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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
23 août 2020

Les hommes et leurs mères : Aurélien Bastide.

 

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AURELIEN BASTIDE

LE FILS DE LA FEMME POUPEE

 

 Elle est comédienne, enfin elle l’était car elle a pas mal d’argent maintenant et ne tourne plus guère. Naguère, elle avait des premiers rôles dans des films qui repassent à la télé, ce qui signifie donc qu’ils devaient être importants. Elle avait des choses à faire au théâtre et les faisait bien à ce que j’ai compris. Maintenant, elle apparaît quelquefois au cinéma dans des emplois nouveaux mais secondaires. Comme le « quelquefois » signifie rarement, il est clair qu’on ne lui propose plus grand-chose. Quant au théâtre, elle dit l’avoir abandonné. D’accord,  il ne faut pas être mauvaise langue. On ne va pas transformer la phrase…

En bref, c’est une actrice sans rôle.

Elle rit toujours de cela car pour elle, c’est faux. Elle vit dans ses anciens rôles, ses anciens films. Elle retrace ses débuts au théâtre et ceux-ci étaient brillants. A seize ans, elle prenait déjà des cours et à dix-huit, elle jouait. Le jeu a occupé ses années de jeunesse. Elle a tenté le conservatoire de Paris et réussi le concours. Quand elle dit le nom de ses professeurs, tous sont éblouis. Quand elle dit ses premiers pas sur scène, tous le restent. Elle a joué Agnès dans l’Ecole des femmes et Ondine pour ce qui est de ses premiers grands rôles et elle y était saisissante. Des articles de journaux et les archives de l’I.N.A en témoignent.

Comme elle était jeune alors !

Et belle !

Je dois l’admirer.

Je l’admire.

La Comédie française. Rien que cela. Une entrée par la petite porte et un destin.

Elle est entrée. Elle a et eu un destin.

Maintenant comme avant.

Avant, elle avait une beauté orientale, à dire vrai. Un bel ovale de visage, de beaux sourcils arqués et, dans un évident métissage (puisque son père était algérien et sa mère française) une douceur des traits tout à fait touchante. Et avec cela, une jolie bouche aux lèvres pulpeuses et fraiches et un petit menton ; des joues veloutées et de grands cils. Il y avait en elle de la gazelle et de la biche car son corps comme son visage étaient faits de pleins et de déliés, de zones sombres et de lumière. L’orient venant surtout du regard et de la bouche en un éclat et des plis qui ne mentent pas.

Non, cela ne va pas. Cette description n’a pas lieu d’être.

Maintenant, il est difficile de ne pas être troublé en la voyant ; car elle a…

Ah, toujours le même problème !

Je ne sais écrire. Je ne sais pas décrire.

Bref, quand on la voit ma mère avec sa belle cinquantaine, on reste songeur. Elle est ronde c’est sûr mais ce curieux excitant mélange d’exotisme oriental et de solide Europe est resté en place. Avec « l’âge » comme on dit, l’association est plus parfaite encore. Elle est une belle dame distinguée et originale en même temps et…

Non, je ne sais pas dire.

Je suis caméraman. Je filme. Je ne décris pas. Les images qui forment la description se forment d’elles-mêmes. Pas besoin d’inventer, de créer, d’interpréter.

 Mais quand même, ma mère, jeune, il faut en parler, même si ça me rebute. Alors, c’est comme j’ai dit.

Dans le film de Tallerman, dont on a tant parlé, elle avait épousé un jeune banquier avec lequel elle était heureuse, avant d’être mordue par un vampire. Ça se compliquait après, elle souffrait beaucoup et au final, elle mourrait. Elle avait pour ce film des cheveux longs coiffés en anglaise et un rouge à lèvres très vif. Ce devait être au dix-neuvième ou après, enfin je n’en sais rien. Manière film muet vous savez ces choses avec des sous titres.

Mais, c’était quoi, le titre ?

Avant, elle avait joué dans une adaptation de Victor Hugo et une autre d’Emily Brontë. Des jeunes filles malmenées, dans les deux cas. Elle ne disait presque rien : une beauté en dérive.

 Mais ensuite, je dois le reconnaître, sa carrière a évolué de manière sidérante. Tallerman a récidivé et là, elle a eu un vrai rôle et un grand texte. Ça l’a lancée et je le comprends. Les photos d’elle à ce moment-là sont vertigineuses. Toute droite, en belle robe rouge, la peau blanche, le bras levé et le doigt vengeur.

Ah oui, une histoire de viol alors qu’elle petite et de vengeance, le tout dans l’élégant Paris du seizième.

Le scénario avait des manques mais les acteurs étaient, eux, magnifiques. C’est ce que j’ai lu.

Elle y était belle, terriblement. Ce devait être dans les mêmes articles.

Ma mère, belle. C’était vrai.

Sauf qu’elle ne l’était pas encore.

Avec Tallerman, elle a encore fait deux films. Elle y a été d’abord une tueuse folle qui reçoit un gros salaire pour tuer tout le monde et s’en sort bien et puis elle a joué une jeune femme qui a un don de vision : elle voit ce qui va mal dans le monde et le signale et ça va mieux et…

Le signale à ?

Je ne sais plus.

Enfin, elle est devenue célèbre grâce à cet homme avec qui elle avait vécu. Ce type apatride qui faisait, à l’époque, contre mauvaise fortune, bon cœur. Oh là ! Je m’emballe. Parler comme ça. Mais bon, il était bien plus vieux qu’elle et à ce que j’en sais, là, c’est mauvaise fortune. Il n’a plus de succès, il a changé de pays, bref.

