LUCAS ET KIRYLL. Une ville à découvrir, un enfant qui s'enfuit...
Nicolas et Lucas, deux petits fuyards, se réfugient à Naples chez une femme étrange, Caterina Signorella, mais l'un des enfants disparaît...
Caterina Signorella n'oubliait pas que, malgré tout, elle s'adressait à un enfant de douze ans. Elle lui faisait donc prendre le bateau pour aller dans les îles, errait avec lui sur le port pour manger du poisson et choisissait pour lui des plages populaires pleines d'enfants. Il y nageait avec délices avant de s'étendre au soleil. Il riait. Elle riait.
Les excursions devenant lointaines, il alla chez elle. C'était plus pratique, selon elle, pour aller vers les villes antiques que Lucas voulait voir et pour Capri aussi, où il voulait retourner. Quant au Vésuve dont il ne s'était pas encore approché, elle semblait en retarder la découverte sans lui fournir d'explication. Il ne lui en voulait pas car il l'adorait. Elle était tellement vive d'esprit et ouverte et sagace ! Qu'aurait-il voulu de plus ? D'autant que désormais, elle parlait de dormir sur place « pour mieux voir ». Elle connaissait des hôtels simples, loin du fracas touristique. Ils y seraient très bien.
A Capri, c'était une auberge tranquille tenue par une amie à elle qui ne recevait que si on lui plaisait. La nuit, l'odeur du jasmin était omniprésente. A Ischia, ils dormirent dans une maison prêtée, petite et toute blanche. A Pompéi, l'hôtel était au contraire bondé et bruyant mais plein de jeunes gens faisant un stage en archéologie. A Herculanum, c'était un bel hôtel huppé où tout le monde parlait à voix mesuré.
Lucas dormait d'un sommeil sans trêve après des journées de visite ou de vacances et de farniente. Signorella mettant en toutes choses une grande grâce, les petits déjeuners étaient copieux mais délicats, les repas délicieux qu'il s'agisse de pique-nique ou de ristorante plus cérémonieux et les dîners chaleureux. Elle lui apprenait beaucoup de mots en italien et n'omettait jamais de lui répondre sur ses demandes historiques ou archéologiques. Il adorait parler avec elle, le soir surtout, quand, à cause de ces cheveux noirs qu'elle avait, de l'ovale de son visage et de l'éclat doré de ses yeux, la Méditerranée lui paraissait si précieuse. Il en apprit beaucoup sur le monde grec et romain, la Naples médiévale, le passage des Français, des Allemands et des Espagnols, les raffinements du dix-huitième et les conséquences du Risorgimento. Naples s'ancrait donc bien dans l'histoire mais pour lui elle restait la terre des mythes. Comme Caterina Signorella s'en rendait compte, elle ne faisait jamais d'exposés purement didactiques mais les émaillait d'historiettes et d'anecdotes qui les rendaient plus humaines. Et elle mettait en avant les enfants du petit peuple de Naples qui, tous autant comme autant, avaient contribué à la grandeur de la ville....
Lucas aurait bien passé le reste de ses jours à contempler la maison des Vetii à Pompéi ou à visiter encore et encore la villa d'Axel Munthe à Capri car il en oubliait les raisons de son séjour avec l'énergique Italienne mais la réalité le rattrapa.
Stefano appela un matin alors qu'ils étaient chez Caterina. Nicholas avait disparu dans la nuit. Il était encore tôt et le jeune guide connaissait suffisamment la ville pour commencer ses recherches. Naturellement « le Plan » s'appliquait. A ces mots, Lucas bondit.
-Il est parti avec ses affaires ?
-Oui.
-Il t'a pris une arme?
-Oui, je crois.
-Pourquoi tu n'es pas inquiet ?
-Beaucoup vont le chercher.
-Comment ça ?
-«Le Plan »
-C'est quoi ?
Bien sûr, aucune réponse ne vint.
Sur le pied de guerre, il interrogea sa belle hôtesse. Celle-ci se montra encourageante. Nicholas n'était qu'un enfant. Il aurait vite peur. Quant à cette arme qu'il transportait, il serait certainement maladroit et laisserait entendre qu'il en possédait une si on l'inquiétait. Or, Naples était pleine de gens mal intentionnés. La Camorra y régnait. Un enfant solitaire, plutôt bien habillé et ne parlant ni l'italien ni le napolitain aurait tôt fait de se faire remarquer. Quelqu'un préviendrait la police si jamais il se trouvait en trop mauvaise posture et voilà tout...
Ce discours logique lui plut tellement qu'il se sentit rassuré. Du reste, Signorella l'emmena voir un spectacle de marionnettes qui l'amusa beaucoup. Au départ pourtant, il s'était estimé trop âgé pour ce genre de divertissement...