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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
11 mai 2021

Sylvie et la ville supplice. 5. Quitter Dijon pour Berlin !

 couple et forêt

Chapitre 5. Sylvie fait le grand saut. C'est à Berlin qu'elle veut vivre. Attirances politiques, historiques et amoureuses...

Elle était dans le métro pour aller à Charlottenburg quand elle pensa à lui avec une violence si sournoise qu’elle en resta étourdie.

-Gunther, Gunther, pourquoi n’apparais-tu pas ? Ne me laisse pas si seule ! L’élégance amoureuse, le travestissement des amours, le sexe sophistiqué, mais qu’est-ce que je sais ! Rien, rien ! Trente ans et je ne sais rien. Je t’en prie, viens !

Devant le château, Paula la joyeuse était là. Si Sylvie peinait à revoir Hans Herman et Birgit, elle était ravie de revoir la sympathique Américaine.

-Tu as raison, Darling, tu sais, ce palais, c’était la résidence d’été de Sophie Charlotte de Hanovre. Elle était mariée à Frédéric III de Prusse. Il lui a fait ce cadeau en 1695 et elle est morte dix ans plus tard. Le château de Lietzenburg est devenu Charlottenburg, en hommage à cette Sophie défunte. Ah, tu vois, les aristocrates avaient de belles mœurs !

-Paula, sois plus précise !

-Chaque roi de Prusse l’a fait agrandir et en 1861, il a été nationalisé…

-L’unité allemande …

-En novembre 1918, la république de Weimar a été proclamée de ces balcons mais ensuite, la seconde guerre est venue et l’a beaucoup endommagé. Pauvre palais ! Tout de même, des volontés se sont unies pour reconstruire au mieux ce qui avait été détruit. En 1966, tout était refait !

Sylvie sourit à son amie elles entrèrent dans la cour d’honneur avant d’entrer dans l’ancien château. Elles y déambulèrent dans les appartements baroques du couple royal avant de gagner la Grande Orangerie. De là, elles gagnèrent l’aile est du palais. Elle abritait le pavillon Schinkel qui avait œuvré pour Frédéric III. Il abritait des œuvres picturales du dix-neuvième siècle. Paula, très à son aise, révélait une culture étourdissante et ne cessait de commenter. Cet aplomb en ce qui concernait l’histoire de Berlin déconcerta Sylvie qui, offusquée, s’enfuit dans le parc.

-Il y a quoi, Darling ?

-C’est la révolution, ici…

-Il y en eu beaucoup, ici et partout, Sylvie ! Rien ne sert d’oublier le passé. Je suis depuis longtemps en Allemagne et j’y ai voyagé ! Ce qui se passe aujourd’hui a ses racines hier. Ne l’oublie pas cela…

Sylvie se taisait.

-Jardin à la française ? Jardin à l’anglaise ? Tu veux aller où ?

-Au belvédère !

-Ah, tu es maligne toi…C’était la maison de thé de Frédéric II : il y organisait des séances de spiritisme. C’est un musée de la porcelaine maintenant !

-Allons-y. Qu’importe !

-D’accord.

Elles s’y rendirent et l’Américaine la questionna.

-Tu vas devoir rentrer en France. Il y a bien deux semaines que tu es là.

-Je n’ai pas le choix mais ma décision est prise : je vais revenir en Allemagne et m’installer à Berlin. J’ai un peu d’argent de côté. Je suis bilingue et je suis débrouillarde. Je trouverai un travail ici.

-Quel travail ?

-Enseignante, traductrice…Je peux aussi faire une formation. L’Allemagne des facilités pour cela.

Paula était fine mouche. Elle ne parla pas du « fiancé français » auquel Sylvie ne semblait pas très attachée. La jeune femme avait dû s’illusionner en France sur les sentiments qu’elle avait pour lui. C’est souvent le cas quand on s’installe dans un cocon protecteur. Elle était sans jugement et prenait pour ce qu’elles étaient les paroles de son amie. Toutefois, un doute l’habitait : Sylvie ne pouvait désirer s’installer à Berlin parce que le Mur était démantelé. Il avait forcément une autre raison…

-Tu finiras ton année de travail là-bas ?

-C’est le plus sage. Je donnerai ma démission et viendrai au début de l’été.

-Dans ce quartier, Darling, j’ai un petit pied à terre. Je peux te le louer à bas prix.

-C’est généreux.

-Et aussi, j’ai négligé une petite boutique qui y est attenante. Tu pourrais vendre quelques vieilleries et des souvenirs le temps de trouver mieux.

-Oui, si tu veux.