Le mot « bref » m’arrange.

Elle a décidé de le quitter. Bref

Elle le dit, je la crois. Bref.

Ensuite, elle a rencontré mon père. Il était musicien lui ; le ciné, c’était le dimanche et encore. Elle ne devait pas comprendre ce que le mot désinvolture pouvait signifier et pourtant, à cette époque, du haut de ses vingt –sept ans, il l’était, désinvolte, lui, celui qui allait m’aimer plus qu’elle.

Ah mais non, je dérive.

On revient à elle, la « star ».  Ayant quitté son mentor, elle a enchaîné les films où elle a été, tour à tour, étudiante mythomane, femme-flic, jeune femme abandonnée par sa famille trouvant sa rédemption dans l’amour, amante adulée par un homme plus jeune et religieuse éprise d’absolu.

Succès en salle plutôt concluant.

Succès critique la concernant : très positif.

Elle était célèbre.

Elle a choisi le pianiste, ce Bruno Bastide dont j’ai le nom. Il était brun et beau, plus gitan qu’elle. Bon, je ne sais pas dire.Ils étaient contents. Il a dit qu’ils ont vécu en plusieurs lieux et que dans un petit appartement du quinzième, ils ont vraiment eu envie d’un bébé.

Elle m’a conçu.

Ils étaient très contents. Elle avec dans le ventre cette petite chose qui était moi ; lui, car il allait être le créateur de ce petit garçon à venir. Aucun doute pour lui : un garçon. Elle, je ne sais pas.

Elle a tourné encore. Une femme de banquier qui défend son mari. Une architecte accusée de meurtre. Une avocate qui défend un homme accusé de nombreux meurtres d’enfants. Et ainsi de suite.

Enfin non, peu de suite.

Elle avait de l’argent et a espacé les rôles.

Elle s’est séparée de mon père.

Il m’a mis chez sa mère à lui. Une Danièle Bastide comme on ne peut rêver : elle m’a éduqué vraiment, aimé, chouchouté. J’étais son soleil et cela était merveilleux, merveilleux. Aucun des moments de mon enfance n’est à rejeter à cause de cette Dame car tout se transfigurait. J’aimais tout grâce à elle : ma petite chambre, la cuisine minuscule, le grenier et les trois grandes chattes qui passaient leur temps à dormir e s’étirer. Je me souviens de leurs noms : Blandine, Dulcinée et Anastasie. Comme si des bêtes pouvaient avoir de tels patronymes ! Mais ça ne fait rien : c’était marrant.

Mon père venait très souvent. Il avait bien essayé de me garder avec lui au début mais ça ne fonctionnait pas. Il était tout jeune, il lui fallait travailler. Il avait juste une « bonne volonté inefficace » ; quand je dis ça, je le cite. Je n’ai aucun souvenir des nuits avec lui, des tas de nounous et de son inquiétude. Mais, je le crois. Il a essayé. Comme ça a loupé, il m’a mis chez sa mère.

On avait des Noëls merveilleux.

On avait des anniversaires merveilleux.

On passait des étés merveilleux.

Non, je dis toujours pareil parce que moi je filme et ne parle pas. Mais c’est vrai ! C’était une belle enfance.

Sans elle.

Elle ne venait jamais ou presque chez nous ; enfin chez mamie Danièle, Bruno et moi.

Elle était au Danemark, en Suisse, en Angleterre, elle envoyait des lettres, elle téléphonait. Elle faxait.

Elle disait : « c'est-à-dire ».

C'est-à-dire, j’ai un tournage, c'est-à-dire j’ai un projet et il faut s’y tenir, c'est-à-dire, je vais tourner un film et je discute les conditions, c'est-à-dire j’ai un fiancé, c'est-à-dire je me marie, c'est-à-dire.

Quelquefois, elle venait. Elle sentait les produits de beauté. Je voulais lui plaire. Petit, j’étais beau. On me dit que maintenant, c’est pareil. Je ne sais pas.

Elle ne voyait rien, elle.

Mais elle était spectaculaire.

 Maintenant, même si son visage a vieilli, la suavité reste même si quelques rides se sont ajoutées. Celles que le chirurgien plastique a épargnées. Elle a l’air d’une poupée alors qu’elle a cinquante-sept ans. Ça fait un peu bizarre et je comprends que les journaux s’amusent. Comment ne pas rire de quelqu’un qui a été célèbre un temps et cherche tardivement à l’être de nouveau ?

Elle doit être la seule à  ne rien comprendre.

Bruno joue toujours du piano. Il est à la fois proche et lunaire mais il est là.

Mamie Danièle est en vie même si diminuée.

Je suis là.

Je filme.

Je suis dans le cinéma grâce à elle et sans elle. Evidemment, il fallait vouloir embrasser cette profession et pouvoir payer les études qui y sont liées. Ils ont fait ça. Elle aussi : si c’est vrai, c’est gentil.

Après, il fallait pouvoir travailler.

Je l’ai fait.

Sans elle.

Jamais je ne dirais que je suis son fils.

Je veux éclairer tout seul et surtout ne pas l’éclairer, elle.

Je vois des gens de cinéma qui sont vraiment là.

Ce n’est pas son cas.

Elle est finie.

Je prends des bières avec Bruno.

Ça arrive souvent et c’est bien.

 

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