Daphné était penchée sur lui. Elle avait l'air sidéré.
-J'étais prête mais père m'a appelée...Oh pour une sottise. J'ai fait dire que tu ailles directement aux écuries.
-Ne t'inquiète pas...
-Tu as eu un malaise ! Paul, je ne savais pas que tu étais souffrant ! Un médecin arrive...
-Qui était ce garçon blond ?
-Celui qui a prévenu est Bruce. Il est très brun...
-Non, un autre, en tenue d'équitation...C'est lui qui m'a parlé d'abord. J'avais sellé Souverain noir.
-Un invité alors...
-Oui.
-Ah, père a invité de jeunes cavaliers, je ne sais trop qui. Peut-être que c'était l'un d'eux...En tout cas, C'est Bruce qui était prêt de toi quand c’est arrivé. Il a couru aussi vite qu'il a pu !
-Une autre personne...
-Mais non, je t'assure.
-DS. Cinquante-huit trois deux cent sept neuf.
-Quoi ?
-Mon matricule à Étoile.
-Et alors ?
-Il a à voir avec l'Ambranie...
-Et ce serait qui ? Un espion ? Est-ce le moment de plaisanter...
-Un émissaire...ça n'augure rien de bon...
Elle l'embrassa. Il lui faisait peur. Elle le conduisit à son logement et resta avec lui jusqu'à ce qu'il fût calme.
Le lendemain, il s'était repris, le médecin n'ayant diagnostiqué qu'une légère indisposition et tout de même une tendance à l’hypertension, ils ne firent pas de cheval ce jour-là. Les jours suivants, Paul erra beaucoup dans les couloirs et dans le parc à la recherche de ce jeune homme blond qui lui avait fait si forte impression. Sa quête lui paraissait légitime mais Daphné se montra incrédule.
-Il parlait anglais avec un accent ambranien ?
-J'ai demandé à Père qui il avait invité. Il a convié quelques allemands de bonne famille qui travaillent en Angleterre et les a logés dans un pavillon de chasse. Ils sont partis. Aucun de ces allemands n'avaient de relation avec l'Ambranie. Il les connaît.
-Ne t'emporte pas. J'ai un passé difficile...
-Et l'on serait venu de là-bas te provoquer ici ?
-Il vient d’Étoile. Il y travaillait.
-Paul, tu m'inquiètes.
-Il n'est pas parti. Il est toujours là, parmi les invités.
-Mais c'est un mauvais roman que tu me fais là ! Paul ! Je ne pensais pas que la prison t'avait rendu comme ça...
-En ce cas, tu fais une découverte.
A plusieurs reprises, comme il était sur ses gardes, elle se montra cassante de nouveau. Il ne la connaissait pas si capricieuse ni affirmative. Pourtant, sûr d'avoir raison, il se mit à errer longuement, à pied ou à cheval, dans le parc du château et autour des dépendances, empruntant de nombreux chemins ou coupant à travers champs. Il ne le trouva nulle part mais n'abandonna pas. Enfin, il finit par l'apercevoir aux portes du domaine, ce jeune homme qui, indubitablement était Markus Winger. Manifestement, le visiteur s'en allait, et était descendu de voiture pour prendre une photo du château. Ce matin-là, Paul montait de nouveau Souverain noir. Il se rapprocha et rencontra le regard du jeune homme. Celui-ci parut le reconnaître mais ne manifesta ni surprise ni contentement. Il le fixa sans sourire, le corps dressé et la tête orgueilleusement raidie. Pour tout autre observateur, il s'agissait d’un jeune homme qui quittait une belle propriété et s'étonnait qu'on l'observât ainsi mais pour Paul, c'était l'Instructeur qui, sans le défier, lui signalait sa présence. Il demeura immobile un moment puis monta dans son véhicule, une voiture de sport rouge, et disparut. Paul continua sa promenade, prit le chemin du retour et guida Souverain Noir vers les écuries. De retour dans le cottage qu'on lui avait attribué, il trouva un nouveau message posé sur son lit. Même enveloppe blanche doublée de rouge, même feuille pliée en quatre.
«Après ces deux torchons que tu as fait paraître, tu veux écrire un livre sur moi, ton instructeur ? Dis-moi : as-tu compris que si tu donnes ta version, je donnerai la mienne ? On dirait que oui car tu as peur. Tu préfères d’abord traduire ces auteurs qu'on n'a pas jeté aux oubliettes pour rien, mais là-aussi tu hésites. Je te comprends ! En attendant, tu crois bien faire en tringlant cette fille d'aristos ! Jolis ébats.
Tu es à nous et surtout, tu es à moi. Quoi d'autre ? »
Impossible de montrer cette missive à quiconque. Il la cacha dans sa valise puis rejoignit Daphne. Comme à son habitude, elle le questionna sur celui dont il cherchait la trace ;
-Alors ?
-Rien. Tu avais raison. Le passé qui m'envahit parfois !
De retour à Londres, Paul s'accorda encore plusieurs jours de vacances et fit du sport. Il fit le plein de films aussi, passant d'un cinéma à un autre. Rencontrant dans une file d'attente un de ses collègues de l'école de journalisme, il fut surpris de ce qu'il apprit.
-Tu as une liaison avec Daphne Brixton ?
-Oui.
-Elle est belle, tu as raison.
-Je suis amoureux d'elle.
-Tant mieux ! Ceci dit, tu as vu son père ?
-Oui.
-Que sais-tu sur lui ?
-Pas grand-chose.
