George D. Celui qui meurt. Partie 1. J'étais le beau chanteur !
5 Marjan. Roquebrune. Décembre 2015. George Daniel, le célèbre chanteur, a été sauvé de la noyade par deux jeunes gens en vacances à Roquebrune. Peu à peu, il intégre leur groupe et s'apaise...
Il a mis quelques jours à quitter mentalement « son auberge discrète » et s’est cantonné dans une chambre proche de celle de Carolyn. Nous l’avons d’abord peu vu. Sans doute dormait-il beaucoup et récupérait-il. Peu à peu, cet air de somnambule qui cherche la mort sans la trouver a commencé à le quitter, ce qui l’a rendu plus rassurant. On a insisté toutefois pour qu’il se joigne à nous, sachant qu’un homme dans sa situation est guetté par ses démons pour un peu qu’il reste trop seul. Il a tergiversé puis accepté.
Entre temps, on s’était tous jeté sur YouTube et ses chansons nous ont paralysés d’admiration tant elles étaient hors du temps. Nous avions tous entre vingt-cinq et trente-trois ans dans cette villa, ce qui signifiait que le plus âgé d’entre nous, Jonathan, était né en 1984. A cette époque-là, George Daniel enflammait le cœur des petites Anglaises et de leurs mères. Il avait eu un succès démentiel et ceci dès l’âge de dix-neuf ans et quand la gloire vous tombe dessus comme ça, en quelques décennies, on vit plusieurs vies. Les siennes avaient été extraordinairement bien remplies. « Il était passé du Jardin des Délices aux allées des Enfers avant de rejoindre de verts pâturages, juste avant que l’ombre de la mort ne le talonne. » Voilà la belle phrase que j’avais concoctée. Elle sonnait bien et elle parlait à tous…Nous n’avions pas besoin de connaître tous les détails de sa vie pour le savoir. Nous écoutions ses chansons et le faisons sans préjugés. Il avait d’ailleurs bien demandé de le faire dans un de ses albums de façon à ce que sa musique, sa voix et ses textes arrivent pleinement à ces auditeurs... Et ses chansons, elles s’appuyaient justement sur ces métaphores qui, jusque-là éculées pour nous, reprenaient force et sens. Le Paradis et l’Enfer, les anges et les démons, la figure du père et le regret de la mère, la recherche de l’amour absolu à travers tous les archétypes et bien entendu la Musique pour nous relier tous…Et puis ses partenaires ! Paul Mac Cartney, Elton John, Tom Jones, Aretha Franklin, Bono, Whitney Houston et même Luciano Pavarotti …
J’étais peut-être plus terre à terre que les autres, c’est pour cela qu’après qu’il a eu donné son accord, ils m’ont demandé de discuter avec lui des termes de son accueil. Je l’ai fait non sans commencer par parler de moi.
-J’ai vingt-neuf ans, je suis Hollandaise et j’ai fait des études pour être metteur en scène. Actuellement je suis assistante. Dans un mois, je serai sur un tournage à Amsterdam. Vous savez, je suis très contente. C’est un gros projet et que ce film marche ou pas, je tourne mon premier long. Tout est prêt. Même le financement est acté. C’est juste que le succès de ce film à venir me permettrait, je l’espère, d’être plus optimiste concernant le tournage du mien… Je veux faire une bonne carrière, vous savez. J’ai dix films dans la tête !
Il a paru très intrigué :
-Vous me parlerez de votre premier film à venir ?
-Bien sûr !
-Et plus tard, des dix autres !
-Oui, si tant est que j’en fasse dix ! Nous allons avoir le temps de bavarder puisque vous allez rester avec nous !
Il était d’une étonnante distinction ; chacun de nous en demeurait stupéfait et nous le respections. Il m’a senti mal à l’aise et m’a aidé :
-Écoutez, tout ceci est étrange. Rien ne vous oblige à me recevoir. Je peux partir…
-Non, ce n’est pas cela. Sur ce point, nous sommes tous d’accord. Aucun de nous ne reste longtemps de toute façon. Nous voulons juste être sûrs que vos idées noires ne vous pas vont vous conduire à attenter à vos jours dans la villa…
-Non, bien sûr que non. Je vous donne ma parole, Marjan.
-C’est embarrassant, cette conversation d’autant qu’il faut que j’aborde un second point.
-Abordez-le…
-George, oh j’ai du mal à vous appeler par votre prénom, je suis désolée…Voilà, on se demande tous si vous ne vous êtes pas enfui d’Angleterre pour être moins surveillé, pour pouvoir…Enfin…Votre toxicomanie…
Il a eu un sourire compréhensif.
