Clive, le Vengeur. Partie 4. Erik retrouvé. Souvenirs et jeux.
La patience réussit à Clive Dorwell, qui retrouve parce qu'il l'aime, le danseur qu'il avait piégé...
J’ai essayé de ne pas trop réfléchir. Lui non plus et on a enchaîné :
-Carolyn, petite, voulait faire du football américain. Elle est danseuse classique maintenant !
-C’est mieux pour elle, je pense ! A moi ? Ma sœur aînée voulait que je sois attiré par la peinture. Il y a une école de peintres importantes au Danemark, à Skägen. Elle penserait que j’y mènerais une vie d’artiste solitaire…
-A moi. Kathleen est bien en chair. En général, elle choisit des vêtements à sa taille mais l’autre jour, elle n’a pas décoléré. Elle ne comprenait pas que sa robe taille 38 ne lui aille pas !
-C’est mon tour. J’ai travaillé à Hambourg pour John Neumeier et j’ai connu une sorte de résurrection avec lui. J’ai voulu bien sûr lui offrir un cadeau très personnel à la fin de notre collaboration et sachant qu’il collectionne tout ce qui concerne Nijinsky, j’ai cherché un objet quelconque, un dessin, une lettre pour compléter sa collection. Tu imagines, j’ai prospecté en Angleterre et aux Usa et même en France. Mais ce que je lui ai finalement offert, c’est un petit dessin exécuté par le danseur russe lui-même en marge d’une partition. Le collectionneur qui me l’a vendu était…à Hambourg !
-J’adore ce que tu viens de dire. C’est à moi ?
-Oui.
-Mon nouveau chef de cuisine est italien d’origine. Il adore les saucisses allemandes, les pommes de terre, le chou. Je dois le réprimer !
Erik a eu un rire frais.
-Une fois, à la fin d’une représentation, une petite fille m’a attendu à la sortie des artistes, avec sa mère. Elle ne devait pas bien avoir compris ce qu’elle devait me dire et la voilà qui me déclame : « Maman vous adore monsieur Igor Zelensky et moi-aussi. Vous dansez au Kirov et vous êtes en visite à Londres ! Nous sommes très heureuses mais nous devons vous le dire en anglais car nous ne parlons pas russe ! »
-Ce n’est pas possible, ça !
-Mais si…Elle se trompait de danseur et l’ignorait.
J’ai hurlé de rire.
-Julian me faisait faire des copies de costumes de danse portés par de grands danseurs quand il n’avait pas le temps de les créer lui-même ; il a décidé qu’il trouverait toujours le moyen de me les fabriquer quand il lui est arrivé un costume de ballerine qui m’était dédié. La belle robe de la Sylphide…Il ne décolérait pas …
J’ai souri de nouveau mais je préférais qu’on ne s’appesantisse pas sur lui. Il a eu l’intelligence de le comprendre et on a évoqué à tour de rôle, nos parents, nos cousins et cousines, ses sœurs, nos amis, ceux que nous continuions de voir et ceux que nous avions perdu de vue. On l’a fait avec légèreté en prenant le contrepoint de ce qu’ils étaient. Pour la première, il m’a parlé de camarades de lycée, de jeunes danseurs ou danseuses qui, comme lui, cherchaient à faire carrière, de commerçants danois qui avaient marqué ses jeunes années. Il parlait de sa première logeuse en Angleterre et des couleurs étranges de ses vêtements. J’ai évoqué mes années d’étude à Newark, fait de l’humour en lui présentant mes professeurs d’université aux temps lointains de mes études ratées et mimé mes premiers pas dans l’univers si conventionnel des agents d’assurance ! Il m’a bombardé de questions et je le sentais joyeux et tout d’un coup très jeune. J’ai fini par lui dire :
-C’est bien aussi si nos échanges sont gais !
-Tu as raison
On a continué ainsi en nous à tenant à un surprenant huis clos qui, au final, s’est avéré profitable jusqu’au milieu de la journée. Il avait tout de même été autorisé à se vêtir et je l’ai fait aussi mais le désir est revenu, nous fermant à des conversations plus délicates. Sur Kathleen, je ne tenais pas à en dire plus et lui sur ses deux canadiens, Liz et Simon, je le sentais très réticents. Bien sûr, il a vu quelques photos et il m’en a montrées aussi mais on touchait là à notre vie présente et à nos attachements. Il ne fallait pas tout galvauder. Et puis constater que Liz était brune et avait des yeux clairs, qu’elle était assez belle mais pas sophistiquée ne m’apprenait rien. Le visage très ouvert de Simon ne livrait aucun secret. Et de mon côté, il en allait de même. Erik, il m’observait, je le sentais. Il aimait que je sois fort et simple. Il appréciait aussi que je ne tourne pas le dos à mes origines. Mais sur le fond, il avait pas mal de réticence parce qu'il savait ce que j'avais fait. Il était en position de force mais il avait le sens du danger. comme on quoi...