-Lord Brixton adore, comme il a du te le dire, Homère, Eschyle et Pindare mais il aime beaucoup l'extrême droite, les nostalgiques du nazisme et les fascistes qui font encore la loi dans certains pays dont le tien...
-Tu plaisantes ?
-Non, Paul. Il écrit des pamphlets, ce monsieur dans des revues et sur des sites qui ont de quoi nous horrifier. Cherche et tu verras.
-Comment ça ? Il signe de son nom ?
-Il a des pseudos.
-Daphne le sait ?
-Je n'en sais rien. Ce qui est sûr c'est un homme comme lui ne peut que détester quelqu'un comme toi. Tu es tout ce qu'il rejette : démocrate, patriote, courageux...
-Lord Brixton connaît des ambraniens favorables au régime de Dormann ?
-C'est évident.
-Il pourrait s'en prendre à moi ?
-Oh, il n'est pas stupide : tu es à la mode. Mais il connaît sans doute des gens qui n'ont pas exactement les mêmes idées que toi. Heureusement, il adore la France et l'Italie et voyage beaucoup.
La file avançait vite et bientôt, ils furent dans la salle. Quand le film fut terminé, Paul remercia le journaliste.
-Pour ce qui est de lord Brixton, je vais me renseigner. Elle, sa femme, ne pose pas de problème ?
-C'est à voir.
-C'est à dire ?
-Elle est lettrée à ce qu'on dit et je n'en sais guère plus. Pas impossible qu'elle sache parfaitement ce dont son mari est capable et que, sans rien cautionner, elle soit plutôt d'accord.
-Charmant...
-Je ne dirais pas ça, Paul...
-Et lui, il a des adeptes, ici ? C'est bien ce que tu as dit.
-Bien sûr, Paul et ils sont actifs.
Ils se quittèrent. Paul fit des recherches. La prose de Lord Brixton, si tant est que ce fût lui) qui choisissait des noms de plume évoquant des oiseaux de proie, avoisinait celle de Dormann. L'Angleterre eut-elle été une dictature, il aurait adoré. Pas étonnant qu'il reçoive des cavaliers dont le physique évoquait les jeunes fascistes ambraniens...
Que fallait-il faire sans que Daphne fut directement impactée ? Sachant qu'il ne pouvait être frontal avec elle, il décida de reporter ses projets personnels et de se préoccuper du sien. Elle avait écrit un premier roman policier qui avait été publié grâce à l’entregent de son père sans que la critique ne le trouve intéressant et que le public n'ait envie de le lire. Elle à qui tout avait toujours réussi, en était vexée. Puisqu'elle ne s'avouait pas vaincue, il se proposa de l'aider à concevoir un nouveau roman. Il fallait une bonne intrigue, des personnages solidement construits et un policier ou un détective d'envergure qui occupe le premier plan. Ils se mirent au travail. Rapidement, Paul comprit qu'il avait l'avantage. Daphne était très imaginative mais elle n'était pas rigoureuse or il fallait que l'intrigue fût bien construite et que les indices qui permettraient aux lecteurs les plus habiles de repérer le coupable ne fussent pas introduits au hasard.
Ce fut une belle période. Elle allait chez lui et lui chez elle et ils œuvraient ensemble. Daphne avait choisi comme victimes un lot de vieilles dames fortunées, comme tueur, un jeune homme désaxé et comme justicier un fringant policier quadragénaire. Ce ne serait pas un grand roman mais une lecture qui aurait ses exigences. Le lectorat, cette fois, ne pourrait faire la fine bouche...Deux mois durant, ils rédigèrent et l'esprit de Paul s'emplit de décors variés, d'armes diverses, de mobiles sordides et de vies perdues. Il avait besoin de cette rémission car, il le savait, il ne lâcherait pas ses objectifs. Le livre sur l'instructeur serait écrit et la traduction faite. Quand il rentrait chez lui et qu'il ouvrait sa boite aux lettres ou qu'il regardait sous sa porte, il ne trouvait rien de répréhensible. Mais, il le savait, cela viendrait.
Interrogeant un jour Daphne sur la culture de son père, il reçut cette réponse triomphale :
-Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi cultivé que lui ! Les littératures grecques et romaines n'ont aucun secret pour lui !
-Il a d'autres centres d'intérêt ?
-L'équitation je te l'ai dit.
-Et les dictatures ?
-Mais certainement pas ! Il aime l'histoire, ça, c'est sûr.
-Il ne soutient pas que toute critique sur un régime dictatorial est infondée ? Il y a une logique en tout, une race est forcément supérieure à une autre, une grande partie de la population n'est faite que pour être soumise et travailler, une autre est constituée de parasites...
-Mais d'où cela sort-il ? Mon père t'a reçu chez lui !
-Il ne te dit pas tout de lui-même.
-Pourquoi écrirait-il des choses pareilles ! Je ne prends pas ça au sérieux !
-Admettons. Et ta mère ?
-Elle aime la musique et les livres. Qu'est-ce que tu veux savoir ?
-Rien, ma chérie.
Paul préféra changer de sujet ; il ne voulait pas que Daphne s'étonnât de son questionnement. Il avait été très sûr d'elle, il l'était moins. Disait-elle bien tout ce qu'elle savait ? Il préféra revenir à son roman.
-« La Dérive de Tom ? » n'est pas un titre accrocheur !
-C'est mon roman, Paul.
-Fais comme tu veux.
-Non, propose.
- « Une larme de rhum dans mon thé ». Je te l'ai déjà dit. Toutes ces dames âgées ont cette faiblesse. Ça suscitera l'intérêt, je t 'assure.
-Oui, d'accord. C'est drôle en plus !
