Clive le Vengeur. Partie 1. Expo new yorkaise. Tenter sa chance.
J’ai commencé à regarder les œuvres exposées en jetant des regards à droite et à gauche. En bas, je ne l’ai pas vu. Alors, je suis monté à l’étage parce qu’il y avait la suite de l’exposition. Deux pièces en enfilade présentaient les œuvres variées du « maître » et franchement pour moi, tout se ressemblait. Il adorait les magmas, ce type et d’une masse informe sortaient des bras, des jambes, des parapluies, des antennes, des cannes à pêche. Bon, j’exagère quand même mais c’était du niveau. Chaque pièce avait un titre ronflant du type « Apocalypse précoce », « Bonheur éjaculatoire », « Trident mordoré », ou encore « futur divinatoire ». J'ai failli pouffer de rire mais il n’y avait toujours pas d’Erik à l’étage et j'ai commencé à avoir les nerfs en pelote. Il était peut-être en bas, en fin de compte ; je devais avoir mal regardé. J’essayais de me distraire en inventant pour ces productions bizarres des noms encore plus ridicules que celles qu’elles portaient et j’en étais à « Chorizo intégral » et « Doux maïs futuriste » quand j’ai compris qu’il venait d’arriver dans la même salle que moi. Lui, Erik…
Ne pas le regarder, l’observer discrètement, trouver comment lui parler…
Il s’est approché de « Apocalypse précoce » et j’ai fait de même. Il était de taille moyenne et il était à la fois mince et fort. Je le voyais de profil et je retenais mon souffle. Il n’y avait rien de veule chez lui, je sais sentir ça moi, c’était vraiment quelqu’un de beau dans tous les sens du terme. J’étais intimidé et du coup, je ne savais que faire. Lui, il a regardé un moment « la création » du dénommé Arno Guthrie et il poussé un léger soupir ; après quoi, il a changé de statut. Il avait soupiré : ça ne lui plaisait pas. Du coup, le rejoignant pour observer une nouvelle pièce de l’exposition, je l’ai imité, histoire d’attirer son attention et là, devinez quoi, il m’a regardé brièvement. J’ai buté sur son visage ! Ah non, non ! Ce n’était pas possible ! J’ai convoqué mentalement tous les poncifs, toutes les tartes à la crème sur le choc que provoque la beauté, eh bien, ça n’a pas suffi…Cet ovale pur, cette ligne de sourcils légèrement ascendante, ces yeux clairs…C’était invraisemblable ! Quelqu’un comme lui avec quelqu’un comme moi ? On était dans un comics ! Vous savez quand quelqu’un s’énerve et devient tout rouge, il y une bulle avec « non, non, non » en caractères géants et des onomatopées pour imiter tout un tas de bruits bizarres ! J’en étais là. Je m’entendais émettre des sons inarticulés. Impossible. Barney marchait sur la tête…Pas quelqu’un de ce calibre, quand même !
Il ne me regardait déjà plus que j’avais son visage ancré en moi. C’est drôle : tout était spiritualisé dans ses traits sauf sa bouche. Une belle bouche enfantine, avec de belles lèvres charnues. Une bouche gourmande comme celle d’un enfant qui mord avec bonheur dans une tartine de confiture. Enfin, avec un regard d’adulte dessalé, on pouvait lui attribuer bien d’autres qualités, à cette bouche généreuse, surtout quand on était gay.
Mais voilà, cet Erik-là, pour moi du moins, il écartait de lui-même la vulgarité. Être salace avec quelqu’un comme lui ça ne cadrait pas. En tout cas, moi, je ne m’en sentais pas capable, quelle que soit l’issue de notre relation.
Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, j’ai voulu tout lâcher. Bien sûr, je suis resté à l’étage et j’ai regardé l’une après l’autre les « créations exposées ». Il est descendu avant moi et, je vous jure, j’ai prié le dieu le plus disponible ce jour-là de faire en sorte qu’il soit reparti. Mais il était en bas et de nouveau, son regard m’a traversé l’espace d’un instant. Le choc a été le même et j’ai baissé la tête. Finalement, il est sorti après avoir salué « l’artiste » et s’est dirigé vers le restaurant où je comptais le trouver au départ. J’ai décidé de partir mais je l’ai suivi. On s’est retrouvé tous les deux dans une salle bondée où il ne restait qu’une seule table. Le gérant l’a reconnu, l’a salué et l’a installé puis, il s’est tourné vers moi. C’était un bistrot, pas un beau restaurant et il était possible de compléter une table. Je me suis retrouvé assis en face de lui en un rien de temps et je me suis demandé s’il m’était un jour arrivé d’avoir un cœur qui batte normalement. Là, c’était tellement désordonné que je me suis senti devenir écarlate. Il n’y avait pas que ça bien sûr. Une partie de mon anatomie menaçait de se raidir. On ne se refait pas. Bon, je me suis servi un verre d’eau. Je n’osais pas le regarder. Heureusement, il parlait avec le patron. Il avait un anglais fluide mais c’était l’anglais d’un étranger. Attention, hein, il parlait bien mais il y avait des mots qu’il accentuait d’une drôle de façon, enfin, ça devait venir de sa langue d’origine. Bref. Il a commandé de la viande rouge et des pommes de terre. J’ai fait bêtement pareil et j’ai pris une bière.