George D. Celui qui meurt. Partie 1. Sa nostalgie fondait...
George Daniel, chanteur célèbre est suicidaire. Pour échapper à la dépression, il s'est enfui sur la Côte d'Azur où de jeunes artistes en vacances l'ont recueilli. Chacun l'observe, l'admire...
Nous, les filles, on a fait mine d’être déconfites : un si bel homme, un de plus, qui échappait à la cause des femmes ! Puis, on a un blagué Jonathan, Nicholas, Guillaume et Erik à ce sujet. Ils allaient se retrouver face à un homme qui avait défrayé la chronique en faisant se succéder les amants. Qui sait ? Pour Jonathan et Nicholas, la cause était entendue et leur position claire. Ils se sont désengagés très vite de la compétition. Pour les deux danseurs, il y a eu un moment d’embarras mais si Guillaume a su nous répondre par une adroite pirouette, il ‘en est pas allé de même d’Erik. Il était si secret et si sensible ! Il s’est dit très agacé par la lourdeur de nos remarques puis a rougi violemment. Il était, de nous tous, celui qui affichait en termes d’affectivité et de vie sexuelle, le plus de fragilité. Bizarrement, ça le rendait vulnérable mais ça faisait aussi de lui quelqu’un de très séduisant. Il faut se méfier des « faibles » …
Avec son habileté habituelle, Valeria a apaisé tout le monde. De qui était-on en train de parler au juste ? Un candidat à l’applaudimètre sexuel ou un chanteur que les média n’honoraient plus à sa juste valeur mais dont, à l’évidence, les chansons étaient splendides et continuaient de toucher de par le monde de gens très divers ? La réponse était évidente. Celui qui nous concernait, nous, c’était bien cet homme qui venait de violemment dériver. Il s’agissait donc d’une personne privée. N’avions-nous pas hâte qu’il continue de se mêler à nous ? Ne devions-nous pas nous sentir ravis qu’il le fasse ? Quelques jours avant que Nicholas et Jonathan ne le sortent de l’eau, elle avait éprouvé une grande peur. Maintenant qu’il était sain et sauf, elle n’oserait plus se regarder dans un miroir si on ne continuait pas de l’aider…
Il n’y avait rien à ajouter.
Dans l’attente de nouveaux arrivants, certaines chambres ayant été redistribuées, il bénéficiait désormais d’une d’entre elles, à l’étage. Elle était à côté de celle d’Erik. Ni l’un ni l’autre n’ont fait de commentaire. Pourtant, mon beau danseur n’appréciait pas ce nouveau voisinage qui le privait de Guillaume. On avait installé celui-ci au ré de chaussée, sachant qu’il recevrait sa fiancée…
Personnellement, j’adore Erik. Je pourrais alléguer qu’il car il est hiératique et beau dans la moindre de ses attitudes, ce qui le rend très attirant mais c’est « sa rigueur morale qui me captive. ». Enfin, voilà une belle phrase privée de sens. Non, il est plus juste de parler ainsi : Erik a une sorte de fragilité qui me bouleverse d’autant plus qu’il ne la dissimule pas. Apprendre qu’il dormirait désormais dans une chambre jouxtant celle de notre invité anglais l’a fait soupirer d’agacement. Il n’était pas idiot…Il était l’unique candidat plausible, son compagnon était absent, et il affichait une jeunesse dangereuse. Il est plus juste de le présenter ainsi. De son côté, notre « George Daniel » a paru très intéressé. Il m’a semblé que derrière ses lunettes à monture rouge et or, il se mettait à observer les allers et venues du farouche jeune homme. On n’avait pas dû souvent lui résister et il traversait une période difficile de sa vie. Il avait envie de séduire…
Je l’aurais presque trouvé antipathique de commencer à faire ainsi des plans sur la comète s’il n’avait continué de se rapprocher de moi. Tout d’abord, il m’a longuement interrogé sur mes études et les mises en scène que j’avais aimées et celles que j’avais réalisées pour le théâtre. Il a lu toutes les notes que j’avais prises sur mon film à venir. Aucun de ses commentaires n’était gratuit. Je me suis sentie comprise. C’était flatteur. En quelques jours, il a fait preuve d’une telle écoute et d’une telle gentillesse que j’ai été ravie.
