Battles. Partie 3. Avant le retour au pays.
Amoureux des librairies, Paul trouva dans l'une d'elles un recueil de dessins réalisés par un anonyme. Il y trouva deux portraits à l'opposé l'un de l'autre. Le premier présentait un homme abattu et presque servile. Il faisait penser à un prisonnier. Le second avait un visage décidé, de beaux traits nobles et une autorité patricienne. A l'évidence, pourtant, c'était la même personne. Les deux autres dessins étaient faits à l'encre rouge et non plus noire. Ils représentaient dans les deux cas un jeune militaire à la beauté imposante. Sur l'un, il était de face et portait la tenue austère mais élégante. Sur l'autre, il était de dos et nu. Dans les deux cas, il était d'une beauté singulière.
Paul médita longtemps sur ce prisonnier et sur ce jeune barbare puis s'apaisa. Ces deux êtres évoquaient tous les bourreaux et toutes les victimes de ce monde. Mais la liberté revenait, triomphante.
-Dormann a eu une crise cardiaque. C'est dans la presse.
-Oui, dit Paul, je suis au courant. Son dauphin ne vaut pas grand-chose et l'armée refuse de le soutenir. Il va y avoir des élections.
-Nous pourrons rentrer. En attendant, que vas-tu faire ?
-Aller sur la tombe d'Eva à York et présenter de nouveau mes excuses à Daphne.
-Tu sais où la joindre ?
-L'appartement où je la voyais lui appartient. Sinon, elle a changé toutes ses adresses. Je lui écrirai.
-Elle ne sera contente de ton message quand elle le recevra, mais plus tard...Ton livre, Les Ombres de la liberté, sortira et se vendra bien ! C'est le signe que tout change. Une nouvelle vie, nous-aussi nous en aurons une.
-Bientôt.
En effet, son livre parut et reçut d'élogieuses critiques. Paul fut fêté par ses amis journalistes et plusieurs étudiants qui avaient aimé ses cours. Il y avait aussi des éditeurs, des écrivains ou de simples personnes qu'il appréciait.Avec Lisbeth, il prit quelques vacances pour se rendre à New York et la Floride. Après de longues fiançailles, Colin épousait Ann, une américaine dont la mère était allemande. Avocate comme lui, elle était mobile. Ils envisageaient donc de travailler non plus aux USA mais en Allemagne, ce qui les rapprocherait de l'Estrerie. Lisa, elle, avait annulé son mariage et avait un nouveau compagnon. Elle avait redécouvert son père suite à ses incursions en Angleterre mais elle n'envisageait rien en dehors de l’Amérique. Ce furent des temps de retrouvailles et de restauration d'eux-mêmes, et tout évolua comme prévu. Ils étaient non plus amoureux mais très soudés, ce qui ravit leurs enfants.
Il fallut encore rentrer à Londres pour d'ultimes formalités et des fêtes. En Estrerie, L’effondrement de la dictature s'était accompagné d'un immense mouvement populaire portant au pouvoir un homme politique qui ne se disait pas corrompu, Eduardo Calmann ! La presse et les médias s’intéressaient soudain à ce petit pays qu'hier encore ils négligeaient. Du nouveau gouvernement, Paul avait reçu de chaudes invitations à rentrer au pays et des propositions de travail très honorifiques. Lisbeth, elle semblait sans projet. Elle l'aimantait et l'intriguait cette femme qui, de très entière était devenue si calme et souple.
-Que feras-tu ?
-Aller au plus près des déshérités. Sous quelle forme, je ne sais pas encore. Je travaillerai avec gens magnifiques !
-Mais ce ne sera pas une villégiature...
-Non. Mais tu auras beaucoup de travail, toi aussi.
-J'imagine.
-On ne sera pas dans les mêmes villes...
-Je sais, Lisbeth.