-L’Allemagne, ça me connait, ne l’oublie pas. Mon père était à Berlin en 1945. Pas simple soldat, gradé. Il est revenu aux USA pour sa femme et ses filles mais on l’a remis en poste dans cette ville qu’il avait vu si dévastée. J’ai grandi dans le quartier américain, Darling et crois-moi, ça laisse des traces. Ce n’est pas une enfance ordinaire ! Il y avait tout le monde, ici : les Russes, les Anglais, les Français et…Nous, les Yankees ! La fête s’est terminée puisqu’au bout d’un moment, on est rentrés dans le New Jersey. Je m’y suis mariée et ma sœur a fait de même mais le mariage pour moi, alors là non ! Je faisais tout brûler quand je faisais à manger pour Tom et crois-moi, il n’était pas compliqué. Il en allait de même avec le ménage, le linge…Et puis, Darling, tu sais moi, faire l’amour avec un homme, c’était vraiment impossible ! C’est physique, littéralement : je ne peux pas. Evidemment, je faisais semblant. On a eu une fille. Ça a duré des années. Et puis, j’ai pris une décision. Linda avait dix-huit ans. Elle était à l’université, pensionnaire tu vois…Le système américain. J’ai demandé le divorce en sachant que j’aurais tort. Je l’ai obtenu et je suis revenue à Berlin où je suis tombée amoureuse. C’était une garce mais bon…Les années ont passé et je ne regrette rien.

karmique

-Eh bien, Paula, en voilà des confidences…

-Darling, une vie de femme, c’est souvent compliqué.

-Ton ex-mari…

-L’a très mal pris. Sa femme avec une autre femme…Tu sais, il s’est senti insulté. Et je ne te parle pas de mes vieux parents, de ma sœur et de ma fille…

-Oui, je…

Sylvie se sentait soudain envahie par une émotion si violente qu’elle était prête à pleurer. Elle se contenta de hâter le pas et d’arpenter les salles sans plus regarder les toiles pourtant variées qui ornaient les murs. L’Américaine sentit qu’elle touchait chez la jeune femme un point sensible et que de lourdes confidences allaient suivre. Elle la guida vers une salle déserte et elles s’assirent.

-Tu as ta peinture !

-Oh Sylvie, je sais que je ne suis pas un grand peintre ! Mais, tu vois, ça m’aide, ça me nourrit l’esprit et si je ne vends pas beaucoup de toiles, je ne manque de rien.

-C’est…Bien…

-Et maintenant, passons au spiritisme…On est dans le bon lieu…

-Ne m’hypnotise pas !

-Pas besoin.

Paula ferma les yeux et se concentra. Elle offrait à Sylvie un étrange profil d’oiseau de proie et restait totalement immobile.

-Qui ? Qui te tente ? Qui te semble si interdit ?

-Mais…

-Qui ?

-Le restaurateur…Gunther….

-Je connais plusieurs restaurateurs qui ont ce prénom.

-Blond, racé…

-Ah ! Gunther Srauss…A l’origine, il était à Hambourg. Il a le sens des affaires…

-Son restaurant sur la Kdamm…

-Darling, il en a au moins trois autres et il n’a pas quarante ans. Gros chiffre d’affaire. Pas de soucis de fin de mois.

-Et l’autre, le jeune homme…

-Andréa Hammer. Tu veux dire le « beau » jeune homme.

-Ils sont interdits, je sais !

-Darling, c’est un peu plus compliqué que cela. Ils sont aussi malins l’un que l’autre. Tu t’intéresses à eux, ils s’intéressent à toi, pour peu que tu aies quelque chose à offrir.

-De l’argent ?

-Pas nécessairement. Par exemple, tu es Française. Tu veux t’implanter seule à Berlin, ce qui n’est pas si courant…

-Et ça suffira ?

-Pour qu’ils tirent de toi ce qu’ils peuvent tirer, oui. Mais une fois qu’ils en auront assez, ils te salueront bien bas. Tu sais Darling, ceux qui en ont bavé des années durant sont souvent comme ça : ils sont arrivés à une certaine position et ils connaissent les jeux de pouvoir. Gunther sort vraiment d’une famille démunie et l’autre a eu une enfance difficile. Ils ont compris comment faire. Ils attirent beaucoup. Gunther est le champion des relations qui l’aident à monter socialement et Andréa brise les cœurs…fortunés…ou délicats…

-Je ne sais même pas où ils sont.

-Sylvie, tu les appelles du plus profond de toi-même et crois-moi, ils t’entendront.

-Ils ont vu la chute du Mur.

-Sans doute mais la bande ne m’en a pas parlé.

-Ils s’en moquent ?