Il lui sourit. Le roman était bouclé mais ils firent encore des corrections, Paul insistant lourdement pour qu'elles se fassent. Le manuscrit fut envoyé. En attendant l'impression du texte, Daphne se préoccupa de l'avancement des travaux de la librairie dont elle voulait être la reine. Ce ne serait pas seulement un espace de lecture où on pourrait acheter des ouvrages et entendre des auteurs s'exprimer, ce serait aussi une petite salle de spectacle et un restaurant salon de thé Une si jeune femme à la tête d'un pareil édifice, cela était surprenant si on méconnaissait la fortune des Brixton et leur ambition. Si on la connaissait, tout coulait de source. Quand les livres emplirent les rayonnages et que la décoration du restaurant et de la salle de spectacle furent terminées, ils furent ravis. Elle, plus que lui. Du premier étage, on avait une vue splendide sur les rues environnantes et Paul qui s'en émerveillait fut soudain perplexe. Il était aussi facile d'observer les passants d'en haut qu'à ceux-ci de vous guetter. Rien n'avait d'importance pour l'instant mais le vernissage approchait. Il y aurait beaucoup de monde. Et en effet, la fête quand eut lieu attira des kyrielles d'invités. On photographia beaucoup la reine des lieux et on l'interviewa. Paul était au premier étage quand il aperçut dans la rue un long jeune blond et un autre, plus massif et très brun. Ils bavardaient entre eux avec animation, indifférents semble t'il à cet événement dont ils ne savaient rien. Toutefois, Paul ne fut pas dupe. Le jeune homme blond leva la tête et le regarda sans sourire. Tout était très clair. C'était le cavalier blond. Il le fixait mais Paul ne baissa pas les yeux. L'échange dura quelques secondes puis l'inconnu vêtu de noir fit un signe de la main, comme pour saluer. Comme pour mettre fin à son trouble, la voix de sa jeune amante le fit revenir à la réalité.Le temps que Paul se retourne, l'inconnu blond avait disparu avec son comparse.
-Je te cherche.
Daphne était dans son dos et ses parents la suivaient.
-Père trouve que tu as eu raison pour le titre de mon roman. Il est drôle et percutant.
Lord Brixton était souriant mais son regard était froid. Celui de sa femme aussi.
-C'est une fête magnifique !
-Oui, Daphne.
En rentrant chez lui, après le vernissage, Paul s'attendit à trouver un nouveau courrier anonyme. Il n'y en avait pas. Daphne, la librairie, les deux jeunes hommes, ce pouvait être une diversion. Il ne touchait pas au livre sur l'Instructeur et laissait en plan ses projets de traduction. Il cédait en fait. Sur une feuille de papier, il écrivit à l'encre noire :
Vous pensez gagner ?
Il alla se faire un café et ne revint dans sa chambre qu'une heure après. Il y a un message à l'encre rouge sur la feuille.
Évidemment. Tu as embrassé mes bottes.
Çà laisse des traces...
Ce fut une belle période. Elle allait chez lui et lui chez elle et ils œuvraient ensemble. Daphne avait choisi comme victimes un lot de vieilles dames fortunées, comme tueur, un jeune homme désaxé et comme justicier un fringant policier quadragénaire. Ce ne serait pas un grand roman mais une lecture qui aurait ses exigences. Le lectorat, cette fois, ne pourrait faire la fine bouche...Deux mois durant, ils rédigèrent et l'esprit de Paul s'emplit de décors variés, d'armes diverses, de mobiles sordides et de vies perdues. Il avait besoin de cette rémission car, il le savait, il ne lâcherait pas ses objectifs. Le livre sur l'instructeur serait écrit et la traduction faite. Quand il rentrait chez lui et qu'il ouvrait sa boite aux lettres ou qu'il regardait sous sa porte, il ne trouvait rien de répréhensible. Mais, il le savait, cela viendrait.
Interrogeant un jour Daphne sur la culture de son père, il reçut cette réponse triomphale :
-Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi cultivé que lui ! Les littératures grecques et romaines n'ont aucun secret pour lui !
-Il a d'autres centres d'intérêt ?
-L'équitation je te l'ai dit.
-Et les dictatures ?
-Mais certainement pas ! Il aime l'histoire, ça, c'est sûr.
-Il ne soutient pas que toute critique sur un régime dictatorial est infondé. Il y a une logique en tout, une race est forcément supérieure à une autre, une grande partie de la population n'est faite que pour être soumise et travailler, une autre est constituée de parasites...
-Mais d'où cela sort-il ? Mon père t'a reçu chez lui !
-Il ne te dit pas tout de lui-même.
-Pourquoi écrirait-il des choses pareilles ! Je ne prends pas ça au sérieux !
-Admettons. Et ta mère ?
-Elle aime la musique et les livres. Qu'est-ce que tu veux savoir ?
-Rien, ma chérie.
Paul préféra changer de sujet ; il ne voulait pas que Daphne s'étonne de son questionnement. Il avait très sûr d'elle, il l'était moins. Disait-elle bien tout ce qu'elle savait ? Il préféra revenir à son roman.
-« La Dérive de Tom ? » n'est pas un titre accrocheur !
-C'est mon roman, Paul.
-Fais comme tu veux.
-Non, propose.
- « Une larme de rhum dans mon thé ». Je te l'ai déjà dit. Toutes ces dames âgées ont cette faiblesse. Ça suscitera l'intérêt, je t 'assure.
-Oui, d'accord. C'est drôle en plus !
