Attentive. Chapitre 9. Capitales (1).
Ce n’est pas la nuit à Toulouse dans un hôtel simple ni le lever matinal et l’attente à la gare qui gêne Julia ni même le long trajet dans un train confortable dont la trajectoire leur permet de traverser une partie du pays. Non, cela, en fait la ravit car elle a toujours quand elle voyage un cœur de jeune fille, comme si les lieux intemporels que sont les gares ou les aéroports la mettaient hors d’atteinte, elle et tous ceux qui sont là, ce qui fait, au bout du compte, une belle communauté. Entre les murs, juste en attente, on retrouve l’innocence. Non, ce qui la perturbe, c’est son histoire personnelle qu’elle la regarde de loin ou de près, et le fait que sa fille l’accompagne. En effet, si elle s’est ouverte à A. de ses histoires passées, elle sent bien qu’il lui faudra les évoquer en réel et que la charge émotionnelle sera toute différente, bien plus forte et charnelle. Que fera-t-il ? Elle suppose que, toujours calme et maitre de lui, il saura l’apaiser. Quant à la déculpabiliser, il ne pourra faire car on ne maitrise que ce qui vous appartient. Et là, il n’est pas propriétaire. Elle devra trouver comment faire.
Quant à la fille adolescente, il a affirmé pouvoir la mettre en confiance en parlant simplement avec elle et cela, intuitivement, elle le croit.
Toutefois, pour l’instant, elle ne sait comment réagira son enfant face à cet inconnu invitant qu’elle a longtemps présenté comme un « correspondant ». Lui ayant expliqué que cet homme lui devenait cher, elle a vu sourire l’adolescente. Encore faut-il lui faire admettre qu’elle va à la rencontre d’un homme qu’elle n’a vu que virtuellement et que ce rendez-vous inattendu se passera bien…
La jeune fille aux yeux en amande et au joli nez retroussé semble accepter les choses : des vacances à Paris, une chambre individuelle, des sorties. De ce qu’elle ressent vraiment, France ne sait rien et préfère, pour l’heure, ne pas pousser sa recherche plus avant.
Elles voyagent. A travers les vitres du grand train, les paysages défilent, un peu tristes et gris : campagnes marquées par l’hiver, arbres aux longues branches nues, chemins déserts, villes frileuses. Quelquefois, elle regarde, à d’autres moments, elle lit ou dort. En face d’elle, sa fille regarde un film sur leur ordinateur portable et son visage doux et sensible change très souvent d’expression. Il est débonnaire et rieur quand la scène est triste, tendu quand elle est grave. Cela donne à tout son être une tonalité à la fois enfantine et émouvante que Julia interprète comme elle peut puisqu’elle ne sait ce que son enfant trouve drôle ou inquiétant. Les sourires ou les rires plus ou moins francs, les lèvres pincées et la dureté ou la douceur du regard traduisent l’évolution d’une mise en images qui lui est dérobée et c’est là un spectacle dans le spectacle qui l’amuse. C’est, pense t’elle, un délicat documentaire sur quelqu’un qui regarde ce qu’on ne peut voir. Mais cette diversion faite, la mère et l’enfant se retrouvent face à face dans une incertitude diffuse : qui vont-elles rencontrer ?
Au bout du compte, la réponse arrive puisque après les heures lentes du voyage, il faut accepter que le train s’arrête et qu’on en descende. Peu chargées, elles se rendent à la station de taxi et de là roulent vers les Invalides. Somnolentes dans le train, elles sont désormais réveillées. C’est une journée de Février sans charme particulier et Julia, qui n’a pas eu l’occasion de fréquenter ce quartier de Paris, est déconcertée par sa froideur aristocratique. De belles avenues rectilignes se succèdent avant qu’apparaisse le dôme majestueux du musée de l’armée. Là, le taxi oblique vers la droite et s’engage dans une nouvelle artère, flanquée de part et d’autres d’immeubles cossus, de belles boutiques et de restaurants dont l’aspect n’a rien de populaire. Quelques arbres dénudés tendent vers le ciel leurs branches noires et les bancs qui sont placés là à intervalles réguliers n’accueillent aucun passant désireux de se reposer. Il y a peu de trafic et les passants sont peu nombreux. Il est quinze heures, on est en semaine et c’est un horaire où l’on travaille. Elle observe que les rares promeneurs marchent vite le long de l’avenue, en manteau d’hiver, les mains gantées ou protégées par les poches d’un vêtement. Un homme âgé promène un chien blanc. Deux femmes se hâtent vers une porte cochère. Tous ont la tête baissée de sorte que leurs traits sont indistincts. La saison n’est guère incitative à la flânerie.