-Certainement pas. Gunther est un homme intelligent et il est très bien informé. Il n’est pas du genre à s’illusionner, comme nous. Après la chute du Mur, il faudra réunifier l’Allemagne. Ce sera très compliqué à tous points de vue. Ce n’est pas un capitaine d’industrie, c’est un homme d’affaires avisé. Il doit être en train de réfléchir à la façon dont il peut encore s’enrichir. Ceci dit, attention, il n’est pas insensible. Les détresses humaines auxquelles la chute du Mur a mis fin le touchent certainement.

-Et l’autre ?

-Andréa est jeune mais tu sais qu’il termine ses études d’architecture. Il est plus compliqué, lui. Tu te dis qu’il va encore profiter quelques années de sa beauté en plumant quelques vieux types pleins d’illusions et le voilà qu’il te tient un grand discours sur le dénuement et l’humilité. Il est prêt à vivre au sixième étage d’une tour près de la gare du zoo en ayant distribué tout ce qu’il possède, argent compris. Et c’est ce qu’il ferait si l’autre ne lui remettait les pieds sur terre…Et ceci pour aider ses « prochains » de l’est…

-A ce point ?

-Oui. Une partie de sa famille a vécu à l'est, à ce que j'ai compris et il lui était impossible de les voir.

-Que dois-je faire ?

Paula soupira et regarda et regarda droit dans les yeux.

-Si tu as un tant soit peu les pieds sur terre, retourne à Dijon. Avec un peu de chances, le temps que tu t’installes ici, ils te seront sortis de la tête. Comme tu reviendras forcément ici, tu finiras par les croiser mais ça ira. Par contre, Darling, si tu es comme je pense c’est-à-dire vulnérable, tu vas te buter sur eux avant de rentrer et tu vas te préparer à un tremblement de terre…

-Tu sais où ils habitent…

-Ah, tu vois ! Ils sont bien moins loin de toi que tu ne crois...

-Quoi !

-Sylvie, Sylvie, Sylvie…

-Quoi ?

-Rentre. File.

Elle obéit et de toute façon, n’avait guère le choix. Dijon lui parut fade mais elle fit face. Sans cesse lui revenaient les images de la chute du Mur. Allemagne. Allemagne. Ces Allemands de l’est qui, soudain, voyaient réduite à rien cette zone qui voulait les détruire…Et leurs visages souriants, à la fois déroutés et ravis, quand apparaissaient ceux dont ils ne faisaient, depuis si longtemps, d’entendre parler. Sylvie était encore jeune. Le devenir d’un monde auquel ses parents l’avaient amenée à s’intéresser ne pouvait la laisser indifférente. Et de toute façon, elle était aimantée.

Paula lui confirma la location du studio et l’offre d’emploi. Elle lui donna force détails. Pour Sylvie, c’était assez. Elle quitta Xavier, qui ne la comprenait pas. Qu’elle la laissât  pour quelqu’un qu’elle aimait davantage, il pouvait le comprendre mais qu’elle veuille tout lâcher pour un idéal qui se résumait à une vague idée, c’était abscons. A la fin, leurs rapports étaient très froids. Il en allait de même avec ses parents. Devant la défaite d’un monde, ils se repliaient sur eux-mêmes. Tout irait mieux. Jusque-là, Sylvie avait été un modèle intimidant pour son frère. Ce laissé pour compte vit là sa revanche. Tout d’un coup, il était important ! Sylvie, elle, décevait…

Courant juillet 1990, elle posa ses valises à Berlin. Elle ne disposait que d’un visa temporaire mais restait confiante. Paula fut charmante et l’aida au mieux. Sylvie revit Hans-Herman et Birgit avec lesquels elle dîna puis appela Jürgen. Depuis longtemps, il restait sans réponse et elle en était navrée. Elle tomba, comme à l’accoutumée, sur son répondeur. 

Comme elle était seule un soir, dans son petit studio, elle vit paraître ce quinquagénaire qu’elle avait fini par vexer. Elle résista assez peu avant qu’il ne la pénètre et dès qu’il l’eut fait, elle sut qu’il durerait beaucoup en elle et jouirait plusieurs fois. Il en irait de même pour elle. Il partit tard dans la nuit et revient plusieurs jours de suite.

Elle comprenait parfaitement que son âge l’angoissât au point de recueillir sans cesse des preuves de sa virilité mais il la surprit. Il revenait pour lui parler et la rassurer. Elle serait à Berlin. Il lui prêterait une oreille amicale…Toute vie était difficile. La sienne l’avait été. Elle ne dérogerait pas. Elle aurait donc besoin de s’épancher et, en ce bas monde, il n’était pas toujours si aisé de pouvoir le faire.

 

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