Il lui sourit. Le roman était bouclé mais ils firent encore des corrections, Paul insistant lourdement pour qu'elles se fassent. Le manuscrit fut envoyé. En attendant l'impression du texte, Daphne se préoccupa de l'avancement des travaux de la librairie dont elle voulait être la reine. Ce ne serait pas seulement un espace de lecture où on pourrait acheter des ouvrages et entendre des auteurs s'exprimer, ce serait aussi une petite salle de spectacle et un restaurant salon de thé Une si jeune femme à la tête d'un pareil édifice, cela était surprenant si on méconnaissait la fortune des Brixton et leur ambition. Si on la connaissait, tout coulait de source. Quand les livres emplirent les rayonnages et que la décoration du restaurant et de la salle de spectacle furent terminées, ils furent ravis. Elle, plus que lui. Du premier étage, on avait une vue splendide sur les rues environnantes et Paul qui s'en émerveillait fut soudain perplexe. Il était aussi facile d'observer les passants d'en haut qu'à ceux-ci de vous guetter. Rien n'avait d'importance pour l'instant mais le vernissage approchait. Il y aurait beaucoup de monde. Et en effet, la fête quand eut lieu attira des kyrielles d'invités. On photographia beaucoup la reine des lieux et on l'interviewa. Paul était au premier étage quand il aperçut dans la rue un long jeune blond et un autre, plus massif et très brun. Ils bavardaient entre eux avec animation, indifférents semble t'il à cet événement dont ils ne savaient rien. Toutefois, Paul ne fut pas dupe. Le jeune homme blond leva la tête et le regarda sans sourire. Tout était très clair. C'était le cavalier blond. Il le fixait mais Paul ne baissa pas les yeux. L'échange dura quelques secondes puis l'inconnu vêtu de noir fit un signe de la main, comme pour saluer. Comme pour mettre fin à son trouble, la voix de sa jeune amante le fit revenir à la réalité.Le temps que Paul se retourne, l'inconnu blond avait disparu avec son comparse.
-Je te cherche.
Daphne était dans son dos et ses parents la suivaient.
-Père trouve que tu as eu raison pour le titre de mon roman. Il est drôle et percutant.
Lord Brixton était souriant mais son regard était froid. Celui de sa femme aussi.
-C'est une fête magnifique !
-Oui, Daphne.
En rentrant chez lui, après le vernissage, Paul s'attendit à trouver un nouveau courrier anonyme. Il n'y en avait pas. Daphne, la librairie, les deux jeunes hommes, ce pouvait être une diversion. Il ne touchait pas au livre sur l'Instructeur et laissait en plan ses projets de traduction. Il cédait en fait. Sur une feuille de papier, il écrivit à l'encre noire :
Vous pensez gagner ?
Il alla se faire un café et ne revint dans sa chambre qu'une heure après. Il y a un message à l'encre rouge sur la feuille.
Évidemment. Tu as embrassé mes bottes.
Çà laisse des traces...
Alors qu'il restait sans mot dire, Lisbeth appela.
-Je viens à Londres. Ma vie change. Je vais y travailler.
-Comment cela ?
-Je fais des rêves étranges.
-Quel genre de rêves ?
-Ils te concernent. Tu erres dans un labyrinthe, tu te noies...Des images oniriques violentes mais pour moi alarmantes. Il n'est pas bon que tu sois seul. Je me trompe ?
-Peut-être pas...
-Tu vois. Qu'est-ce qui t'inquiète ?
-Ma rééducation. Trop de souvenirs. Je me sens comme hanté.
-J'arrive.
-Tu me prends au sérieux ?
-N'en doute pas. Je sais de quoi ils sont capables.
Le roman de Daphne parut, se vendit bien et plut à la critique. Pour elle, c'était une phase heureuse. Pour Paul aussi. Mais une guerre commençait et bientôt, il ne sourirait plus.
Paul veut faire connaître en Angleterre la littérature ambranienne. Pour mener à bien la traduction d'un rman, il a besoin d'une traductrice. Lisbeth, la femme de Paul, est perplexe sur les projets de celui-ci.
Comme elle l'avait annoncé, Lisbeth parut. Elle était seule.
-Je ne vais pas entrer dans les détails mais je souhaite m'installer à Londres. Tu ne vas pas bien : qu'y a t'il ?
A qui d'autre qu'elle pouvait-il parler ? Il dit son trouble. Du plus loin d’Étoile, il était poursuivi. Lisbeth n'était pas femme à prendre les allégations de Paul à la légère. Elle le croyait. Le souci résidait dans la mission qu'il se donnait. Plus il y tiendrait, plus fortes serait les attaques. Elle n'avait pas idée d'une parade quelconque mais elle allait y réfléchir. Il en existait une.
Il affirma vouloir l'être mais au fond de lui, il avait des doutes. Il devrait faire face à des forces si puissantes ! Toutefois, il n'y avait plus de raison de différer la traduction de Kalantica et il rencontra traductrice proposée par lady Brixton. » Celle-ci l'avait présentée comme ayant une bonne réputation.
Eva Richardson, une quinquagénaire qui vivait depuis longtemps en Angleterre était née, comme lui, à Marembourg. Elle avait fait de solides d'études d'allemand et d'anglais, ce qui lui avait permis de se faire un nom sur le marché de la traduction. Elle alternait projets confidentiels et d'autres plus commerciaux et avait traduit les derniers romans d'une romancière américaine à la mode, ce qui avait augmenté sa visibilité. Toutefois, revenir aux auteurs de son pays d'origine la passionnait, car peu les connaissait. Ils se donnèrent rendez-vous dans un salon de thé londonien. Pas très grande, replète, Eva Richardson portait ce jour-là un tailleur dans les brun-doré trop ajusté mais elle dégageait beaucoup d'énergie.
