George D. Celui qui meurt. Partie1. L'important, c'est d'aimer.
Il y a longtemps, George Daniel, le célèbre chanteur, a été amoureux au Brésil. Mais le jeune homme est mort.
Il avait du mal à articuler.
-Il y a des Américains ici…C’est vrai…Tu sais « Monsieur l’Anglais », quelquefois…
-Non, non, tu ne dois avoir l’air de l’excuser. J’ai été grossier. Je suis navré.
Comment faisait-il ? Il avait les joues si pleines et cette voix qu’il avait, cette façon dont il parlait anglais…Était-ce cela ou cette façon de rire pour contrer la fatalité ? Qu’est-ce je pouvais en savoir sinon qu’il me retournait complètement et faisait tomber mes défenses…
Il me restait trois jours à passer au Brésil. Je lui ai commandé un costume gris-clair avec gilet assorti. Il a pris mes mesures cette fois et m’a fait choisir le tissu. J’étais éberlué de sa science et de son humilité.
-On se revoit demain et on fait les premiers essayages !
-Non, demain, si tu savais…
-Des fois, je dors ici. Là, je vais le faire et je vais travailler tard...Je sais que tu viendras.
Ses grands yeux enfantins m’entraient dans le cœur. Je suis revenu. La tension sexuelle qui n’était pas parue le premier jour était présente. Je me suis déshabillé derrière un paravent certes mais je sentais son regard. Et quand il a vérifié la coupe du pantalon et de la veste, j’ai senti son désir mais pas seulement…Il avait le goût de ce que j’étais, ce qui allait bien au-delà de la simple captation et ce que je voulais de lui, c’était tout ce qu’il avait pu être, du collégien d’un quartier modeste au jeune couturier qui s’en tirait bravement.
-Pas mal non ? Il y a juste une couture à l’épaule…Là…attends…
-Franchement, c’est superbe. Je signe un contrat avec toi !
-Ah ?
-Mais c’est aussi bien que le styliste londonien…
-Que tu paies très cher !
La pitié, non ! La compassion, non ! L’indifférence, impossible ! La douceur…
-Je n’ai aucune intention blessante.
-Je sais.
-Tu sais ?
-Oui. D’ailleurs, est-il question du même contrat ?
-Non.
Il avait posé ses lèvres sur les miennes et tout en moi était bouleversé. Arrête, George arrête, oh, tu tombes amoureux ! Pas comme ça. Embrasse n’importe lequel dans un coin mais pas quelqu’un comme lui ! George, réveille-toi ! Dis-toi que dans ce pays-là, ils tombent tous malades ; ils attrapent tous ce truc monstrueux. Non, non…En plus il a beau se défendre d’avoir racolé, allez, il a bien dû le faire, il n’a pas tant d’argent ! Arrête ça : tu en as eu de bien plus beaux…
Quand il a cessé de m’embrasser, c’est moi qui l’ai enlacé.
-Tu reviendras demain !
-Oui.
-Ce sera la livraison !
-Oui, A.
Tout a commencé là. Pour la perfection de l’amour qu’il m’a porté et que je lui ai porté, il n’y a jamais rien eu à dire. Tout est intact dans ma mémoire comme notre amour pouvait se lire et se relire. A…
Pour ce qui de cette maladie que les journaux présentaient comme un fléau du monde moderne, il l’a attrapée peu de temps après notre rencontre. On se téléphonait tout le temps et on se voyait à intervalles réguliers. Je l’ai fait venir plusieurs fois à Londres et suis retourné à Rio. J’avais déjà gagné plus d’argent qu’il ne m’en fallait dans cette vie et assez d’aplomb pour décaler des dates de concert ou les annuler. Les yeux d’enfant de A restaient constellés d’étoiles. Son corps était ferme et doux et le mien prenait la teneur virile dont il avait besoin pour que notre alliance soit forte. Mon A…
En six mois, sa santé a basculé. HIV positif. Il ne m’a rien dit. Au téléphone, il était bizarre, lointain. On se voyait depuis un et demi et là, il se dérobait. Il a fait mine de rompre :
-Une Pop star anglaise et un petit couturier brésilien ?