-Je ne suis pas recherché par la police, si c’est cela que vous voulez savoir. Je me suis mis à part comme il arrive quelquefois dans une vie, quand on a besoin d’être en dehors de tout. L’ennui c’est que tout se passe bien dans ces cas-là quand on suit un chemin spirituel bien défini. Je ne suis ni un grand chrétien ni un moine bouddhiste, malheureusement. Je suis parti sans prévenir personne et j’étais, il faut le dire, dans un drôle d’état. Vous en avez été les témoins involontaires. Je ne pense que ça dure très longtemps, cette errance mais elle m’est nécessaire, voyez-vous…
-Mais les Fêtes ?
- Eh bien, plus les jours passent moins je souhaite les passer à Londres. C’est à la limite du supportable pour moi. Et quand bien même ?
-Quand bien même ?
-Si j’ai le bonheur de les passer avec vous, où est le mal ? Je ne souhaite pas être localisé avec précision. Mon téléphone et hors d’usage. Je suis en France et je me détends. Je suis adulte. J’ai le droit. Je suis entouré de gens possessifs qui ont de l’amour une définition qui m’échappe ou de la cupidité une autre qui me fait du mal. Est-ce vous comprenez ?
-Oui.
-Dans ma vie, il y a eu et il y a la musique. Ma musique. Je ne sais malheureusement plus qui elle atteint maintenant…Je suis désorienté…
-Je comprends, monsieur encore que je pense que vous trompez…
-J’aimerais que vous ayez raison…Souvent, je prends des chemins de traverse. J’aime l’alcool et toutes ces substances qui …doivent vous effrayer…
J’ai pincé les lèvres et baissé la tête. Il a compris :
-Non, non, je ne vais pas vous compromettre. Je risque de boire un peu trop, je ne vous le cache pas mais je ne suis ni stupide ni ingrat. J’ai un traitement. Je le prends. Il y a d’autres aléas mais personne dans cette villa ne souffrira de ce que je suis et de ce qu’il m’arrive. Me croyez-vous ?
-Oui.
-C’est bien.
-Vous devez quand même manquer aux vôtres…
-A ceux qui sont vivants, bien sûr mais pour des raisons que je ne vous ai pas révélées, je m’abstiens de les voir pour le moment. Pour ce qui est des morts, je peux les invoquer là où je veux et ici, c’est très bien. J’imagine que ce que je dis est peu clair. Comprenez simplement que c’est de mes morts dont j’ai besoin et ceux sont eux qui me manquent. En ces temps de flottements, je peux enfin être face à eux d’une façon plus vraie…Ne cherchez pas à comprendre.
-Je n’y parviendrais pas de toute façon…
-Marjan, croyez que je ne mettrai aucun d’entre vous en péril. J’ai de l’estime pour vous tous. Encore de l’appréhension ?
-Non, George, je suis rassurée et tous le seront.
A partir de ce moment, il s’est lié à nous et nous à lui. Nous avions tous vu et revu en rediffusion sur internet l‘émission qui lui avait été consacrée par une chaîne anglaise. Ses amours y étaient commentées et elles n’étaient pas féminines. On en donnait une image déplaisante et glauque. Quant à ses frasques, à savoir ses accidents de voiture, ses amendes pour exhibitions diverses et ses arrestations pour possession de stupéfiants, elles devançaient sa carrière musicale, pourtant impressionnante. Tout se passait comme cet interprète magnifique qui signait toutes ses chansons était une sorte de has been désenchanté ne pouvant plus plaire qu’à des quinquagénaires nostalgiques. C’était édifiant de bêtise.
Très jeune, il s’était adressé à un public de collégiennes ou de lycéennes énamourées et ses tenues provocantes avaient aidé à la création d’un mythe : le beau jeune chanteur, en blouson de cuir, barbe de trois jours, ray ban et santiags qui était prêt à séduire les midinettes. Quand il en avait eu assez de donner le change pour rien puisqu’il s’avérait que sexuellement, il n’était pas attiré vers les femmes, il avait modifié son image publique. Elle était restée virile mais les cœurs de jeunes filles ou de quadragénaires esseulées s’étaient serrés. Peine perdue : il était gay. De ce fait, il avait immédiatement été revendiqué par une communauté qui était sienne, il ne le niait pas, mais dont il ne voulait pas devenir à toute force le fer de lance. Il avait donc, après s’être caché du vaste réservoir hétérosexuel, plus ou moins louvoyé avec « l’univers homosexuel » mais à aucun moment il ne donnait l’impression d’avoir été lâche. Il devait être trop droit et trop direct pour ce milieu du show business qui lui en avait fait voir de toutes les couleurs mais à qui, malgré tout, il avait opposé des années de triomphe, et trop intransigeant pour aimer berner.