-Traduire Horic Hortiz et Pavel Evdon ?
-Oui, j'ai besoin d'un spécialiste de la traduction.
-Je comprends. J'espère que le fait que j'ai traduit des romans à l'eau de rose ne va pas vous égarer.
-Non, vous m'avez envoyé vos références. Et Hedgehood, l'éditeur, doit les connaître aussi. Vous êtes chevronnée.
Eva était la veuve d'un ingénieur anglais qui l'avait éloignée de sa formation de traductrice. Pendant de nombreuses années, elle avait mené une vie oisive puis sa passion pour son métier avait été la plus forte. Elle était précise et travailleuse.
-Il vous faudra résider à Londres.
-Ce ne sera pas un problème pour moi. J'y ai un peu de famille.
-Vous êtes née à Marembourg, comme moi !
-Oui et nous avons le même âge.
-Avez-vous souvent l'occasion de parler notre langue ?
-Eh bien, rarement. Voilà, mes parents avaient un bel hôtel restaurant dans le temps et j'ai décidé d'étudier les langues étrangères car, à l'origine, je ne pensais pas vivre ailleurs qu'en Ambranie. L'été de mes vingt ans, j'ai rencontré un Anglais qui venait passer ses vacances dans notre pays, sac au dos. Il n'était pas très argenté mais mes parents l'ont eu à la bonne et lui ont donné de petits travaux de réparation à faire dans l'hôtel en échange d'une chambre plutôt spartiate au ré de chaussée. Il m'a plu et je lui ai plu. Un coup de foudre, si vous voulez. Bien sûr, il n'est pas resté mais notre séparation était trop dure : il est revenu. Finalement, il a demandé ma main.
-Et vous êtes partie vivre avec lui !
-Oui. J'étais très jeune à mon arrivée en Angleterre. Il y a un peu plus de trente ans, rien n'était pareil. On m'a donné des équivalences de diplômes et j'ai pu poursuivre mon cursus. Arthur, lui, a fait des études d'ingénieur chimiste. Nous allions souvent en Ambranie. Il a appris la langue. Évidemment, quand nos deux filles sont arrivées, c'est devenu plus compliqué mais on a continué. Enfin, pendant certains temps car j'ai lâché des années durant. Et puis, de nouveau, j'ai réussi à décrocher des contrats et à traduire des auteurs. Mais votre question était : est-ce que je parle quelquefois l'ambranien ?
-En effet.
-Depuis la mort d'Arthur, non. Personne ne parle cette langue à York.
-Mais, et vous, monsieur Kavan ?
-Je ne la parle guère.
-Oh, en ce cas, c'est un bonheur partagé !
Elle était contente de s'être bien habillée car ce Paul était plutôt bel homme. Il avait ce charme un peu méditerranéen des Ambraniens du sud. Et il avait une belle voix chaude.
-Oui, avec vous, je redécouvre le plaisir de parler ma langue...
Paul était un peu distrait. Il ne faisait pas tellement attention à Eva, ayant Daphné en tête. S'il avait été moins rêveur, il aurait capté ses regards. Elle l'observait avec insistance, fixant de temps en temps sa bouche et ses yeux. Elle évaluait son élégance et regardait ses mains...
Lui, se voulant formel, poursuivit :
-Pavel Evdon. « Kalantica ! » Personne ne l'a jamais traduit. Pas de point de comparaison...
-Oui, monsieur Kavan, mais ça ne signifie rien. Il nous faudra être très rigoureux.
Ilsse revirent chez l'éditeur pour signer leurs contrats respectifs et de nouveau, elle l'observa. Il était exalté et volatile et elle aimait cela. Et puis, ce beau visage fiévreux...Ils prirent un verre.
-Notre pays était très libre et il a basculé dans la dictature. On a brûlé les livres d'auteurs célèbres et on en a réduit d'autres au silence, parce qu'ils sont vivants mais n'ont pas le droit de témoigner. Là, nous allons parler de temps anciens où un auteur pouvait être audacieux.
-Je vais vous paraître futile mais je n'y ai plus d'attache, en Ambranie. J'ai bien sûr été un peu choquée quand j'ai compris qu'il serait très difficile d'y retourner mais je n'en ai pas souffert comme vous. Vous ne trouverez sans doute pas en moi une grande patriote mais vous aurez une traductrice précise.
Paul lui sourit puis fit un geste évasif de la main avant d'ajouter :
-Dormann tombera et je retournerai en Ambranie en homme libre.
Il était courageux et sans doute visionnaire...
Tout se mit en place. Elle quitta York pour Londres et loua un studio à un cousin éloigné. Paul lui resta chez lui. C'est là qu'ils travailleraient.
Écrit en 1929 par un jeune homme de trente-trois ans, « Kalantica » était le portrait d'une époque et d'une génération. Viktor, le jeune héros, était amoureux de Suzanna, sa cousine car elle l'avait pris sous son aile quand il avait perdu ses parents. Ils étaient élevés ensemble et se promettaient un amour éternel mais, jeune fille de la bonne société, Suzanna était envoyée à Paris pour y devenir une femme du monde et Viktor partait dans un internat élitiste. Des troubles secouaient le pays, une révolution éclatait et le jeune homme s'éveillait au monde. Enflammé par les idées des révolutionnaires, il sortait du rang...Un nouvel équilibre politique naissait mais se trouvait défait par une autre révolution. Soldat, pamphlétaire, révolutionnaire, Viktor, tantôt plébiscité, tantôt honni traversait un monde que la seconde guerre mondiale allait faire disparaître, avec toute l'énergie de sa jeunesse, de ses convictions et de son amour inconditionnel pour la liberté. Suzanna croisait brièvement sa route de nouveau mais il allait vers d'autres amours. Le roman s'arrêtait sur une interrogation : que ferait cette âme ardente quand son pays qui était enfin devenu l'état démocratique dont il rêvait, s'orienterait vers la guerre ? Foisonnant, le roman était porté par une invraisemblable énergie qui devait trouver sa source dans le feu que chaque personnage de premier plan avait en lui. C'était un hymne à la liberté...
