LUCAS ET KYRILL. Le chercher, lui, le père...
En voyage au Japon avec son épouse, Louis est l'hôte d'un industriel japonais qui a fait l'acquisition d'un parc à thèmes. Passionné par tout ce qu'il découvre, Louis est cependant rêveur. Son attitude surpend son épouse...
Satsuko avait beau être compréhensive, cela ne suffisait pas.
-Aujourd'hui, tu es bien resté six heures dans le parc. Je sais que tu aimes contempler ces deux dauphins femelles que l'oncle a sauvé de leur exil à Chiba. Ils vont très bien maintenant mais six heures...
-Oui, c'était trop aujourd'hui. Demain, je resterai davantage avec vous !
-Est-ce que tu cherches quelqu'un ?
-Mais qui voudrais-tu que je cherche ? Nous sommes si loin de chez nous ! J'aime cet endroit, c'est tout, et bientôt nous rentrerons en Angleterre.
-C'est tout ?
-Mais oui, c'est tout !
Que lui dire ? Elle ne croyait pas que Bee et Yuka le captivent au point qu'il oublie l'heure ! Il aimait à les contempler l'une et l'autre car elles étaient des rescapées et surtout parce qu'il avait l'intuition que c'était devant ce bassin là qu'il devait être. Seulement, le temps s'étirait beaucoup et pour la première fois depuis longtemps, il ne savait pas quand son attente serait satisfaite. A quand remontait d'ailleurs une aussi longue attente ? Il y avait eu bien des moments avec Stefano où Nicolas et lui avaient trouvé le temps bien long, se demandant où ils atterriraient à leur prochaine étape et combien de temps ils y resteraient. Et avec Caterina aussi, ils avaient parfois trouvé le temps long jusqu'à ce que la disparition tragique de son compagnon ne change la donne. Et pour finir, il y avait eu l'enfer. Mais tout cela, c'était avant que sa vie ne change et maintenant qu'elle était toute différente, il lui fallait être prudent sous peine de faire jaillir les questions. Son épouse lui en posait déjà. Cela signifiait donc qu'il était un peu trop transparent.
-Tu es différent ! Je ne t'ai jamais vu comme ça.
-C'est peut-être ce pays, toutes ces visites, cet univers si différent !
-Tu as épousé une Japonaise. Ma famille est japonaise ! Il y a longtemps que tu sais que nous sommes différents.
-Oui, oui bien sûr...
Comme il était maladroit soudain ! Allait-il être réduit au rôle d'un mauvais menteur ? De sa nouvelle vie, il ne voulait rien perdre mais de l'ancienne, il ne lui restait plus que son père à trouver car c'était lui qu'il attendait, il ne pouvait le nier. Du Mal il avait tout déjoué et pour que tout soit parfait, il fallait cette ultime rencontre. N'était-ce pas cela qu'avait voulu dire le père Kirill quand il s'était travesti en vieil asiatique priant ? A coup sûr, c'était cela.
Faisant son possible pour apaiser son épouse, Louis redevint le délicieux compagnon attentionné qu'il savait être et le jeune père trépidant. A son approche, Kohana était toujours heureuse, souriant et tendant les mains. Il la câlinait alors et la promenait.
Il maintenait cependant ses errances dans le parc tout en les ayant réduites et chaque jour il était attiré par les deux grands bassins où s'ébattaient les dauphins. Sa préférence allait à ceux qui venaient de Chiba et il n'était pas le seul à les aduler car les visiteurs ne cessaient de venir les contempler. Il remarqua parmi eux un homme d'une cinquantaine d'années, grand et très mince. Vêtu avec une certaine recherche et portant beau, il serait cependant passé inaperçu s'il n'avait été occidental. Il l'était et les guides touristiques n'ayant pas encore présenté ce parc aquatique comme un incontournable, il était massivement fréquenté par des Japonais ce qui rendait sa présence très inattendue. Concentré sur son appareil photo, il veillait à ce que ses clichés soient beaux et attendait donc que les dauphins se livrent à quelques facéties. Interpellé, Louis ne réussit pas à lui parler la première fois qu'il le vit mais la seconde. Il le fit en anglais mais l'autre, le devinant français, changea de langue tout en montrant sa surprise.
-Eh bien ! Les Français ne sont pas nombreux ici. Comment avez-vous connu ce parc ?
-Keiji Arikawa est l'oncle de mon épouse. Il nous a invité au Japon alors que nous vivons en Angleterre. Il faut dire que nous sommes les heureux parents d'une belle petite fille pleine de vie !
L'homme parut intéressé.
-Arikawa a beaucoup surpris ici. Cet homme de fer était dans l'immobilier et croyez-moi, il s'était taillé la part du lion aussi sa reconversion a t'elle été jugée folle. Loin d'effondrer son empire, il l'a redéfini car ce parc à deux facettes fait de bons bénéfices. Il reste l'étrangeté de la démarche...
-Oui, c'est étonnant.
-Mais vous devez en savoir bien plus que moi puisque vous le connaissez.
-Il parle surtout avec ma femme qui est sa nièce mais ce que j'observe de lui me surprend. Il est si méditatif...
-N'est-ce pas ! C'est lui qui m'a autorisé à venir faire des photos ici. Rassurez-vous, je ne vais fabriquer un guide de plus pour ce parc ; il en existe déjà de très bien faits. Les Japonais sont entre la terre et la mer. Je fais des photos sur ce thème et elles seront exposées dans quelques mois à l'institut culturel français à Tokyo. Oh, je ne serai pas le seul à y présenter mon travail car d'autres travaillent sur le même thème ici et en France. Il y a des photographes professionnels, des écrivains, des journalistes...
-Vous êtes photographe professionnel ?
-Pas du tout, c'est une passion. Par le fait je m'appelle Jérémie Forestier. Je suis résident au Japon et j' travaille depuis longtemps. Au début, je suis venu enseigner dans la très classique structure de l'éducation nationale puis que j'étais instituteur à la base. Je le suis toujours mais je travaille depuis longtemps pour une école privée très cotée où les élèves apprennent les deux langues.