Et puis, le taxi s’arrête et l’aventure commence. En montrant au réceptionniste son bon de réservation, Julia le sent ne serait-ce que parce ce qu’elle n’aurait jamais pensé à un tel lieu : entrée sobre au charme un peu désuet mais raffinement des boiseries, des miroirs et des fleurs. Et puis, petits cadres évoquant des scènes intimes : enfants joueurs, femme au bain, paysage enneigé ou écrasé de soleil. Accueil feutré. Sourires. L’hôtel que rejoignait Julia avant d’aller aux rendez-vous posés par XX, ne ressemblait en rien à celui-là, la modestie des constructions cédant le pas à l’exubérance d’un jardin tropical aux plantes odoriférantes variées et aux couleurs violentes, à l’ampleur d’une belle piscine et aux charmes des transats, le tout sous un soleil rigoureux et un ciel immuablement bleu. C’était un monde différent qui cultivait la nonchalance. Elle l’a quitté et en prenant les clés que lui temps l’employé de l’hôtel, elle prend la mesure de la différence. Après tout, quand elle allait dans le sud de l’île, l’hôtel était un lieu d’attente puisque les jeux avec XX avaient lieu chez lui ou dans la nature. Là où tout est plus formel et surtout inconnu elle devra vivre cet assujettissement parfois blessant qu’aucun lieu annexe n’adoucira. Elle le sait mais, s’efforçant de rester calme, elle sourit en se dirigeant vers l’ascenseur. Sa fille, qui reste sereine le lui rend. Bientôt, on glisse dans les serrures prévues à cet effet les cartes qui tiennent lieu de clé et les portes s’ouvrent sur des chambres où règne une diffuse lumière d’hiver. Pour la jeune fille, c’est un émerveillement : un lieu à la fois neutre et sien et ceci, pour plus d’une semaine ! Elle s’empare tout de suite des lieux. Déposant son sac de voyage, elle en extrait les livres et les cd qu’elle veut utiliser et y adjoint son journal de bord puis elle sourit et France comprend qu’elle peut la laisser à son installation puisque de toute évidence, cette appropriation d’un nouveau lieu la ravit.
Quant à elle, elle est perplexe mais quand la porte s’ouvre et qu’elle découvre un décor sage et lisse, elle fait le choix de l’acceptation. L’étrangeté de ce rendez-vous devance son inquiétude réelle bien que masquée et d’emblée, elle s’assoit sur le lit, ses bagages à ses pieds. Tout de suite, elle s’amuse de n’avoir oublié dans ses valises ni la belle lingerie noire qu’il souhaite voir, ni les jouets sexuels qui leur seront utiles, ni le lubrifiant facilitant les ébats érotiques et ni même le petit masque noir qui permet de ne plus savoir où on est, si tant est que dans un lieu aussi exigu, on ait envie d’être oublieux. Non, tout est là jusqu’à la lingerie bien choisie où ne figure aucune culotte mais soutien-gorge, des bas et des porte-jarretelles. Et pour couronner le tout, elle a un body en dentelle qu’elle ne tardera pas à revêtir puisqu’il s’en dit friand. Elle portera des talons hauts et des bas auto-fixant à petite résille. Il a prédéterminé cela et elle va obéir.
Elle prend un long bain chaud et vérifie qu’elle est bien épilée puis elle oint son corps d’une huile douce et parfumée. Ensuite, se basant sur l’heure qu’il a indiquée, elle s’allonge et attend, non pas nue mais parée comme demandée. La dentelle noire sur son buste souligne les seins et ne dissimule pas la chatte glabre. La chair claire de ses jambes transparaît sous l’entre- lac des résilles et les escarpins noirs lui font les pieds cambrés. Les bras sont placés au dessus de la tête, encadrant un visage nouvellement fardé : fard à paupière marron doré, fard à joues rose pâle, rouge à lèvres pivoine. Le tout a un bel ordonnancement et elle ne doute qu’A. le trouve à son goût si tant est qu’elle ait, au préalable, placé ses affaires sur les étagères et les cintres de l’armoire, investi la salle de bain en y rangeant ses produits de beauté et ai mis en évidence un petit sac contenant les objets nécessaires à sa soumission. Alors, elle met tout en ordre et attend, silencieuse et douce, les yeux rivés au plafond, avec pour compagnie, un silence que rompt à peine le rythme se son souffle. Longtemps, France respire. L’heure tourne. Il va venir. Elle guette. Puis le moment où elle comprend qu’il fera une arrivée décalée. A l’intuition succède un coup de fil qu’il donne. Sa journée de stage est finie avec un grand retard et il lui faut la rejoindre. Ce n’est pas de son fait : il est en banlieue. Mais quoi qu’il en soit, il vient. Décontenancée, elle se redresse, cherche une parade, lit, attend. Le temps s’étire. La contenance que France avait su prendre s’en va et de sa « beauté » présentée, il semble qu’il ne reste rien, puisque se tournant et se retournant sur le lit, elle la défait progressivement. Vient le temps où les apprêts sont inutiles. Le présent est ténu. Le passé entre en force : le premier Maitre dérisoire, si verbeux et fugace ; Marc aux insultes lapidaires, qui la frappait ; les échanges glaçants sur internet quand on la mettait dans sa position de soumise, offerte, nue, utilisable. Elle commence à avoir peur et songe à XX. Il a été contraignant avec elle mais bienveillant, si longue a-t-elle été à le percevoir. Se repliant, elle songe au bel hôtel lumineux, à la route bruissante qu’elle faisait et à l’attente qu’elle avait de lui. Le parking de la résidence, le portail automatique, l’autorisation qu’il donnait et elle, nue sous un imperméable, des objets insérés en elle, un collier autour du cou, marchant vers lui. L’escalier, l’attente, l’inspection à l’entrée. Les mains du jeune homme sur sa nuque, ses seins, son ventre, ses fesses. Ses doigts entrant et sortant d’elle. Son haleine, sa respiration, sa précision. Les jeux crus. Le sperme, l’urine, les larmes. Une réalité qui a été la leur. Le dominant de l’île lointaine l’a assistée ces derniers temps, s’enquérant d’elle sans perdre de son autorité et elle, sentant venir un rite de passage, l’a admiré.