Il était prévu qu'Evdon donne une suite à son roman. Que serait devenu Viktor Kalantica ? Le second conflit mondial l'aurait-il éreinté ? Quel rôle y aurait-il joué ?
Mais l'auteur était mort à la veille de la guerre, dans un stupide accident de la route, laissant certes d'autres très beaux romans mais pas de suite à son roman phare...
Dès qu'Eva se fut installée à Londres, ils commencèrent. Elle fut impressionnée par l'intérieur de Paul. C'était pourtant un deux pièces ne disposant que d'un balcon mais elle le trouva sobre dans son élégance et plein de la vie intellectuelle de son unique habitant. A l'opposé, le très dépouillé mais aristocratique appartement qui leur servait de lieu de travail, offrait de beaux espaces. Il plus beaucoup à Eva qui se sentit galvanisée. En bon organisateur, Paul avait établi un calendrier auquel l'un et l'autre devaient se soumettre, sachant que tout devrait être bouclé en deux mois. Il faudrait se voir chaque jour ou presque et travailler de concert. Pour Eva, c'était disposer de beaucoup de temps car en dehors de cette tâche, elle était libre d'elle-même. Pour Paul, au contraire, traduire ce livre était de l'ordre de la marche forcée, sachant qu'il donnait toujours des cours dans son école de journalisme et devait un article par semaine à un magazine anglais à grand tirage...
Daphné, dès qu'elle vit Eva, se sentit mal à l'aise. Elle passait en coup de vent chez Paul et la traductrice était là. Elles s'observèrent puis se toisèrent sans que Paul ne paraisse s'en rendre compte. Quand elle revit son amant seul à seul, Daphne lui dit :
-Cette femme est laide et bizarre.
-N'exagère pas ! Ce n'est pas une beauté, c'est sûr mais elle est là pour que je travaille avec elle. Et puis, elle a de très bonnes références.
-Elle a des vues sur toi.
-Allons bon ! Moi, en tout cas, je n'en ai pas sur elle. Et puis, elle m'a été conseillée par ta mère !
Daphné pâlit.
-Ah oui, c'est vrai !
Lisbeth, quant à elle allait d’Édimbourg à Londres. Que Paul mène son projet de traduction à son terme était de bon aloi ; pour le reste, elle était sur le qui-vive.
Les premiers temps, Paul ne trouva rien d'anormal chez Eva. Elle aurait dû mincir, s'habiller avec plus de goût et ne pas se maquiller autant mais tout cela était extérieur. C'était une traductrice adroite, ouverte aux suggestions. Et elle était rigoureuse et ils travaillaient efficacement ensemble. Chacun s'attaquait au texte de son côté et quand ils se voyaient, ils créaient une version commune. Il appréciait sa précision.
-Ah oui, vous proposez « une intelligence déliée », c'est plus juste que « grande » et plus en accord avec le texte. Et « accorte » est mieux choisi que « séduisante » pour la description de cette femme...
Le texte traduit apparaissait déjà et il était ravi.
Au fil du temps, cependant, tout changea. Cette femme disgracieuse se mit à l'attirer sexuellement. Comme il voyait toujours Daphne et s'entendait bien avec elle à tous points de vue, il trouva cette attirance mal venue et se reprit ou crut le faire. Il lui offrait un visage avenant mais pensait être clair dans ses attitudes. De son côté, Eva restait professionnelle et travaillait d'arrache-pied avec lui mais quand ils en avaient terminé et qu'ils buvaient du thé, elle laissa transparaître son désir.
-Paul écoutez...
-Pas question.
-Il y a cette fille, je sais bien. Elle est belle.
-Je tiens à la respecter.
Elle parut d'accord mais se rapprocha de lui pour un oui pour un non, le frôla, fit comprendre son désir. Un jour, trouvait qu'il faisait chaud et retirait son gilet sous lequel elle portait un pull moulant ; elle avait une forte poitrine, un soutien-gorge transparent. Une autre fois, elle s'asseyait de façon à ce que sa jupe remonte sur ses cuisses. Il voyait ses jarretelles. Il lui arriva aussi de se pencher pour chercher quelque chose dans son sac à main posé au pied du canapé et il devina sous sa jupe les formes massives de ses fesses. Il était limpide qu'elle lui faisait des avances. Elle avait la taille épaisse, la poitrine lourde et le visage marqué. Mais le fait qu'il était de plus en plus réactif. Elle le sentit car elle passa à l'acte. Un soir, après leurs heures de travail, elle lui prit la main et la posa sur sa poitrine. Il ne la retira pas et la caressa.
-Vous aimez les gros seins, Paul ! Je m'en doutais.
Elle retira son pull et joua à faire sortir ses seins du soutien-gorge. Elle lui facilita la tache en le retirant et remonta sa jupe sur ses cuisses. Il vit sa toison rousse car elle ne portait pas de slip. Gardant une main sur ses seins, il explora son entrejambe de l'autre. Elle gémit.
