Clive le Vengeur. Partie 1. Clive face à son commanditaire.
2. Une rencontre décisive.
Ce que veut Clive, après avoir lu une annonce étrange, c'est savoir qui est derrière. Il escompte ne pas être déçu.
Finalement, j’ai mis un jean neuf avec une veste élégante et une chemise blanche. Je n’ai pu renoncer au manteau car en novembre à New York, il fait froid. J’ai choisi ce que j’avais de mieux et avec cela, j’ai vérifié ma coiffure, choisi une eau de toilette un peu poivrée, vérifié les détails...Il n’attendait pas une figure de mode mais il ne fallait pas non plus que je le déçoive, après tout. Quant au chasseur, mieux valait travailler la métaphore
Quand j’y repense…Le bar était effectivement très élégant, à l’image du quartier. On était près de Madison avenue. C’était à priori une heure encore creuse et j’ai pu surmonter l’aversion que m’inspirait le serveur stylé qui était à peu près aussi réfrigérant que les rares convives déjà présents pour me diriger vers l’endroit où était assis « Julian B ». Et là, je me suis senti démuni. Il se tenait droit, son dos ne touchant pas le dossier de son siège et il lisait un journal qui semblait retenir toute son attention. Il était très brun et sa mise renvoyait à une définition du luxe que Gabrielle Chanel n’aurait pas reniée : rien ne se voyait car rien n’était ostentatoire mais tout était en place. C’était impeccable puisque cet endroit était un hommage à la célèbre couturière. Vous voyez, j’avais retenu ma leçon.
Se rendant compte de ma présence, il s’est adressé à moi avec une chaleur convaincante, enfin, si tant est qu’on puisse parler de lui comme de quelqu’un de chaleureux…
-Oh, je manque à tous mes devoirs ! Je finis de parcourir cet article et vous êtes là…Je vous en prie, monsieur Dorwell, prenez-place. Les cocktails sont excellents ici mais vous pouvez désirer autre chose…
Restait à s’asseoir et à le regarder. Bel homme, rien à dire. Quarante-cinq, quarante-six ans, par là. La force de l’âge. Oui, dans son cas, c’était significatif. Le genre qui s’entretient : piscine des hôtels de luxe, salles de sport sélectives, hammam, bon coiffeur, manucures…En même temps, pas le genre trip bio. Non, il devait faire des régimes classiques. Est-ce qu’il avait un psy ? Peut-être bien. Il fallait voir. En tout cas, il ne devait pas tout dire à celle qu’il payait grassement. Dans ma tête, c’était une femme encore jeune. Pas grande, un tanagra… Le genre qui pense secrètement qu’elle est encore en face d’un de ces hommes racés qui ne s’intéressent aux femmes qu’intellectuellement, comme si ça pouvait l’aider et qui espère bien l’amener à apprécier et désirer un corps féminin ! Elle avait du pain sur la planche, mais qui sait ? Ce beau mâle qui aimait les éphèbes en arriverait peut-être à la trouver très bien ! Un beau jour, ce qu’il avait entre les cuisses manifesterait son enthousiasme dès l’arrivée de ladite psy et tout irait nettement mieux…Mais non, ça n’était pas ça. Il devait plutôt avoir pour analyste un vieux monsieur chenu qui l’indifférait totalement en dehors de ses qualités thérapeutiques ? Non, cette option était sans intérêt. Restait un beau quadragénaire résolument hétéro et heureux en ménage. Il n’était marié que depuis deux ans ! Mais vu son sens du challenge, Barney sortirait son chéquier pendant quelques mois encore. Ça valait la peine. Le beau docteur n’avait déjà plus le même regard…Bientôt, ils prendraient un verre. Mais j’arrête mes doux délires…
-Je ne sais pas quelle est votre profession, monsieur Dorwell.
-Je travaille dans les assurances. Ça me permet de voyager.
-En ce qui me concerne, je travaille pour l’Opéra de New York.
-D’accord…
-Je crée des décors et des costumes. J’ai fait une très bonne école d’art. A mon accent, vous devez deviner de quelle ville je suis originaire.
-Boston.
-Voila.
Le serveur s’approchait. La carte était aussi sélective que l’était ce paradis pour gens nantis. Je choisis un cocktail orange au nom alambiqué, escomptant que l’alcool m’aiderait à assumer ce qu’il allait me dire.
-Vous êtes chasseur, de nature.
-Oui mais je ne prends pas trop de risques. J’aime ma petite famille.
Pas sûr que ça lui plaise l’évocation de Carolyn et de Kristin. Je n’ai pas insisté. Lui, dans son adolescence, le changement possible de cases ne l’avait pas, à priori, beaucoup travaillé. Il avait coché la même depuis le départ. En un sens, ça lui avait simplifié la vie.
-La situation dans laquelle je me trouve fait que je chasse de manière discrète. C’est efficace. En même temps, je suis sélectif.
-Vous aimez les hommes plus jeunes que vous ?
-Euh…oui. Vous…vous aussi ?
-Monsieur Dorwell, je ne suis pas tenu de vous répondre. Nous sommes ici suite à mon annonce. Le caractère original de votre réponse a retenu mon attention. Pour le reste, vous n’avez pas à savoir ce que j’aime ou pas…
Eh ben, c’était envoyé. J’avais tout de même de la répartie et je lui en ai fait une démonstration :
-Je comprends tout à fait. Par contre, puisque nous sommes en affaire, est-il possible de connaître votre nom en entier ? Le vrai, je veux dire.