Clive le Vengeur. Partie 2. Une nouvelle ruse de Barney.
-Bien sûr que si. Lopez habite à deux rues de chez vous. Ce n’est pas quelqu’un dont vous parlez. Votre femme et votre fille ne connaissent pas son existence. Un mec de l’ombre en somme. Un latino baraqué. Le studio où je vous emmène est un placement. Lopez, habituellement, le loue mais il n’aime pas qu’on abîme ce qui lui appartient. Vu que sa mère est très malade, il est à Mexico à l’heure actuelle. Il a un associé qui tient le magasin et il vous prête le studio pour y faire des galipettes parce qu’il sait qu’il peut vous faire confiance. Il est meublé et il y laisse pas mal de choses à disposition. Pour Erik, c’est tout de même mieux que cet hôtel où les chambres se louent à l’heure. Et pour vous, c’est également plus constructif. Il vous sera reconnaissant d’avoir trouvé un endroit comme celui-là.
-Ce n’est pas sûr. Il n’a pas tant de temps que cela.
-Si, justement. Vous allez lui montrer les lieux et lui faire le cirque : il faut que vous le voyiez plus. Vous ne vous contrôlez plus. Votre désir est trop grand. Vous allez faire ce qu’il faut et le convaincre de passer plus de temps avec vous.
-Mais je travaille, moi.
-Le surplus dans l’enveloppe, je veux dire le chèque d’un montant trop élevé pour le remboursement d’une chambre simple, ça sert à ça. Vous allez expliquer à votre boss que pendant un mois ou deux vous devez lever le pied. Des emmerdements de santé, un truc qui ne va pas. Le médecin n’a pas voulu vous affoler mais vous devez prendre soin de vous. Attendu que depuis quinze ans, vous avez bossé comme un dingue et fait grimper la boite, il serait mal avisé de ne pas vous rendre ce service. Donc, vous aurez plus de temps à consacrer à Erik.
-Il est très pris.
-Ah, c’est sûr, quand il travaille, il travaille. Toutefois, cette année, il est beaucoup programmé plus tard dans la saison. Ça lui laisse donc un automne plus tranquille. Vous pourrez donc le voir plus souvent ; deux fois, ce serait bien.
Là, j’ai crié :
-Vous êtes complètement tapé !
-Merci du compliment ! J’ai donc dit deux fois. Vous remplirez votre rôle d’amant. Accentuez le côté brutal, ayez des sautes d’humeur, commandez et surtout, pas d’effusion, rien de sentimental. Attention, si vous ne m’écoutez pas, il cessera de vous regarder de la même façon. Il pensera que vous vous attachez à lui et le contraignez à vous prendre au sérieux. Si c’est le cas, il va se reprendre et vous dire qu’il n’a pas le temps. Alors, soyez ferme et assez dur. Achetez ce qu’il faut : faites-lui rougir les fesses.
Je n’ai rien su répondre. Qu’est-ce qui m’avait pris de répondre à l’annonce de ce type incroyablement manipulateur ? Chasseur aguerri, jeune homme fautif…Mordre la poussière…
Il a arrêté son véhicule et on a pris l’ascenseur pour aller au troisième étage d’un petit immeuble passe-partout. Le deux pièces de « Riccardo Lopez » était plein de couleurs bariolées, de meubles kitsch et d’objets de décoration hideux. J’ai serré les dents en me laissant tomber sur le canapé. Il me coinçait l’autre. Je balançais tout à Erik, et lui, il balançait tout à ma femme. Je perdais mon danseur. Je ne disais rien et je jouais le jeu et lui, il allait foutre une merde incroyable pour le récupérer, le beau jeune homme. Bingo, il me tournerait le dos.
-Vous trouvez ça cosy ?
-Non.
-Je vous donne raison. Néanmoins, il vous faut vous approprier les lieux. Allez-y : ouvrez les placards, regardez partout, même dans le frigo. Il y a des bières.
-C’est bon, j’en ai bu deux.
Je me suis baladé. J’en ai su assez pour pouvoir lui dire à Erik, où se trouvaient les CD qu’il pourrait vouloir écouter, ou les DVD et les magazines. Vu les goûts navrants du supposé propriétaire des lieux (il était évident pour lui que l’humanité entière passait sa vie à écouter de la musique d’ambiance relaxante ou des concerts en live de mariachis), je me suis rabattu sur la nourriture Je pourrais lui dire ce qu’il pouvait grignoter au cas où il aurait une petite faim et ce qu’il pourrait boire. Cet appartement me donnait des hauts le cœur, la chambre surtout avec ces dégradés de vert absolument affreux.
-Vous avez fait exprès pour le décor ? Vous l’avez monté de toutes pièces ? Après tout, c’est votre boulot…
-Vraiment très drôle. Non, pas du tout. Ce n’est pas si évident à trouver. J’ai pris ce que j’ai trouvé.
-C’est à qui ?
-Clive…Vous croyez que je vous répondrai ?
-Ben, en insistant…
On s’est regardé en chiens de faïence pendant un moment. Je ne trouvais rien à dire. Finalement, c’est lui qui a repris la parole.
-Il vous reste à l’appeler.
-Pas devant vous.
-Je ne pensais pas à ça mais vous me donnez des idées.
J’ai encore fait le tour du propriétaire. C’était vraiment moche. Je me suis dit qu’Erik, quand il verrait un truc pareil, se défilerait. J’ai vraiment eu cet espoir.
J’ai partagé une bière avec Barney, vu son insistance et je lui ai expliqué qu’ensuite, je rentrais par mes propres moyens. Il avait prévu ça et il a filé de son côté. Dans ma poche, il y avait les clés de ce truc immonde.
En rentrant chez moi, j’ai trouvé Kristin contente. Carolyn commençait sa nouvelle école de danse mais c’était loin et compliqué pour les transports. Elle m’a dit qu’une amie de jeunesse à elle acceptait d’héberger notre fille trois fois par semaine, pour que ça ne soit pas trop compliqué. Son inscription dans son nouveau lycée était valide. Tous les deux, on s’est sentis très heureux.
Tard dans la nuit, je me suis réveillé. J’ai repensé à cette photo de moi quand j’avais dix-huit ans, avec Kirsten, cette fille que je n’avais jamais revue. J’avais mon programme de danse à la main. Et puis, j’ai repensé à ce prof un peu bizarre, qui nous incitait tellement à parler, à nous exprimer et à nous intéresser autant à la vie politique et sociale qu’aux arts. Et je me dis qu’heureusement, ces deux-là, ils étaient sortis de ma vie. Parce que s’ils y étaient restés, ce qu’ils auraient vu, ce n’était pas tellement intéressant.
Un sale con, ça ne l’est pas.