-C'est que je suis trempée. J'en ai tellement envie !
Ils roulèrent à terre, il lui enleva sa jupe, se déshabilla partiellement et la pénétra sans grande préparation. Elle minauda et poussa de petits cris.
-C'est que j'attendais votre décision...Prenez votre plaisir, Paul, je suis là pour vous en donner...
Elle parlait comme une courtisane mais le fait est qu'il avait tiré d'elle beaucoup de plaisir. Il se défendit de vouloir recommencer mais le fit. La fois suivante, elle l'excita en plaçant une main dans son entrejambe puis elle s'agenouilla. Elle avait ouvert son pantalon et s'activait tandis qu'il gémissait. Quand elle le sentit prêt, elle s'installa sur lui.
-Commencer ainsi vous plaît Paul ? Vous êtes sensible aux caresses buccales.
Il acquiesça. Dix jours passèrent où il la posséda à chaque fois. De nouveau, il tenta de se reprendre. Ce n'était pas un adultère classique. Il était comme mû par un élan qui le dépassait. Mal à l'aise, il lui parla :
-Arrêtons.
-Vous en avez besoin ! Daphne ne sait rien et j'imagine qu'elle-aussi vous la montez. Vous ne pouvez pas être libre avec elle, mais avec moi, si.
Il aurait pu facilement la faire taire mais c'était comme si une voix intérieure s'opposait en lui à tout renoncement. Il était conduit, quasiment dépassé alors même qu'il était amoureux de Daphne et conscient du danger. Ils se virent un peu moins mais Eva, sûr qu'il ne parvenait pas à rompre, insista. Un jour, après un long travail commun, elle se mit nue et parut mal à l'aise.Il fut caustique :
-C'est l'heure ?
Elle lui répondit aussitôt :
-Ce type de baise...Soyez moins classique. Dominez-moi ! Vous savez de quoi je parle, j'en suis sûre...
-C'est ça que tu veux !
-Oui, oui, Paul et je suis sûre que vous serez parfait.
-Tu fais erreur.
-Non. Je sais de quoi je parle.
L'espace d'un instant, il se retrouva à la prison Étoile. Il forçait une de ces jeunes filles qu'on lui prostituait alors que celle-ci cherchait à parler avec lui. Il se mordit les lèvres.
-Je n'aime pas la manière forte !
Elle eut un sourire étrange. S'il refusa le premier jour il céda dès le second et il découvrit que dominer lui était facile. Après avoir à demi-dénudée Eva, il la fessait, l'entravant parfois et ne la laissant jouir qu'au bout d'un certain temps. Elle marchait à quatre pattes dans l'appartement puis il la prenait brutalement en lui tirant les cheveux et la faisait crier.
-Vous jouissez bien, Paul, je suis heureuse de le constater.
-Tu fais ce qu'il faut !
-Je sers vos exigences...
S'il avait été impérieux longtemps avant avec ses maîtresses successives, jamais il ne s'était comporté ainsi. Tout en lui changeait. Il insultait Eva, la traitait de truie, la faisait boire et mangeait dans des écuelles, la frappait, jouait avec ses seins et ses organes génitaux et la prenait. Elle aimait la sodomie, qu'il n'avait pratiqué qu’occasionnellement. Elle apportait de la corde, des jouets sexuels, des masques pour lui comme pour elle, des bougies...Chaque jour, il jouait.
-Vous me comblez, Paul, vous êtes mon maître.
-Tu es une putain.
-Je suis la vôtre. Il vous en faut une.
-Tu es donc prête à tout ?
-Pour vous, oui. On peut se voir ailleurs et vous pouvez demander à un autre homme de me forcer. Ce sera un plaisir pour moi que vous nous regardiez. Sinon, vous pouvez me vendre sur internet. Il y a des sites spécialisés ; votre anonymat sera total. Il vous suffira de proposer vos services pour fournir une putain à des hommes isolés. Et il y a de nombreux autres jeux...
Paul, qui aurait dû l’être révulsé par ses propos, se sentit excité. Il alla passer deux jours dans un petit appartement qu'on prêtait à Eva et la malmena autant qu'il put. Il était comme fou. Elle exultait. Il n'avait jamais joui autant. Quand il revint, et qu'il se retrouva seul chez lui, il trembla. On avait glissé une enveloppe blanche doublée de rouge sous sa porte. Au milieu d'une page blanche, il lut deux mots clairs.
Ah Ah !
Il se comportait comme un tortionnaire, lui, l'homme intègre et respecté. Il faisait le jeu du cavalier blond dont il savait bien qu'il était Winger et il le faisait plus sciemment qu'il ne se l'avouait. C'était pitoyable. Cette fois, il réagit et prévint Eva.
-J'ai d'importantes raisons ne pas poursuivre.
-La traduction n'est pas terminée.
-Je le sais. Il reste un cinquième du texte. Nous pouvons faire autrement. Nous travaillerons séparément et nous enverrons nos versions. Et nous ferons chacun une relecture générale.
-Je ne crois pas que vous puissiez agir ainsi.
-Eva, si, j'ai de très bonnes raisons.
-Votre compagne ?
-Entre autres.
Tout d'un coup, elle devint insinuante. Le visage cramoisi, elle cria :
-Je sais bien qui tu es, je t'ai débusqué et nous nous reverrons.
-Non, pas de cette façon.
-Tu veux ta bonne chienne !