Et du reste, personne ne l’a éconduit puisqu’il a fait de même avec chacun. Il est allé écouter Nicolas jouer du piano dans une des salles des communs qui permettait de le faire. Il jouait lui-même du piano mais s’est posé en subalterne, ce qui ouvert le dialogue sur les aspirations du jeune virtuose. Il a regardé avec attention le press-book de Jonathan sur ses sculptures et lui a posé d’adroites questions qui l’ont laissé pantois. A sa manière, il le conseillait. Garder son intégrité et vouloir se vendre n’allaient pas sans poser des problèmes. Jonathan voulait le succès : en ce cas, les concessions à faire s’imposaient d’elles-mêmes…Peu soucieux de Valeria au début, il s’est tourné vers elle. Ainsi, elle allait travailler pour Dolce et Gabbana ! On allait lui demander beaucoup. Elle a sorti ses notes et ses esquisses, ouvert son ordinateur et il a tout regardé avec minutie. Ceci cela…trop audacieux ou pas assez, créatif mais contestable, plein d’élan et généreux, dans la ligne attendue ou non… Il avait des conseils à donner mais pas de jugement. Il était comme extérieur. On voyait bien qu’en tant que styliste, Valeria était impressionnée. A l’entendre, il s’était retiré de toute activité artistique mais il mentait. Jusqu’à il y a deux ans, il se produisait encore sur de grandes scènes où sa voix magnifique le vouait à l’adoration. La mode et ses artifices, il les avait bien connus puisqu’une Pop star ne peut les contourner. Il avait beau dire et beau faire, elle l’avait marquée. Ses vêtements même sobres dans leurs lignes étaient marqués d’une incroyable élégance et d’une adroite personnalisation. Il portait toujours une croix sur ses chemises ouvertes. Jadis, il avait eu une à l’oreille. Il a abordé Carolyn aussi et bavardé avec elle des salles de Broadway où elle escomptait se produire. Il ne parlait pas de lui, seulement de nous. Au fond, je crois qu’ils voyaient en nous de jeunes artistes qui s’apprêtaient à affronter le monde sans être même encore de mesurer les conséquences de leurs engagements. Que serions-nous dans vingt ans ? Aucun de nous ne le savait et lui non plus. Nous lui redonnions sa jeunesse et sa vigueur. Nous le mettions face à ses espoirs bien plus qu’à ses déceptions et surtout, surtout, nous étions jeunes, encore peu atteints, peu blessés et très soudés. A mesure qu’ils nous appréciaient, sa nostalgie fondait…
Il s’est étonné que nous soyons si peu tournées vers la télévision et les médias. C’est vrai qu’on ne s’en préoccupait pas. Les deux danseurs étaient beaucoup ensemble. Ils s’entraînaient chaque matin de bonne heure puis ils se promenaient ou allaient errer sur les plages. Quand ils en avaient fini avec ces activités de plein-air, ils parlaient danse et carrière ou se mettaient au piano. Guillaume était un enfant du sérail : mère cantatrice, père metteur en scène de théâtre. Il avait hésité entre une carrière de virtuose du piano et l’excellence dans la danse classique. Doté d’une beauté solide, il faisait partie de ces êtres dont la carrière, quelle qu’elle soit, ne saurait décevoir.
Le sculpteur et le pianiste jouaient aux cartes ou aux échecs en dehors du temps qu’ils consacraient à leur art. Les filles faisaient de la gymnastique ensemble dans les communs ou encore du yoga. Il y avait beaucoup de mises en scène et de jeux de rôle. Cette fois, tout le monde était convié. Il avait dû, très jeune, adoré les déguisements et les travestissements et quand il nous a vus chercher des idées, il en a été ravi. Un dîner bleu, un dîner rouge, nous, ça nous amusait non tant pour les vêtements que pour la recherche des recettes mais lui, ça le ressourçait. Il aimait aussi qu’on danse avec des masques ou qu’on organise des soirées musicales ou dansantes. Après tout, il y avait des musiciens, des danseurs et des comédiens parmi nous. Nous n’avions aucun mal à inventer tout cela mais lui, ça le surprenait et le voir de jour en jour devenir plus intrigué de nous et plus demandeur nous touchait.
Et puis Noël est arrivé, tout simplement…Ce serait une jolie fête pour nous tous qui avions élu cette villa pour être loin de toute habitude…