Clive le Vengeur. Partie 1. Barney et Clive se découvrent davantage.
-Je le connais depuis plusieurs années. On partageait un immense appartement à Londres. Il a succédé à une journaliste américaine avec qui j’étais très ami. Il est arrivé un peu comme ça et on s’est très bien entendu. Il n’y avait rien de plus qu’une forte sympathie réciproque. Ensuite, je suis allé le voir au Danemark et là, notre relation a changé et puis il s’est fait engager ici. Je vous l’ai dit, j’habite très près d’ici. Il était avec moi un temps et puis il a trouvé un loft, près du Lincoln Center. C’est très beau d’ailleurs. On s’est mis d’accord sur certaines choses mais il s’est écarté de ses promesses.
-Ah bon ?
-Il est naturel qu’ayant vingt-sept ans alors que j’en ai quarante-cinq, il ait quelques à-côtés. Après tout, il n’y a rien de mal, n’est-ce pas, d’autant que j’ai mes zones d’ombre. Vous me suivez ?
-J’essaie.
-C’est à moi de décider qui lui convient.
-Pas à lui ? Il n’a pas l’air idiot.
-Il me doit respect et obéissance. Je sais qui il est, je comprends son art. Je suis son garant. Actuellement, il essaie bien de se protéger de lui-même en menant cette étrange vie ascétique mais ça ne pourra pas durer. Il est à même de se faire du mal. Il ne l’a que trop montré.
-Alors, vous lui dites avec qui il peut aller en dehors de vous et comme ça, il ne s’en fait pas. C’est ça ?
-C’est l’idée.
-C’est drôle. Il a l’air tellement pur de ce côté-là. Non, il ne l’est pas ?
-Il l’est.
-C’est compromis, je vous l’ai dit.
-Il va vous appeler. C’est une certitude.
-Il y a des trucs que vous ne me dites pas, ce que vous ressentez pour lui, par exemple.
-Je vous raconte Serenade ? Balanchine l’a chorégraphié en 1934 pour les élèves de son école de danse. La musique est de Tchaïkovski. L’argument, c’est…
-Non, c’est quoi, avec lui ?
-Mais je vous l’ai dit : il est à moi.
Il ne voulait pas lâcher ce qu’il y avait vraiment. Il avait ses raisons, après tout. C’était la première fois en tout cas que je commençais à ressentir pour lui une sorte d’estime. Sur le plan professionnel, il devait être très reconnu.
-Vous travaillez pour l’opéra, c’est ça.
-Oui.
-Actuellement, vous êtes sur un truc ?
-Je ne sais pas si Rigoletto est un « truc » …
-Je ne parle pas aussi bien que vous. Les décors et les costumes ?
-Oui.
Et pour la danse, vous en avez fait des décors et des costumes ?
-Phrase parfaite. Vous voyez, quand vous voulez…La réponse est oui. Par contre, je ne travaille pas pour le New York City ballet.
-Vous ne lui avez pas fait de beaux habits, à Erik ?
-Si. Il a de quoi rêver. Ce sont des créations privées. Tout est chez lui, dans son loft.
-Le genre « L’Oiseau bleu », ce serait magnifique. Sans blague, ça lui irait bien !
Il s’est mis à rire.
-C’est une très belle idée ! J’y songerai. Je lui ai reproduit à l’identique des costumes portés par Jean Babilée…
-Jean…Sais pas qui c’est.
-Un danseur français très beau et très brillant que la guerre a malmené car il était Juif…Il était tout jeune, passionné et touche à tout…Une merveille et vous savez quoi ? L’âge ne l’a pas abîmé. Il est toujours là, aussi créatif et singulier qu’il l’était il y a bien longtemps. J’aimerais qu’Erik suive une semblable voix et, une fois chorégraphe, garde sa singularité…
En partant, je ne savais pas trop quoi penser.