Elle tourna autour de lui et fit tant et si bien qu'il termina assis sur un fauteuil, jambes écartées. Elle s'agenouilla et lui donna du plaisir. Elle était vraiment experte, il en suffoqua. Elle resta encore et il la prit. Une fois apaisée, elle chercha à le convaincre :
-Voyez comme vous avez déchargé ! Un sperme très abondant ! Nous devons poursuivre.
-Non.
-Je sais vous faire jouir. Je vous donne ce dont vous avez besoin. Vous ne pouvez vous épanouir que dans le contrôle de l'autre et son humiliation. Allons, je lis cela en vous. Vous agiriez mal en vous écartant de celle qui vous comprend si bien et vous permettra d'atteindre les confins de la jouissance. Avec moi, vous êtes pleinement vous-même. Attendons un peu et de nouveau, vous voudrez me voir. Ce sera une nécessité.
De nouveau, il était assailli. Pourquoi se comportait-il ainsi ? Les paroles du chirurgien suédois lui trottaient dans la tête. » Nous avons opéré deux fois, vous redeviendrez l'homme que vous étiez mais j'ai des doutes sur une rémission complète. A certains moments, vous serez traversé par d'étranges pulsions... » C’était le cas, il le sentait et on n'en était encore qu'à un terrain privé ! Et elle, était-elle toujours en quête de sexe brutal ou se faisait-elle manipuler à son insu par des forces qui la dépassaient ? Elle lui avait paru posée au départ. Dans quelle spirale étaient-ils tombés ?
-Il faut partir. On fera comme j'ai dit.
Comme elle récriminait, il fut très sec et la mit à la porte. Il s'attendait à des appels, des lettres mais bizarrement, elle ne fit rien.
Confus, il alla voir Daphne. Elle avait de soupçons depuis un moment mais ne disait rien. Prétextant qu'il se montrait moins attentif et aimant avec elle, il décida, voulant la choyer, de l'inviter à dîner dans un grand restaurant. Il la charma. Il redevint l'homme à l'esprit affûté avec lequel elle aimait échanger, ses yeux bruns brillant d'intelligence et ses belles et larges mains dessinant des figures inédites dans l'air tandis qu'il parlait. La nuit, également, il fut très ouvert à elle et lui fit l'amour avec cette même sincérité qui l'avait subjuguée.
-Elle me tournait autour, tu avais raison. Nous ne nous voyons plus, travaillant par mails.
-Ah !
Elle ne parut pas convaincue et il faillit assez sottement tout avouer d'emblée. Mais qu'y avait-il à avouer ? Ce qu'il vivait avec Eva était malsain pour elle comme pour lui mais ce serait rebutant et incompréhensible pour elle ! Et puis, elle avait des parents étranges qui le chargeraient violemment s'il était trop explicite. Leur fille si belle et si sylée avec cet étranger libidineux ! Qu'est ce qu'on pouvait attendre de ces slaves même s'ils étaient éduqués...Paul se sentait l'enjeu de forces violentes, il était manipulé. Écarter Eva suffirait peut-être ? Il ne la vit plus et en effet, Daphne paraissant rassurée, tout sembla aller mieux. Il était actif et bien perçu dans son école de journalisme et toujours bienvenu quand il envoyait un papier à un journal. Et son image publique était intacte. Son soulagement, cependant, fut de brève durée. Son amoureuse anglaise demanda à le voir chez elle. Elle était ulcérée.
-Donc, elle te convient ?
-Mais qui ?
-Qui ? Madame Richardson. Ne nie pas. Tu as une liaison avec elle. Non mais tu l'as vue !
Il ne nia pas, estimant que ce serait maladroit. Daphne, furieuse, le gifla.
-Tu sais comment je l'ai su ? Regarde !
-Qu'est-ce que c'est ?
-Une lettre anonyme !
Paul resta interdit.
-On te l'a envoyée ?
-On l'a glissée sous la porte. Ce doit être elle, cette grosse maligne.
Paul prit la lettre et reconnut le procédé. Enveloppe blanche doublée de rouge. Feuille pliée en quatre. Texte en anglais sorti d'une imprimante. Les détails de sa liaison avec Eva y étaient exposés.
-Ce n'est pas elle. Je ne la vois plus. J'ai rompu il y a quelques semaines. Elle n'aurait pas fait ça.
-Que tu dis !
Daphne s'assit rageuse.
-Moi, je croyais que ton objectif était d'offrir à Pavel Evdon la meilleure traduction possible en langue anglaise d’un de ses plus beaux romans.
-Mais c'est toujours mon projet !
-Et ce que tu as fait avec elle, c'était récréatif ?
Il baissa les yeux. Tout s'envenimait.
-Cette entreprise de traduction était piégée. Je n'avais rien en main et elle non plus. J'ai commis une grave erreur. Une erreur impardonnable. Comme déjà dit, j'ai cessé de la voir.
-Je ne te crois pas.
-Tu devrais car sa famille la cherche. J'ai été contacté par son cousin qui lui avait fourni un logement à Londres. Elle l'a quitté brutalement et il ne sait où la joindre. On la cherche à York aussi. Elle n'y est pas retournée. Et il y a son travail. On devait finir cette traduction chacun de notre côté et s'envoyer nos versions. Je n'ai pas eu la sienne ; elle est sous contrat et ne répond pas à ces courriers professionnels. C'est incompréhensible.
Elle était consternée mais peu attentive. Qu'Eva ait disparu l'indifférait.
-Tu sais ce qui me tue ? C'est que tu prétends défendre les valeurs d'un pays que des porcs ont selon toi saccagé alors que tu adoptes toi-même un comportement plutôt animal...