LUCAS ET KIRYLL. Cérémonies secrètes dans la villa Ada. (3)
Lucas et Nicholas, enfants malades, ont suivi l'italien Stefano pour échapper à la mort. Les voici dans une étrange villa, dans le nord de l'Italie, où ils subissent une étrange initiation...
L'eau emplit de nouveau le hublot et cette fois, elle prit des couleurs abyssales. Il y vit passer avec étonnement des poissons très anciens aux formes inconnues et s'étonna du bleu sombre qui s'écartait parfois du noir d'encre pour qu'il puisse les apercevoir. Comme pour sa première vision, tout était très silencieux mais cette fois le mystère et l'oppression étaient plus fortes. Il lui sembla que les eaux mettaient beaucoup de temps à disparaître de son champ de vision pour céder la place à une estrade grise. A y bien regarder, il s'agissait plutôt d'un podium sur lequel on se donnait à voir... Cette fois, il n'y avait pas d’ambiguïté. Le jeune homme qui apparaissait était son père. Il avait une vingtaine d'années, des traits doux et agréables sans être beaux et un regard plein de rêves. Ce qu'il était vraiment, il le cachait. Le lycée puis la faculté de lettres lui avaient appris à ne pas paraître trop sensible. Lucas le découvrait rieur mais timide au fond. Il le regardait étudier, courir le dimanche matin, sourire à son amoureuse lors d'une belle excursion dans un château de Touraine. Il avait l'air fort alors mais il cachait ses doutes et l'incurable romantisme de son regard sur la vie. On voulait que tout soit parfait mais rien ne le serait...
Ému, Lucas se rendait compte que l'envie d'avoir un fils était apparu très tôt chez ce jeune homme qu'il n'avait jamais vu ainsi. Le podium écarté, les eaux revenaient. Elles étaient clémentes cette fois et le nageur qui s'y ébattait rêvait d'un enfant de la mer. Il le trouverait en nageant ce petit être aussi adroit dans la mer qu'un dauphin et il l'adopterait. Du reste, Lucas constatait que Vincent ne rêvait pas en vain. Bientôt, il ne nageait pas seul, un enfant-poisson l'accompagnaient. Sous l'eau, ils respiraient sans difficulté et faisaient preuve d'une adresse incompréhensible. Les traits de son père, bien reconnaissables, étaient épurés et embellis par l'effort et la joie. Quant aux siens, Lucas, qui se voyait non tel qu'il était à cet instant mais tel qu'il aurait dû être si la maladie ne l'avait pas rongé, les trouvait pleins et beaux. Père et fils comme des créatures de la mer, bravant les vagues, parcourant les eaux peu profondes comme les hauts fonds ! Que c'était étonnant !
Lucas eut de la peine quand les images de cette belle entente père-fils s'estompèrent. Il ne resta bientôt plus que les eaux sombres de départ dans le hublot puis une substance crémeuse et glacée, lors que le volet d'obturation descendit.
Abasourdi, le jeune garçon resta un moment en silence et dut prendre sur lui pour retourner vers la table. Il n'eut pas besoin de visualiser la statue de femme car elle était déjà là. Elle était en colère, son visage crispé dévoilant des joues rougies et un regard très noir. Elle fermait les points. Son corps, jadis de bronze, s'humanisait de plus en plus, rejoignant sa tête qui était désormais totalement humaine. Lucas, cependant, gagnait en force car il ne ressentait pas de peur.
-Tu es une déesse primitive. Tu apportes la méchanceté et la souffrance, je le sais. Ne crois pas que tu vas gagner ! Ni sur elle, ni sur lui ni sur moi tu n'as de pouvoir !
Le regard de la femme sauvage ne perdait en rien en agressivité mais le jeune garçon, mu par une force qui le traversait, poursuivait.
Fleuve de lumière, belle éternité, force vive,paix. Paix.
Force du guide intérieur.Joie. Absence de crainte. Force.
Force orgueilleuse. Puissance. Souffle.
Vent. Force. Lumière de la vie. Force de vie.
Et la femme-statue semblait se résigner. Comment atteindre un tel messager ?
Il fallut bien sûr se placer devant le troisième hublot qui s'ouvrait. Il y vit une forêt dense comme on en trouve en Europe et au cœur de celle-ci, il découvrit un de ces temps que construisaient les celtes en déplaçant et entassant d'énormes blocs de pierre.