Battles. Partie 4. Apaisé en Ambranie.
Il hésita encore puis comprit que c'était vrai. Avec Magda, il se sentit tout de suite heureux. Ils avaient tant en commun ! La première nuit où il dormit avec elle, il fit un rêve. La cravache de l'instructeur était brisée. Il eut la vision de fins cheveux blonds se dispersant au vent. Toutefois, il les vit se rassembler de nouveau et dans le bureau d’Étoile où, jadis, il avait été interrogé, Paul les retrouva. Ils formaient un petit éclat d'or sur le bureau. Ce rêve fut désagréable mais à cette étape de sa vie, il était heureux et ne s'en soucia pas. Du reste, au terme de trois années de labeur, il délaissa ses fonctions et céda sa place. Il refusa une charge honorifique à l'école de journalisme car de nouveau, il voulait se consacrer à l'écriture. Il avait songé à superviser les rééditions d'auteurs ambraniens qui lui tenaient à cœur ainsi que les traductions de leurs livres mais c'était une tâche trop lourde. Il se contenta donc de traduire en anglais et en allemand avec des traducteurs chevronnés un roman qu'il aimait bien. Il s'agissait de Clementia Habis de Walter Domitia. Ce roman était centré sur l’échec d'un mariage et la renaissance de l'épouse. Héritière d'une grosse fortune, Clementia épousait un intriguant, divorçait puis se réalisait en écrivain des sonnets et en voyageant de par le monde. Le roman avait pour cadre une Dannick qui évoquait la Vienne de Freud. C'était un beau portrait de femme et Paul en le traduisant le vécut comme un hommage à Lisbeth.
Peu après, il fit paraître Le Château des artistes, qui évoquait le « phalanstère » de Magda pendant les années de dictature et passa beaucoup de temps avec elle à évoquer cette épopée. Sachant que Les Ombres de la liberté faisait l'objet de nombreuses rééditions,sa réputation d'écrivain se renforça et il attira le respect.
Lisbeth séjourna plusieurs fois à Dannick et il alla la voir chez les sœurs. Tous deux virent Colin, sa femme et leur petit Anton. En Amérique, ils découvrirent Flora, la fille de Lisa. Puis tout changea encore. La carrière internationale d'Esmed avait pris corps et Paul l'accompagna partout, aplanissant toute difficulté. Un jour, celui-ci revint sur les années difficiles qu'il avait traversées avant de rencontrer Magda.
-Mes parents m'ont installé chez une cousine à Dannick et je devais aller au lycée et aux cours de musique. Mais il y a eu ce contrat immonde que je ne voulais pas signer et les menaces. J'ai vécu n'importe comment. J'avais dix-sept ans. Je n'ai rien voulu dire à mes Ils n'ont jamais rien su. Magda m'a trouvé et aidé. Elle vient d'une famille puissante, ils n'ont pas osé. Et tu vois, maintenant !
-Et s'ils l'avaient fait ?
-Elle m'aurait fait passer en Suisse.
Il n'en dit pas plus et s'étonna qu'il fût resté aussi digne. Plus tard, le jeune homme lui dit :
-Tu sais, quand je me sentais très seul, je pensais à mes parents et à ma sœur. A plusieurs reprises, j'ai eu le sentiment de leur présence. Il suffisait d'ouvrir les yeux en gardant les paupières fermées et dans cet univers intérieur, ils étaient réellement là. Je crois qu'eux-aussi rêvaient de cette façon et ça nous guérissait de ces injustices et de notre séparation.
La musique l'avait beaucoup guéri aussi et il vivait pour elle. Paul, quand il le contemplait, se disait que s'il avait été musicien, sa vie aurait été différente. Esmed ayant des contrats en Allemagne, en Autriche, en Italie, en France et en Suisse, il y avait beaucoup à faire. Au fil du temps, Paul devint vraiment mélomane et se mit à écouter les voix secrètes de Brahms, Mozart, Chopin ou Debussy. Et puis un jour, il se sentit vieilli.