Après son année anglaise, Léo a travaillé. Il a été successivement réceptionniste dans un hôtel parisien, barman, serveur dans divers cafés de la capitale, vendeur dans un magasin de chemises chic pour hommes, figurant dans plusieurs films et même professeur de français pour des anglophones en vacances en France. Il s'en est toujours bien sorti. De l'université, il a gardé quelques contacts avec des étudians qui étaient dans la même année que lui; tous ont été surpris de sa capacité à rebondir et à toujours trouver une issue. De son passé de prostitution, il n'a pas gardé de contact.

"J'ai revu Canoffi une fois par hasard dans un restaurant à Paris. C'était à midi et il était seul. Moi aussi. Des années nous séparaient de nos rencontres. Je n'ai pas voulu l'éviter et quitter les lieux alors je me suis installé à une table et l'ai salué. On s'est observés et il a fini par venir me parler. On a échangé calmement mais quelques jours plus tard, on s'est retrouvés dans un hôtel moyen de gamme pour faire l'amour. A la fin, je lui ai demandé de me payer et il l'a fait. On s'est revus une dizaine de fois. Physiquement, c'était parfait. Il a payé à chaque fois. D'un commun accord, on a arrêté. C'est curieux parce que ça a coupé court à un malaise que j'avais eu le concernant. J'avais dix neuf ans, lui quarante. Qu'est-ce que je voyais en lui ? Est-ce que c'était en relation avec mon Italien de père qui s'était volatilisé? Est-ce que je cherchais quelqu'un de mûr, qui m'initie à une forme de  sexualité basée sur la contrainte, la domination et l'argent ? Est-ce que, en un sens, ça me valorisait? Le sexe, le plaisir, donnant donnant,le prix fixé...Je ne sais pas. Ce qui est clair, c'est qu'il a joué un rôle important pour moi."

Le sud ouest de la France, Léo le connaissait mal. Depuis sept ans, il vit avec Jean, un natif de Villefranche de Rouergue, qui n'a pas son pareil pour la brocante. Ils vont chercher de vieux meubles, les retapent ou les transforment et les revendent, plutôt bien, d'ailleurs. Ils ont aussi retapé une belle ferme et en ont converti une partie en chambre d'hôtes. Ils ont aussi acheté des chevaux et construit des installations pour eux. C'est un plus pour leurs locations et qand il n'y a pas de touristes, ils font du cheval.

La part secréte de la vie de Léo, Jean n'y a jamais touché. Il s'est contenté d'en deviner l'existence mais n'a pas voulu aller plus loin. Par son côté farouche, son opiniatreté et sa faculté à rester longtemps en silence, Léo l'a vite fasciné. Leur entente est solide. Ils sont liés par leur don pour le commerce, leur amour pour les animaux (ils ont des chats, des chiens, des poules et des lapins en plus des chevaux) et un mode de vie terre à terre où la nature a une grande place. Et puis, il y a la beauté un peu fermée, un peu altière de Léo qui tient en haleine un compagnon moins complexe psychologiquement et plus affectueux. Les liens sont forts.

"Je n'ai pas eu dix-neuf ans ou si, mais Canoffi et les autres n'ont pas existé ni les passes ni l'argent."semble murmurer Léo.

"Si ?"

"Non."