormann avait lancé tant d'ordres assassins...La décoration, à ce qu'il comprit, avait été modifiée ainsi d'ailleurs que tout l'agencement de la pièce. Tout en brun doré et en rouge sombre, orné de tableaux et de quelques miroirs, dotée d'une belle bibliothèque, la pièce répondait à un impératif simple : signaler que l'ambition et le bon goût étaient au pouvoir. Calmann avait surpris tout le monde en se montrant particulièrement organisé et convaincant, l'année qui avait été de celle de l'agonie de Dormann. Il était certes le chef incontesté d'un parti de gauche qui ne manquait pas de soutiens mais on lui accordait peu de crédit. Un beau parleur doublé d'un homme de salon. La façon dont il avait géré l'éviction du dauphin en contraignant l'exécutif moribond et les deux chambres à valider une élection au suffrage universel tirait l’admiration. Élu à une écrasante majorité selon des moyens démocratiques, il avait un important charisme personnel et des idées à revendre. On s'était trompé sur lui : c'était un homme de terrain...

L'entretien qu'il eut avec Paul fut assez bref. Une cérémonie serait bientôt organisée pour que celui-ci reçoive l'hommage auquel il avait droit. On le décorerait. Beaucoup de ceux qui avaient résisté avaient trouvé la mort dans les geôles du dictateur ou face à un peloton d’exécution. Parmi ceux qui s'étaient enfuis, peu rentraient. Paul faisait donc un geste courageux et patriotique en délaissant une vie qu'il s'était reconstruite ailleurs pour revenir dans un pays où tout était à faire renaître. A la fois prolixe et synthétique, le nouveau chef d'état flatta l'homme et ses multiples figures : le journaliste, le résistant, l'exilé, le pamphlétaire, le traducteur et le romancier...Paul était de nature humaine et celle-ci est prompte à accepter la flatterie. Il fut heureux de ces éloges et plus fier encore qu'elle sorte de la bouche d'un chef d'état. Quittant les ors et les fastes du bureau présidentiel, il gagna celui du premier ministre qui, plus pragmatique, l'informa des dispositions qu'on prenait pour lui.

 

 

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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
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