-Designer.
-Oui mais Brésilien…
-Tu ferais fortune ici. Laisse-moi t’aider…
-Non. Il faut que j’aie les pieds sur terre. Tu es célèbre et moi qu’est-ce que je suis ? Rien. T’afficherais-tu avec moi ? Non. Tu as raison. Je ne te vaux pas. Que je m’installe en Angleterre ? Tu plaisantes. Ils me traiteront d’immigré ! Ils se moqueront de moi : il n’en veut qu’à son argent. C’est un gigolo !
-C’est ridicule. Tu es venu plusieurs fois me voir à Londres et on a été heureux, si heureux ! A, pourquoi me parler après toute cette tendresse, tout cet amour…Tu ne peux pas ! J’ai tant d’images de toi…
-Je peux.
-Mais tu me laisserais sans nouvelles ? Imagines-tu cela ?
-Oui.
-Tu as mal pris que je veuille t’aider financièrement. C’est de ma faute, j’ai été insistant. Mais il y cet amour qui nous lie…
-Non. Tu te fais des illusions.
-Mais comment cela ? On ne peut pas se quitter.
-On peut. Moi, je te quitte.
Quand j’ai compris, c’était trop tard. Une amie de sa mère m’expliquait au téléphone dans un anglais laborieux qu’il venait de succomber à une hémorragie cérébrale. Sida. J’ai pris l’avion tout de suite. Je pleurais dès que je reprenais conscience et le reste du temps, tombais dans un sommeil léthargique. A Rio, on l’enterrait. Il vivait toujours avec sa mère, petite femme digne que le chagrin ravageait. Ses deux sœurs, issues d’un premier mariage, étaient là. L’aînée prendrait la mère avec elle. C’était un cimetière populaire. J’ai sangloté aussi fort que les femmes présentes et au moment du repas funéraire, je leur ai laissé une grosse somme d’argent.
Je voulais aider A afin qu’il ait une belle boutique mais il n’a jamais voulu de mon aide financière. Il acceptait les billets d’avion et les hôtels car il s’agissait de cadeaux et non d’une mise de fond. Aux femmes, j’ai dit :
-Prenez cet argent et ne me remerciez pas. Si j’avais su plus tôt, je l’aurais fait hospitaliser en Angleterre dans une clinique où la médecine est de pointe. Il ne serait pas mort. Il ne se passera pas un jour de ma vie sans que je regrette ma légèreté. J’aurais dû comprendre qu’il ne me fuyait qu’à cause de sa maladie. Je regrette, je regrette tellement…
Elles ne me demandaient rien et me jugeaient pas.
- Era un bom filho...
-Oui, madame...
-Gostava muito de ti, sabes?
-Oui, madame. Je l'aimais aussi. Je resterai fort pour lui.
-Je sais...
Il était le fils et le frère chéris et de la maladie « honteuse » qui l’avait emporté, elles ne se souciaient pas. Elles étaient sans nom et ce qui leur importait c’était ce jeune homme mort qui avait illuminé leur vie, non un virus destructeur qui pouvait leur donner une bien mauvaise réputation. Trois ans durant, je les ai revues. J’allais sur la tombe du jeune homme aux joues enfantines, je déjeunais avec sa mère et j’allais à la belle boutique de mode que ses sœurs avaient ouverte sur une des artères populaires de Rio. Elles étaient douées elles-aussi et y vendaient d’invraisemblables robes en lamé qu’elles fabriquaient…
Trois ans sont passés. A mi-chemin, ma mère m’a annoncé qu’elle était malade. Je venais juste de lui signifier qui j’étais…
Quand j’ai pu quitter les cliniques, les médicaments et les piqûres, j’ai repris le chemin des studios.